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b) Le modèle pamphlétaire et ses enjeu

C. UNE CANONISATION AMBIGUË

1. Un théâtre impossible

Les Grecs avaient un Aristophane, et n'avaient point de journaux ; nous avons des journaux, et n'aurons plus d'Aristophane. Je prie mes auditeurs de me dire si nous avons gagné au change.

Louis-Népomucène Lemercier, Cours analy- tique de littérature générale, t. 2, p. 98

Lue à travers le prisme journalistique, la comédie ancienne, avec sa parabase, devient, en tant que forme artistique, le symbole d’une puissance originelle de la parole théâtrale, qui fait ressortir, par contraste, les limitations de la forme dramatique contemporaine, contrainte par la nécessité de l’illusion et la clôture fictionnelle, mais aussi dépossédée d’un accès au discours politique direct, désormais réservé à l’écrit et en particulier au journal. La liberté politique et formelle de la comédie aristophanienne, qui explique pour une bonne part la fortune de l’auteur grec dans la seconde génération romantique, apparaît alors comme une sorte d’utopie, et sa résurrection, quoique ressentie comme impossible, n’en semble pas moins tentante.

Nœud de la comédie ancienne selon la critique du XIXe siècle, la parabase est aussi le lieu où sa différence par rapport à la forme dramatique contemporaine peut être saisie au plus près. Larousse, qui lui consacre une conséquente entrée de son dictionnaire, témoigne de l’étrangeté radicale, pour le spectateur des années 1870, de « cette espèce d’interruption et de pause qui arrêtait la marche de la pièce et suspendait l’attention821 ». Familiarisé avec les personnages et l’intrigue, le spectateur, qui « se laissait aller à l’illusion », se voit « réveill[é] en sursaut et […] arrach[é] à ce rêve » : retour « de plain pied » dans la réalité qui paraît une « secousse » insupportable, en dehors d’un prologue ou d’un épilogue. À cet horizon d’attente spectaculaire du XIXe siècle, Larousse oppose celui de l’Athénien « se réveillant toujours » pour la parabase, qu’il considère comme « le morceau fin » de la pièce : la rupture d’illusion qu’elle provoque n’a rien d’exceptionnel dans le « perpétuel pamphlet joué sur le théâtre en présence de toute la cité » qu’est la comédie, où la fiction est « sans cesse interrompue » par la présence de la double énonciation satirique, l’auteur « parlant, par la voix des hommes, des oiseaux, des guêpes, des nuées, le langage d’un Athénien moqueur, d’un sanglant railleur822 ». Cette différence d’horizon d’attente, notée dans une perspective historique par Larousse, est évoquée par Deschanel sur le mode nostalgique. La parabase lui apparaît comme « l’exemple unique » d’une « liberté complète, absolue », proche de l’essence même de l’« œuvre dramatique vraie », qu’il définit comme un échange entre le poète et le public et une « communication réciproque823 ». Reléguée, dans les périodes de

821

Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, op. cit., t. XII, 1e partie, 1874, s. v. « Parabase ».

822

Ibid.

823

« liberté moindre », aux « appendices » que sont le prologue ou l’épilogue, la « parole dramatique », dans la liberté complète de la comédie ancienne, « va droit à son but tout au travers de la fiction théâtrale, qu’elle rompt et qu’elle perce, pour se faire jour, quand il lui plaît824 ».

