• Aucun résultat trouvé

Pour comprendre la façon dont l’évolution des systèmes techniques participe à certaines reconfigurations des pratiques communicationnelles des pilotes et des contrôleurs aériens, nous souhaitons dans ce chapitre, porter notre attention sur les dynamiques socio-historiques et économiques qui ont mené à cette situation de changement. En effet, comme nous l’avons annoncé précédemment, il nous semble que pour saisir les transformations associées à la mise en œuvre du système technique étudié, il est nécessaire de ne pas considérer uniquement la relation qu’entretiennent les individus avec l’objet technique mais de resituer l’outil dans des pratiques plus larges afin de comprendre « comment des idées, des savoirs, des représentations s’élaborent » (Jeanneret, 2009). A l’instar d’Yves Jeanneret, nous considérons que pour appréhender ce qu’il nomme « la production symbolique de l’information et du savoir » il est nécessaire d’opérer un aller-retour entre une étude plus située et les changements globaux. En portant un regard critique sur l’approche socio-technique des usages comme relevant encore d’un clivage entre technique et social, Yves Jeanneret met en évidence que :

« L’usage est un élément de la pratique culturelle, celui qui concerne les situations où les sujets sociaux sont confrontés à des dispositifs conçus par d’autres. Il n’y aurait donc pas, pour moi, des usages de l’information, mais plutôt des pratiques informationnelles qui conduisent les sujets sociaux à être parfois confrontés à des dispositifs de médiation produits par d’autres (professionnels de l’information, ingénieurs, amateurs, marchands). Si l’on part de cette idée simple, on veillera toujours à se demander quel concept de pratique culturelle et informationnelle on mobilise lorsqu’on étudie l’usage des objets culturels, des dispositifs de communication, des œuvres et des textes » (Jeanneret, 2009, p.84).

En suivant ce dessein, nous proposons de mobiliser la théorie de l’activité (Engeström, 1987) pour rendre compte du processus socio-historique des activités de pilotage et de contrôle. En effet selon la théorie de l’activité, pour comprendre le changement que subissent les systèmes d’activités, il faut lier le niveau situationnel avec les logiques socio-historiques préexistantes

Chapitre 5 – Les tensions à l’œuvre dans le système d’activité de la navigation aérienne

afin de rendre compte de l’évolution de l’activité. Cela permet d’identifier les différentes formes de contradictions et leurs déplacements à l’occasion de l’introduction d’un nouvel outil dans les pratiques communicationnelles, de comprendre les raisons des pratiques existantes, en déduire les freins, les inhibitions ou au contraire les acceptations des nouveaux systèmes et méthodes induites et de les inscrire dans un cadre plus large. Prendre appui sur la théorie de l’activité nous permet ainsi d’avoir accès à des éléments qui dépassent le cadre plus local de l’interaction pour nous permettre d’appréhender certains éléments qui, nous le verrons, viennent s’actualiser au cours de l’action.

En suivant le concept de contradiction proposé par Yrjö Engeström, il s’agit ici de rendre compte de l’évolution du processus de transformation de l’activité en identifiant les tensions à l’œuvre à l’intérieur et entre les systèmes d’activités. Comme explicité au chapitre 3, toute activité présente des contradictions (contradiction primaire) qui se manifestent par des tensions, des troubles, des problèmes concrets dans la conduite de l’activité (contradiction secondaire). Ces tensions incitent les acteurs à repenser l’organisation et à aller chercher dans d’autres systèmes d’activités des solutions, des moyens de résoudre ces tensions (contradiction tertiaire). Aussi, l’identification de ces tensions permet de suivre les différentes étapes de l’évolution et des transformations de l’activité au fil du temps. Précisons que, bien qu’ayant procédé à une mise en histoire de l’automatisation du contrôle aérien lors du chapitre 1, ce dont nous souhaitons rendre compte ici, à l’aune de la théorie de l’activité, relève d’une focale différente dans la mesure où nous nous intéressons aux tensions qui font surface à l’intérieur et entre les systèmes d’activité. Cela nous permet de mettre en lumière certains éléments de l’activité des pilotes et des contrôleurs au regard des dynamiques socio- historiques et économiques qui ont participé à forger leurs identités, leurs pratiques et leurs représentations de leurs activités.

Pour cela, nous proposons d’appréhender l’activité de la navigation aérienne comme relevant de l’interaction de deux systèmes d’activité : le système d’activité du contrôle et le système d’activité du pilotage. Dans la troisième génération de la théorie de l’activité, Yrjö Engeström (2005) considère que l’analyse doit se porter sur le système d’activité collectif, médié par l’artefact et orienté vers l’objet au sein de réseaux et en relation avec d’autres systèmes d’activités. Compte tenu de l’interdépendance des activités de pilotage et de contrôle, nous rejoignons Engeström sur la pertinence d’inclure dans une même unité d’analyse, un minimum de deux systèmes d’activités en interaction. Cela nous permet de mieux appréhender ce qui se joue dans les intersections entre le système d’activité de pilotage

et le système d’activité de contrôle ; et ainsi, de saisir les éléments qui influencent les actions engagées par les acteurs dans la conduite de leurs activités. En effet, lorsque les acteurs sont répartis temporellement et spatialement, les actions engagées sont influencées par de nombreux facteurs autres que les situations de communication effectivement réalisées (Engeström, 2005 selon Owen, 2008).

Dans cette perspective, nous avons retenu de ne pas uniquement circonscrire notre étude sur la place et le rôle de l’outil dans la relation de coordination entre pilotes et contrôleurs. En effet, nous rejoignons Engeström sur l’idée que la compréhension plus large du contexte dans lequel s’inscrivent les actions des individus nous permet de saisir les éléments de tension qui traversent l’activité à tous les niveaux – à savoir la visée, les outils, les règles, la communauté et la division du travail – et qui sont à l’origine de la reconfiguration sociale et matérielle de leurs activités.

1. Appréhender le système d’activité de la navigation

Outline

Documents relatifs