• Aucun résultat trouvé

5.2 1998-1999 : Guerre de libération du Sud ou guerre de consolidation du pouvoir ?

6.1 Survivre pendant les guerres

6.1.1 Mobilités en guerre – déplacés et réfugiés

Les populations civiles des pays du Niari, fortement affectées par les combats, les bombardements et l’insécurité causés par les hommes en armes, ont dû mettre en place des stratégies de survie parfois complexes. Ces stratégies se sont souvent appuyées sur une connaissance du territoire, sur la solidarité villageoise ou même sur des arrangements avec les forces armées. Dans tous les cas, ce qui caractérise le plus ces stratégies de survie, c’est la mobilité, le plus souvent subie, de ces populations. Ces mobilités contribuent à définir des territoires vécus des conflits, différents selon leurs caractéristiques propres et selon les fonctions qui leur sont attribués par les hommes en armée ou les populations. Pour fuir ou pour se ravitailler, les territoires vécus des conflits sont des territoires mobiles.

Les gens ont fui quand l’armée est arrivée ici [Loutété]. Avant les rebelles menaçaient les parents, on vivait dans la crainte. Quand l’armée arrive, il y a des combats puis la fuite. On fuit sur les montagnes car après Mfouati, la bas c’est une zone de combat, les milices rwandaises sont entrés par Mfouati et les Angolais par la RN1. On fui de partout, en RDC, dans la montagne, et de l’autre côté du Niari. Quand l’armée s’installe correctement, la population revient. Grégoire L., E_365.

Le HCR considère que le nombre de déplacés a atteint 810 000 personnes, soit 35% de la population totale en 2000. Muggah, Bugnon et Maughan, (2003, p. 54), comptabilisent entre 580 000 et 700 000 déplacés à l’intérieur du pays en 1999. Pointe-Noire, préservée des combats, avait connu une forte croissance du fait de l’accueil de plus de 200 000 déplacés Brazzavillois en 1997, et ce sont encore plus de 25 000 nouveaux déplacés originaires de la vallée du Niari qui arrivent en février 1999, suite aux attaques de Dolisie et Nkayi. L’expérience partagée de la guerre a facilité la cohabitation urbaine de ces déplacés d’origines diverses, qui ne constituent pas de véritables quartiers ethniques. L’installation durable des déplacés provoque une densification des quartiers anciens et une forte pression foncière dans les périphéries (doublement à triplement des prix ; Dorier-Apprill et al, 2008).

En outre, jusqu’à la fin de 1999, plus de 60 000 réfugiés auraient rejoint le Congo pour la RDC ; au moins 20 000 auraient atteint le Gabon (HCR, 2003). La plupart de ces déplacés et réfugiés sont des Brazzavillois et des habitants des pays du Niari (Carte 40).

Les déplacements se sont faits selon plusieurs vagues : tout d’abord les échanges de déplacés entre le Pool et les pays du Niari, en 1993, et le « retour » d’un certain nombre de Brazzavillois. En 1997, les pays du Niari accueillent à nouveau de nombreux Brazzavillois. Mais les mouvements sont surtout importants en 1998-1999, puisque aux populations déplacées internes aux régions se joignent à partir de décembre 1998 les nombreux Brazzavillois chassés notamment de Bacongo. Ces derniers se sont d’abord réfugiés dans le Pool tout proche, mais ils en ont été délogés avec les habitants du Pool

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

lors de l’offensive généralisée des FAC81. En 1999, plus de la moitié de la population des Pays du Niari est en mouvement, notamment celle des villes et des principaux axes.

CARTE 40 :POPULATIONS DÉPLACÉES AU CONGO EN 1999.

