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profondément politiques

Cadre 8 : Le défrichage forestier autour de Léfoutou, sur les sommets ferrugineu

3.3 Un ancien cœur économique pour l’ensemble du Congo

3.3.1 Une mise en valeur agricole exceptionnelle

La spécificité des pays du Niari est tout d’abord liée à l’ancienneté de la modernisation agricole, ce qui constitue une exception par rapport au reste du pays.

La vallée du fleuve Niari notamment bénéficie de qualités agronomiques importantes longuement étudiées (ORSTOM, 1965 ; Martin, 1970), et a été l’objet de très nombreux investissements visant à faire de son agriculture une activité moderne. Gilles Sautter

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Dieudonné Mboukou-Mboungou disait déjà il y a 15 ans : « Parler de système de transports, entendu comme ensemble d’éléments interdépendants et cohérents, constitue certainement un abus de langage au Congo. L’ensemble y apparait en effet très fragmentaire et inorganisé » (Mboukou-Mboungou, 1996).

1ère partie : Construire une géographie du conflit et du post-conflit dans les pays du Niari

ajoute que contrairement à Boko (Pool), qui constitue le second foyer d’agriculture intensive au Congo, et bénéficiant de sa proximité avec Brazzaville, les terres de la vallée sont des terres de qualité, et la densité pas trop élevée de population constituerait un atout puisqu’elle laisse vacante une part appréciable des terres cultivables (Sautter, 1966, p. 585).

La vallée du Niari, « vallée aux mille espoirs » (Malonga, 1958), a donc constitué la principale région de développement agricole pendant la période coloniale et postcoloniale. Après la seconde guerre mondiale, des entreprises agricoles modernes ont été développées le long du CFCO, avec des fermes de colonisation privées et des instituts de recherche agronomique tropicaux de l’État français. Ces derniers s’articulaient autour de productions de rente comme l’arachide, le coton, ou les fruits à travers par exemple la station fruitière de Loudima, spécialisée dans la production de mangues.

À partir de 1947, c’est le « rush sur la vallée » : « la vallée du Niari, par son manque d’hommes, appelle et justifie une mécanisation poussée de l’agriculture » (Sautter, 1966, p. 644) ; la France cherche au même moment à diversifier ses approvisionnements. Comme dans la Cuvette, les Européens et leurs capitaux sont directement engagés. « Mais dans une voie bien plus originale que la création de palmeraies ou le drainage commercial : comme agriculteurs ou éleveurs, palliant la rareté de la main d’œuvre au moyen de machines, et d’une formule pastorale extensive » (Sautter, 1966, p. 185). Le développement de l’élevage bovin s’effectua dans les années 1950 grâce à l’adaptation d’animaux résistants à la maladie du sommeil (Lagunes, Ndama). Par exemple, « la Société Africaine d'Élevage (SAFEL) s'est installée d'abord entre de Chavannes et Mouyondzi, sur une concession de 35 000 ha », puis à Hidi et Loamba (au Sud de Jacob/Nkayi), et compte « près de 6 000 bêtes ». Aux entreprises spécialisées, on peut ajouter quelques sociétés ou colons pour lesquels l'élevage était une activité associée, et qui possédaient tout de même plusieurs centaines à plusieurs milliers de bovins. Cet élevage extensif, complété par des élevages plus spécialisés (œufs, volailles, porcs), étaient essentiellement destinés aux marchés urbains de Brazzaville et Pointe-Noire, où ils étaient expédiés par le train (Vennetier, 1966, p. 83).

La vallée a donc dès cette date une mise en valeur originale à l’échelle nationale, mais cette mise en valeur moderne profite aussi au reste des pays du Niari. Le Niari forestier constitue par exemple une zone importante de culture du riz (Mossendjo, Zanaga, Komono), mais ce dernier n’est pas consommé par la population, et dépend entièrement de l’encadrement étatique.

En 1952, la mise en place des « paysannats » (à Divenié et Komono dans les pays du Niari) consacre un interventionnisme très dirigiste et sélectif de l’État colonial, tourné vers la modernisation (la mécanisation) des cultures de café, cacao, palmiers à huile. Cette politique est reprise et perpétuée par le nouvel État indépendant, surtout après son affiliation au socialisme (à partir de 1963). Mais ces politiques interventionnistes ne touchent pas la paysannerie ; beaucoup d’argent est investi pour des résultats négligeables et sans jamais permettre une rentabilité des investissements (Guichaoua, 1989). L’expérience des paysannats s’arrête d’elle-même dans les années 1990 par la « dilution » de ces derniers dans le « modèle traditionnel » (Ibid).