Cette utopie d’une liberté poétique, dégagée de la contrainte de la tripartition énonciative des genres et de la clôture fictionnelle, n’est pas séparable, en réalité, d’une reconstruction anachronique du genre de la comédie ancienne à partir d’une synthèse du théâtre et du journalisme. La comparaison entre le journal et la scène intervient fréquemment au XIXe siècle, en particulier lors des nombreux débats sur la censure dramatique. La forme dramatique – et c’est ce qui justifie son contrôle – se voit doter d’une puissance pragmatique bien supérieure à celle de la presse. Celle-ci est censée s’adresser à des individus pris isolément, faire appel à leur raison et soumettre la persuasion au filtre de la logique, et permettre, par le droit de réponse et la multiplicité des organes, la réfutation. À l’opposé, la représentation dramatique agit immédiatement et sans réplique sur une foule assemblée dont elle frappe directement l’imagination825. Parallèlement, le développement de la presse et sa progressive libéralisation font apparaître, en retour, les contraintes que la censure et la spécialisation des médias font porter sur le théâtre, auquel le domaine de l’actualité politique, en quelque sorte confisqué par le journalisme, semble inaccessible, alors même que le journal se met à empiéter sur le mode d’expression dramatique. Le dramaturge Édouard Mazères s’insurge ainsi, en 1829, contre la concurrence déloyale que fait la presse aux auteurs comiques : annexant le domaine de la satire d’actualité, les journalistes vont jusqu’à emprunter « le cadre d’une scène dramatique », transformant les colonnes en « galeries vivantes, où viennent se grouper les originaux de tous les rangs826 ». Les feuilles périodiques sont ainsi devenues des « théâtres portatifs827 ». Tout se passe donc comme si le domaine du discours ou de la satire politique avait émigré du théâtre vers la presse, rendant impossible la pensée d’un théâtre politique en dehors de la référence journalistique, et faisant apparaître par contrecoup une certaine théâtralité latente du journal. Cette complémentarité médiatique de la scène et de la presse est évoquée, en sens inverse, par le journaliste dramatique Charles Maurice, lors de la grave crise des théâtres de la Révolution de février 1848. Dans un article intitulé « Les Journaux sont

824

Ibid.

825

Cette idée, exprimée dans l’« Exposé de motifs » précédant le projet de loi sur les représentions théâtrales de Montalivet (Marthe-Camille de Montalivet, « Exposé de motifs et projet de loi sur les représentations théâtrales », Le Moniteur, 20 janvier 1831), se retrouve dans les traités juridiques sur le théâtre. Cf. Auguste Vivien et Edmond Blanc, Traité de la législation des théâtres, ou exposé complet et

méthodique des lois et de la jurisprudence relativement aux théâtres et spectacles publics, op. cit., p. 89-

90, ou Adolphe Lacan et Charles Paulmier, Traité de la législation et de la jurisprudence des théâtres,

op. cit., t. 1, p. 109-110. 826

Édouard Mazères, « De la comédie en France et des obstacles qu'elle y rencontre », Revue de Paris, 30 avril 1829, p. 227.

827

des feuilles de papier qu’on imprime, les Théâtres sont des journaux qui parlent828 », Maurice appelle le gouvernement à tirer parti de la puissance d’évocation et d’entraînement du théâtre en matière politique. Ainsi, « des sujets politiques, dramatiquement traités », ne seraient rien d’autre, s’ils étaient représentés, « que des articles de journaux, débités, à haute voix, dans un lieu public », et bénéficiant donc, par rapport au papier, de tous « les prestiges de la scène829 ».

C’est précisément à une synthèse de ce type que semble renvoyer, dans le discours critique, la mise en avant de la parabase, lue comme une sorte de prototype théâtral d’un journalisme doté de la puissance active de la parole. Reprenant l’argument d’Artaud sur la parole et la presse périodique comme ressorts distincts des sociétés antique et moderne, Émile Deschanel précise ainsi que « par la parabase, la comédie attique, si elle eût été quotidienne, eût réuni dès lors à elle seule la double puissance que, chez nous, la tribune et la presse exercent chacune à part830 ». Loin de restreindre cette puissance – extrapolée à partir d’une synthèse imaginaire des deux modes d’expression modernes – au seul registre politique, Deschanel l’étend à une fusion des sujets, des formes et des styles : vue comme une tribune, la parabase « admettait tout, depuis l’éloquence et la poésie jusqu’aux discussions d’affaires, avec statistique et arithmétique ; depuis les pensées les plus hautes jusqu’au calembour » ; envisagée d’après le modèle de la presse, elle couvrait « tous les tons et […] toutes les allures, depuis les paroles les plus graves d’un Times ou les plus acérées d’un Journal des Débats, jusqu’aux pochades fantastiques d’un Charivari ou d’un Punch831 ». Non contente d’englober le spectre de l’écrit et de l’oral, la parabase jouit donc d’une extension thématique et d’une plasticité stylistique illimitées. Ce rêve totalisant convoque toute la gamme journalistique, dans laquelle s’abolissent les cloisonnements entre la science et la littérature et disparaît la hiérarchie des styles, réunis dans l’unique ressort de la parole étendu à tout l’univers du discours. Deschanel rejoint ici le Musset des « Lettres de Dupuis et Cotonet », qui faisait d’Aristophane, contre Hugo, « le plus noble à la fois et le plus grotesque, le plus sérieux et le plus bouffon, le plus lyrique et le plus satirique832 » des écrivains antiques. Adepte du mélange des genres le plus extrême et, par là-même, précurseur du romantisme, l’Aristophane de Musset, « génie audacieux », sorte d’incarnation du sublime, échappe définitivement à toute « classification » générique, dépassant toutes les « lignes » ou les « cercles » que l’on pourrait « [tracer] autour de la pensée

