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pour une approche communicationnelle des processus organisant

4. Pourtour de notre objet scientifique : une rationalisation équipée d’artefacts et de systèmes techniques complexes

Dans le cadre de ce travail, nous proposons de saisir les transformations technologiques actuelles comme participant d’un processus de rationalisation des activités de production d’information et de communication. Nous nous inscrivons en cela dans un travail d’équipe qui interroge les processus de rationalisation à la fois des méthodes organisationnelles et des activités de production d’information et de communication. Et nous posons que cette rationalisation repose notamment sur l’équipement des activités par des systèmes techniques informatisés de plus en plus complexes et totalisants.

4.1. Vers une rationalisation des organisations

La rationalisation est un processus qui semble bien rendre compte de ce qui participe de la vision ingénieur que nous avons décrite dans la première partie de ce chapitre. A l’instar de Jean-Luc Bouillon (2009), nous retenons de définir la notion de rationalisation comme « un triple processus intégré d’optimisation, de codification et de justification des activités, se matérialisant au travers de rapports sociaux et économiques, de la relation de pouvoir et de différentes formes de régulations sociales par lesquelles se coordonnent les activités humaines » (p.7 du document).

Selon lui, la rationalisation comme optimisation64 émerge de la diffusion généralisée et de la volonté renforcée de tendre vers la « rationalité en finalité ». Dans cette optique, il s’agit de déterminer rationnellement les moyens et les buts à atteindre en faisant primer l’efficacité et la cohérence des différentes ressources (matérielles, humaines, techniques) nécessaires pour obtenir le résultat escompté, en prenant appui sur des méthodes rationnelles d’évaluation des meilleurs façons de faire – tel que l’observation, l’expérimentation et le calcul comparatif. Et selon cet auteur, « la standardisation et la normalisation des procédures décrivant les activités, le recours à des artefacts techniques, la division et la spécialisation du travail, la production

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Chapitre 2– De la pensée-ingénieur à la pensée organisationnelle…

d’indicateurs d’évaluation des résultats et de mesure des écarts par rapport aux objectifs, participent de ce mouvement » (ibid., p.7 du document).

La rationalisation, nous dit-il, repose également sur une démarche de codification65 c’est à dire sur une tentative de mise en objectivité de l’organisation qui se traduit par une mise en écrit de la pensée rationnelle (Goody, 1979). L’enjeu consiste à repérer, à objectiver puis à inscrire en amont des actions les éléments constitutifs de celles-ci afin d’avoir prise sur elles et d’ainsi, construire la « réalité » souhaitée. Dans cette optique, rationaliser consiste à mettre en forme l’organisation au travers d’un ensemble de règles, de procédures, de cadres formalisés.

Enfin, Jean-Luc Bouillon met en avant que la rationalisation implique un processus de

justification66 dont l’enjeu consiste à énoncer et à légitimer les raisons de ces choix rationnels.

Il s’agit de faire adhérer les individus aux logiques d’action (ainsi construites et formalisées) qui participent à optimiser leurs activités ; cela, en invoquant la poursuite d’un objectif « plus grand », d’une nécessité commune à mettre en œuvre les principes, règles et méthodes énoncées. Dans le domaine aérien, cette justification du phénomène de rationalisation nous semble s’incarner dans le discours qui fait prévaloir la recherche d’une sécurité maximum. Certes, cet enjeu de sécurité est au cœur des préoccupations des acteurs du système d’activité de la navigation aérienne, mais il nous semble qu’elle vient conforter et justifier le déploiement de règles, de mesures de qualité, de systèmes techniques plus complexes et impératifs.

Dans le contexte actuel de densification du trafic aérien sous-tendu par des enjeux sécuritaires et économiques forts, nous allons interroger la forme que prend cette rationalisation et la place qu’occupent les technologies de l’information et de la communication dans la mise en œuvre de ce mouvement. En effet, équiper les activités de production d’information et de communication n’est pas anodin et les questions liées ne peuvent pas être traitées sur le seul mode de la résistance au changement (Grosjean et Bonneville, 2007b). Comme nous l’avons annoncé au début de ce chapitre, nous soutenons que les TIC que l’on déploie dans les organisations n’ont pas comme unique vocation d’accompagner les transformations des organisations, mais constituent un des moyens utilisés

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Idem.

pour soutenir la mise en œuvre de la rationalisation des activités. Dès lors, cela nous amène à repenser le développement contemporain des TIC.

