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Penser l’articulation technologie-organisation au travers de la théorie de l’activité

1. Vers des workplace studies

1.1. L’action située

L’hypothèse de l’action située s’est imposée dans de nombreux travaux en sciences humaines et sociales, sciences cognitives, en Intelligence Artificielle (IA) et en Interaction Homme-Machine (HCI), notamment à partir de l’ouvrage de Lucy Suchman Plans and

Situated Actions publié en 1987. Professeure d’anthropologie des sciences et de la

technologie au Xerox Parc de Palo Alto, cette auteure critique le paradigme cognitiviste de l’homme comme système symbolique de traitement de l’information en soulignant le caractère contingent de l’activité humaine.

« The insistence on the exigencies of particular situations and emergent, contingent character of action is a reaction to years of influential work in artificial intelligence and cognitive science in which « problem solving » was seen as a « series of objective, rational pre-specified means to ends » (Lave, 1998)67 and work that overemphasized the importance of plans in shaping behavior (Suchman 1987). Such work failed to recognize the opportunistic, flexible way that people engage in real activity. It failed to treat the environment as an important shaper of activity, concentrating almost exclusively on representations in the head – usually rigid, planful ones – as the object of study » (Nardi, 1996c, p.72)

De cette vision figée de l’homme comme système d’information sont nées les critiques sur la planification et le rôle fonctionnel des plans dans le comportement humain. Elle se démarque ainsi des courants de pensée qui considèrent que l’action ne serait que la description d’un plan pré-défini. Engagée dans une démarche ethnographique, Lucy Suchman pose l’hypothèse forte que l’action est située et qu’elle est étroitement liée à la situation dans laquelle elle se trouve. Ce postulat a permis de rompre avec les études de « laboratoire » en considérant l’importance de la prise en compte du contexte dans l’action humaine.

« I have introduced the term situated action. That term underscores the view that every course of action depends in essential ways upon its material and social circumstances. Rather than attempting to abstract action away from its circumstances and represent it as a rational plan, the approach is to study how people use their circumstances to achieve intelligent action » (Suchman, 1987, p.50).

Dans sa théorie de l’action située, Lucy Suchman considère que les individus ont une représentation symbolique de l’action qu’ils effectuent ; c’est ce qu’elle nomme « plans ». Ces plans sont des ressources qui permettent aux individus de se faire une idée du déroulement des actions à effectuer pour résoudre une situation. Lucy Suchman parle de « quelque chose de placé dans la tête de l’acteur ». La notion de plan comporte un caractère rationnel dans la mesure où il renvoie à une représentation précise de l’action avec des étapes à effectuer selon un certain ordre. Le plan est soit une ressource lorsqu’il est produit en amont de l’action (il sert alors d’orientation à l’action), soit un produit a postériori lorsque l’individu réfléchit après coup à la façon dont il a agi (Béguin et Clot, 2004). Mais en aucun cas, le plan ne détermine l’action. Le plan seul ne permet pas de rendre compte de l’action ; en effet, celle-ci émerge du contexte c'est-à-dire des interactions entre les individus et les ressources matérielles, sociales et culturelles à leur disposition. Il existe donc, selon Lucy Schuman, deux types de ressources : les ressources cognitives (les plans) et les ressources communicationnelles (les interactions).

Lucy Suchman accorde une importance toute particulière au contexte en ce qu’il a un caractère imprévisible. Les ressources à disposition des individus changent en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent. Par situation, on doit entendre un ensemble de ressources (cognitives et communicationnelles) et de contraintes qui peuvent toutes, le cas échéant, jouer un rôle significatif dans la réalisation de l’action. A ce titre, nos actions dépendent de la situation ; ainsi, toute action aussi planifiée soit-elle devra s’ajuster aux contingences de l’environnement.

Partant du principe que l’on ne peut connaître totalement l’intention derrière l’action, Lucy Suchman considère que la communication (ou l’interaction, ou la conversation - terme qu’elle utilise indifféremment) va être une ressource essentielle pour faire diminuer cette incertitude. Il y a l’idée d’un « travail ensemble » qui est co-construit au fur et à mesure du déroulementde l’interaction grâce aux éléments de contextualisation. Les ressources pouvant varier d’une situation à l’autre, l’acteur va agir différemment ; sa logique d’action va donc dépendre de la situation.

« Ainsi, le bon déroulement de l’interaction ne repose pas sur la capacité de l’usager à bien compléter un plan préétabli, mais plutôt de continuellement générer et renouveler ses hypothèses de travail et d’exploiter adéquatement les ressources à sa disposition au cours de l’action, en s’adaptant aux évènements, problèmes ou anomalies qui surgissent au fur et à mesure » (Bonneau, 2010, p.93).

Chapitre 3 – Penser l’articulation technologie-organisation au travers de la théorie de l’activité

Dans ces travaux, Lucy Suchman nous invite donc à analyser la technique en fonction de son contexte d’utilisation. Elle montre que dans leurs interactions, les individus opèrent toujours une interprétation en fonction des circonstances. Ce qui leur permet de s’adapter aux contingences de leur environnement. Et c’est cette capacité interprétative de l’homme qui le différencie de l’automate. En considérant l’organisation comme hautement située, Lucy Suchman nous offre une perspective intéressante pour penser l’intégration d’une technologie, dans la mesure où les pratiques de travail sont toujours fonction des conditions locales et particulières de la situation, qui peuvent ne pas être celles qui avait été projetées par les concepteurs des systèmes. En cela, Lucy Suchman insiste sur le fait que les procédures et tâches prédéfinies, standardisées et encodées dans les technologies, ne peuvent pas à elles seules rendre compte du travail réel. De même, il n’est pas possible de prédéfinir et de normaliser de manière exhaustive les façons d’interagir des humains avec les technologies.

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