828

Charles Maurice, « Nouvelles des théâtres. Les Journaux sont des feuilles de papier qu’on imprime, les

Théâtres sont des journaux qui parlent. », Le Coureur des spectacles, 27 mai 1848. 829

Ibid.

830

Émile Deschanel, op. cit., p. 392.

831

Ibid., p. 392-393.

832

Alfred de Musset, « Lettres de Dupuis et Cotonet », op. cit., p. 874. La réfutation de Hugo excluant, dans la Préface de Cromwell, l’antiquité du grotesque, n’intervient qu’ironiquement. Les deux provinciaux curieux se font une religion sur le romantisme à partir d’« une illustre préface » de 1829 (ibid.), et restent persuadés du caractère de nouveauté de l’école moderne, jusqu’à ce que, un an après, « six petits volumes » (ibid.) – il s’agit de la traduction d’Artaud, parue en 1830 en six volumes in-12° – fassent s’écrouler les premières certitudes en révélant le mélange des genres en pleine antiquité.

humaine833 ». La comédie aristophanienne apparaît ainsi comme une synthèse utopique de tous les discours, que résume, dans un article de 1872, le critique et écrivain Auguste Vitu, ami de Baudelaire et Banville. Le poète comique, « parlant au nom de la conscience universelle », s’exprime « seul et sans contradicteur, par l’organe du coryphée, comme le prédicateur chrétien du haut de sa chaire de vérité », traduisant les puissants « à son tribunal » et discutant « la guerre et la paix, les lois de la république et ses alliances au dehors834 ». Il cumule ainsi les rôles de « poëte, conseiller l’État, journaliste, prophète, accusateur public », et ses comédies tiennent « du poème, de la satire, du premier-Paris, du réquisitoire, du discours-ministre et du sermon835 ».

Ainsi rêvée comme une utopie fusionnelle, la comédie ancienne, après avoir été, pendant deux siècles, un anti-modèle primitif, apparaît comme un modèle inaccessible ou perdu. Vitu conclut de sa description que « cette forme grandiose, combinée pour un mécanisme politique et social que le monde ne reverra plus, ne saurait être ressuscitée836 ». Il rejoint sur ce point un certain nombre d’hellénistes bien persuadés de l’incompatibilité radicale entre la forme de la comédie attique et la tradition théâtrale française, et, plus largement, l’esthétique dramatique moderne. Émile Egger, par exemple, considère que « la comédie d’Aristophane est trop athénienne et trop antique pour passer sur notre théâtre », et que, sauf inspiration exceptionnelle et lointaine comme dans le cas des Plaideurs, « elle ne saurait faire école chez nous837 ». Charles Zévort affirme pour sa part que « la comédie ancienne a péri à jamais avec le gouvernement impossible qui l’avait produite », et que « le règne d’Aristophane ne peut pas plus renaître que celui d’Alcibiade ou de Périclès838 ». Les tentatives des Allemands, de Tieck à Platen ou à Prutz, pour faire revivre la forme de la comédie aristophanienne, n’attirent généralement que des critiques : Zévort y voit « de froids pastiches839 », et Saint-René Taillandier donne, à propos des Couches politiques de Prutz – comédie satirique politique avec chœurs, parabase et personnalités840 –, un long article à la Revue des Deux Mondes pour critiquer toute tentative de démarquer la comédie politique sous la forme aristophanesque dans la civilisation moderne841. Force

833

Ibid., p. 662.

