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post-conflit

2.2. Terrain et méthodologie de la recherche

2.2.4 À chaque acteur son type d’enquête

Une part très importante de mon travail a été constituée par la réalisation d’entretiens. En raison de la nouveauté de la recherche sur ce thème et sur ce terrain et de l’absence d’autres documents d’enquête, en raison également de la taille de ce terrain et du fait que j’étais seule pour réaliser ces enquête, j’ai essentiellement procédé par des entretiens ouverts ou semi directifs.

J’ai cependant tenté de réaliser des questionnaires fermés (Annexe 8), mais leur pertinence m’a parue plus limitée que celle des entretiens habituels, car l’échantillon

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J’utilise des guillemets car dans les villages, ils n’ont pas toujours officiellement ce titre, l’essentiel étant des « bénévoles », c’est-à-dire des jeunes plus formés que d’autres qui en l’absence de personnel titulaire font le travail en échange de contributions informelles des bénéficiaires.

Chapitre 2 : Méthodologie d’une géographie du post-conflit

possible avec un seul enquêteur n’est souvent pas représentatif. Du fait de la question centrale de mon sujet, sensible s’il en est, je désirais surtout procéder par une démarche plus qualitative, le cadre strict du questionnaire constituant parfois un frein pour libérer la parole des populations. Cependant, en dehors de ce souci d’ouverture, ce questionnaire a assez bien fonctionné, il a débouché sur des réflexions originales et a permis l’accès à des populations plus difficiles à aborder dans le cadre d’un entretien plus classique. Ce travail a je pense été porteur d’enseignements riches sur la méthodologie de terrain et mériterait d’être approfondi.

J’ai donc établi une trame de thèmes à aborder, de questions que j’ai affinées au cours de mes entretiens et qui m’ont servi de fil directeur (Annexe 7). En fonction de l’interlocuteur, j’adaptais cette trame : on ne pose pas les mêmes questions à un représentant de l’autorité ou à une « maman28 ».

Mes grilles d’entretien sont donc polyformes, s’intéressant pour chaque interlocuteur aux conflits, à la reconstruction et aux nouvelles dynamiques. Les acteurs spécifiques ont été interrogés selon leur fonction (instituteurs, responsables de centres de santé, membre d’une entreprise...). Ce qui n’a pas empêché que ces personnes abordent d’autres sujets. Il a été très difficile d’accéder aux acteurs institutionnels liés au secteur des transports. Cependant les entretiens comprennent toujours une partie sur les transports, et de par mes expériences personnelles (j’ai beaucoup voyagé y compris en utilisant les transports locaux, et notamment les deux trains Mbinda et Rock/Express), le secteur des transports constitue un point nodal de mon travail. L’économie rurale et l’éducation ont une place prépondérante dans les enquêtes ; cela s’explique par le fait que la majeure partie des personnes interrogées ont des activités agricoles ; de plus, en zones rurales, la plupart des villages ne disposent comme infrastructure que d’une école.

Il m’est arrivé aussi, dans certains contextes, de recourir au récit, de laisser la personne parler selon sa propre logique, essentiellement lorsque cette personne venait me voir ou m’avait été conseillée comme interlocutrice pour me raconter « sa » guerre. Mes interventions se sont dans ces cas là limitées à relancer la personne sur certains points évoqués, sans demandes dépassant le cadre de son récit. J’estimais en effet que ces témoignages ne pouvaient et ne devaient pas rentrer dans le cadre d’un entretien prédéfini et préférait laisser place uniquement à la parole, fût-elle courte ou incomplète. Les travaux de reconstitution des phénomènes de la période des guerres se basent notamment sur les témoignages des populations qu’il convient de nuancer en fonction de leur situation et des évènements qu’ils ont pu vivre pendant les combats ; sur des enquêtes réalisées auprès des autorités locales et institutions publiques ; et à partir des rapports réalisés par quelques ONG présentes sur place (ACF - Action contre la faim, OCDH - Observatoire Congolais des Droits de l’Homme...). Il faut noter la difficulté de mener des entretiens portant sur les conflits, la difficulté à dire certaines choses, la nécessité de nouer des relations de confiance. Beaucoup d’éléments sont abordés quand on n’a plus son cahier sous la main. Il faut également évaluer l’importance des non-dits et, de ma part, le choix de m’arrêter ou de ne pas aborder les questions difficiles quand « je ne le sens pas ».

28 Le terme de « maman » est employé au Congo en lieu et place de « femme » ou de « madame ». C’est

donc à la fois un terme descriptif (« je vais te présenter à la maman là-bas ») et une interjection « Maman, je peux vous poser une question ? », qui n’a rien à voir avec le fait d’être mère ou pas, et qui postule le fait que toute femme est ou sera une maman. Le terme « Papa » est utilisé de manière équivalente, bien que moins fréquemment il me semble.

1ère partie : Construire une géographie du conflit et du post-conflit dans les pays du Niari

Cette dernière remarque me permet d’aborder ici les limites du travail par entretiens. Outre la question de la langue et du choix de poser ou non certaines questions en fonction d’un contexte forcément lié à ma subjectivité, le rôle des informateurs est forcément soumis à un ensemble de biais, qui font intégralement partie de l’information, et que je me suis efforcée de relever. C’est pourquoi j’ai toujours cherché à savoir et à mentionner, dans la mesure du possible, les biais possibles de l’entretien : récits reconstitués, formalisme de l’entretien, problèmes de la langue, des non-dits liés à la pudeur, la volonté d’oubli ou l’aversion à parler devant les autres, voire dans certains cas les biais liés à la volonté de témoigner pour dénoncer certaines pratiques ou personnalités, ou liés à un engagement politique partisan. Michel Agier (in Le Pape, Simeant, Vial, 2006, p. 153) mentionne d’ailleurs ce biais spécifique à la période de post- conflit qu’il nomme « biais du trauma, de la politique et de la vérité ».

C’est pourquoi j’ai choisi souvent de citer ces personnes directement ; cela ne veut pas dire que j’adhère à leurs propos, mais ce sont autant de témoignages, à prendre dans leur contexte. La comparaison de ces sources permet d’elle-même de valider ou non le crédit qu’on peut leur apporter.

Très souvent, lors des entretiens ou en dehors, j’ai réalisé ou fait réaliser des croquis du lieu (Figure 4), parfois sommaires, qui figurent donc soit dans les fiches d’entretiens, soit dans les fiches d’observation ; j’ai parfois dû les retravailler. Ces croquis sortent totalement du cadre logique de l’entretien. Mais les croquis des lieux d’enquête complètent efficacement les observations, les propos de la personne interrogée ; ils permettent a postériori de resituer les photographies réalisées. Et en général, la cartographie, même faite sur l’angle d’une feuille, facilite les entretiens.

FIGURE 4 :CROQUIS PERSONNEL DE LA PISTE LÉFOUTOU-FRONTIÈRE GABON ; ET CROQUIS D’UN HABITANT DES PISTES KOMONO-LÉFOUTOU.

Ainsi, l’entretien réalisé à Mossendjo par le conseiller en urbanisme du maire (E_228, Carte 7) à partir d’un plan de la ville ne respecte pas du tout le cadre des entretiens habituels que j’ai réalisés. Mais il m’en a appris bien plus sur la ville que si je m’étais contentée d’un entretien « normal ».

Chapitre 2 : Méthodologie d’une géographie du post-conflit

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