En 2000, une partie des pays du Niari a donc fui la région et se trouve soit à Pointe-Noire, soit à l’étranger (et notamment au Gabon). Une dernière partie se trouve, en compagnie de déplacés en provenance de Brazzaville et du Pool, dans les districts forestiers enclavés, dans les montagnes des cataractes et dans les zones frontalières du département du Pool (Yamba, Kingoué, Tsiaki, Mayéyé), souvent protégées par un cours d’eau. Le chef de village (E_331) de Moussanda (zone enclavée du district de Mabombo, atteignable uniquement par Mouyondzi et le barrage de Moukoukoulou) mentionne ainsi la présence de « beaucoup de gens venus de Brazzaville et Nkayi ». Le sous-préfet de Tsiaki (E-109) cite des déplacés nombreux « dans la zone de Kimboto (frontière avec le Pool), dans le centre de Tsiaki et dans la forêt à Tsomono et Kimboto ».

Chapitre 6 : Des guerres contre les civils

Le témoignage de l’abbé Konioka (cadre 11) expose bien la diversité des déplacés, qui ici atteignent la frontière du Gabon. Ce témoignage permet également de saisir le rôle des églises, lieu de refuge spirituel mais également physique pour les populations déplacées. Enfin, il montre le climat d’insécurité permanente créé par les jeunes, miliciens ou non, souvent à la recherche de nourriture. Les populations sont ainsi souvent prises en tenaille entre l’armée et les milices, fuyant tantôt les unes, tantôt les autres.

Cadre 11 : Résumé du rapport de l’abbé KONIOKA, Mbinda, daté du 1er mars 2000 (fourni par l’abbé Michel, E_196)

(p. 1 à 3) A partir du 03/02/99, mention de l’arrivée des premiers sinistrés ; ils ne sont repartis qu’au 10 mars 2000.

La paroisse de Mbinda a accueilli 39 ressortissants du Pool, 53 du « Grand Niari », 2 du Nord et 9 Mauritaniens. Mbinda a vu sa population quadrupler.

Certains sinistrés sont restés le temps de remplir les formalités pour le HCR (pour passer au Gabon).

(p. 4) En 1998-1999, l’abbé est obligé de se faire accompagner « des jeunes » (à sa charge) pour faire sa tournée pastorale en temps de guerre, « afin d’éviter des braquages en route ». Il doit se déplacer à pied vers Ngoubou-Ngoubou, Mayoko, Poungou.

(p. 5) Accueil de confrères prêtres sinistrés. Ils restent d’un à cinq mois, puis l’évêque de Nkayi, réfugié en RDC, dit aux prêtres de son diocèse d’aller à Franceville. Trois proviennent de Dolisie, 1 de Loutété, 1 de Loudima, 1 de Madouma (Mossendjo).

(p. 6) Reçoit de l’aide de la paroisse de Moanda (Gabon) : médicaments et vivres. Elle est répartie avec Mossendjo, Makabana, Komono.

(p. 7) « La circulation était devenue intense entre Mossendjo et Mbinda à cause du marché de la frontière entre le Congo et le Gabon (Lékoko). Les gens venaient de partout : du Pool, de Makabana, Sibiti, Komono, Mouyondzi… ceci pour vendre leur marchandise et acheter de quoi survivre. »

« C’est dans ce contexte qu’on a enregistré beaucoup de cas d’accidents et des décès à cause des bavures des milices armées. »

(p. 8) « Le 26/12/1999, à 2h 30 du matin, des bandits ont dévalisé la pharmacie. C’était la seule activité qui faisait vivre la paroisse. »

L’insécurité de ces zones de refuge est également perceptible à travers le rapport l’OCDH- FIDH (1999), qui mentionne le cas des déplacés présents au Sud de Dolisie : « ces déplacés sont régulièrement harcelés et persécutés par des militaires angolais et congolais. Ainsi, le 27 février 1999, sept personnes déplacées ont été abattues par des militaires rwandais et de nouvelles recrues de l'armée congolaise, sur le site de FERCO, à environ 15 km de Dolisie. Le 5 mars 1999, une dizaine de soldats angolais a fait irruption sur le site de Nzoungou-Kibangou, à l'entrée du tunnel de Mont-Mbamba, où ils ont exigé des déplacés de l'argent et autres biens en les menaçant de mort. Sur ce même site, le 22 mars, un jeune homme non identifié a reçu des coups de poignard dans le dos parce qu'il n'avait pas d'argent à remettre aux nouvelles recrues ». Ce témoignage rejoint celui de François M.G. sur la même zone :

