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post-conflit

1.3 Quelle géographie du post-conflit ?

1.3.1 Géographes, conflits et post-conflit

Depuis sa constitution en champ de recherche autonome, la recherche sur le post-conflit a été l’apanage des sciences politiques, à travers la forte implication de certains chercheurs et la constitution de laboratoires de recherche spécialisés, tels le CERI15 (Centre d’études et de recherche internationale)-SciencesPo Paris, dont font partie R. Banegas (2012) et B. Pouligny (2003, 2004). On peut également citer Nadège Ragaru, traitant des politiques européennes de gestion des conflits et travaillant sur le projet transversal « Sortir de la violence » dans les Balkans (Ragaru, 2007) ; ou Sandrine Lefranc qui, au sein de l’Institut des Sciences sociales du Politique (Université de Paris Ouest- Nanterre La Défense), traite des politiques de « sortie » de conflit politique violent. L’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne a également créé en 2009 un Atelier de l’École Doctorale de Sciences Politiques portant sur « Le post-conflit : définitions et enjeux ». Plusieurs thèses sont en cours de réalisation au sein de cette nouvelle équipe.

Les sciences juridiques se sont également penchées sur la notion à travers le droit humanitaire, comme le montrent les travaux de J.M. Sorel sur le droit international (Sorel et al, 2009, 2010) ou ceux d’Olivier Revah sur la gouvernance post-conflit (Revah, 2010). Enfin, plus tardivement, les économistes ont produit de nombreux travaux sur le post- conflit, qu’ils soient eux-mêmes acteurs (PNUD, NEPAD, Club du Sahel…), ou qu’ils soient chercheurs, parfois au service des premiers, liant notamment la question du post-conflit à celle de la pauvreté (Agbodjan, 2007 ; Collier, 2006).

D’autre part, les sociologues et les anthropologues sont à l’origine de vastes études sur la violence et les processus conflictuels, notamment appuyés sur des cas concrets de conflits (la Sierra-Léone pour Richards, 1996 ; le Liban pour Hannoyer, 1999 ; le Congo-Brazzaville pour Bazenguissa-Ganga, 1996 à 2001). Ils questionnent également dans des travaux plus théorique les discours, les acteurs, les coulisses du développement, l’urgence et par

Chapitre 1 : Du post-conflit institutionnel à une géographie du post-conflit

conséquent le post-conflit (Bierschenk, Chauveau, Olivier de Sardan, 2000 ; Le Pape, Salignon, 2001; Le Pape, Siméant, Vial, 2006), et critiquent donc les modèles normatifs, bien que la notion, comme en géographie, ne soit clairement apparue que ces dernières années (Chelpi-den Hamer, 2011).

Un glissement épistémologique de la géopolitique vers la géographie

La rareté relative de la recherche sur les guerres, les conflits et le post-conflit au sein de la géographie française tend actuellement à s’atténuer. La fin de nombreux conflits dans les années 2000 a permis aux chercheurs d’avoir accès aux sources et aux lieux touchés par les conflits. Enfin, un glissement épistémologique des conflits du champ de la géopolitique au champ de la géographie s’est opéré au cours de la décennie 2000. Ce glissement s’est concrétisé lors du Festival International de Géographie de St Dié-les- Vosges d’octobre 2008 portant sur les conflits (Entre guerres et conflits, la planète sous

tension), et le choix ce cette thématique pour le programme des CAPES d’histoire-

géographie et Agrégation de géographie en 2010-2012. Dès lors, les aspects territoriaux des conflits sont étudiés en tant que tels et non plus uniquement en tant que traduction spatiale du politique (voir l’abondante littérature parue en 2011 pour les concours, qui intègre également les problématiques relatives aux conflits d’usages).

Au sein de la géographie, la géopolitique et la géographie politique ont longtemps été les seules à s’intéresser ouvertement aux conflits armés. En 1997, le numéro d’Hérodote consacré à l’Afrique médiane titre sur la géopolitique, alors que certains des articles qu’il comprend sont strictement géographiques : celui de E. Dorier sur Brazzaville, ou celui de F. Imbs sur le Rwanda. Ce ne sont pas toujours des géographes qui ont d’ailleurs travaillé sur le sujet : en 2003, dans un numéro d’Hérodote consacré aux « Tragédies africaines », c’est un politologue qui pose la question du rapport de la géographie et de l’espace à la guerre (Galy, 2003). La question n’a été posée directement par la revue qu’il y a peu, en 2008, avec un numéro thématique portant sur « Géographie, Guerres et Conflits » (n°130).

