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L’élection de 1992 et la manipulation de l’appartenance régionale

politique congolais de l’Indépendance aux élections de

1960-1963 Fulbert Youlou

4.2 L’élection de 1992 et la manipulation de l’appartenance régionale

Si la Conférence Nationale Souveraine marque un véritable tournant dans l’histoire du Congo Brazzaville en débouchant sur les seules élections vraiment démocratiques qu’a connu le pays, le pays rentre alors dans une phase d’instabilité politique générée par une démocratisation de la vie politique mal préparée.

Les départements des pays du Niari sont largement à l’origine de la victoire de Pascal Lissouba aux élections présidentielles de 1992. Cette victoire, liée au vote massif de la région en sa faveur, est liée à l’émergence des notions de « Nibolek » et de « Niboland ». Mais quel est donc ce « Niboland » dont nous avons déjà répété qu’il n’existe pas ? Comment en est on arrivé à cette dénomination et quels sont les enjeux qu’elle présente ? En quoi le « Niboland » est-il indissociable des guerres au Congo-Brazzaville ?

4.2.1 Niboleks et Niboland

Le parti du futur président a puisé son électorat dans les régions rurales densément peuplées des pays du Niari, arguant du fait que Pascal Lissouba est originaire de Tsinguidi, petite localité rurale du Nord-Niari. Pascal Lissouba appartient pourtant à une ethnie minoritaire dans sa région (il est Nzabi, groupe de l’ethnie Téké, minoritaire dans les pays du Niari). En effet, la population des trois régions du Niboland (ou Nibolek) est surtout composée de Kongo (86% dans la Bouenza, 37 % dans le Niari, 10 % dans la Lékoumou ; (recensement de 1974 ; Carte 25), de Batékés (58% dans la Lékoumou, de Mbéti (26 % dans le Niari), eux-mêmes décomposés en sous groupes ethniques, qui par ailleurs ne s’entendent pas toujours, sans compter les nombreuses tensions avec les populations Pygmées, considérées comme inférieures.

Malgré ses divisions internes, la forte régionalisation administrative des pays du Niari constituée depuis la colonisation a entrainé la création politique et idéologique d’un « Grand Niari » par les élites locales. Sa création en tant que concept géographique et économique date de la formulation par le colonisateur français de la création d’un vaste projet de développement agricole dans la vallée du Niari.

Cette idée d’une identité commune des pays du Niari avait donc des fondements administratifs et économiques ; mais les populations elles-mêmes ont accepté cette nouvelle identité qui se juxtapose aux référentiels ethniques. En effet, « la différence entre ces groupes teke, kongo, nzabimbédé et kota s’est émoussée, édulcorée, mise en veilleuse par l’usage d’une langue véhiculaire : le munu ku tuba (je dis) ou kituba selon les linguistes. » En outre, les nombreux foyers urbains dans lesquels se mélangent les populations constituent « des métropoles. Lieux de rencontre entre ces communautés, ces villes sont des lieux de construction identitaire des « kitubophones » (Missié, 2008, p. 851).

En 1992, le candidat P. Lissouba reprend l’idée de « Grand Niari » tout en la transformant, pour fédérer autour de lui cette région qui se caractérise par sa grande hétérogénéité et

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

dont les leaders politiques sont rarement unis. En sa qualité de directeur des services agricoles dès la fin de ses études (1961) et de chef du gouvernement en 1963-1966, il avait relancé les programmes de valorisation agricole des pays du Niari et était imprégné de l’idée techniciste du Grand Niari (Missié, 2008, p. 851). Cette idée est reprise et « améliorée » à la fin de la Conférence nationale (Weissman, 1993, p. 94) sous l’impulsion des acteurs politiques qui l’entourent. Les directeurs de campagne du candidat Lissouba ont très largement usé d’un marketing politique qui a « ethnicisé » la région en une seule entité. C’est la création du « Nibolek », acronyme de Niari, Bouenza, Lékoumou.

Ce terme désigne d’abord le territoire (« le Nibolek »), avant de s’étendre aux populations (« les Niboleks »), et de se transformer pour le territoire en « Niboland » (pour ne pas confondre avec les populations nibolek).

Ainsi, le terme de « Nibolek » a très vite fonctionné comme équivalent à un nom d’ethnie, puisqu’il désigne de manière englobante toutes les populations du « Grand Niari », en faisant fi, paradoxalement, de leurs ethnies. « La référence à l’espace régional, plus neutre et plus fédératrice que l’appel à la communauté ethnique, était donc habile, mais surtout indispensable pour le candidat Lissouba » (Dorier-Apprill, 1996, p. 81).

L’idée de « Grand Niari », administrative et économique, est donc renforcée par une dimension identitaire, ethnique et politique ; les pays du Niari sont de ce fait réhabilités comme grande région qui doit peser dans la politique nationale. « Revendiquée par les intéressés, la dénomination de Nibolek affirme l’identité des pays du Niari tout en la colorant d‘une pseudo-ethnicité qui lui confère une sorte de légitimité. » C’est ainsi qu’on peut entendre et lire ce type d’affirmation : « Se fixant comme objectif de réconcilier les jeunes autour du sport et de leur faire oublier la guerre, [l’équipe] est composée de joueurs mateurs appartenant aux ethnies les plus diverses du Congo : Laris, Niboleks, Mbochis, Makouas, Tékés.. » (Dépêches de Brazzaville, 14 septembre 1999) : les « Niboleks » sont assimilés à une ethnie.

