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Les transports, moteurs du développement des pays du Niari et du Congo

profondément politiques

Cadre 8 : Le défrichage forestier autour de Léfoutou, sur les sommets ferrugineu

3.1.2 Les transports, moteurs du développement des pays du Niari et du Congo

Une des raisons du dynamisme de cette région est sa situation de carrefour. Plusieurs éléments se combinent pour la rendre à ce point de vue particulièrement intéressante.

Un réseau colonial d’extraversion qui crée le développement

Il semble paradoxal d’associer économie d’extraversion et développement ; pourtant, le Sud du Congo, et notamment les « Pays du Niari », constituent depuis la colonisation un territoire dynamique, organisé autour et par des axes de transport performants à l’échelle de l’Afrique Centrale. Ce type de réseau relativement bien structuré constitue une originalité relative dans l’Afrique Centrale qui, contrairement à l’Afrique de l’Ouest, historiquement connectée par d’intenses circulations, ne bénéficie pas d’une interconnexion des réseaux nationaux et internationaux. Les transports en Afrique Centrale sont en effet marqués par d’énormes difficultés d’aménagement causées par des milieux contraignants (montagnes et fortes précipitations, sols forestiers fragiles) mais également par une plus forte instabilité des États, ce qui se répercute dans l’aménagement de ces territoires (Igué, 1995).

La construction du CFCO, de 1920 à 1934, devait permettre de relier le fleuve Congo à Brazzaville au port de Pointe-Noire sur l’Atlantique, palliant au problème de la navigation sur le fleuve en aval de Brazzaville, et ainsi permettre l’évacuation du bois des forêts du bassin du Congo et faciliter l’exportation des richesses du sous-continent. Albert Londres (1929) ou André Gide (1927) par exemple ont dénoncé le travail forcé lors de sa construction, qui a causé la mort de 16 000 à 23 000 hommes (Coquery-Vidrovitch, 1972; Andriamirodo et Monga, 1986). Les travailleurs étaient recrutés de force dans la sous- région, la dépeuplant durablement (Sautter, 1966). Mais traversant les pays du Niari d’Est en Ouest, le CFCO a été le moteur initial des pays du Niari, et a entrainé la création de nombreuses villes du chemin de fer, ainsi que l’arrivée de populations venues y travailler. L’entretien des voies et le fonctionnement du train comme des gares ont contribué à fixer la population le long du tracé, entrainant un réseau de petites et moyennes villes dynamiques (Gamandzori, 1988). La présence d’une voie d’acheminement rapide entre Brazzaville et Pointe-Noire est une des raisons du choix de la vallée du Niari, outre l’excellente qualité de ses sols, comme centre d’expérimentations agricoles.

Un véritable réseau de communication aux nœuds multiples s’est ensuite greffé sur cette première trame simple, permettant la mise en valeur de la richesse agronomique, minière et forestière des départements traversés. Mis en service en 1962, le chemin de fer de la COMILOG (compagnie minière de l’Ogooué, appartenant à l’État gabonais), contribua au désenclavement de la partie Nord-Ouest des Pays du Niari. Le manganèse extrait à Moanda (Gabon) était acheminé à travers le Chaillu par un téléphérique long de 76 km, avant d’être déversé dans des wagons minéraliers à Mbinda, du côté congolais de la frontière. La ligne COMILOG rejoint le CFCO à Mont-Bélo, entre Dolisie et Loudima, et emprunte ses infrastructures jusqu’au port minéralier de Pointe-Noire. Pour M.-L. Villien- Rossi (1978, p 172), « il y a eu ainsi un effort énorme de l’industrie européenne et américaine pour réaliser en un temps record l’exploitation d’une mine de manganèse d’importance mondiale et assurer l’évacuation de sa production. » Cette ligne de chemin

1ère partie : Construire une géographie du conflit et du post-conflit dans les pays du Niari

de fer a servi aussi au transport des marchandises, notamment des grumes31, et des personnes (l’exploitation commerciale de la ligne était faite par le CFCO), et a permis le développement de l’axe vers le Gabon, autour de villes comme Mossendjo ou Makabana. M.-L. Villien-Rossi a également bien mis en évidence le déplacement des villages et l’augmentation du peuplement le long de cet axe ferroviaire. Les trains faisaient alors une rotation complète (Mbinda-Pointe-Noire : 500 km) en 48 h, à raison de 3 trains par jour de travail (Ibid, p. 200). Le seul point négatif était déjà à l’époque le ralentissent du trafic entrainé par les fréquents déraillements du CFCO dans le Mayombe.

