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politique congolais de l’Indépendance aux élections de

Cadre 7 : Biographie succincte de P Lissouba

4.3 Création des milices : la marche à la guerre

4.3.3 Bandits ou résistants ?

Les milices Nibolek de Brazzaville et des pays du Niari ont eu un impact considérable, au- delà des actes guerriers en eux même, sur l’identité des ressortissants des départements du Niari, de la Bouenza et de la Lékoumou. La création des milices Zoulous par exemple a fortement été constitutive de l’identité Nibolek, qui passe d’une notion inventée par le pouvoir politique à une notion revendiquée par les miliciens, et par extension par les populations. En effet celles-ci n’ont à partir de là plus le choix et doivent se positionner au sein des factions armées qui contrôlent le territoire et redéfinir leur identité, en tant que Tcheks, Niboleks ou Nordiste, et cela même au détriment des identités réelles bien plus complexes et très largement métissées.

Cadre 9 : Récit de Martin, jeune milicien55 pro-Lissouba, blessé lors d’un affrontement au Plateau des 15 ans.

In « paroles de Mamba », cité in Yengo, 2006, p. 318.

« Nous étions un groupe de 10 en train de défendre nos positions. Nous avons été surpris par les Cobras. Huit sont morts… Quand nous étions tous par terre, les Cobras sont venus nous fouiller et prendre les armes. On fouillait toujours les ennemis. Il fallait voir s’ils étaient encore vivants pour les abattre… le Cobra qui nous fouillait m’a retourné. C’est un ami d’enfance. Il est Beembé comme moi… Il m’a reconnu et a dit aux autres de ne pas me toucher… »

Des forces avant tout contestataires

On pourrait penser que pour les leaders politiques et militaires elles sont forcément une aide, des groupes à leur service. Or, même dans ce cadre, les milices alternent aussi entre force d’appui ou force contestataire, voire dangereuse.

Plusieurs fois, Lissouba a été confronté à des difficultés avec ses milices. La réserve ministérielle, pourtant la plus hiérarchisée et cadrée des milices, s’est plusieurs fois mutinée (en 1994 et 199656). En 1994 et 1995 elle a commis des meurtres dans la famille du président et de son premier ministre (Bazenguissa-Ganga, 1996 ; Nkuka-Tsulubi, 1992). Ces mouvements d’humeur reflètent en réalité les fortes contestations internes à l’UPADS, de la part de certains de ses élus (par exemple de la Bouenza Sud en 1995). Les milices contestent le président Lissouba en lui reprochant notamment de ne pas assez les payer. Ces contestations sont une constante, quelque soient les milices : « Le samedi 1er février 1997, des Cocoyes en formation au Centre d’Instruction Militaire de Loudima

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Nous doutons que Martin soit un Mamba, il serait plutôt un Zoulou ; mais la confusion des milices est grande et facile à faire, surtout en 1998, date de l’article. Nous ne disposons pas de la date du témoignage.

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

s’étaient mutinés en érigeant des barricades sur la voie ferrée reliant Brazzaville à Pointe- Noire. Ils ont bloqué la circulation des trains et des personnes pendant cinq jours. » (OCDH-FIDH, 1998).

La plupart des jeunes recrues miliciennes pendant la guerre, Zoulous et Mamba notamment (mais aussi une partie des Cocoyes, et de nombreux jeunes dans les autres camps également) sont en réalité très mal contrôlés - désertions, valses-hésitations, indiscipline (Ossébi, 1998, p. 32) - ce qui constitue une réelle difficulté pour les états- majors de chaque camp. C’est aussi ce qui explique les combats sporadiques de ces guerres quasi improvisées. Et c’est également la raison du fait que les milices s’en sont presque toujours d’abord pris aux populations de leur propre camp : la plupart des milices ne pensent qu’à piller.

Des dénominations ambigües (comment les habitants qualifient a postériori les combattants)

Outre la difficulté de connaître le nom des milices dont on parle, leur histoire ayant été refaite a postériori et vu le manque de témoignage durant les conflits ou les dénominations multiples, il est également difficile de savoir comment on doit les considérer. En l’absence du nom de la milice, les populations utilisent de nombreux termes pour désigner ces jeunes gens (mais pas toujours si jeunes). Ces dénominations révèlent souvent un parti pris, un positionnement : se considère-t-on comme appartenant au même camp ou non ? pense-t-on que les milices sont politiques ou non ? Est-on d’accord ou non avec ce fonctionnement ? Il est souvent difficile d’y voir clair dans les discours des populations.