En 1993, on utilise soit le terme de Nibolek (région) ou de « Grand Niari » (unification de la région par le nom, en référence aux colonisateurs, utilisation des guillemets). Daniel Mboyi par exemple, en 1996, mentionne à propos des « pays du Grand Niari » qu’ « aujourd’hui, on les appelle NIBOLEK » (Mboyi, 1996, p. 487).

Depuis la guerre, ces termes sont officieusement bannis, mais toujours en usage jusqu’à nos jours, tout en étant très péjoratifs. Le terme de Nibolek, utilisé pour les personnes, de Niboland et même celui de « Grand Niari », pourtant plus ancien, sont extrêmement liés à cet épisode de guerres ; les deux premiers termes renvoient à l’idée des milices et amalgament les populations, le dernier terme revoie à l’idée d’une volonté hégémonique, d’une supériorité économique et intellectuelle (du fait de la personnalité de Lissouba) de la région. Ces dénominations sont donc généralement remplacées dans les rapports départementaux ou les journaux par le terme de « pays du Niari » (la diversité dans l’unité, plus neutre politiquement et plus juste sociologiquement).

Chapitre 4 : La « montée des périls » : les pays du Niari dans le jeu politique congolais de l’Indépendance aux élections de 1992

4.2.2 La présidentielle de 1992 et l’élection de Pascal Lissouba

Comme le souligne Fabrice Weissman (1993) dans son analyse de l’élection de 1992, les débats de la campagne présidentielle ont peu de différences idéologiques. La plupart des candidats appartiennent en effet à l’ancien appareil d’État46. Pour réussir à mobiliser la population, l’attention se focalise donc sur la personnalité des candidats. Les réalisations concrètes faites pendant leur passage au pouvoir sont à ce titre importantes, le plus crédible étant Lissouba grâce aux réalisations faites à son initiative pendant son passage au gouvernement de 1963 à 1964 : Sosu Niari, Cidolou, Sotexco.

Face à ces avantages, ses adversaires ont tenté d’entrainer le débat dans des logiques différentes, notamment spirituelles (B. Kolélas). Pour cela ont été forgées des stratégies de communication et de mobilisation électorales. Les médias nationaux, notamment la radio-télévision nationale, tenue par le gouvernement de transition, privilégient A. Milongo et B. Kolélas, obligeant P. Lissouba à des diffusions via le Zaïre. Il se distingue de ses rivaux en parcourant l’ensemble du territoire national pour des meetings de campagne (c’est aussi en grande partie le cas de D. Sassou Nguesso à qui n’a manqué que le Pool, mais qui a tout de même privilégié la Cuvette), alors que ses adversaires ont surtout tenu des meetings dans leurs régions d’origine (Kolélas - qui tient d’ailleurs ses meeting en lari, excluant toute personne originaire d’une autre région que le Pool – Milongo et Kaya) voire uniquement dans celle-ci (Yhombi, Ganao, Souchlaty-Poaty47). Les candidats firent également appel à des organisations de masse, groupements de jeunes, de femmes, des associations, qui servent de relais aux partis et bénéficient ainsi plus aux grands partis (UPADS, MCDDI, et surtout le PCT qui bénéficie de ses anciennes structures). Les logos utilisés par les candidats (le soleil pour le MCDDI de Kolélas, le marteau et la faucille du PCT pour Sassou, les 3 palmiers pour l’UPADS de Lissouba, les lampes tempête pour Milongo) se chargent peu à peu d’un contenu informatif qui bénéficient surtout à P. Lissouba tant l’image du palmier est positive au Congo ; à l’inverse, le symbole de B. Kolélas, qui évoque la couronne du roi Kongo dont il se veut l’héritier, l’ancre un peu plus dans une dynamique régionaliste voire ethnique. Au-delà de cette lutte de l’image, tant le contenu de l’idéologie des candidats est semblable, se joue donc une « campagne de l’ombre » (Weissman, 1993, p. 68), contenant tous les éléments déclencheurs des futures crises : ethnicité et permanence des groupes d’allégeance communautaire.

Si le recours à l’ethnie ou même à la région n’est jamais explicitement mentionnée, on a vu que B. Kolélas s’inscrit dans la lignée de personnages historiques du Pool. Paul Kaya est le seul à être vraiment explicite en affirmant lors d’un meeting : « je suis bakamba. Pascal Lissouba est bandzabi. Je ne comprends pas pourquoi les Bakamba voteraient pour des Banzabi » (Weissman, 1993, p. 70).

46 Outre l’ancien président D. Sassou Nguesso les principaux candidats sont A. Milongo, trésorier payeur

général puis conseiller économique et financier du premier ministre entre 1964 à 1976 ; P. Lissouba, Premier ministre de 1963 à 1965 ; P. Kaya, ministre de l’économie de 1963 à 1964 ; J.-P. Thystère- Tchikaya, ancien N°2 du parti, responsable de l’idéologie ; J. Yhombi-Opangault, président de 1977 à 1979, A. Souchlaty-Poaty, premier ministre en 1990 ; M Bokilo, dans l’administration et la politique de 1964 à 1970 ; et C. Miérassa, membre du comité central du PCT et ministre du commerce de 1990 à 1991. Seul B. Kolélas est un opposant de cette période.

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

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