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Les milices du « Niboland » : des Zoulous aux Cocoyes, du pouvoir à l’opposition

politique congolais de l’Indépendance aux élections de

Cadre 7 : Biographie succincte de P Lissouba

4.3 Création des milices : la marche à la guerre

4.3.2 Les milices du « Niboland » : des Zoulous aux Cocoyes, du pouvoir à l’opposition

Durant la courte période où les pays du Niari ont cherché à intervenir dans le jeu politique congolais, plusieurs milices ont été formées ; Aubevillois, Zoulous, Cocoyes et Mambas se réclament tous de l’UPADS de Pascal Lissouba. La constitution de ces différentes milices régionales est symptomatique d’une évolution du référent identitaire régionaliste et du positionnement de ses leaders. Elles se sont constituées notamment à travers des référentiels régionaux ou territoriaux importants.

La Réserve ministérielle ou « Aubevillois » : les mercenaires du pouvoir

La première milice est une milice d’État, créée par décret présidentiel le 9 août 1993 à partir de la Garde présidentielle. Elle fonctionnait sur le mode des anciennes milices du PCT, aux ordres du pouvoir (R. Bazenguissa-Ganga les appelle d’ailleurs « les mercenaires du pouvoir » ; 1996, p. 7). Les membres de la « Réserve ministérielle », militaires et civils, étaient appelés Aubevillois car ils ont été formés par des instructeurs israéliens au centre d’instruction des forces spéciales de la police nationale, implanté dans l’ancienne ferme Dupond puis colonie de vacances Elf d’Aubeville51, dans la Bouenza (Bazenguissa-Ganga, 1996 ; entretiens E_135, E_179, E_292, Photo 12).

PHOTO 12 :ENTRÉE ACTUELLE (2010) DU CAMP DE FORMATION DES « AUBEVILLOIS ».

Le camp s’est ensuite (après la guerre de 1993-1994) déplacé dans le camp Swapo de Loudima, où les miliciens changent alors de nom (voir plus bas les « Cocoyes »). Les Aubevillois sont donc une milice fortement associée à deux éléments : d’une part le pouvoir politique du président, puisqu’il s’agit d’une milice d’État, officielle ; d’autre part à un lieu très précis, le village d’Aubeville, au Sud de Madingou.

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Les camps de Mouliéné, Tséké-Pembé, Mouyéyé et Mabombo sont également mentionnés (Bazenguissa- Ganga, 1996). Cependant, ils sont rarement évoqués, même sur place, contrairement au camp d’Aubeville et de la Swapo, qui disposent en outre d’infrastructures importantes.

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

La « réserve ministérielle » intervient après le basculement de majorité à l’assemblée (6 juin 1993) au profit de la mouvance présidentielle, dans un contexte où les FAC restent neutres. Elle aurait compté environ 4000 personnes, mais en 1996 R. Bazenguissa Ganga n’en recense que 1600 environ : 348 Aubevillois utilisés comme auxiliaires de police, 471 en attente d’incorporation dans l’armée et 700 en formation à Loudima.

Les « Zoulous » : les jeunes de Brazza

Les milices Zoulous, au début beaucoup moins organisées et formées, sont fortement associées au quartier-territoire de Mfilou à Brazzaville (Dorier, 1995). Elles apparaissent au cours de la guerre de 1993. Ce « conglomérat de bandes », comme les appelle R. Bazenguissa Ganga, est constitué de jeunes déscolarisés ou déclassés qui trouvent leur raison d’être dans l’affrontement avec les « Tcheks ». Selon lui, ce sont des « Niboleks à la conquête d’un territoire dans Brazzaville ». Les Zoulous sont les derniers à agir dans la guerre de 1993 -1994 : le 11 novembre 1993, suite à des rumeurs faisant état de l’attaque imminente de Mfilou par les Tcheks, ils chassent les populations laris de leurs maisons, et établissent des barrages dans le quartier, qui deviendra leur fief. Les Zoulous dérivent donc de groupes d’auto-défense mis en œuvre dans les quartiers et recevant des financements de l’UPADS (pour acheter des jeux, qui permettent de surveiller la rue puisqu’on joue dans la rue). Ils doivent à la fois gérer la cohabitation entre les différentes « bandes » et leur collaboration avec la réserve ministérielle.

Les Zoulous sont cependant très critiques envers le président qu’ils accusent de les avoir abandonnés, puisqu’eux ne sont pas une milice reconnue (armée et rémunérée), contrairement aux Cobras et aux Ninjas ; ils se reconnaissent également plus de légitimité que la Réserve ministérielle dans les conflits à Brazzaville, car eux sont de vrais brazzavillois : ils auraient aimé être eux-aussi organisés en milice. Ce statut à part en fait un groupe difficile à contrôler. À partir de 1998, lorsque le conflit se déplace dans les régions, les milices Zoulous disparaissent en tant que telles.

