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Construire les objets de la recherche

1. De la constitution de notre démarche de recherche

Dans cette première partie, nous souhaitons rendre compte du cadre scientifique dans lequel ce travail fut entrepris afin d’éclairer les lecteurs sur les éléments qui ont participés à la constitution de notre pensée. Puis, nous précisons la façon dont nous avons investi notre terrain ; ce qui a permis et limité notre démarche et ce en quoi cela a participé à la construction de notre objet d’étude.

1.1. Les prémices de notre recherche

Notre travail de thèse trouve ses premiers fondements dans le travail mené à l’occasion de notre mémoire de Master 2 intitulé : « La communication pilotes-contrôleurs médiatisés dans le cadre d’une évolution technologique des artefacts de transmission des messages » (Bénéjean, 2008). Lors de ce travail, nous nous sommes intéressée à une forme particulière de situation de communication, celle de la relation de coordination entre pilotes et contrôleurs aériens avec une focale qui était initialement axée sur l’utilisation du langage phraséologique pour la transmission des messages de la circulation aérienne par radiotéléphonie. Au fil de

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notre investigation de terrain et de la mise en discussion du matériau au regard de notre cadre théorique, notre focale s’est progressivement déplacée vers la question des transformations des médiations socio-techniques associées à la mise en œuvre d’un système de transmission des données par liaisons de données numériques. Dans le domaine aéronautique, où la communication médiatisée entre pilotes et contrôleurs aériens est sous-tendue par une volonté toujours croissante d’obtenir un haut degré d’intercompréhension des messages de la circulation aérienne dans le but de garantir le niveau de sécurité défini réglementairement, la mise en œuvre de l’application CPDLC (Controler Pilote Data Link Communication) pour la transmission des messages de la circulation aérienne fut, pour nous, l’occasion de questionner la façon dont se (re)reconstruit une intercompréhension dans la relation de coordination entre pilotes et contrôleurs.

Suite à ce travail, nous avons postulé à l’Ecole Doctorale Aéronautique-Astronautique (ED-AA) de Toulouse dans le but d’y obtenir une allocation ministérielle de recherche pour mener notre travail de thèse. Notre projet de thèse portait sur la communication médiatisée pilotes-contrôleurs et l’arbitrage CPDLC/vocal en situations « standards » et « à risques ». Dans la continuité du travail engagé lors de notre mémoire de master 2, notre questionnement portait sur la reconfiguration des pratiques communicationnelles des pilotes et des contrôleurs aériens suite à l’introduction d’un nouvel outil de transmission des messages : que nous apprend ce changement comme « révélateur » de l’existant sur la relation de coordination entre pilotes et contrôleurs ? En effet, tout changement est en premier lieu l’occasion d’une activation de processus pré-existants, ne serait-ce que parce qu’il amène les acteurs à une démarche réflexive sur leurs pratiques antérieures et actuelles.

Intégrer l’ED AA fut pour nous l’occasion de bénéficier d’un cadre de formation en adéquation avec notre sujet. Les modules de formation orientés aéronautique étaient un atout pour développer notre connaissance du terrain et des acteurs du milieu aéronautique. Cette école doctorale met comme condition à toute thèse une co-direction pluridisciplinaire avec au moins un des encadrants ayant développé une compétence approfondie dans le domaine de l’aéronautique. Claude Navarro ayant développé une telle expérience s’agissant de l’ergonomie des postes de travail des pilotes et des contrôleurs, y compris dans leur dimension d’échange de messages, cette co-direction est apparue la mieux à même de favoriser l’avancée de notre recherche. Notre travail de thèse a ainsi bénéficié des apports bienveillants de nos deux directeurs de thèses : Anne Mayère pour les sciences de l’information et de la communication et Claude Navarro pour les sciences cognitives. Il

importait de bien ancrer cette recherche dans un champ disciplinaire, et c’est le champ des Sciences de l’Information et de la Communication qui a été retenu dans la continuité de notre cursus antérieur.