4.2. Repenser les « techno-logiques » de l’information et de la

communication

De manière générale, de nombreux travaux axent leurs objets d’études autour des technologies et plus particulièrement en ce qui nous concerne, autour des Technologies de l’Information et de la Communication. Or, comme le soulignent Anne Mayère et al. (2012), l’acronyme TIC est rarement explicité et souvent employé dans son sens commun, lequel fait référence aux « objets techniques d’information et de communication souvent organisés en systèmes informatisés d’information » (p.120). Cet impensé des « technologies », nous dit- elle, doit être interrogé en ce qu’il ne tient pas compte des logiques, méthodes et autres techniques intellectuelles dont elles sont porteuses. Aussi, compte tenu de la place et du rôle croissant qu’elles jouent dans les organisations contemporaines, est-il nécessaire de repenser ces « techno-logiques » comme relevant d’un construit social en tentant de « déplier » ce qui les caractérise. En effet, comme le souligne Andrew Feenberg (2004), « les technologies ne sont pas seulement des dispositifs efficaces ou des pratiques visant l’efficacité ; elles comprennent également leur contexte dans la mesure où celui-ci est internalisé dans leur conception même et dans leur mode d’insertion sociale » (p.18). En cela, les TIC ne doivent pas être réduites au système technique, il importe également de tenir compte des méthodes et des savoirs qui les composent.

A l’instar d’Anne Mayère et al. (2012), nous proposons de définir les technologies « comme constituées, de façon inter-reliée, des méthodes et objets techniques et des savoirs théoriques et pratiques mobilisés dans leur genèse et dans leur mise en œuvre. C’est donc penser de façon inter-reliée les artefacts, les méthodes prescrites en association ou que les objets techniques viennent en partie “pré-câbler”, et les savoirs savants et profanes développés lors de leur conception et de leur usages » (ibid., 2012, p.121). Munis de cette définition des TIC, nous nous interrogeons sur les méthodes et principes inscrits dans ces technologies et sur la façon dont les pratiques mettent à l’épreuve ces technologies en projet. Autrement dit, comment les systèmes techniques postulent (pré-inscrivent) de nouvelles méthodes et de nouvelles connaissances ? Et comment pilotes et contrôleurs développent-ils des méthodes et des compétences en situation, qui ne sont pas forcément celles qui ont été projetées ?

Chapitre 2– De la pensée-ingénieur à la pensée organisationnelle…

Nous avons montré que le système de pensée et d’action à l’œuvre dans le domaine aérien repose sur une conception mécaniste et essentialiste de la coordination et des productions d’information et situation de communication ; pensée qui postule que c’est par l’informatisation et l’automatisation qu’il va être possible de résoudre les problèmes actuels créés par ce processus continu de densification du trafic aérien et par les enjeux de performance économique et de sécurité. Nous nous interrogeons sur les effets et enjeux de cette rationalisation des activités de production d’information et de communication équipée par les TIC. D’autant plus lorsque l’activité de la navigation aérienne, et plus généralement les activités à contenu prudentiel, qui comportent des dimensions d’imprévus et de forte contingence, sont marquées par une tension permanente entre d’une part les velléités de rationalisation des échanges et d’autre part, la nécessité de préserver les possibilités d’ajustements locaux qui sont inhérents aux questions de coordination. Il s’agit de mieux comprendre comment ces activités à dimension de diagnostic et d’adaptation aux contingences vont être mises au travail pour densifier et optimiser le trafic aérien avec une forte prévalence des projets d’informatisation et d’automatisation.

Notre travail de recherche s’articule autour de la question suivante :

Dans des activités à fort contenu prudentiel, comment les activités de production d’information et de communication sont-elles insérées dans un projet de rationalisation équipé par des systèmes techniques, et comment ces « techno- logiques » sont questionnées par les mises en pratiques ?

Pour répondre à cette question, nous spécifions dans le chapitre suivant notre cadre d’analyse en nous appuyant sur la théorie de l’activité de Yrjö Engeström (1987). Celle-ci nous permet d’appréhender les transformations socio-techno-historiques et d’ainsi penser les processus organisant comme imbriqués dans des évolutions sociétales plus globales et plurielles avec lesquelles les opérationnels auront à mettre en œuvre leurs activités. Cela nous amènera, dans le chapitre 5, à mettre en évidence la montée en puissance des logiques économiques et gestionnaires qui visent à mettre en forme l’activité de la navigation aérienne et ce, notamment à l’aide de la mise en œuvre de nouveaux systèmes techniques qui portent une certaine conception de ce que doit être l’activité. Pour « déplier » davantage ce en quoi ces systèmes techniques participent d’une mise en forme des activités de production d’information et de communication, nous nous attacherons à explorer leurs « architextes » en pratique (Jeanneret et Souchier, 1999).

PARTIE 2

Construction théorique et méthodologique

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