En géographie politique, Stéphane Rosière a effectué en 2003 une rigoureuse synthèse des différentes approches des conflits (Rosière, 2003). La création d’une seconde revue française de géographie politique et géopolitique en 2007 par la commission géopolitique du Comité National Français de Géographie (CNFG), intitulée L’espace politique, permet de renouveler cette approche. Cependant, la revue, tout comme ses équivalentes anglo- saxonnes Geopolitics ou Political Geography, n’ont jamais abordé directement le thème des guerres et des conflits, ni du post-conflit, sinon sous deux angles particuliers qui s’inscrivent dans les temporalités du post-conflit. D’une part, des thématiques qui tournent autour de la définition d’espaces comme les frontières ou les « zones grises » sont parfois abordées. Ces thématiques sont notamment traitées dans Geopolitics à travers deux articles récents (2011 et 2012). La thématique de la balkanisation des territoires est également parfois abordée : L’espace politique, 2010-2 dirigé par Amaël Cattaruzza, y est consacré. D’autre part, une partie de la recherche en géopolitique et géographie politique tourne autour de la compréhension spatiale du rôle des acteurs dans la période post-conflit : ce sont les travaux par exemple de Christian Bouquet (2009) sur la maîtrise des territoires par l’État ou ceux qui analysent le rôle des ONG. Dans tous les cas, la petite dizaine seulement d’occurrences du terme de post-conflit recensée dans ces diverses revues montre que les auteurs ne l’utilisent à chaque fois au mieux que dans sa seule acception temporelle.

1ère partie : Construire une géographie du conflit et du post-conflit dans les pays du Niari

D’une géographie des conflits et de leurs impacts à une géographie du post-conflit

Sans que ce soit forcément clairement exprimé, les géographes travaillent depuis longtemps sur la problématique des guerres ou des conflits16 et sur le post-conflit compris comme les mutations territoriales qui en découlent. Il s’agit de dissocier la recherche sur le post-conflit en tant que notion normative, et la recherche sur la période de post-conflit, qui n’a pas attendu la création de la notion pour exister : le travail sur les sorties de guerre, les restructurations, les recompositions territoriales sont bien de la recherche sur le post-conflit sans en avoir le vocabulaire normatif, qui on l’a vu est précisément daté. La géographie du développement, comme l’anthropologie, font de la recherche sur le post- conflit depuis longtemps, de manière inductive, sans que cela soit explicitement affiché. L’analyse et la description, la comparaison dans le temps comme dans l’espace de situations d’après crises constituent bien des recherches sur le post-conflit.

Cependant, peu nombreux sont les géographes à s’être penchés sur les conflits pour eux- mêmes, si ce n’est par l’entremise de thématiques s’y rattachant. La géographie tropicale en son temps, puis la géographie du développement ont ainsi parfois côtoyé de près la thématique des conflits. Le célèbre ouvrage de Jean Gallais, Les tropiques, terres de

risques et de violence (1994), est emblématique de la façon dont était considéré cet objet

de recherche : il n’est que très rarement fait mention de conflits ou de guerres, qui sont abordés par l’intermédiaire d’autres thématiques, notamment le risque ou la violence (essentiellement urbaine d’ailleurs).

La revue de géographie et de géopolitique Hérodote a également été précurseur sur le sujet puisque dans son premier numéro Yves Lacoste avait publié, en 1976 (p. 86-115), son « Enquête sur le bombardement des digues du fleuve Rouge (Viêt-nam, été 1972)17 ». Il y montrait alors le lien entre la géographie physique du delta et les bombardements américains, en s’appuyant notamment sur des cartes détaillées des bombardements sur les digues. Sa recherche fut à l’origine de son célèbre ouvrage La géographie, ça sert

d’abord à faire la guerre (1976). Mais cet ouvrage qui a fait couler beaucoup d’encre était

avant tout une critique de la géographie, pas assez ancrée selon lui dans les sciences humaines, sociales, politiques, et n’a pas suscité de réflexions plus spécifiques sur les guerres vues à travers le prisme de la géographie.

Pendant longtemps, on ne trouvait donc des travaux géographiques que dans des domaines parallèles aux conflits : mobilités, réfugiés (Bourgey, Lassailly-Jacob, Cambrézy), questions de santé… Un exemple de travail précurseur de géographe est celui d’André Bourgey qui, en 1985, aborde la guerre au Liban et ses conséquences géographiques (Bourgey, 1985). Il reste dans le champ classique de l’étude des flux migratoires liés à la guerre, de la nouvelle organisation de l'espace née de la guerre, et enfin de l'évolution de l'économie libanaise face à la guerre. Autres exemples plus récents, les travaux de Luc Cambrézy sur les déplacés et réfugiés (Cambrézy, 1997 à 2006), signalés comme « une incursion de la géographie dans le débat (Grégoire, 2002) ou « l’intérêt d’un regard géographique » face à la « dimension oubliée du territoire » (Guérois, 2003). Comme s’il était accepté par tous que les conflits fussent le domaine réservé des journalistes, des sciences politiques et des humanitaires. De la même manière, la thèse de Jeanne Vivet

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Nous utilisons ici les termes de « guerre » et « conflit » comme à peu près équivalents, le second étant une version atténuée du premier.

