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pour une approche communicationnelle des processus organisant

2. Les activités de production d’information et de communication comme constitutives des processus organisant

3.2. Vers un déploiement de systèmes techniques intégrés : les études autour des ERP

3.2.3. Les ERP comme équipement de la rationalisation

De manière convergente, les recherches menées par Anne Mayère et Isabelle Bazet (2004), mettent l’accent sur la formalisation des « best practices » dans les progiciels de gestion intégré. En menant une recherche dans un groupe industriel internationalisé spécialisé en électronique (nommé Electronic par les auteures) et au sein duquel a été déployé un ERP, elles s’interrogent plus spécifiquement sur le travail d’organisation (de Terssac et Lalande, 2002) ; travail au cours duquel « des inventions se transforment en innovations organisationnelles, avec leur “doctrine”, leurs normes, la construction de groupes d’innovateurs en charge du déploiement pour aboutir à sa généralisation » (Mayère et Bazet, 2004, p.108). La focale qu’elles ont choisi de traiter a ceci d’intéressant qu’elles se

Chapitre 2– De la pensée-ingénieur à la pensée organisationnelle…

concentrent, tout particulièrement, sur les logiques d’insertion à l’origine de la mise en œuvre d’un système ERP. Pour cela, elles ont privilégié l’étude des moments précis de l’implantation d’un nouvel artefact en contexte organisationnel en ce qu’ils sont révélateurs des réflexions menées autour de ce projet : « ce que le projet est et ce que l’on souhaiterait qu’il soit » (ibid.). Par ailleurs, elles ont observé et participé, de l’intérieur, aux formations destinées aux travailleurs afin d’appréhender les questions que pose l’outil en contexte d’utilisation. Dans un travail antérieur (Bazet, 2002), une première réflexion avait été menée sur le lien qui existe entre les « dispositifs organisationnels » et l’action afin d’identifier « ce qu’ils font aux individus et ce que ces derniers en font » (Mayère et Bazet, 2004). Ces auteures proposent ainsi, ici, de poursuivre plus avant leur questionnement sur la construction de l’efficacité telle qu’envisagée par la direction du groupe ; démarche qui consiste à recenser les différentes tâches, à établir les processus à mettre en œuvre, et cela afin de concevoir des standards relativement aux « besoins »63 recensés. Leur analyse propose d’aborder les changements à l’œuvre dans les entreprises en terme de renforcement du contrôle équipé par certain type d’outil de gestion (dans ce cas, les ERP). Leur recherche empirique s’articule autour de trois scènes distinctes mises en œuvre par les membres du siège social de l’entreprise en question : la première s’effectue au niveau local, sur chacun des sites de l’entreprise, et consiste à confier à des acteurs relais la mission d’identification des besoins des utilisateurs, tout en veillant à ce qu’ils soient codifiables dans le système technique. La deuxième scène consiste à réunir les partenaires des différents sites d’une même région afin de gérer les ajustements successifs ; lesquels seront consignés pour servir d’appui aux négociations. Ces phases de négociation constituent la troisième scène, phase durant laquelle l’ensemble des partenaires liés au projet devra décider des modalités du projet.

Lors de l’identification des besoins (première phase du projet), les auteures soulignent que les acteurs relais en charge des interviews des utilisateurs sont dotés de questionnaires très formalisés et de critères précis dans la caractérisation des besoins : « un besoin devait être

traçable, mesurable, spécifique, accessible, limité dans le temps » (ibid., p.8 du document ;

mis en italique par les auteures). Cette définition, nous disent les auteures, circonscrit les éléments et les situations à prendre en compte ; dès lors, « les schémas interprétatifs à l’œuvre sont ceux des informaticiens, et les utilisateurs sont censés s’y acculturer ». Toutes les situations sont alors censées être prévisibles, il n’y a pas de place accordée à l’ambiguïté et à

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l’imprécision qui jouent pourtant un rôle important dans la résolution des problèmes d’organisation (Mayère et Bazet, 2008). Or dans le contexte actuel de diminution des ressources des entreprises modernes, les auteures soulignent que pour être efficaces, ces entreprises doivent être flexibles afin de gérer les interdépendances croissantes (ibid.).

« Cette délimitation de ce qui est pris en compte peut être interrogé dans les configurations productives actuelles, à savoir des organisations flexibles, dans lesquelles les ressources en personnel, en matières, en temps sont réduites au minimum, des organisations qui opèrent dans des environnements incertains et fortement évolutifs. Elle postule en effet que toutes les situations peuvent être catégorisées a priori, alors même que leur variabilité s’est accrue, et que l’interdépendance des organisations productives conforte l’incidence possible d’un aléas ou d’un événement particulier. Ces processus standards postulent par excellence le respect des règles. Or le contexte même du fonctionnement actuel des entreprises multiplie les situations qui, sans être totalement hors normes, s’inscrivent aux frontières, dans un entre-deux de l’arrangement, quitte à rétablir a posteriori les enregistrements et validations requise par le règlement » (Mayère et Bazet, 2004, p.114).