Rien que dans la chronologie présente dans l’ouvrage consacré au Congo-Brazzaville de Rupture-Solidarité (1999, pp. 7-11), et qui reflète les sources utilisées par E. Dorier pour la construire « sur le vif », on peut noter de multiples acceptions pour définir ces combattants, qui révèlent bien la confusion et la difficulté de rendre compte d’une situation complexe. Sont évoqués ainsi successivement les « assaillants armés », les « ex- Cocoyes », les « miliciens », les Cocoyes, des « hommes armés partisans de Lissouba », et des « Lissoubistes ».

Dans les entretiens que nous avons réalisés, les dénominations varient également beaucoup, notamment en fonction du positionnement de la personne enquêtée vis-à-vis des miliciens. Le terme de « bandit » est fréquemment utilisé pour désigner les milices Niboleks. C’est le cas lorsqu’on l’on est opposant à Lissouba, mais pas seulement ; de nombreuses personnes utilisent bandits pour désigner leurs fils, condamnant un mode d’action (et notamment le pillage) et une période toute entière (9 témoignages).

Pendant les conflits, tout le village a été brûlé, il y a eu des morts. Ce n’était pas des combats, mais de l’autodéfense contre les bandits. (E_290, chef du village Kimbaoka) D’autres évoquent directement les « fils », les « enfants », les « petits » :

Il y a eu le pillage des « petits », des enfants d’ici. Ils volaient les bœufs (Kimongo, E_373). Ici il y a eu seulement des pillages, nos propres fils veulent leur part. Papa Hilaire, Mbinda, E_207.

Finalement, ce sont les fils qui ont emmerdé la population. Les enfants ont tué les bêtes. Comme ils ont des armes ils menacent, ils font des braquages. SP Tsiaki, E_109.

Chapitre 4 : La « montée des périls » : les pays du Niari dans le jeu politique congolais de l’Indépendance aux élections de 1992

On parle aussi de poursuivants, ou de militaires, sans que la définition soit alors très claire. Le terme de « troupes » est a priori tout aussi opaque :

En 1998, en décembre, il y a eu l’arrivée des troupes : le complexe est abandonné pour des raisons de sécurité. (E_320, dir. adjoint de la Saris)

Cependant, plusieurs témoignages montrent que ce terme est associé soit aux troupes gouvernementales (les FAC), soit aux troupes étrangères.

Les troupes angolaises sont arrivées à Makabana. (Mathilde, E_129)

Il y avait des bouchons sur les routes du Niari organisés par les troupes du gouvernement défait (non organisé, ce sont des jeunes qui pillent). J’ai dis au sous-préfet de faire avec sa dernière autorité sauter les barrages de Cocoyes, car si les troupes gouvernementales arrivent, ça va faire un massacre. (E_022, OB)

Ce point de vue très négatif sur les combattants est encore largement nuancé par tous ceux qui ne veulent pas renoncer à un certain idéal politique défendu notamment a

postériori. Ainsi, le terme « rebelles » est un terme encore largement utilisé aujourd’hui

(12 témoignages), beaucoup plus que celui de résistant (un seul témoignage utilise systématiquement ce terme, E_022) par les partisans de Lissouba et les ex-combattants éduqués.

Côté rebelles, le chef était le colonel Bougouenza, l’actuel député de Mossendjo (Flavien, E_042).

Les rebelles partant de Sibiti, Nyanga, Mossendjo sont venus s’installer ici pour contrer l’armée gouvernementale (E_254, chef du village de Pont du Niari).

On est partis de brousse car on dit que le calme est revenu à Nkayi ; et puis en brousse les gens sont embêtés par les « rebelles », en fait des bandits, ils volent les cabris et sont trop embêtants. (Livegh, E_321).

Livegh, jeune homme ayant fui les milices pendant la guerre, est à cet égard très critique puisqu’il utilise le terme du discours dominant (« rebelles ») tout en le corrigeant pour le confronter à sa propre expérience (« bandits »).

