• Aucun résultat trouvé

pour une approche communicationnelle des processus organisant

2. Les activités de production d’information et de communication comme constitutives des processus organisant

3.2. Vers un déploiement de systèmes techniques intégrés : les études autour des ERP

3.2.2. Les ERP comme reconfiguration des territoires et des identités

La recherche menée par Rosio Alvarez (2008) porte sur une grande université américaine marquée par l’arrivée d’un système ERP. Cette étude examine la relation entre l’utilisation de la technologie (ou sa non utilisation : technologie use or misuse), la structure organisationnelle et l’identité des parties prenantes. Rosio Alvarez montre que tandis que la technologie en projet – la technologie en tant que « phénomène imaginaire » (technology as

imaginary phenomenon) – a reçu un soutien fort de la part des futurs utilisateurs, la

technologie en tant qu’artefact (technology as artifact), quant à elle, c’est à dire celle qui a effectivement été intégrée aux pratiques de travail, a fait l’objet d’un rejet de la part des utilisateurs. Dans cette étude, le milieu de travail est appréhendé comme un environnement discursif dans lequel parler est une action. Le discours est défini comme produisant « des connaissances qui s’institutionnalisent, ce qui a pour effet d’orienter les pratiques en milieu de travail. Il construit simultanément la réalité sociale de l’organisation et l’identité des

Chapitre 2– De la pensée-ingénieur à la pensée organisationnelle…

membres » (Groleau, 2011, p.242). Le système ERP est ici abordé « comme un ensemble de pratiques inscrites dans un processus intégré qui prend forme dans le logiciel ; [et où] régulation et intégration sont deux facettes importantes de cette technologie » (ibid.). Dans sa recherche empirique, Rosio Alvarez s’intéresse plus particulièrement au travail des commis chargés de l’inscription des étudiants aux cours qu’ils souhaitent suivre durant leur cursus. Le cœur de son analyse s’articule autour des tensions, des incertitudes qui émergent chez les commis lorsque les pratiques de travail qu’ils ont instauré et celles inscrites dans la technologie ne se recouvrent pas. Il met particulièrement l’accent sur la façon dont cela tend à reconfigurer l’identité et les relations de pouvoir des commis dans la conduite de leur activité. Les commis chargés de l’inscription des étudiants revendiquent leur contribution à l’orientation des étudiants dans le choix de leurs cours ; contribution dont ils se voient dépossédés depuis l’arrivée de la technologie. En effet, en accédant aux dossiers des étudiants, les commis avaient pour habitude, au delà de la tâche qui leur était initialement confiée, de conseiller les étudiants quant aux cours qu’il serait pertinent de suivre en fonction de leur cursus, de leurs spécialités, etc. Or, depuis l’arrivée de la technologie, la consultation de ces dossiers est limitée du fait de la fragmentation des informations. N’ayant plus accès à l’ensemble des informations (y compris celles relatives aux spécificités des différents départements), les commis ne sont plus en mesure d’effectuer leur fonction d’aide et de soutien ; fonction qu’ils considèrent pourtant comme essentielle pour les étudiants et valorisante pour leur activité. Dès lors, les commis sont contraints de rediriger les étudiants vers les départements de référence. Rosio Alvarez souligne que les commis font état d’une perte de contrôle sur leur activité ; la nouvelle dépendance des commis vis à vis des autres acteurs du département participe, selon lui, à une baisse de leur autonomie.

Cette perte de contrôle se manifeste également dans une autre situation ; celle d’une perte de pouvoir discrétionnaire lors de la sélection des critères de priorité des étudiants au cours de leurs inscriptions. En effet, il était laissé à la libre appréciation des commis la possibilité de déterminer et de répartir l’allocation des cours en fonction du profil des étudiants (la priorité pouvait, par exemple, être donnée aux étudiants de dernière année par rapport à ceux qui débutaient le programme). Rosio Alvarez relève que ce pouvoir discrétionnaire participait de l’identité des commis en tant qu’arbitres de l’équité. Or, le logiciel nouvellement installé est programmé pour effectuer une sélection sur la base du « premier arrivé, premier servi » ; ce que les commis dénoncent fortement. Des pratiques de contournement du système ERP ont dès lors été déployés par les commis : elles consistent à

continuer d’inscrire manuellement les étudiants de façon à ne pas soumettre le choix de l’allocation des cours à l’algorithme du logiciel (reflet de la nouvelle règle d’attribution). Cette façon de faire permet ainsi aux commis de regagner une partie de leur autonomie.

Dans cette étude, Rosio Alvarez montre comment l’ERP intervient directement dans la structuration des activités en intégrant des règles, des « best practices » qui reflètent avant tout les intérêts des gestionnaires, et qui tendent à limiter, à réduire l’action des personnels en charge de la conduite des opérations. Il met notamment l’accent sur la façon dont l’ERP façonne les perceptions de l’identité des travailleurs. En s’appuyant sur les écrits de Foucault (1979, 1982), Alvarez nous dit qu’il est ainsi possible de considérer l’ERP comme une technologie de pouvoir ; « technologie qui offre le potentiel pour diriger, gouverner, tenir en échec, en somme, pour administrer les actions des utilisateurs » (Alvarez, 2008, p.14 du document).

Dans le cadre de notre recherche, l’étude de Rosio Alvarez nous semble intéressante en ce qu’elle nous permet de questionner la façon dont la technologie participe, ou non, à reconfigurer les relations de pouvoir entre les acteurs et entre les acteurs et le système technique (agentivité), ainsi que la reconfiguration de l’identité professionnelle des pilotes et des contrôleurs. En effet, nous verrons que le système technique actuellement déployé occupe une place de plus en plus importante, notamment dans le cockpit où l’automatisation des tâches s’accroit. Nous verrons que cela tend à recomposer les territoires d’intervention des pilotes dans la conduite de leur activité, les amenant à se questionner sur leur place et leur rôle au sein du cockpit. Par ailleurs, nous verrons également, que le système technique tend à redistribuer l’information en donnant le primat du suivi des vols, aux contrôleurs.

Outline

Documents relatifs