Par ailleurs, bien qu’évoluant au sein du laboratoire CERTOP et de ses collaborations scientifiques orientées en sciences sociales, notre appartenance à l’école doctorale ED AA (ainsi que, bien évidemment, l’objet même de notre recherche) nous a poussé à nous confronter à un univers largement dominé par les sciences pour l’ingénieur. Cela nous a permis d’entreprendre le nécessaire processus d’acculturation dont nous avions besoin pour investir notre terrain d’étude. Au niveau de l’ED AA, cela s’est traduit par la validation de modules en « culture aéronautique ». Aussi avons-nous assisté à de nombreuses conférences, rencontré et discuté avec des acteurs évoluant dans le milieu aéronautique.

Par ailleurs, la construction de notre environnement scientifique s’est également enrichie de nombreux échanges, dont les principaux sont :

- Les réunions HDR/Doctorants organisées par notre directrice d’équipe, Anne Mayère, et dont l’objectif consistait à permettre à chacun et chacune de confronter l’état d’avancement de ses travaux à d’autres chercheurs de la discipline. Nous avons ainsi pu bénéficier des travaux et des réflexions menés par Isabelle Bazet, Sylvie Bourdin, Jean- Luc Bouillon en ce qui concerne les maîtres de conférences et par Alexia Jolivet, Florian Hémont, Karolina Swidereck, Philippe Marrast et Marine Gout en ce qui concerne les doctorants. Ces discussions nous ont permis d’éprouver l’état d’avancement de notre réflexion ainsi que notre compréhension des différentes lectures effectuées. Tout cela a grandement participé à spécifier notre objet d’étude et les moyens d’analyse de celui-ci.

- Des séminaires d’équipe plus étendus ont également été organisés afin de mettre en discussion nos travaux avec ceux de chercheurs en SIC travaillant sur d’autres thématiques : Marie-Gabrielle Suraud, Patrick Chaskiel, Angélique Roux, Bruno David pour les maîtres de conférence et Julien Domard, Dione Yangan, Sarah Camguilhem pour les doctorants.

- Nous avons également pu participer aux réunions organisées par des chercheurs du CERTOP et du LISST80 dans le cadre du séminaire « PragmaTIC » ; réunions qui nous

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ont permis d’alimenter notre réflexion ainsi que de la confronter à des travaux issus de la sociologie.

- Des rencontres avec des chercheurs invités nous ont également permis de disposer de moments privilégiés d’échanges. Nous remercions ainsi Carole Groleau, François Cooren, Sylvie Grosjean, Consuelo Vasquez et Bernard Pavard pour les nombreux conseils et éléments de réflexion dont ils nous ont fait part.

- Enfin, nous avons eu l’opportunité de présenter nos travaux dans le cadre d’un séminaire organisé à l’IRIT81 sous la direction de Philippe Palanque82. Cette rencontre fut pour nous très enrichissante dans la mesure où nous confrontions nos travaux à un public majoritairement composé d’informaticiens, d’ergonomes et d’ingénieurs de l’ENAC (Ecole Nationale de l’Aviation Civile).

Au final, c’est dans ce contexte scientifique que notre travail de recherche a pris forme et que nous avons progressivement construit notre objet de recherche.

1.2. Acculturation au monde de l’aéronautique

Pour appréhender notre objet d’étude ainsi que l’environnement complexe dans lequel il s’insère, nous avons dû entreprendre un travail d’acculturation afin de nous familiariser avec les outils, pratiques et « langages indigènes » propres au milieu aéronautique. Il importait en effet, durant les premier temps de ce travail d’apprendre les termes anglo-techniques propres au milieu aéronautique et de nous former aux différents savoirs et savoir-faire de bases des métiers de pilotes et de contrôleurs aériens. A postériori, nous identifions trois phases dans cette démarche d’acculturation :

- Les recherches documentaires : pour nous « éduquer » aux termes techniques, aux sigles et autres composantes du « langage aéronautique », nous avons effectué un certain nombre de recherches documentaires afin de mieux comprendre ce à quoi nous allions devoir nous confronter une fois sur le terrain. Il s’agissait d’être en mesure de pouvoir cerner le discours des acteurs que nous allions rencontrer et d’être capable d’échanger de façon intelligible avec eux.

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Institut de Recherche en Informatique de Toulouse – UMR 5505.