834

Auguste Vitu, « Premières représentations. Vaudeville. – Rabagas, comédie en cinq actes, par M. Victorien Sardou », Le Figaro, 3 février 1872. L’article est repris dans Auguste Vitu, Les Mille et une

nuits du théâtre, 9 vol., Paris, Ollendorff, 1884-1891, 1ère série, 1884, p. 138-144.

835

Ibid.

836

Ibid.

837

Émile Egger, L'Hellénisme en France, op. cit., t. II, p. 16.

838

Charles Zévort, op. cit., p. XXXVIII.

839

Ibid.

840

Robert E. Prutz, Die politische Wochenstube. Eine Komödie, Zürich, Winterthur, Literarisches Comptoir, 1845.

841

[René-Gaspard-Ernest Taillandier, dit] Saint-René Taillandier, « De la comédie politique en Allemagne », Revue des Deux Mondes, 1er mars 1846, p. 851-877. Sur l’imitation formelle de la comédie aristophanienne en Allemagne de la fin du XVIIIe au XIXe siècle, voir Martin Holtermann, Der deutsche

Aristophanes. Die Rezeption eines politischen Dichters im 19. Jahrhundert, op. cit., chap. 4, p. 122-184.

La question est abordée aussi, par Horst Denkler (« Aufbruch des Aristophaniden. Die aristophanische Komödie als Modell für das politische Lustspiel im deutschen Vormärz », in Wolfgang Paulsen (dir.),

est d’accepter, avec Zévort, qu’« avec le modèle [ait disparu] la copie842 », tout en s’affligeant, comme Deschanel – se demandant avec nostalgie : « pourquoi la parabase est-elle morte ? » – que la monotonie abêtissante « du bruit quotidien de la presse » fasse des journaux « des lettres mortes sur des feuilles mortes843 ».

Cette impossibilité de revenir à la comédie ancienne, appuyée sur des raisons formelles, renvoie d’abord et avant tout aux codes éthiques, légaux ou culturels, qui interdisent au théâtre les thèmes et le mode de référentialité permis aux journaux. Jules Janin lance un appel vibrant, en juin 1830, pour demander que la comédie bénéficie, comme la presse qui vient d’être libéralisée, du droit aux « noms propres » et au « masque fait exprès844 » ; pourtant, en 1844, à l’occasion de la mise en scène des Nuées à l’Odéon, il se montre un adversaire résolu des personnalités au théâtre845. S’il s’explique par le conservatisme du feuilletoniste des Débats qui choisit, en 1848, le parti de l’ordre et prend clairement parti pour le maintien de la censure préventive846, ce revirement témoigne aussi de l’ambivalence du rapport au modèle aristophanien, dont la liberté fascine autant qu’elle effraie. L’impossibilité d’un « retour d’Aristophane » ne va donc pas sans regret ni nostalgie. Théophile Gautier, qui choisit, après Stendhal et comme Banville847, de faire du comique grec, devant Molière, l’emblème du genre comique, déplore ainsi, en 1845, que « la comédie [ait] quitté le théâtre », réfrénée par la censure, ou à défaut « le cant anglais, l’hypocrisie constitutionnelle, la bigoterie puritaine », qui « seraient révoltés par la rude franchise de la comédie et de la satire véritable ». Ainsi, conclut Gautier, « Aristophane reviendrait au monde, qu’aucun de ses divins poëmes ne pourrait être joué dans cette cité, qui se vante d’être l’Athènes

Der Dichter und seine Zeit. Politik im Spiegel der Literatur, Heilderberg, Lothar Stiehm Verlag, 1970,

p. 134-157). Pour un panorama, cf. Louis E. Lord, Aristophanes, his plays and his influence, op. cit., chap. VI, p.119-129.

842

Charles Zévort, ibid.

843

Émile Deschanel, « La comédie dans les républiques. 4. – Aristophane et les parabases », La Liberté

de penser, 15 octobre 1849, p. 394. 844

Jules Janin, « Aristophanes », Revue de Paris, 13 juin 1830, p. 86.