Le terme de « guerrier » est aussi très utilisé (13 occurrences). Ce terme, qui nous paraît plus neutre que celui de « rebelles », est pourtant lui aussi utilisé exclusivement pour désigner les miliciens (Cocoyes, éventuellement Ninjas), hormis un cas ou il est précisé la nationalité de ces guerriers :

Il y avait beaucoup d’élevage avant la guerre. Mais les guerriers ont mangé devant nous. Maintenant il ne reste que quelques têtes. (E_130, hommes de Kinzaba)

C’était un couloir humanitaire. Il servait de refuge pour les déplacés et pour les guerriers qui se sont réfugiés ici. (E_300, SP Mabombo)

L’inspection était le logement des guerriers rwandais pendant 2 ans (E_180, Loudima)

Enfin il y a le terme de « combattant » qui, plus neutre politiquement, me semble également mieux refléter la situation de 1998-1999, dans laquelle les miliciens sont rejoints par une arrière garde combattante mais plus politisée et consciente des enjeux politiques du conflit, suscité par un sentiment d’injustice face à la manière dont sont traités les perdants de 1997. Cependant, ce terme de combattant est rarement utilisé par la population (5 occurrences), hormis pour l’utilisation du terme d’« ex-combattants », extrêmement institutionnalisée car liée aux programmes de DDR (démobilisation, réinsertion et réintégration).

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

Chaque résistant a un « masseur » : pouvoir magique pour rendre invulnérable les troupes. Chaque bataille est précédée d’un rituel. Il commence pendant la nuit, les sages préparent mystiquement les combattants, pour les purifier. (OB, E_022)

Les conflits ont créé de nombreux problèmes auprès des éleveurs. Ils ont perdu leur cheptel (à cause des pillages). […] Les combattants se sont nourrit avec. (E_077, DD élevage Niari) L’ensemble de ces entretiens dénote d’une vision critique des conflits (les « bandits », les « fils »), en tout cas d’un essai d’objectivité, même si on perçoit fréquemment une volonté de justifier les combattants Cocoyes (utilisation récurrente du terme de « rebelles »).

Le terme de « Lissoubiste », utilisé dans les écrits politiques, n’est jamais mentionné dans les entretiens. Il revêt en effet une dimension profondément politique visible à travers l’implication de certaines factions miliciennes de 1997 dans la création du CNR. Fin 1999, cet aspect fortement politisé de la branche Cocoye s’est traduit par le respect du cessez- le-feu dans une logique de placement politique opportuniste, auquel la faction milicienne n’a pu que se résoudre face à l’intransigeance et aux promesses de ses chefs (voir la gestion des derniers insoumis à Mossendjo, chapitre 8).

Conclusion

Le Congo est l’héritier d’une instabilité politique inscrite dans son histoire dès la colonisation. Les tensions régionales, déjà manipulées par les hommes politiques au moment de l’indépendance, créent une factice opposition Nord-Sud qui exclu les pays du Niari du jeu politique. La crise économique et sociale des années 1980 a un impact très fort sur la région qui se caractérisait jusqu’alors par sa dimension économique. La construction identitaire du « Niboland » et de populations « Niboleks » à la faveur du processus de démocratisation a durablement modifié les identités locales et a contribué à renforcer une homogénéisation territoriale qui n’a qu’une réalité très limitée. Ainsi, des pays du Niari au « Niboland », il y a un écart symbolique révélateur de l’importance qu’a cette région au Congo, de son histoire, de sa puissance lors de l’indépendance comme de sa déchéance pendant les guerres et depuis lors.

Le processus de démocratisation au Congo porte ainsi en lui les germes des futurs conflits à travers l’inscription dans une compétition pour le pouvoir qui s’appuie de manière préférentielle sur des déterminants ethniques et territoriaux. La création de milices urbaines puis régionales consacre dès la première année électorale l’arrivée de la violence dans la scène politique. Désormais, les identités régionales sont également renforcées et modifiées par les Aubevillois, Cocoyes, Cobras et autres Ninjas, qui entraînent avec eu une partie de la jeunesse du pays.