Il y avait des braquages surtout dans la zone de Nima Tséké. Les cibles, c’étaient ceux qui revenaient du marché de Moukéké. Le marché lui-même a été touché, il y a eu un mort. Dolisie étant vide, les braqueurs vont de camps en camps pour prendre de l’argent et les biens. Kimongo, E_373.

Les zones de refuge des populations déplacées sont donc loin d’être des zones sécurisées. Il n’existe pas de camp de réfugiés, au sens humanitaire du terme, d’ailleurs il n’y a

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

aucune intervention humanitaire dans la région. Outre les églises, les populations déplacées logent dans les habitations ou infrastructures vides (FERCO, usine non fonctionnelle), ou avec les populations villageoises.

PHOTO 17 :EXEMPLE DE LOGEMENT DES DÉPLACÉS : UN ANCIEN GRENIER DU PDR, AUJOURD’HUI POSTE DE POLICE (TSÉKÉ-PEMBÉ,2010).

Les déplacés restent en petits groupes : soit dans les villages, lorsqu’ils sont suffisamment éloignés des fronts, se construisant des maisons de torchis et défrichant une parcelle pour cultiver. Soit en forêt en cas d’attaque, soit, quand des combattants armés approchent, dans des « campements » situés dans les champs de manioc, toujours situés à plusieurs kilomètres des villages, ce qui permet d’avoir un minimum de nourriture sur place :

Il y avait aussi dans les campements des étrangers : gens de Dolisie, Brazza, Pool, qui fuyaient. On partage les champs. Gilbert, E_168.

On a fui en brousse pendant 3 ans. On faisait des cultures, on mange des bananes. On se lavait avec des feuilles de papaye. On était dans un campement à la Nimie (rivière vers Moétché). Il y avait plus d 50 personnes. On y trouve encore des safoutiers, bananiers, citrons, avocatiers, piments, taros plantés pendant la guerre. On a construit des abris (des poteaux avec des « tuiles » de palmes).E_276, Viviane, Omoye.

Mais il est pour certains, proches des zones de combats, difficile de survivre. Ce témoignage (E_184) évoque par exemple l’impossibilité de faire du feu :

Si les rwandais voient les fumées, ils vont brûler les maisons. Et il faut aussi se protéger des enfants qui venaient voler aussi.

Plusieurs personnes dans les entretiens évoquent l’existence de « couloirs de réfugiés » ou « couloirs humanitaires » au Nord de Makabana, au Nord de Madingou et au Nord de Sibiti, dans les zones de refuge des populations, contrôlées par les Cocoyes. (E_043, 085, 300). Il ne s’agit pas ici de couloirs officiels, bien maîtrisés ; les témoignages viennent systématiquement de personnes ayant côtoyé après la guerre des organisations d’aides (l’armée du Salut et le PNUD), d’où cet emprunt à ce vocabulaire spécifique. Mais nous pensons qu’ils voulaient ici simplement désigner les zones de passage des files de déplacés ; le sous-préfet de Mabombo mentionne bien le fait que ce couloir n’était pas géré par une ONG (E_300).

Chapitre 6 : Des guerres contre les civils

Les déplacés sont nombreux à avoir tenté de franchir les frontières, notamment les plus proches de celles-ci, notamment quand ils partagent une proximité culturelle. Ainsi, les populations du Nord des pays du Niari, de la Nyanga et de l’Ogooué, ont été nombreuses à traverser vers le Gabon.

