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Construire les objets de la recherche

3. Recueils et analyses de matériau

3.2. Pour une approche compréhensive du terrain

Comme nous avons pu l’évoquer dans la partie précédente, notre méthode d’investigation a largement été inspirée des pratiques méthodologiques présentées par Jean- Claude Kaufmann dans son ouvrage sur l’entretien compréhensif (2006). Loin d’être un ouvrage uniquement basé sur l’entretien, Jean-Claude Kaufmann nous propose une posture générale de l’étude du social en sciences humaines : « la démarche compréhensive s’appuie sur la conviction que les hommes ne sont pas de simples agents porteurs de structures mais des producteurs actifs du social, donc des dépositaires d’un savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du système de valeurs des individus » (2006, p.23). Il met ainsi en évidence que le but du sociologue consiste à comprendre intimement les manières de penser et d’agir des acteurs afin de mettre en lumière des processus sociaux. Nous pensons que cette approche compréhensive et la démarche associée en terme d’investigation de terrain est pertinente à mettre en œuvre dans le cadre d’une recherche en SIC dans la mesure où il s’agit bien d’accéder à des processus complexe en interaction articulant des évolutions sociales, économiques et normatives globales et des pratiques locales, des professionnels et des systèmes techniques avec lesquels et par lesquels ils échangent et mettent en œuvre leur activité. Suivant ce dessein, nous avons fait le choix de nous laisser, en partie, « guider » par notre terrain. Cependant, comme le souligne Jean-Claude Kaufmann, il ne s’agit pas non plus « d’abandonner toute rigueur, se laissant aller à l’impressionnisme et à l’intuition sans contrôle » (2006, p.23). Aussi avons-nous établi un cadre à nos échanges au travers de grilles d’entretien. Ces grilles ont été élaborées de façon à ce que les échanges prennent la forme de discussions dans lesquelles nos interlocuteurs étaient amenés à « raconter » leurs expériences et leurs pratiques. Ces entretiens ont été menés auprès de plusieurs catégories d’acteurs du milieu aéronautique : pour le volet « sol », les entretiens ont été effectués à la fois auprès d’interlocuteurs du centre de contrôle de Tahiti, mais également auprès d’interlocuteurs issus de la DTI et de l’ENAC. Pour le volet « air », nous avons menés des entretiens auprès de pilotes issus de différentes compagnies aériennes opérant sur des avions équipés du système CPDLC. Au cours de ces entretiens, il s’agissait d’interroger nos interlocuteurs sur leurs pratiques de travail et plus particulièrement sur leurs pratiques communicationnelles ainsi que de les « faire raconter » autour des spécificités du contexte de déploiement du système

technique. Au cours de notre travail, ces grilles ont évolué en fonction de la spécification progressive de notre problématique :

- une première grille a été élaborée (dans le cadre du master – Annexe 1, p.I) autour de la thématique de la phraséologie. Les questions s’orientaient alors davantage autour de la pratique du langage phraséologique d’une part dans des situations standard et d’autre part dans des situations inhabituelles.

- une deuxième grille a été élaborée autour des pratiques communicationnelles en contexte de changement technologique (Annexe 2, p.III). Suite à l’introduction du CPDLC, nous nous intéressions davantage à ce que cela participait d’une (re)construction des pratiques communicationnelles.

Lorsque cela était possible, nous enregistrions les entretiens afin de disposer d’un matériau sur lequel nous pouvions revenir (ce qui fut possible la plupart du temps).

Nous avons également effectué des observations d’une part dans le centre de contrôle de Tahiti et d’autre part à bord des cockpits sur des vols trans-océaniques sous couverture CPDLC. Ces observations ont été effectuées chaque été entre 2009 et 2011. Il s’agissait pour nous, de nous confronter aux pratiques des acteurs en situation et de suivre les trajectoires d’action en détail et leur déroulement contingent (Mondada, 2002). Pour mener ces observations, nous nous sommes présentée en tant qu’étudiante effectuant une thèse sur la mise en œuvre du système CPDLC. Afin de limiter l’auto-censure de nos interlocuteurs sur certains aspects de leur travail, nous avons pris soin de spécifier que notre intervention n’était commandée par aucun organisme et qu’il s’agissait là d’un travail universitaire. S’agissant de comprendre les pratiques des acteurs aux prises avec un système technique, notre difficulté fut de trouver le juste milieu entre une présence suffisamment visible qui amènerait les acteurs à formuler et à expliquer les actions qu’ils étaient en train de mener et une distance nécessaire pour ne pas perturber et orienter le cheminement habituel de leurs pratiques (bien que nous ayons pleinement conscience que notre présence à elle seule suffise à marquer une différence avec « l’habituel »).

Concernant les observations menées au centre de contrôle de Tahiti, nous avons effectué, dans un premier temps, des demandes d’autorisation d’accès aux sites auprès du chef de service de la navigation aérienne de ce centre. En effet, l’accès au centre de contrôle étant fortement réglementé et contrôlé, il nous a fallu prévoir en amont, les autorisations nécessaires afin d’organiser les formalités d’accès à ces sites. Dans un deuxième temps, nous

Chapitre 4 – Construire les objets de la recherche

avons pris contact avec les différentes équipes afin d’organiser notre venue (avec celles qui voulaient bien nous recevoir). Toutes ces observations se sont déroulées de nuit entre 22h et 2h du matin, créneau horaire durant lequel la majeure partie du trafic trans-océnanique (équipé du système CPDLC) passe dans la FIR de Tahiti. Durant ces périodes, les secteurs de contrôle (« aéroport », « approche », « en-route ») de la FIR de Tahiti sont regroupés dans la mesure où le trafic d’aviation légère n’a plus court (vol à vue) et que le trafic inter-île est très peu dense94. Lors de nos observations durant l’été 2011, nous avons pu obtenir l’autorisation de filmer le travail des contrôleurs sur position. Nous avons ainsi effectué deux soirées d’observation filmées (environ 3 heures d’enregistrement).

Concernant les observations menées en cockpit, compte tenu de la complexité d’obtention des autorisations d’accès aux cockpits par les compagnies aériennes, notre démarche consistait à prendre directement contact avec les commandants de bord le jour du voyage. Nous préparions, avant le voyage, un ensemble de documents attestant de notre statut95 et des objectifs de notre démarche. Une fois à bord, nous transmettions, via le personnel navigant commercial, notre courrier afin qu’il le transmette au commandant de bord. Lorsque notre demande était acceptée, un personnel navigant nous conduisait dans le cockpit. Nous disposions, sur place, d’un siège situé à l’arrière de la cabine depuis lequel nous pouvions observer les pilotes à l’œuvre. Lorsque les pilotes n’étaient pas en train de mener des actions spécifiques, nous en profitions pour échanger avec eux (sur la base de notre grille d’entretien) d’une part sur leurs pratiques de travail en général et d’autre part sur les outils et pratiques concernés pour le vol en question. Les durées d’observations ont varié de 1 à 5 heures suivant l’équipage rencontré, sa disponibilité et les conditions de vol (en cas de fortes turbulences, par exemple, les commandants de bords mettaient fin à l’observation). Pour des questions de sûreté et de confidentialité, ces observations n’ont pu faire l’objet d’un enregistrement audio ou vidéo. Nous avons cependant pu prendre (sur certains vols

uniquement), en plus de nos notes, quelques photos du cockpit.

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