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Penser l’articulation technologie-organisation au travers de la théorie de l’activité

2. La théorie de l’activité

Dans cette partie, nous présentons le cadre d’analyse qui sera le nôtre, à savoir la théorie de l’activité. Nous reviendrons dans une deuxième partie sur les apports et limites des théories de l’action située, de la cognition distribuée et de la théorie de l’activité et nous expliquerons ce en quoi cette dernière est pertinente pour notre étude.

La théorie de l’activité est issue des travaux menés au début du 20ème siècle par les psychologues soviétiques dont les représentants sont Vygotsky et Leont’ev. Elle s’est fait connaître grâce à la traduction en anglais de l’ouvrage Activity, Consciousness and

Personality (Leont’ev, 1978)68, puis s’est ensuite imposée dans l’espace public international

grâce au modèle d’Engeström (1987, 1999). Des trois approches présentées dans cette première partie, la théorie de l’activité est la plus ancienne et sûrement la plus développée (Nardi, 1996c), avec un niveau de complexité que nous n’entendons pas présenter en détail ; il s’agit avant tout de mettre l’emphase sur les concepts principaux qui forgent cette théorie en nous concentrant sur ceux qui sont nécessaires pour notre étude.

2.1. Pour une prise en compte du contexte social, culturel et historique de

l’activité

A l’instar des réflexions menées dans le cadre de la cognition distribuée et de l’action située, les théoriciens de la théorie de l’activité ont voulu dépasser les cadres d’analyse de certains courants de la psychologie ou de la socio-psychologie, en postulant que pour comprendre comment les gens apprennent et travaillent, il est nécessaire de ne pas se limiter à une unité d’observation centrée sur l’individu mais plutôt de considérer l’activité comme un « système complexe de médiations socio-culturelles qui sont par nature collectives » (Engeström, 2011, p.171). Cependant, là où l’action située et la cognition distribuée utilisent comme unité d’analyse l’action (ou, dans le cadre de la cognition distribuée, le système mobilisé par l’action), Engeström propose de mettre l’accent sur le contexte social, culturel et historique de l’activité, ainsi que sur son développement au fil du temps. Il s’agit là d’une distinction fondamentale pour les théoriciens de l’activité qui proposent de structurer l’activité en trois niveaux hiérarchiques. Ils distinguent ainsi la notion d’action de celle d’activité puis de celle d’opération (Engeström, 1999) en considérant ce vers quoi ces processus sont orientés – object-orientedness (Kaptelini, 1996a). Ils postulent ainsi que

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l’activité est durable dans le temps et qu’elle est orientée vers une motivation (motive) qui est portée par un besoin collectif – ce qu’ils nomment l’objet (au sens d’objectif) qui est visé par l’activité. Cette notion d’objet est essentielle dans la théorie de l’activité dans la mesure où il est considéré comme quelque chose qui donne sens à long terme à l’activité – à la différence de ceux qui le considère comme une tâche immédiate (Engeström, 2011). L’activité peut donner lieu à une multitude d’actions. L’action, quant à elle, est prescriptive et orientée vers un but (goal) à relativement court terme. Elle consiste en la réalisation d’une tâche qui est accomplie au travers d’opérations (qui dépendent des conditions nécessaires à son exécution ; ce sont généralement des opérations routinières qui accompagnent la pratique) ; l’action est une sorte de sous-objectif subordonné à l’activité de telle manière que :

« Toute nouvelle activité ne peut émerger que quand un individu s’engage dans une nouvelle forme d’action ; mais d’autre part, les actions ne peuvent généralement être comprises et expliquées sans la mise en perspective de la totalité du système d’activité » (Engeström, 2011, p.171).

Bonnie A. Nardi (1996c), en s’inspirant d’Alexis Leont’ev (1974)69, nous propose l’exemple suivant :

« When learning to drive a car, the shifting of the gears is an action with an explicit goal that must be consciously attends to. Later, shifting gears becomes operational and « can no longer be picked out as a special goal-directed process: its goal is not picked out and discerned by the driver; and for the driver, gear shifting psychologically ceases to exist » (Leont’ev, 1974). Operations depend on the conditions under which the action is being carried out. If a goal remains the same while the conditions under which it is to be carried out change, then « only the operational structure of the action will be changed » (Leont’ev, 1974) » (p.71).

