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post-conflit

2.2. Terrain et méthodologie de la recherche

2.2.2 Entre objectifs scientifiques et contraintes du terrain

La recherche de terrain est indispensable sur un territoire dans lesquelles les données sont manquantes, les statistiques introuvables, et les témoignages rares ou déformés. Il s’agit également de trouver des informations à la source sur un sujet, le post-conflit, pour lesquelles les données « par le bas » sont peu nombreuses. La durée du terrain a un intérêt unique : avoir le temps de collecter ces renseignements afin de mener à bien une recherche aussi précise que possible, acquérir une compréhension approfondie des territoires, se constituer des réseaux, prendre en compte des phénomènes saisonniers etc.

Réalisation des objectifs

Le travail de terrain proprement dit a donc consisté à me rendre dans la plupart des districts des pays du Niari (Carte 2) pour y mener à la fois un travail d’observation et d’enquêtes sur les conflits et la reconstruction. En tout, j’ai réalisé en 2009 et 2010 406 entretiens, constitué 72 fiches d’observations parallèles, fait 13600 photos, et constitué un SIG des pays du Niari (Annexe 10), qui s’insère dans le SIG Congo du LPED. À cela il faut ajouter les quelques entretiens de 2011 issus de la recherche collective du PADEC, et référencés à la suite des entretiens via les numéros suivants : PK1 à PK4 et PZ1 à PZ4 (PADEC Kingoué ou Zanaga), ainsi que les 24 gazettes.

Les entretiens seront signalés, en tant que source, par leur numéro, précédé de la mention « E » (E_XXX). Ils renvoient à la liste complète figurant en annexe 5. Certains des entretiens ont pu avoir été réorganisés ou légèrement modifiés sur la forme lors de leur retranscription, pour en faciliter la compréhension et l’analyse. Cependant, je me suis attachée à toujours garder le vocabulaire ou les tournures d’esprit en l’état, pour ne pas en pervertir le sens.

Les observations de terrains sont reportées dans des fiches intitulées Ob_XX (liste et détails en annexe 6). C’est ainsi que je les citerai dans le fil de cette étude.

La région a été parcourue avec tous les moyens de transports possibles, de l’avion à la marche à pieds en passant par le train, les taxis-brousses, taxis motos et jakarta23, camions et 4x4 miniers.

Cependant, il nous a été plus difficile de nous rendre dans la partie Nord-Ouest du Niari (région de la Nyanga), du fait de son éloignement, des difficultés des transports et du manque de temps ; au contraire le département de la Bouenza a été plus étudiée, en raison de la réalisation des rapports UE et PADEC qui portaient spécifiquement sur ce département. J’ai cependant pu me rendre dans tous les districts à l’exception de celui de Divenié ; les districts de Yaya, Moungoundou-Sud et Nyanga n’ont été que traversés et je n’ai pu y faire d’enquêtes. Ceci constitue un biais de cette étude, puisque les régions les plus étudiées sont également celles qui ont le plus de visibilité médiatique, politique et économique (Carte 2).

1ère partie : Construire une géographie du conflit et du post-conflit dans les pays du Niari

CARTE 2 :LOCALISATION DES RECHERCHES SUR LE TERRAIN DE 2009 À 2011.LES ZONES CIBLÉES ONT BIEN ÉTÉ ÉTUDIÉES, MALGRÉ UNE SURVALORISATION DE LA ZONE SUCRIÈRE (BOUENZA).

Heuristique et nécessité du terrain

Ainsi, le terrain est un terrain d’étude, dans le sens où il constitue l’objet même de notre recherche. Nous pouvons dès lors distinguer le cadre spatial de l’étude et de la pratique du géographe, le lieu où nous évoluons, les pays du Niari, du terrain - objet d’étude, constitué par les pays du Niari ou « Niboland », territoire construit et déformé par les représentations, qui constitue l’objet géographique central de cette thèse.

Une des difficultés majeures de la recherche en géographie, lorsqu’elle se fait sur un terrain contraignant, est de faire varier son regard de l’expérience de vie menée à une échelle intime (et donc locale) à une réalité qui peut être beaucoup plus globale. Mais c’est aussi ce qui rend le terrain passionnant, puisque une expérience vécue peut constituer une donnée de terrain et donc une donnée scientifique valable. Par exemple, ne pas trouver à acheter à manger dans telle région du Congo, hormis quelques « doigts » de bananes et des poignées d’arachides, permet de formuler une hypothèse ou de confirmer une situation d’enclavement dans une région précise. Il peut donc constituer la base d’une démarche déductive et d’un processus de recherche.