La construction d’oppositions régionales et ethniques, et la constitution de milices politiques par des hommes politiques peu avisés qui privatisent la violence au détriment de l’intérêt national sont à l’origine des trois guerres des milices qui ont gravement déstructuré le Sud du pays. Lors des élections présidentielles de 1992, l’alliance de circonstance avec le PCT qui permet à Pascal Lissouba de conquérir la présidence ne tiendra pas, il est successivement lâché par le PCT et le MCDDI, alors que Sassou Nguesso, tient l’armée et une partie des milices, et que B. Kolélas tient la capitale. Dès lors, l’affrontement est inévitable.

C

HAPITRE

5 : Une décennie de guerres dans les pays du Niari

La formation des milices entraîne, d’abord à Brazzaville d’où elles sont originaires, puis dans le reste du pays, trois57 « guerres des milices ». La première (1993) est un conflit politique qui dégénère ; la seconde (1997) un coup d’État ; la troisième (1998-1999) est la conséquence de la précédente, une diffusion de la violence et une guerre de consolidation du pouvoir. Ces guerres d’ampleur nationale n’ont pas toutes eu le même impact sur les pays du Niari. Les guerres de 1993 et 1997 ont essentiellement eu lieu à Brazzaville et n’ont eu dans les pays du Niari que des impacts secondaires, même s’ils sont bien réels. Ces deux premiers conflits ont surtout préparé la guerre de 1998-1999, la plus importante pour les pays du Niari, en forgeant une identité commune, politique, idéologique et militarisée (ou « miliciannisée ») à cette région.

Les sources dont nous disposons sont assez rares sur ces évènements. La majeure partie des informations institutionnelles dérivent de rapports d’observatoires nationaux (OCDH- FIDH à partir de 1999), internationaux et ONG (CICR, MSF, PNUD, HCR), élaborés notamment à partir de récits reçus à Brazzaville. La presse internationale a très peu couvert ces évènements. Le travail sur les conflits réalisé par E. Dorier-Apprill pendant les conflits (de 1995 à 2000) a été réalisé à partir de témoignages et d’un dépouillement systématique des dépêches papier journalières de l’AFP, RFI, Reuters, PANA et de la presse nationale (notamment La semaine africaine, journal édité par l’Église catholique du Congo). Les dépêches de l’IRIN complètent ces sources extrêmement lacunaires. Des datations plus tardives de certains faits ou des témoignages indirects figurent également dans des communiqués officiels de la présidence ou des livres de témoignage (Nkouka- Tsulubi, nd ; Issangh’a Mouellet, 2007). Ces sources sont bien évidemment très inégales, voire parfois partiales. Dans l’ensemble, elles ne mentionnent pas non plus les pays du Niari, ou seulement de manière très ponctuelle. Or, on le verra, notamment pour la guerre de 1998-1999, l’événementiel participe dans cette région d’un travail de mémoire et participe à la reconstruction, par la reconnaissance du vécu des populations.

Dans ce territoire auquel nous nous attacherons plus particulièrement, nous avons donc dû opérer un lent travail de reconstitution des faits à l’aide d’un recensement minutieux des sources bibliographiques sur les conflits dans cette région et surtout à l’aide de témoignages directs récoltés en 2009 et 2010 (avec quelques témoignages supplémentaires sur Kingoué et Zanaga en 2011). Le croisement des entretiens entre eux et de ces informations avec les datations proposées ici ou là permettent d’obtenir un tableau général assez précis bien que forcément non exhaustif de la situation des pays du Niari pendant les trois guerres de 1993-1994, 1997 et 1998-1999. Nous avons tenu à présenter ici de nombreux témoignages, à la fois en tant que témoins de notre méthodologie de recherche, mais également comme reconnaissance de vécus individuels

57 Le chiffre est contestable. On parle de deux, trois ou quatre conflits, selon les cas : les guerres de 1997 et

de 1998-1999 sont parfois considérées comme une même guerre ; les conflits de 2002-2004 dans le Pool sont rarement considérés comme une guerre, notamment car ils n’ont qu’une dimension régionale et ne déstabilisent pas le pouvoir central. Ils sont l’estocade portée par Sassou Nguesso aux derniers contestataires de son régime.

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

significatifs. Ils participent tous également d’un travail de mémoire collectif nécessaire dans une perspective géohistorique.

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