• Aucun résultat trouvé

politique congolais de l’Indépendance aux élections de

4.1 Les pays du Niari face aux tensions politiques récurrentes du pays

La République du Congo a connu dès l’indépendance de nombreux conflits, bâtis sur la manipulation et l’instrumentalisation par quelques élites politiques d’antagonismes régionaux. Ces tensions furent préparées par le système colonial français, à travers par

Chapitre 4 : La « montée des périls » : les pays du Niari dans le jeu politique congolais de l’Indépendance aux élections de 1992

exemple des regroupements de populations en fonction de leurs origines au cours la construction de Brazzaville, selon la logique des filières migratoires vers la capitale (Balandier, 1955). L’administration coloniale s’est également appuyée sur quelques ethnies privilégiées, par exemple les Nzabis, à l’inverse des Beembés qui se sont opposés au colonisateur français (Dupré, 1982 et 1985).

L’État postcolonial congolais est donc l’héritier de cette « situation coloniale » telle que définie par George Balandier (1951), qui se caractérise notamment par la violence de l’État (armée et police confondus) qui ont pour but non la défense du territoire mais de faire taire les contestations internes.

4.1.1 La construction de la dualité Nord-Sud et l’exclusion des pays du Niari du jeu politique congolais

En 1956 eurent lieu des « violences politiques urbaines » à Brazzaville, (violences antimatsouanistes39), à l’occasion des élections municipales. Elles constituent une forme de « résolution violente de la concurrence politique, et son assimilation à un antagonisme ethno-régional (instrumentalisé par les leaders de partis) » (Dorier-Apprill, 2000, p. 158). Ces violences résultent en réalité d’une opposition politique entre le MSA, mouvement socialiste africain, de Jacques Opangault, et l’UDDIA (Union démocratique pour la défense des intérêts africains, libérale) de l’abbé Fulbert Youlou. Le premier, originaire du Nord, est un politique confirmé soutenu par la SFIO, alors que le second, originaire du Pool, fédère les populations urbaines.

Les attaques sortent rapidement du champ politique en attaquant l’identité ethnique des personnalités politiques puis en généralisant les attaques, comme le montre cette phrase prononcée par Kikounga Ngot en 1959 et mentionnée par Kissita (1993, p. 31) : « le

larisme40 est insolant et envahissant ». Dès 1956, une fracture entre Nord (MSA) et Pool

(UDDIA) est désormais consacrée. De cette crise politique résulte le conflit de 1959. TABLEAU 4 :LA DUALITÉ POLITIQUE DES CONFLITS DE 1959.

Leader MSA de Jacques Opangault (président en 58)

UDDIA de l’abbé Fulbert Youlou (prend le pouvoir en 59) Fief politique Poto-Poto (Brazzaville) Pool

Mobilisation ethnique Mbochi / Nord Sud/Laris

En février 1959, le pays à peine autonome et bientôt indépendant connu un conflit à fondement régionaliste. À l’occasion de la mise en place de la première assemblée nationale, chargée de mener le pays à l’indépendance, des tensions ethniques opposent Nord et Sud ou Mbochi/Kongo. Elles restent dans le cadre urbain à Pointe-Noire et surtout à Brazzaville. Le conflit fut arrêté avant son extension par l’intervention de l’armée française. Le bilan, mal connu, est de plus de 100 morts dans les deux villes, et de 350 maisons saccagées et détruites (Bernault, 1996, p. 187 ; Obenga, 1998, p. 83).

39

Mouvement religieux incarné par la figure d’André Matsoua, syndicaliste mort dans une prison coloniale à Mayama en 1942. Après sa mort, il devient une figure messianique qui incarne la résistance à la colonisation. Après l’indépendance, le Matsouanisme reste un mouvement important à Brazzaville, notamment pour les Laris (cf. Dorier-Apprill et Kouvouama, 1998).

2ème partie : Une géohistoire des conflits dans les pays du Niari

Les alliances et des oppositions qui se sont alors constituées ont marqué la politique nationale jusqu’à nos jours. Florence Bernault (1996) souligne la dimension fondatrice de la guerre de 1959 : « Dans le monde politique congolais, 1959 est devenu un de ces grands mythes fondateurs décrits par Georges Balandier, une « illusion sociale essentielle » foncièrement a-historique ». Ainsi, « cette opposition [Pool/cuvette] sera tout à la fois légitimante du pouvoir postcolonial et le point originel de la conflictualité entretenue au sein des élites politiques. Mais elle sera aussi excluante des autres factions politico-ethniques et, partant, des « autres groupes ethniques » (Yengo, 2006, p. 21).