S’il s’agit à la base d’un équipement primaire né de l’exploitation des matières premières destinées à l’exportation et de la volonté coloniale du moindre coût, cet axe a permis à l’échelle régionale le désenclavement des zones rurales, l’exploitation forestière, l’augmentation des productions vivrières et commerciales (canne à sucre autour du complexe agro-industriel de Nkayi, arachide, café, bananes). La constitution d’un chapelet de petites et moyennes villes autour des activités de chemin de fer et en position d’échange entre monde rural et urbain, ainsi qu’un début d’industrialisation de la région, ont abouti à un véritable développement territorial.

Ce dernier a cependant constitué à l’échelle nationale un facteur de déséquilibre, en privilégiant la partie Sud du pays, dont le poids démographique s’est alors renforcé, au détriment de la partie Nord du pays.

CARTE 20 :LE SUD CONGO, RÉSEAU DE VILLES ET DE TRANSPORTS (EN 2011).CETTE CARTE MONTE BIEN LA PLACE DES DÉPARTEMENTS DU NIARI DANS L’ARMATURE DES COMMUNICATIONS CONGOLAISES ET LEUR IMPACT

SUR LE PEUPLEMENT.

Chapitre 3 : Les pays du Niari, des territoires fonctionnels et profondément politiques

Ces voies de chemins de fer sont doublées par un réseau de pistes. Autour de la Route Nationale N°1, parallèle au CFCO et reliant Brazzaville à Pointe-Noire, se greffent des routes nationales (la RN3 qui va de Dolisie au Gabon en passant par Nyanga) et préfectorales, permettant de relier la région au Kouilou, au Pool, aux Plateaux, ainsi qu’au Gabon, à la RDC et au Cabinda (Angola). Cependant, elles sont laissées en terre pour la majeure partie d’entre elles (y compris pour la RN1), et ne permettaient qu’une circulation routière limitée. Un Fonds Routier, financé par les taxes sur les hydrocarbures, fut créé en 1958 pour gérer l’extension du réseau routier et son entretien ; mais la tache est immense et dès 1975 il fut mis en veilleuse par la suspension de cette taxe. Jusqu’à 1990, date de la refondation du fonds routier (qui fut effectivement mis en service en 1994), l’entretien des routes et pistes du Sud du Congo était théoriquement réalisé par la Régie Nationale des Travaux Publics (RNTP) puis par l’Office Congolais de l’Entretien Routier. De nombreuses entreprises privées, notamment les entreprises forestières, ouvraient des pistes et assuraient à leurs frais le bon entretien des routes secondaires. D’où un renforcement de l’enclavement de certaines zones au profit des zones les plus actives au niveau économique, et un rôle accru du chemin de fer.

Des compagnies de transport privées étaient également fonctionnelles pour des liaisons interurbaines. Ainsi, dans la Lékoumou, pourtant le département le plus pauvre et le plus enclavé des pays du Niari, la compagnie Barbier officiait encore en 1977 (Photos 3).

PHOTOS 3 :VÉHICULES DE TRANSPORT DE LA CIE BARBIER (PHOTOS IN BAYENI,1977, P.116)

La région resta cependant toujours subordonnée aux contraintes du milieu naturel : pluies brutales qui abiment les pistes, ou la fameuse poussière rouge du Niari. Ainsi, à l’époque de l’OCER, il existait des barrières de pluies pour protéger les pistes pendant et après les pluies ; ou des systèmes de cantonnage pour l’entretien des pistes. À l’intérieur même des pays du Niari, le réseau de transport, performant à l’échelle du pays, a renforcé l’enclavement de très larges zones faiblement connectées (Lékoumou), parfois même totalement isolées. En périodes de pluies par exemple, les régions montagneuses autour de Tsiaki ou de Moungoundou Nord étaient et sont encore à ce jour impossible à rejoindre autrement qu’à pied. Ainsi, si la région connut un fort désenclavement externe, l’enclavement interne restait très présent.