845

Jules Janin, « Feuilleton du Journal des Débats. Théâtre de l’Odéon. Les Nuées d’Aristophane », art. cit.

846

Cf. Conseil d'État. Section de législation. Commission chargée de préparer la loi sur les théâtres,

Enquête et documents officiels sur les théâtres, Paris, Imprimerie nationale, décembre 1849, p. 64 sq. 847

Théodore de Banville, probablement l’admirateur le plus enthousiaste du poète athénien au XIXe siècle – ainsi qu’on le constatera dans ce travail –, fait de la comédie la « fille d’Aristophane » (« L’Illustre théâtre » [1857], in Esquisses parisiennes, scènes de la vie, Paris, Poulet-Malassis et De Broise, 1859, p. 393). Stendhal, pour sa part, s’intéresse tôt au comique athénien. Des notes datées de 1804 témoignent de ses lectures de la traduction de Brottier, de l’édition latine de Brunck (1783), et de sa découverte, contre Marmontel, Voltaire et La Harpe, de la verve l’auteur des Nuées, qui lui paraît « dans un endroit plus énergique que Molière » (Stendhal, Pensées. Filosofia nova, établissement du texte et préface par Henri Martineau, Paris, Le Divan, t. 2, 1931, p. 253 ; 261-263). Optant pour la lecture de Schlegel et contre la critique française, il affirme dans Racine et Shakespeare que « Molière est inférieur à Aristophane » : la comédie de Molière lui paraît « trop imbibée de satire, pour [lui] donner souvent la sensation du rire gai ». Ce rire de « l’imagination folle » se trouve, en revanche, chez Aristophane (Stendhal, Racine et Shakespeare, Paris, Bossange, 1823, p. 36-37).

nouvelle848 ». Quand le vaudevilliste Clairville, profitant de la présence d’un Plutus à l’affiche, en 1873, fait revenir son auteur comme reporter dans une revue, le Génie dramatique l’amène à faire personnellement, et en chansons, à peu près le même constat :

ARISTOPHANE

Air

Ah ! si j’avais à peindre cette époque, Pour commencer au but j’irais tout droit, Et monsieur…

LE GÉNIE

Chut ! en France un nom nous choque, Nommer les gens, on n’en n’a pas le droit.

ARISTOPHANE

Soit, mais moins libre, on me verrait plus traître, Et sans nommer aucun individu…

Adroitement je ferais reconnaître… LE GÉNIE

Non, car cela te serait défendu. ARISTOPHANE

Diable !… N’importe, en critiquant les fastes Des intrigants si bons à signaler,

J’attaquerais leurs titres et leurs castes. LE GÉNIE

Mais, de beaucoup, on ne peut pas parler. ARISTOPHANE

Que faire alors… Ah ! voilà que j’y pense, Pour les méfaits qu’ils commettent toujours, J’attaquerais les hommes de finance.

LE GÉNIE

Malheureux ! l’or est roi de nos jours. ARISTOPHANE

Ou je ferais contre les nouvellistes

Un grand ouvrage en quinze ou vingt tableaux, Intitulé : Messieurs les journalistes.

LE GÉNIE

Mais insensé ! Songe donc aux journaux. ARISTOPHANE

Eh bien, au peuple, à ce roi populaire Sans le flatter, ma voix s’adresserait, Je lui dirais ce qu’il a tort de faire.

848

Théophile Gautier, Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, op. cit., t. IV, p. 113- 114.

LE GÉNIE

Le peuple alors, mon cher, te sifflerait. ARISTOPHANE

Mais les auteurs de vos pièces nouvelles De ces dangers sont-ils donc occupés ?

LE GÉNIE

Aucun ne sort des femmes infidèles, De la cocotte et des maris trompés, Et, même encor, sans désigner personne ; Car, au théâtre, ami, sache-le bien

On peut parler, dans les pièces qu’on donne, De tout, pourvu que l’on ne dise rien.

ARISTOPHANE

Ah ! je conviens que cela me condamne, Qu’à mon théâtre il ne faut plus rêver, Et que chez vous un autre Aristophane Serait vraiment difficile à trouver849 !

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