De la compétition politique est donc né un ethno-régionalisme politique qui a structuré jusqu’à nos jours la vie politique congolaise. Or dans ces conflictualités pour le pouvoir, les ressortissants des pays du Niari, sans être exclus du débat, n’ont pas de comportement politique indépendant. Ils sont affiliés à l’un ou l’autre des partis opposés (« nordistes » et « sudistes ») dont on comprend dès lors tout ce qu’ils ont de construit et d’arbitraire. De même, leur soutien partagé entre le MSA et l’UDDIA contredit toute idée d’homogénéité politique de la région, qui est au contraire profondément divisée. Par exemple, aux élections municipales de 1956, c’est Goura, le candidat de Youlou et de l’UDDIA, originaire de Sibiti, qui remporte la municipalité de Dolisie dans le fief de son adversaire, Kikounga Ngot, grâce aux votes des ressortissants du Niari forestier : Mossendjo, Zanaga et Sibiti (Mvoula in Rupture solidarité, 1999, p. 168). Pour F. Bernault, il n’y avait pas d’unanimité même au sein d’un lignage (1996, p. 272-273).

Lors des élections législatives de 1959, cette opposition entre vallée et Niari forestier se renforce à l’occasion d’un renversement de tendance du député de Mossendjo, élu sur liste MSA mais qui se rallie à l’UDDIA de Youlou, faisant basculer la majorité à l’assemblée :

Rocambolesque ralliement au groupe parlementaire UDDIA-RDA/UMC du député Georges Yambot, élu à Mossendjo dans le Niari, sur une liste GPES parrainée par Simon-Pierre Kikounga-Ngot, dissident du PPC passé au MSA. Ce ralliement favorisera le basculement de majorité à l’Assemblée territoriale. La nouvelle majorité UDDIA-RDA/UMC adoptera à l’unanimité la délibération N°112-58 érigeant le territoire du Moyen-Congo en État membre de la communauté et portant création de la République du Congo, avant d’entériner l’investiture de l’Abbé Fulbert Youlou, en qualité de premier ministre, chef du gouvernement provisoire de la République du Congo.

http://www.congopage.com/28-novembre-1958-Proclamation-de

La réaction est vive ; en janvier 1959, ce retournement de situation provoque de violentes émeutes à Dolisie. Kikounga Ngot (GPES, Groupement pour le Progrès Économique et Social, élu du Niari rallié au MSA) déclare dans une réunion publique en janvier 1959 à Dolisie : « je vous invite à vous unir et, s’il le faut, à faire la guerre civile pour obtenir l’écrasement de ce gouvernement [Youlou] qui ne représente rien et se refuse à de nouvelles élections (…). » « …Le peuple Niari ne se laissera pas faire, nous allons provoquer de nouvelles élections et, s’il le faut, nous les imposerons par la force (…)41 ».

Chapitre 4 : La « montée des périls » : les pays du Niari dans le jeu politique congolais de l’Indépendance aux élections de 1992

CARTE 28 :LES DISTRICTS DE KIBANGOU ET BANDA DANS LE NIARI

Plus tard, P. P. Rey (1971, p. 485) rapporte qu’en 1960, dans le Niari, des combat violents éclatèrent entre partisans du MSA à Kibangou et de l’UDDIA à Banda42. « Ils se déroulèrent non pas entre différents groupes ethniques, mais entre lignages kongo rivaux, que leurs alliances partisanes séparaient ». (Bernault, 1996, p. 287). Les deux groupes avaient tracé une ligne à ne pas franchir sous peine d’être fusillé. L’armée intervint pour rétablir l’ordre (Carte 28).

Finalement, les pays du Niari se retrouvent dans la situation paradoxale d’être la région la plus peuplée, la plus dynamique au niveau économique, mais aussi la moins intégrée au jeu politique qui se fait sans elle, ou dans lequel elle ne constitue qu’un support relatif pour les deux partis qui s’affrontent au pouvoir.

En 1963, trois jours de grève générale (les « trois glorieuses journées ») transformée en insurrection populaire aboutissent à la démission de l’abbé Fulbert Youlou et la mise en place du parti unique (le MNR, mouvement national de la

révolution), rattaché aux pays du bloc de l’Est. On assiste alors aux premières mobilisations de la jeunesse et leur embrigadement sous forme de milices estudiantines, ouvrières et populaires.

La révolution de 1963 fut à l’origine de la constitution d’une « classe d’âge politique » (Bonnafé, 1968), celle de la JMNR (Jeunesse du Mouvement National de la Révolution) d’où sont issus tous les futurs dirigeants du pays, et notamment Pascal Lissouba, originaire du Niari, premier ministre de 1963 à 1965. Ces dirigeants confisquent à leur tour le pouvoir et font des antagonismes anciens des luttes internes au parti. Cette JMNR est très tôt armée, constituant la « défense civile » chargée de défendre les acquis de la révolution. Celle-ci, branche armée du parti unique, constitue la garde personnelle du président Massamba-Débat. Elle s’oppose à l’armée populaire nationale (APN) avant d’y être intégrée après la chute de Massamba- Débat.

42

Aujourd’hui ce sont deux districts voisins, à l’époque il s’agissait d’un seul district. Les deux chefs-lieux sont séparés de moins de 40 km à vol d’oiseau.

TABLEAU 5 :CHRONOLOGIE DES PRÉSIDENTS CONGOLAIS

1960-1963

Outline

Documents relatifs