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Les transports comme paradigme politique

En réalité, après les indépendances, les rares infrastructures de transport existantes se sont rapidement dégradées. Sans aucun moyen financier alloué à la RNTP, ce sont les villageois qui devaient, sous son autorité, assurer un minimum de cantonnage. L’entretien routier était donc essentiellement l’œuvre des entrepreneurs (COMILOG, forestiers, miniers) pour maintenir praticables les axes vers les gares et le port de Pointe-Noire, entrainant de fortes inégalités territoriales dans l’accessibilité aux centres et aux marchés. Les conséquences de cet abandon routier sont décrites par Dieudonné Mboukou Mboungou dans sa thèse, datée de 1991 : « Le réseau est voué à une dépréciation importante. Les chaussées revêtues se sont dégradées, de nombreuses routes ou pistes […] ont aujourd’hui disparu ou sont fermées à la circulation. Cette disparition s’explique par l’incapacité de la RNTP à réaliser un entretien courant viable. » (Mboukou Mboungou, 1991). Avant même le tournant libéral des années 1980 et le plan d’ajustement structurel qui a entrainé un fort désengagement de l’État envers les infrastructures publiques, la mauvaise gestion avait porté atteinte à ce système de transports. Son abandon a entrainé un ralentissement important de l’économie rurale jusque là organisée par l’État à travers des « offices » de cultures et de commercialisation. En l’absence de transports, les productions pourrissaient au bord des routes et dans les gares.

Les choix concernant les priorités des nouvelles réalisations furent alors guidés par des intérêts politiques. La partie Nord du pays (au Nord de Brazzaville), délaissée par la colonisation, et dont est issue l’élite politique, fut la première à bénéficier d’investissements, à travers la réalisation du plan quinquennal de 1982-1986 mis en place sous la présidence de D. Sassou Nguesso (président de 1979 à 1990). L’enclavement devient une notion politique et sert à justifier la création des premiers axes routiers goudronnés du pays hors des zones urbaines (la Route Nationale n°2, sur 600 km vers le Nord) dans une région sous-peuplée dans laquelle la circulation se fait essentiellement par voies fluviales. Au Sud, les anciennes logiques de l’économie d’extraversion continuent : les trois prévisions de routes goudronnées faites dans le cadre de ce plan doivent bénéficier aux entreprises forestières et minières, puisqu’elles permettent de relier les zones d’extraction aux gares du CFCO. Deux de ces routes furent réalisées, pour un total de moins de 100 km. Celle de Sibiti permettait de relier les concessions forestières de l’entreprise allemande Socobois à la gare CFCO de Loudima, la seconde reliait l’exploitation russe des mines de Mfouati à la gare CFCO de Loutété (Carte 21). La construction de la RN1 (reliant Brazzaville à Pointe-Noire) ne fut pas programmée dans ce plan.

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CARTE 21 :PROJETS DU PLAN QUINQUENNAL (1982-86)

Réalisé de 1976 à 1989 sous l’impulsion de D. Sassou Nguesso alors président de la République Populaire du Congo, le réalignement du CFCO dans le Mayombe (de Bilinga à Dolisie) visait à enrayer le vieillissement du réseau entre Mont-Bélo et Pointe-Noire, où les lourds chargements de manganèse avaient fragilisé les voies ; à s’adapter à une forte progression du trafic et à augmenter la rapidité des trains (Andriamirodo et Monga, 1986). Il visait aussi à contrer la concurrence annoncée du Transgabonais, construit à la même époque. Débuté dans une période faste de l’économie congolaise, il a nécessité d’importants investissements. Les deux lignes (ancien tracé et réalignement) fonctionnaient en complémentarité et contribuèrent momentanément à améliorer la diffusion des produits agricoles et industriels de la vallée. Mais trop lent à être mis en service, le réalignement échoua devant la mise en service du chemin de fer Transgabonais. Il faut préciser que depuis la mise en service de la voie COMILOG en 1962, le Gabon avait construit son propre terminal portuaire minéralier et le Transgabonais, chemin de fer inauguré en 1978, reliant Franceville à Libreville (le dernier tronçon a été ouvert en 1986).

Un autre élément vient dans la région aggraver cette situation de dégradation des transports : le 5 septembre 1991, un train de la COMILOG chargé de manganèse et un train de voyageurs du CFCO entrent en collision, faisant au moins plusieurs dizaines de morts32. Une crise diplomatique s’ensuit entre le Gabon et le Congo, qui se solde par l’arrêt définitif des activités de l’entreprise COMILOG en territoire congolais. Cet accident

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signe l’arrêt de la solution congolaise pour la COMILOG. La perte du marché du manganèse sonnera le glas de la période minéralière du port de Pointe-Noire. Le téléphérique de Mbinda est arrêté et toutes les installations sont cédées au CFCO. Mais ce dernier, aux prises avec ses propres difficultés, abandonne totalement le « train Mbinda ».