La théorie de l’activité tente de dépasser les dichotomies entre micro et macro (Boutet, Chauvin, Gress, 2010) en rapprochant, dans un même temps, à la fois le niveau local de l’action et le niveau social de l’activité, et en postulant que pour comprendre l’action individuelle, il est nécessaire de la replacer dans le contexte plus large de l’activité à laquelle elle participe et contribue.

« Les systèmes d’activités ne sont pas juste des actions individuelles, mais ils constituent aussi des formations systémiques (…). L’activité implique par

conséquent des actions individuelles, mais elle n’est en aucun façon réductible à la somme des actions individuelles » (Engeström, 2011, p.171).

L’activité est appréhendée comme un phénomène collectif ; son analyse ne peut donc pas se faire exclusivement au niveau de l’individu mais à un niveau plus global où le système d’activité est composé des actions individuelles, du contexte dans lequel elles s’inscrivent et des artefacts mobilisés.

S’appuyant sur les travaux engagés par Vygotsky (1978) et Leont’ev (1978), Engeström (1987, 1999) considère que la théorie de l’activité a évolué au travers de trois générations. La première approche historico-culturelle de l’activité70 initiée par Vygotsky, fixe le concept de médiation en montrant comment les artefacts (qui peuvent être culturels/symboliques ou matériels) opèrent une médiation entre le sujet et la visée de son activité. Conceptualisé sous la forme d’un modèle triangulaire (sujet-outil-visée), il argumente ainsi que la compréhension du comportement des individus ne peut s’affranchir des artefacts qu’ils utilisent. L’outil joue le rôle de médiateur entre les actions cognitives et les activités situées participant ainsi à la transformation de l’activité (Agostinelli, 2010, p.359).

« En ce sens, cette approche s’inscrit dans une « perspective relationnelle » qui considère que toute entité n’a pas d’existence propre en dehors de sa relation aux autres entités (Carlile et al, 2010)71. Ainsi, les sujets ne font pas que choisir parmi les possibilités offertes par leur environnement : ils créent activement leur environnement à travers l’activité (Bødker, 1991)72 » (Bonneau, 2011, p.24).

Vygotsky se focalisant davantage sur l’individu, la deuxième génération, influencée par Leontiev, propose de dépasser le simple cadre de l’activité individuelle en considérant la nature sociale de l’esprit humain. En s’intéressant aux situations de groupe, il préconise ainsi la prise en compte de la dimension collective de l’activité. Sur cette base, Engeström propose alors d’élargir la modélisation triangulaire (Figure 7, p.109) de l’activité en y incluant la notion de communauté qu’il relie au sujet par les règles puis qu’il articule à l’objet par la division du travail. Dès lors, Engeström devient la figure emblématique de la troisième

70

Cultural Historical Activity Theory » (CHAT) traduit par nous.

71

Carlile, P.R., Nicollini, A.Langley et H. Tsoukas. (2010). Third Symposium on process Studies: How Matter: Object, Artifacts and Materiality in Organization Studies (Call for papers). En ligne.

http://www.process-symposium.com/ 72

Bodker, S (1991). Through the interface: a human activity approach to user interface design. Hillsdale, N.J., L.Erlbaum, 169 p.

Chapitre 3 – Penser l’articulation technologie-organisation au travers de la théorie de l’activité

génération de la théorie de l’activité. En intégrant la dimension collective des systèmes d’activité professionnels et le rôle des communautés de règles et des rôles, la théorie de l’activité rencontre la sociologie des organisations (Licoppe, 2008).

Engeström considère ainsi l’activité comme étant composée de six éléments interdépendants que sont la visée, le sujet, la communauté, les outils, les règles et la division du travail et qui sont formalisés au sein du « triangle d’Engeström » :

 

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