Le terrain est donc tantôt objet, tantôt outil, mais il est loin de constituer un élément immuable : le chercheur a lui aussi des impacts sur le terrain. En étudiant le post-conflit et le « Niboland », n’ai-je pas contribué à renforcer ce que je dénonce, à savoir le maintien de ces catégories de pensées arbitrairement constituées puisque définies de l’extérieur

Chapitre 2 : Méthodologie d’une géographie du post-conflit

avec des objectifs biaisés ? En faisant le choix de faire ma thèse au Congo, n’ai-je pas amené avec moi des présupposés post-coloniaux liés à ma société d’origine ou des motivations parfois éloignées de la science ? Il me semble pourtant que pour une fois, les populations que j’ai croisées ont eu à voir une autre image de « Blanc » que celui du pétrolier, du coupeur de bois ou de l’entrepreneur européen qui expose ses FCFA en liasse dans les hôtels de Pointe-Noire. Une des questions les plus récurrentes des personnes qui m’ont rencontrée, alors que je n’avais avec moi que mes chaussures de marche et mon petit sac à dos (contenant un cahier, une lampe de poche et un drap), n’était-elle pas « mais où est ton camion24 ? »…

Claude Blanckaert (spécialiste de l’histoire des sciences ; 1996), qui résume les multiples facettes du terrain en sciences humaines, définit « le Terrain comme lieu physique, comme technique et comme rituel professionnel ». Cette citation occulte ainsi une dimension très liée à la science géographique et notamment en géographie ex-coloniale – ex-tropicale – du développement (Velasco-Graciet, 2008) : le terrain comme objet d’étude, nécessaire source de données. C’est souvent le cas dans l’abondante littérature théorique concernant le « terrain », qui le considère avant tout comme un passage obligé en géographie du développement, preuve d’une capacité d’adaptation et baptême du feu de la pratique d’enquêtes en territoire « hostile25 » (puisqu’inhabituel et ayant des conditions de vie drastiquement différentes du monde occidental ; Calberac, 2010). Les auteurs insistent également sur la légitimité donnée au chercheur par son isolement sur le terrain, qui constitue une forme d’auto construction professionnelle : le terrain construit le chercheur. Goeury (2008) insiste ainsi sur le rôle du terrain comme légitimité scientifique.

Si le terrain est « le cadre spatial de l’étude que conduit le géographe », il est aussi le moyen de création d’une méthodologie mise en place spécifiquement pour lui, à travers une dynamique réflexive, et constitue de la sorte le cadre de la pratique du géographe. Le terrain serait ainsi le moteur de l’invention scientifique (Velasco-Graciet, 2008). L’approche empirique et les méthodes qualitatives, revalorisées dans les années 1990 par la géographie post-moderne, fait donc toute sa place à un certain nombre de questions concrètes portant tant sur la logistique du terrain (Où loger ? Que manger ?) que de manière réflexive sur les pratiques de recherche (À qui s’adresser ? Comment aborder ce sujet avec ce type d’interlocuteur ?).

Du point de vue pratique, le terrain conditionne la réalisation de la thèse, dans la mesure où les outils aujourd’hui à la disposition des doctorants ne sont pas, dans les zones rurales congolaises, utilisables. Ainsi, les ordinateurs sont quasiment inutilisables du fait de l’absence d’électricité dans les villages et dans la majeure partie des villes des pays du Niari ; de plus, l’itinérance de la recherche ne permet pas de taper ou traiter les entretiens en cours de terrain. S’il est parfois possible d’utiliser les outils informatiques (à Brazzaville, il m’est arrivé de recevoir des données numériques par exemple), il est toujours sujet au risque des virus informatiques particulièrement abondants. Le travail informatique sur le terrain est alors limité au strict minimum. On en revient au bon vieux

24 Les seuls véhicules accédant aux régions reculées étant les gros 4x4 des forestiers, les grumiers ou les

vieux camions Berliet pour approvisionner les campagnes en Primus et autres bières et jus...

25

« En effet, le terrain lointain est souvent qualifié de plus difficile du fait de la complexité de l’accès à l’information » (Bataillon, 1999, p. 105, 119).

1ère partie : Construire une géographie du conflit et du post-conflit dans les pays du Niari

cahier rempli au stylo bic (qui ne bave pas en cas de pluie) en espérant les conserver intacts jusqu’au retour en France.

Le terrain fournit des données au chercheur, mais il ne suffit pas de se baisser les ramasser. La démarche heuristique est un travail de longue haleine fait de remises en causes fréquentes, de retours et de renoncements.

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