Cet arrêt déstructure totalement la région, puisque à l’arrêt brutal du seul moyen de transport Nord-Sud de la région s’ajoute la fermeture de toutes les installations COMILOG sur le tracé, et la mise au chômage de nombreux salariés à Mbinda, Mossendjo, Makabana notamment. Makabana par exemple est d’un coup reléguée de ville moyenne très dynamique à une ville fantôme. Un certain nombre d’installations parallèles et de services de base cessent de fonctionner, comme par exemple l’adduction d’eau ou l’électricité (Mbinda, E_199), les services de santé et certaines écoles.

Les raison politiques l’ont emporté sur l’économique dans les cas des voies ferrées de la COMILOG et du réalignement, donnant un premier coup de semonce au chemin de fer congolais. D Mboyi, dans sa thèse datée de 1996 sur la région de Mossendjo, fait état d’une paupérisation accélérée de la région, liée notamment au « rôle négatif des politiques mises en œuvre ».

Un paradoxe du système des transports congolais résulte dans la prédominance du transport aérien domestique comme mode de désenclavement les villes intérieures et de ravitaillement de Brazzaville notamment. Cela résulte de fortes volontés politiques qui s’appuient sur un processus de développement de l’aérien pendant la période coloniale par les compagnies minières, agricoles et forestières étrangères alors que la route est impraticable. Du fait des difficultés de transport dans tout le pays, la voie aérienne constitue la voie la plus rapide pour atteindre certaines destinations. Il est à noter que peu d’études ont été faites sur ce sujet dans les pays des Suds. Pour A. Goulou (2006, p. 57), « l’implication de l’État dans la construction et le réaménagement des aéroports ainsi que dans le transport aérien, est sans conteste le reflet de la politique de désenclavement soutenue par les gouvernements successifs ». Politique permise par la situation de rente du pays, qui fait que chaque préfecture de département doit être dotée d’un aéroport mais qui est fortement inégalitaire car inaccessible à la majorité des Congolais.

Ainsi, dans sa thèse sur le Niari forestier Oriental (la Lékoumou) datée de 1979, A. Bayeni (1979, p. 251) mentionne que depuis 1976, l’avion concurrençait sérieusement les transports routiers. Il est alors bien plus rapide (45 minutes de Zanaga à Brazzaville) et guère plus cher que les transports routiers. « De nombreuses personnes à Zanaga préfèrent payer 1500F de plus pour prendre l’avion que les économiser pour prendre la route et le rail où les risques d’embourbement, les retards sont grands et les transbordements fatigants ». A Zanaga, les prix pratiqués étaient même inférieurs à ceux des compagnies de transport terrestre (Cie Barbier) et du chemin de fer : 5000 FCFCA y compris les bagages accompagnés par avion militaire au lieu de 6200F par route et voie ferrée (bagages supplémentaires non compris). Cependant, comme dans les autres secteurs, la situation était en train de se dégrader lors de la survenue des guerres : si la desserte continuait en théorie, en réalité les avions étaient rares à se poser dans les aéroports et aérodromes secondaires. En 1997, seules Dolisie et Nkayi ont encore des aéroports nationaux (Marchés nouveaux, 1997), desservis par Lina Congo et quelques compagnies aériennes privées. Du moins était-ce le cas tant que les pistes d’atterrissages étaient entretenues.

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Cadre 4 : La voie aérienne au Congo Dans les années 1960, c’est la compagnie Air-Congo qui assure des vols intérieurs, Dolisie, Jacob / Nkayi et Makabana étant desservies une fois par semaine (Vennetier, 1966, p. 104) et n’assurant qu’un très faible trafic de passagers. En 1977, la compagnie nationale Lina-Congo (Lignes nationales aériennes congolaises) desservait depuis Brazzaville et Pointe-Noire les aéroports de Dolisie, Nkayi et Makabana (INRAP, 1983, p. 45 ; Carte 22), mais aussi secondairement Mossendjo, Mouyondzi, Sibiti et Zanaga. Il est à noter qu’ils n’y a pas de vols intra- régionaux ou reliant le Nord et le Sud, tous les vols sont centrés sur Brazzaville.

CARTE 22 :AÉROPORTS EN 1977,INRAP,1983, P.45.

Ce qu’affirme D. Mboukou-Mboungou (1991) en dénonçant le caractère essentiellement intellectuel ou technique de la planification au Congo et surtout la prééminence de l’élément politique dans le réaménagement de l’espace est donc vrai ; mais cette logique cohabite avec des logiques économiques dictées par l’héritage colonial. Sans réflexion sur l’aménagement, le réseau de transport n’est alors plus qu’un système fragmenté et inorganisé33, qui entretient une vision éclatée du territoire.

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