La première dépêche de l’IRIN mentionnant les pays du Niari lors de la troisième guerre du Congo (1998-1999), datée du 4 décembre 1998, désigne les milices des pays du Niari sous le terme de « Zulu ». La dépêche suivante, datée du 14 décembre, utilise pour la première fois le terme de « Cocoye » : cette confusion est symptomatique du passage d’une milice à l’autre.

Les Cocoyes : la milice du Niboland

La milice Cocoye52 intervient à partir de 1997, lorsque Pascal Lissouba est renversé au profit de D. Sassou-Nguesso. Mais les Cocoyes sont présents dans les pays du Niari avant cette période, sans doute entre les conflits de 1993 et 1997, puisque lors de la guerre de 1997 ils viennent soutenir les Zoulous et Aubevillois à Brazzaville.

Il est difficile d’établir une chronologie précise de la création des Cocoyes. La confusion dans la définition des Cocoyes est très visible dans les extraits ci-dessous, émanant de sources pas toujours très fiables (journaux partisans ; Cadre 8). Pour certains auteurs, Cocoye est le terme générique désignant l’ensemble des milices de Lissouba (Muggah et Nichols, 2007), pour d’autres les successeurs de la réserve présidentielle (les « Aubevillois ») ou un moyen de récupérer les Zoulous, pour d’autres une nouvelle milice

Chapitre 4 : La « montée des périls » : les pays du Niari dans le jeu politique congolais de l’Indépendance aux élections de 1992

formée dans le Niboland et qui se distingue donc des Aubevillois et Zoulous par son caractère strictement régional (Yengo, 2006 ; Ossébi, 1998 ; Massoumou et Quéffelec, 2007). Pour Banzenguissa-Ganga (1998), les Cocoyes sont les militaires formés à Loudima à partir de 1994, parallèlement au camp d’Aubeville. Cela rejoint les témoignages récoltés à Loudima, qui parlent de « bottes-rouges53 » pour les jeunes formés à Loudima à partir de 1994 dans un « centre de formation de la garde ministérielle », qui remplace un centre catholique dont les religieuses ont été chassées par la guerre de 1993. « La formation est faite par des israéliens ; on les appelle les « bottes rouges », puis les Cocoyes quand il y a la guerre » (Sous-préfet de Loudima, E_179).

Malgré la confusion de certaines dates, il nous semble clair que les Aubevillois ont cessé de constituer une milice à part à partir du moment où il y a eu la « concurrence » de la formation à Loudima, puis l’arrêt du centre de formation d’Aubeville, même si les miliciens « officiels » de Lissouba ont continué à être appelés ainsi un certain temps. Pendant la période faste du centre de formation de Loudima, les termes d’Aubevillois, de Cocoyes et de bottes rouges ont pu être utilisés de manière concomitante, puis petit à petit le terme de Cocoyes a pris le dessus. Mais c’est véritablement la guerre de 1997 qui a répandu la dénomination de Cocoyes, qui sont donc en partie les successeurs des Aubevillois (voir les mêmes personnes), bien qu’elles basculent du pouvoir à l’opposition et de l’officiel à l’informel avec la chute de Lissouba.

Les Cocoyes sont une milice formée et armée, et qui va s’attacher à défendre le pouvoir du président déchu à partir de 1997. Le caractère régional de cette milice est fort, et le recrutement des jeunes miliciens, contrairement à celui des Aubevillois, se fait essentiellement dans les pays du Niari.

53 Je n’ai pas réussi à trouver l’explication claire de cette expression. Il a été mentionné les rangers marrons

fournies aux Cocoyes (E_022), mais cela n’explique pas la couleur rouge. Mon hypothèse est que le rouge correspondrait la couleur de la poussière de la région ; les sols de la vallée du Niari sont en effet rouge- orangé, et marcher dans la région colore rapidement tous les vêtements, et surtout les chaussures.

Cadre 8 : Cocoyes : citations en situation ; extrait de Massoumou et Queffélec, 2007. -Les Cocoyes (une espèce d’Aubevillois auxquels le camp est sis près de l’aéroport de Dolisie) sèment plus la terreur que l’ordre (Le Choc, 1/10/96).

-[…] à Loudima, Madingou, Nkayi où les Cocoyes agissent en terrain conquis et où le pouvoir maintient encore une milice de 15000 personnes sous encadrement israélien (4/01/97).

-Connaissez vous ceux que la fertile imagination populaire a surnommé – non sans dédain – les Cocoyes. Se sont, en fait, des jeunes gens estimés à plusieurs milliers, basés à Loudima (Le progrès, 2/97).

-Brazzaville centre est le royaume indiscutable des Cocoyes, mot bien connu mais spécialement choisi et donné par les encadreurs israéliens aux Aubevillois et aux Zoulous. C’est la force de frappe infaillible du chef de l’État, le Président Pascal Lissouba (La Rue Meurt, 14/8/97).