Cadre 12 : Dépêche de l’IRIN, 7 juillet 1999. CONGO: Over 1,000 refugees arrive in Gabon Nairobi, 7 July 1999 (IRIN) - About 1,500 Congolese refugees arrived in Gabon on Tuesday after fleeing ongoing fighting and unrest in the Republic of Congo. A statement from UNHCR described the refugees as "malnourished" and in "poor health". They reportedly crossed over at the weekend into three provinces along the 1,000 km border stretch. Some 650 people are said to have entered the southern provinces of Nyanga and Ngounie, with another 800 arriving in Haut Ogoou to the north. UNHCR, WHO and ICRC "are bringing first aid and supplies and making arrangements to fly in blankets and purchase food locally", the statement said. […]

Dans la zone de Nyanga-Divénié, les populations déplacées ont pu être intégrées par les populations locales, qui ont fourni des champs aux réfugiés. « Dans la province gabonaise de la Nyanga, les populations frontalières congolaises, dont l’identité ethnique est la même que celle du milieu local, à dominante punu et nzebi, peuvent trouver à la fois des terrains à cultiver et un environnement de sécurité, avec les avantages cumulés d’un isolement protecteur » (Gaulme, 2000, p. 15). L’enquête de 2008 réalisée par Christian Wali Wali (2010) révèle par exemple que dans le village gabonais de Lébamba, situé contre la frontière congolaise à hauteur des districts de Divenié et Nyanga, sur 30 réfugiés congolais présents depuis 1997, 10 sont originaires du district de Nyanga et 10 de Divenié, les restants étant originaires pour 7 d’entre eux du reste du Niari (4 de Dolisie), enfin du Pool (2) et de la Bouenza (1). Ce sont donc des stratégies familiales et culturelles qui les ont majoritairement conduit là-bas, puisque au moment de leur fuite ils se trouvaient pour la moitié d’entre eux à Dolisie, et pour 6 d’entre eux à Brazzaville.

La carte du HCR (Carte 41) montre l’extrême dispersion des réfugiés au Gabon, qui, contrairement aux réfugiés de RDC regroupés dans des camps, résident dans les localités gabonaises avec la population locale.

Là bas, si tu es un étranger, on te donne des parcelles et tu travailles. Certains sont restés là- bas. Chantal, E_059.

Mais sur la durée, des conflits ont pu émerger avec les populations locales.

Ma femme et mes enfants étaient au Gabon pendant la guerre. Ils ont reçu au Gabon une aide du HCR. Ils ont eu une assistance : des dons alimentaires et matériels et des soins. Mais il y avait un mauvais accueil des gabonais, des conflits en cas de mariages, ou pour trouver du travail. Beaucoup de congolais sont quand même restés, ils ont eu du travail surtout dans l’enseignement. Flavien, E_042.

Ces documents (dépêche de l’IRIN et carte du HCR) sont également l’occasion de remarquer la méconnaissance du pays de la part de ces organismes, qui citent des lieux qui n’existent pas (Ngounié, à la place de Divénié ?), localisent Nyanga à Yaya ou ajoutent Loubomo à côté de Dolisie82. Les centres de transit mentionnés sur la carte à Nyanga, Bambama et Mbinda n’ont jamais été évoqués par les autorités et les populations interrogées.

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

CARTE 41 :EXTRAIT DE LA CARTE DES RÉFUGIÉS PRIS EN CHARGE PAR LE HCR EN 2003.

Quoi qu’il en soit, les réfugiés, au Gabon comme en République démocratique du Congo, malgré un accueil parfois mitigé, ont bénéficié d’un minimum de prise en charge pendant les conflits (HCR Gabon, 2001 ; le titre de réfugié confère à son détenteur de nombreux avantages notamment l’exonération de titre de séjour, l’assurance maladie et la scolarité gratuite pour les élèves et les étudiants), à l’inverse de leurs compatriotes restés au Congo.

Outline

Documents relatifs