Chapitre 1 : Du post-conflit institutionnel à une géographie du post-conflit

(2010) sur les déplacés de guerre à Maputo (Vivet, 2012), qui s’inscrit dans le champ de la géographie urbaine et de la géographie des migrations, participe bien d’une géographie des conflits.

Les conflits et leurs dimensions territoriales ont surtout été étudiés à partir des années 1990 dans un contexte de fragmentation territoriale et de diffusion de la violence. La difficulté majeure de ces travaux réside dans la difficulté de construire un objet de recherche sans recul, mais surtout dans des situations sécuritaires extrêmement complexes. Des travaux importants ont également été réalisés lors de cette période par quelques géographes- urbanistes en réponse à la multiplication des expertises sur les conflits en Europe de l’Est, puis en Afrique, suite à des drames urbains particulièrement forts. Il s’agissait en règle générale de terrains d’études préexistants aux conflits, cette dernière thématique constituant une thématique conjoncturelle. Ainsi ont émergé des travaux de géographes portant spécifiquement sur la guerre et la ville, comme ceux de Davie (1983) : «Comment fait-on la guerre à Beyrouth?», les travaux de Bernard Calas sur la violence à Kampala (1991, 1994, 1998), ou sur les quartiers-territoires à Brazzaville en guerre (Dorier-Apprill, 1996 à 2000). L’ouvrage Villes en guerre et guerres en ville (Grünewald et Levron, 2004), issu de la recherche-action animée par le groupe URD, constitue également une somme d’exemple concrets issus du croisement entre les analyses des humanitaires, des géographes, urbanistes et architectes et des politologues. Parallèlement à ces travaux centrés sur la ville en guerre, on trouve des études plus ciblées, comme celle d’E. Verdeil en urbanisme sur la reconstruction de la ville de Beyrouth après la guerre (Verdeil, 2010). Bénédicte Trajnek quant à elle étudie spécifiquement dans sa thèse le lien entre ville et guerre. Le blog « Géographie de la ville en guerre »18 qu’elle a créé constitue une passionnante plate-forme d’échanges et de travaux sur la ville en guerre. Sa fondatrice est aussi l’auteur de nombreuses études sur les formes de la guerre et la reconstruction à Sarajevo et à Mitrovica (Kosovo).

Les travaux spécifiques sur les conflits en dehors des zones urbaines sont encore plus rares. On peut toutefois citer ceux de Françoise Imbs sur le Rwanda (1997), ou ceux de Marc Lavergne sur les conflits, crises et recompositions politiques et sociales au sud Soudan et dans la corne de l’Afrique (Lavergne, 2006, 2009).

L’augmentation des recherches portant sur le post-conflit suit logiquement les références faites au post-conflit dans le monde institutionnel. En effet, les références au post-conflit se sont multipliées dans les années 2000. Cette notion, catégorie normative utilisée actuellement par les institutions internationales, a du être appropriée par le monde scientifique pour ses travaux d’expertise. Ces recherches fondent leurs résultats sur un matériau institutionnel auquel les géographes ne se sont intéressés que tardivement, en réponse à des contrats, des appels d’offres et des financements de l’Agence Nationale de la Recherche.

L’analyse du post-conflit dans le champ de la géographie est donc très récente. Françoise Imbs, en 1997, ne parle pas de post-conflit alors que c’est bien le cœur de son article (elle parle alors de reconstruction). Les termes de « post-conflit », « reconstruction » ou « réhabilitation » ne figurent pas dans le Dictionnaire de l’espace politique de Stéphane Rosière (2008). Seuls de rares articles en géographie aujourd’hui évoquent le terme : en Afrique, on peut noter essentiellement les travaux de recherche et expertises de Roland

1ère partie : Construire une géographie du conflit et du post-conflit dans les pays du Niari

Pourtier sur l’Afrique centrale (2003, INICA), les travaux récents de E. Dorier et M. Joncheray (Dorier et al, 2011a, b et c ; Joncheray et Dorier, 2010, Joncheray, 2011), ainsi que les expertises PADEC du LPED (Dorier, Mazurek et al, 2011). Si le LPED a développé un axe de son « Projet scientifique 2012-2015 » autour de cette thématique du post-conflit, rares sont les chercheurs en géographie qui s’intéressent réellement à la notion.

1.3.2 Pour une approche régionale du post-conflit : territoires, échelles, temporalités et

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