- Le stage à l’ENAC : nous avons effectué, à la fin de l’année 2009, une formation d’une semaine à l’ENAC sur la thématique des « nouveaux réseaux de communication sol- bord numériques ». Durant cette formation, nous avons eu accès à divers modules de formation relatifs à l’évolution des moyens de télécommunication dans le domaine de la navigation aérienne. Nous avons également participé à une journée de formation au sein de la DTI (Direction de la Technique et de l’Innovation) sur les expérimentations CPDLC qui se sont déroulées à Reims au cours de l’année 2008 (premières expérimentations CPDLC en France). Enfin, nous avons également, au cours de cette formation, assisté à une présentation du système technique « TIARE » (Traitement des Informations ATM et Radar pour l’Exploitation) installé dans le centre de contrôle de Tahiti.

- La constitution d’un réseau : pour investir le domaine de l’aviation civile et organiser nos différentes interventions, nous avons pris soin, en amont, de rencontrer et de discuter avec plusieurs acteurs du milieu. Ces rencontres se sont déroulées de façons informelles, lors de nos passages, par exemple, à la bibliothèque de l’ENAC ou via les diverses conférences auxquelles nous nous rendions. Notre appartenance d’une part, à l’Ecole Doctorale Aéronautique-Astronautique et d’autre part, au conseil d’administration de celle-ci (en tant que représentante des étudiants) nous a également permis de côtoyer un panel de personnes liées au monde de l’aéronautique (étudiants, industriels, personnels de l’ENAC, etc.). Cette démarche, initiée dès le master 2, nous a ainsi permis de constituer un réseau auquel nous pouvions nous référer pour l’accès au terrain. Cela nous a permis, en outre, l’accès aux salles de simulation de l’ENAC accompagné d’un « guide » (contrôleur-instructeur) afin de visualiser et de nous familiariser avec les dispositifs techniques utilisés dans les salles de contrôle.

C’est également dans ce contexte là que s’est progressivement dessinée la façon dont nous allions investir notre terrain, ce qui nous était possible et pertinent de mettre en œuvre ou non.

1.3. L’accès au terrain

Afin de constituer un matériau intéressant et pertinent pour notre recherche, il était nécessaire d’observer le travail des acteurs in situ. Pour cela, il nous fallait avoir accès aux sites (centres de contrôle et cockpits) et acteurs mobilisant le système étudié. Or, en France métropolitaine, aucun centre de contrôle n’utilise encore opérationnellement ce système. Nous

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avons ainsi mené notre investigation au centre de contrôle de Tahiti. En effet, la mise en œuvre du système Eurocat-X (ou TIARE83) - qui comprend notamment, un système de surveillance automatique des aéronefs (ADS) et un système informatisé pour la transmission des messages de la circulation aérienne (CPDLC) - a pris effet fin 2008 dans le centre de contrôle de Tahiti dans la perspective, par la suite, du déploiement d’un système similaire (Eurocat-E) au niveau Européen dans le cadre du programme SESAR (Single European Sky

Air Traffic Management Research) à l’horizon 2016. Pour investir ce terrain, un processus de

négociation assez long a été engagé avec certains acteurs du milieu aéronautique, dont notamment, le centre de contrôle de Tahiti pour la partie « sol » et certaines compagnies aériennes effectuant des vols trans-océaniques sous couverture CPDLC, pour la partie « air ». La mise en œuvre d’observations, d’entretiens et de formations a nécessité, d’une part, des autorisations indispensables pour l’accès aux sites soumis à des règles strictes de sûreté, et d’autre part, de lever le devoir de réserve de ces acteurs quant à leur utilisation du système tant vis-à-vis de l’administration que des industriels, maîtres d’œuvre du dispositif. Dans cette configuration, nos investigations sur le terrain (pour ce qui relève des observations et d’une partie des entretiens effectués à Tahiti) ont été menées sur des périodes groupées que nous avons veillé à optimiser (chaque été) durant 3 années (2009-2011).

Avant de spécifier la façon dont nous avons mené notre investigation de terrain, nous souhaiterions présenter, dans la partie suivante, les spécificités du terrain de recherche investi et expliquer les raisons du déploiement du système Eurocat-X dans le Pacifique Sud.

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