Dans les années 1960, Gilles Sautter décrit et analyse la culture mécanisée et les « expériences agricoles de grand style » tentées dans la vallée du Niari, formant selon lui un « véritable laboratoire » de la recherche agronomique et du développement

Chapitre 3 : Les pays du Niari, des territoires fonctionnels et profondément politiques

économique en pays tropical, montrant ainsi le caractère original et entrepreneurial de la région. Il parle alors du « rayonnement de la vallée sur le plan des activités modernes et de l’évolution des sociétés locales ». La vallée est notamment devenue la première zone d’élevage du pays (ORSTOM, 1965). Ce développement rural a entrainé une évolution des paysages avec la création de villes dynamiques autour des gares. Les populations des zones les plus éloignées du Niari et surtout de la Lékoumou sont incitées par des politiques dirigistes à venir s’installer dans les fermes de la vallée ; de nombreux Laris, originaires du Pool, viennent également s’implanter dans la région, notamment pour faire du maraîchage. L’État socialiste oriente son action vers la constitution d’offices de ramassage et de commercialisation des produits agricoles, qui ont le monopole de la vente de ces produits et en fixent les prix. L’office des cultures vivrières (OCV) est chargé de gérer les transactions autour du maïs, de l’arachide, des haricots, de la pomme de terre, alors que l’office du café et du cacao (OCC) gère la production de café du Niari. Mais ces offices échouent à structurer le monde rural, par manque de moyens et d’organisation, entrainant une régression globale des quantités et de la qualité des produits.

Les années 1970 sont l’époque de la découverte de la manne pétrolière. L’État profite de cette rente pour mettre en place des politiques ambitieuses pour le monde rural. Le premier plan quinquennal de 1982-1986 veut « liquider la paysannerie en tant que classe » (plan quinquennal, cahier IV) et rééquilibrer les territoires, polarisés par Brazzaville et Pointe-Noire, au profit du monde rural. C’est la mise en place des projets « villages-centres » et d’un encadrement très fort du monde rural. Mais ces actions restent très limitées. Dans la Bouenza par exemple, seul le Sud-est est concerné, comprenant au total moins de 30 000 personnes dans le « pays rural de Boko-Songho » (districts de Boko-Songho et Mfouati), alors que les trois « villages-centres » concernés sont périphériques à la zone (Kitidi-Tiounga, Kinkengué, Soukou-Bouadi ; PROMOCI, 1982). De plus, il n’y a pas d’aides dévolues au secteur productif paysan. Au contraire, le désenclavement combiné à la prise de conscience que le travail du monde rural est peu rémunéré augmente les hémorragies vers les deux grandes villes. Les zones de ravitaillement du pays et notamment de Brazzaville, le Pool et le Niari, ne reçoivent que des miettes de la richesse pétrolière, qui sert surtout à financer l’importation massive de vivres, entrainant la dépendance alimentaire du pays vis à vis de ses voisins et des pays du Nord (surtout l’Europe). Ces importations permettent de ravitailler les villes et même les campagnes, alors que des denrées pourrissent dans les campagnes faute d’acheminement (c’est l’échec de l’OCV). Moyens et infrastructures de transport se dégradent. C’est dans ce contexte qu’André Guichaoua parle de « liquidation du monde paysan » et accuse l’État congolais de son absence de soutien au monde rural. L’État, profitant de la manne pétrolière, aurait voulu se « "payer" une agriculture moderne et centralisée, en liquidant la petite paysannerie » (Guichaoua, 1989).

Quelques fermes modernes privées, héritées de l’époque coloniale et tenues par des Français, subsistent (au moins jusqu’en 1983, INRAP, p. 54), telle la ferme d’Aubeville ou de Merles Des Îles, qui ont tous deux donné leur nom à la localité créée autour de leur ferme. Ce dernier par exemple produisait des agrumes, du maraichage, du riz mécanisé34, et élevait bovins et volailles (E_036, Ob_14, Sautter 1966).

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Le secteur agricole, alors que le contexte politique est celui d’un « socialisme scientifique », reste cependant majoritairement dans le domaine de l’État, que ce soit pour les plantations de canne à sucre de la SUCO (sucreries du Congo), héritière de la SIAN à Nkayi, la SONEL (société nationale d’élevage), ranch d’élevage de la Bouenza, ou du boisement d’eucalyptus à Loudima, l’OCF, toutes auparavant entreprises coloniales privées ou stations d’essais agronomiques françaises. L’État a également créé des structures nationales telles que le ranch de la Dihéssé, au Nord de Loudima (prévu pour 40 000 bovins sur 30 000 ha ; INRAP, 1983), ou la ferme de manioc de Mantsoumba. Face à la préoccupation causée par la dépendance alimentaire croissante du pays, l’action étatique se tourne vers la problématique du ravitaillement vivrier des villes. L’action et la recherche envers le monde rural des petits exploitants indépendants se fédèrent alors autour du programme de recherche-développement AGRICONGO, qui mène de grandes enquêtes à partir de 1986 (date de la mise en place des politiques d’ajustement structurel) sur les filières de ravitaillement de Brazzaville. Ce programme est financé par l’État et Elf, et vise la modernisation des exploitations privées, afin de créer un secteur dynamique de vivrier marchand. En effet le plan national de l’agriculture de 1987 se tourne vers le secteur privé : les offices de commercialisation sont supprimés, les ranchs et entreprises d’État sont fermés. En échange, des subventions sont mises en place pour certaines filières, ainsi que des efforts de petite mécanisation, de vulgarisation agricole, ou de crédits paysans. Dans la vallée du Niari sont initiés des programmes de développement tel le PAPAN (projet d’appui aux petits agriculteurs du Niari) ou ensuite le PACIL (projet d’appui à la commercialisation et aux initiatives locales, 1996-1997), qui sont encore surtout des aides liées à la commercialisation. Mais les subventions au monde rural restent très modestes du fait des déficits budgétaires de l’État. Ces programmes sont interrompus dans les années 1990 par les conflits.

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