-Les Cocoyes sont des anciens miliciens Zoulous recrutés officiellement dans la Force Publique en vertu du Pacte pour la Paix. Mais, compte tenu de leurs origines régionales identiques à celles de l’ancien président Pascal Lissouba et des missions exclusivement d’intervention rapide en cas d’émeutes, ils étaient toujours considérés dans l’opinion publique nationale comme une "milice officielle" essentiellement à la solde de Lissouba (Rapport de l’Observatoire Congolais des Droits de l’Homme, 4/98).

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

Les Cocoyes sont les acteurs incontournables de la guerre de 1998-1999 dans les pays du Niari ; à tel point que le terme de Cocoye, au départ bien défini, va évoluer (de manière parallèle à l’évolution de la guerre et la dispersion-formation des poches de combattants) pour désigner de manière générale l’ensemble des combattants du « Niboland », qu’ils soient effectivement Cocoyes, mais aussi Mamba, Bana Dol54 ou d’autres affiliations.

Les Mambas : les jeunes volontaires qui secondent les Cocoyes

Les « Mambas de guerre » sont la dernière milice créée à la faveur de la guerre de 1997. Le terme de Mamba est choisi en opposition aux Cobras (« une question de venimosité », Yengo, 1998, p. 476). On retrouve ici toute la symbolique des mots dans l’auto- désignation des acteurs, et l’inscription très nette dans la guerre de 1997 qui scelle la réconciliation des Tcheks et Niboleks contre « l’ennemi nordiste ».

Cependant, cette milice est également la moins connue : très peu d’auteurs y font référence. Les rapports OCDH-FIDH de 1998 et 1999, Muggah et al (2003) ou Amnesty International (1999) les mentionnent sans rien en dire. Seule Lucie Nkouka (1998) en a fait une étude dans la revue Rupture publiée à Pointe-Noire pendant la guerre, et la même revue a publié dans ce numéro des « paroles de Mambas » (références citées in Yengo, 2006, p. 315). D’après ce qu’elle décrit, les Mambas sont des tous jeunes hommes (12-25 ans) en situation d’oisiveté ou d’échec, fascinés par les Cocoyes et désirant tirer eux aussi profit des conflits. Mal préparés, souvent livrés à eux-mêmes, les exactions et les règlements de compte sont nombreux.

Pour Rémy Bazenguissa-Ganga, les Mambas sont des jeunes des pays du Niari et de Brazzaville, organisés en groupes d’auto-défense, qui ont été armés par l’élite politique contre des per diem de 1 000 FCFA et une promesse de recrutement dans l'armée. « Ces miliciens, regroupés à Brazzaville sous la responsabilité de quelques colonels, suivaient une semaine de formation militaire avant d'aller combattre » dans les pays du Niari (Bazenguissa Ganga, 1998a, p. 59 et 67). Le parallèle avec le processus de formation de la milice Zoulou, constituée également de civils volontaires, est évident ; cette définition souligne également l’aspect régional du recrutement.

Les Mambas sont mentionnés dans les entretiens à Kimongo ou dans le Nord du Niari. Lucie Nkouma en signale à Zanaga et Mossendjo. Le témoignage du chef du village de Sossi (au Sud de Dolisie, E_232) fait également état de d’une base Mamba à Moukéké (après Kimongo).

À Moukéké (après Kimongo), il y a un grand marché aujourd’hui avec la RDC : là bas, il y avait le lieutenant Loubaki, chef des Mambas. Donc il était difficile de se ravitailler là-bas, c‘était trop dangereux, et il y avait aussi le danger des cabindais.

Pour résumer, les Mambas ne sont à nouveau pas une milice ethnique, mais bien une multitude de petites formations locales, de bandes de jeunes, participant aux conflits dans les pays du Niari pour « avoir leur part ».

Les identités miliciennes se sont donc construites par opposition à autrui, tout d’abord en opposition aux « Tcheks » en 1993, puis aux Cobras à partir de 1997. Cependant cette

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Bana Dol : « les enfants de Dolisie ». Les organisations armées se multiplient alors, nous ne les recenseront pas toutes. Les bana Dol sont signataires, avec le MNLC, le MNLCR, et la « résistance sud sud » du premier accord de cessation des hostilités du 16 novembre 1999.

Chapitre 4 : La « montée des périls » : les pays du Niari dans le jeu politique congolais de l’Indépendance aux élections de 1992

première identité milicienne s’est recomposée avec la perte du statut de soutien du pouvoir officiel au profit d’une identité rebelle, le changement d’échelle des combats, et le changement d’adversaire. Cela constitue, selon moi, les causes principales des reconfigurations des milices, et notamment de leur changement de nom ; Aubevillois et Cocoyes, Zoulous et Mamba sont globalement les mêmes acteurs, mais engagés dans des alliances différentes, affiliés à un chef plus qu’à une cause, ces derniers étant plus ou moins en lien avec les autres. À l’intérieur de chaque faction, se dénombrent de nombreuses « écurie », plus ou moins identifiées, plus ou moins revendiquées.

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