Les auteures soulignent que ce qui se met à l’œuvre ici relève d’un postulat taylorien appliqué aux productions d’information ; postulat selon lequel la communication serait inutile et, l’information et son utilisation étant censé être totalement formalisée dans le système d’information, la co-construction du sens de cette information n’est alors pas nécessaire.

« Tout se passe comme si on présupposait que cette organisation par processus était comme « pré-câblée » dans le logiciel, et qu’il suffisait de veiller au respect des contraintes propres à chaque fonction, sans approfondir la question des interfaces, de la cohérence des coordinations et des échanges entre fonctions » (ibid., p.115).

De ce principe d’homogénéisation porté par le management central et qui accompagne la mise en œuvre de l’ERP, émerge une tension relative aux logiques d’utilisation en contexte opérationnel. En effet, la logique gestionnaire et financière – fondée sur un principe de simplification et d’immédiateté – portée par la direction et inscrite dans l’ERP tend à limiter les initiatives locales des opérationnels. L’exemple que les auteures donnent pour illustrer ce constat concerne le cloisonnement des tâches des opérationnels. En effet, dans le module « achats » de l’ERP est effectué une dissociation entre ceux qui émettent une demande d’achat, ceux qui la valident et ceux qui ordonnent le paiement. Cette division des tâches, bien qu’initialement prescrite au sein de l’entreprise avait été détournée par les personnels

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concernés qui souhaitaient alors établir une relation fournisseur correspondant d’une part, à l’image de marque de leur groupe de rattachement et d’autre part, à l’image de professionnels attentifs au bon accomplissement de leur activité (ibid.). Or la mise en œuvre de l’ERP vient réaffirmer cette division des tâches en limitant l’accès aux informations relatives aux tâches adjacentes. Tous les personnels concernés disposent désormais d’un code confidentiel qui leur permet d’accéder au répertoire d’opérations qui les concernent, sans possibilité d’intervenir sur ce qui dépasse leur champ d’attribution. Les liens sociaux initialement tissés par les personnels et garants des ajustements locaux relativement aux spécificités de chaque situation ne sont dès lors plus accessibles.

« Dans cette logique qui vise à cadrer l’activité des personnels, à l’homogénéiser pour faciliter le suivi de l’activité et l’agrégation des indicateurs de gestion, tout ce qui tend à échapper au travail prescrit est considéré a priori comme suscitant des phénomènes parasites, relevant d’une recherche de gratification personnelle. Or ces initiatives locales peuvent constituer une réponse pragmatique et localement efficace au jeu de contraintes dans lequel intervient la mise en œuvre de l’activité » (ibid., p.118).

Nous retenons l’étude d’Anne Mayère et d’Isabelle Bazet en ce qu’elles pointent du doigt la double contrainte qui émergent dans les organisations et qui nous semblent caractéristique de ce qui est actuellement à l’œuvre dans le domaine aérien : d’une part un processus de rationalisation qui tend à disjoindre les temps, les espaces et les acteurs concernés et à anonymiser les échanges, et d’autre part un nécessaire processus d’ancrage dans des lieux et des espaces afin de gérer la diversité des situations. Comme le soulignent les auteures, « ce processus de délocalisation et son corollaire de rationalisation des activités d’information et de communication tendent à dénier l’importance des savoirs en situation, alors même que les organisations contemporaines suscitent de multiples événements et des configurations d’activité en partie imprévisibles » (ibid., p.119).

Un peu à la façon de Rosio Alvarez, l’étude d’Anne Mayère et d’Isabelle Bazet met l’accent sur la façon dont la technologie vient cadrer et rationaliser les pratiques de travail selon une vision gestionnaire qui tend à dénier l’importance des ajustements en situation. Or, comme elles le soulignent, ces ajustements se font de plus en plus nécessaires pour gérer les complexités et les interdépendances croissantes. Dans le domaine aérien, nous verrons que notamment l’intensification du trafic tend à complexifier les situations de travail et participe à renforcer et à multiplier l’imprévisibilité des situations et de leurs enchainements alors même que l’enjeu des évolutions actuelles consiste en une maitrise parfaite de l’espace aérien. Et

tandis qu’il est postulé que ces évolutions technologiques sont à même de rapprocher le plan et l’action, nous verrons que les nouvelles configurations ainsi créées nécessitent de nouveaux ajustements.

4. Pourtour de notre objet scientifique : une rationalisation

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