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b) Portrait ou peinture : les enjeux d’une métaphore

Le principal personnage d’une comédie doit […] représenter un grand nombre d’hommes. Si, par hasard, on lui donnait une physionomie particulière, qu’il n’y eût dans la société qu’un seul individu qui lui ressemblât, la comédie retournerait à son enfance, et dégénérerait en satire.

Diderot, Entretiens sur le Fils Naturel, 1757. La première opposition que recouvre la distinction entre tableau (ou la peinture) et le portrait concerne, comme on l’a compris, l’extension référentielle. L’abbé Coyer la met encore en œuvre à propos des Philosophes. Selon lui, Molière avait cette supériorité sur Palissot qu’il « avoit généralisé les traits » de ses modèles concrets « pour faire un grand tableau » : « Il savoit trop les régles de son Art pour s’amuser à peindre des Particuliers ; petits portraits de famille qui ne passent point à la postérité319. » Le portrait se définirait donc par sa fonction mnémonique privée et éphémère, par opposition à la fonction artistique publique et durable du tableau. Cette limitation fonctionnelle, reconnue par la théorie des beaux-arts, explique sans doute la place du portrait dans la hiérarchie classique des genres picturaux, après la peinture d’histoire et la peinture de genre, c’est-à-dire en dernière position dans les genres centrés sur des personnages320. Elle suppose une équivalence entre la notoriété du modèle et l’intérêt du spectateur, équivalence dont l’abbé Dubos en donnait en 1733 une formulation générale :

[…] un sujet peut être interessant en deux manieres. En premier lieu il est interessant de lui-même, et parce que ses circonstances sont telles qu'elles doivent toucher les hommes en general. En second lieu il est interessant par rapport à certaines personnes seulement, c'est-à-dire que tel sujet qui n'est capable que de s'attirer une attention mediocre du commun des hommes, s'attire cependant une attention très-serieuse de la part de certaines personnes. Par exemple, un portrait est un tableau assez indifferent pour ceux qui ne connoissent pas la personne qu'il répresente ; mais ce portrait est un tableau précieux pour ceux qui aiment la personne dont il est le portrait321.

On reconnaît ici le « principe des beaux-arts » auquel se référera La Harpe. Mais l’opposition entre portrait et peinture se double chez ce dernier d’une autre distinction,

319

[Gabriel-François Coyer], Discours sur la satyre contre les Philosophes, op. cit. , p. 12-13.

320

Les trois genres suivants, dans l’ordre descendant de la hiérarchie, sont la peinture animalière, le paysage et la nature morte.

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qui instaure une analogie explicite entre spectacle et représentation picturale et met en jeu rien moins que leur statut mimétique. Le portrait, représenté par Aristophane, renvoie pour La Harpe au mime, la peinture, inaugurée par Térence, au comédien :

Il y a entre eux [Aristophane et Térence] la même différence qu’entre un mime et un comédien, entre celui qui ne sait que contrefaire, et celui qui a le talent d’imiter. Et quelle distance il y a entre ces deux arts ! Celui qui contrefait prend un masque ; il ne peut vous amuser qu’autant que vous connaissez le modèle ; encore ne vous amuse-t-il pas longtemps : celui qui sait imiter vous présente un tableau qui peut plaire toujours, parce que le modèle est la nature, et que tout le monde en est juge322.

La supériorité du modèle « naturel » sur le modèle « réel » renvoie ici très classiquement à l’opposition entre vrai et vraisemblable et à la théorie de la belle nature, qui relève de l’abstraction universalisante323. Mais la distinction entre contrefaire et imiter éclaire de façon radicale le statut de la copie et de la contrefaçon auxquelles Marmontel associait les portraits satiriques aristophaniens. La dichotomie est ici poussée jusqu’à un apparent paradoxe, si l’on se place par exemple d’un point de vue platonicien. Car le mime, à ce compte, n’imite pas. La copie ne relève pas de la mimesis. En tant que portrait-copie, la satire dramatique personnelle se verrait donc exclue esthétiquement, comme non mimétique.

Ce paradoxe de la copie est constitutif de la théorie de l’imitation classique. Les Beaux-arts réduits à un même principe de l’abbé Batteux en donnent une version qui mêle dans une définition de la belle nature Platon, Aristote et une théorie du goût. L’imitation, fondement de l’art, s’y définit d’abord platoniquement comme copie d’une nature définie en termes pseudo-aristotéliciens :

Imiter, c'est copier un modèle. Ce terme contient deux idées. 1 le prototype qui porte les traits qu'on veut imiter. 2 la copie qui les représente. La nature, c'est-à- dire tout ce qui est, ou que nous concevons aisément comme possible, voilà le prototype ou le modèle des arts324.

Le premier des deux termes, le prototype, est borné par l’observation de la nature. Le deuxième, la copie, comporte une transposition dans un langage (pictural, verbal, etc.) qui implique la facticité des imitations, lesquelles ne sont que « des ressemblances qui ne sont point la nature, mais qui paroissent l'être325 ». C’est cette définition néo- platonicienne de la copie comme simulacre qui fonde la vraisemblance : « la matière des beaux-arts n'est point le vrai, mais seulement le vrai-semblable326. » L’imitation, caractérisée par le caractère fictif de la forme, peut ainsi se penser en termes de

322

Jean-François de La Harpe, op. cit., p. 6. 323

Sur cette question bien connue, cf. par exemple René Bray, Formation de la doctrine classique, Paris, Hachette, 1927.

324

Charles Batteux, Les Beaux-arts réduits à un même principe, Paris, Durand, 1746, p. 12.

325

Ibid., p. 14.

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ressemblance avec le modèle, et par là-même semble relever de la copie. Mais, par un glissement qui interprète le vraisemblable, dans sa version aristotélicienne cette fois, qui l’oppose à la réalité historique, selon les critères de la théorie du goût, l’objet de l’imitation se voit soumis à une redéfinition qui garde intact le précepte de la ressemblance en faisant porter la valorisation esthétique sur le modèle. D’où le célèbre axiome selon lequel « le génie ne doit point imiter la nature telle qu’elle est327 », qui exclut finalement la simple copie du domaine de l’art :

[…] si les arts sont imitateurs de la nature, ce doit être une imitation sage et éclairée, qui ne la copie pas servilement ; mais qui choisissant les objets et les traits, les présente avec toute la perfection dont ils sont susceptibles328.

Ce qui va donc permettre de passer du portrait, entendu comme copie, à la peinture en tant qu’art d’imitation, c’est la composition du sujet par montage artificiel de traits réels. Batteux en donne comme exemple la célèbre anecdote de Zeuxis, que raconte Pline l’Ancien329 :

Que fit Zeuxis quand il voulut peindre une beauté parfaite ? Fit-il le portrait de quelque beauté particuliere, dont sa peinture fût l'histoire ? Non : il rassembla les traits séparés de plusieurs beautés existantes. Il se forma dans l'esprit une idée factice qui résulta de tous ces traits réunis : et cette idée fut le prototype, ou le modéle de son tableau, qui fut vraisemblable et poëtique dans sa totalité, et ne fut vrai et historique que dans ses parties prises séparément330.

La définition de la comédie comme peinture participe du même principe. L’Abbé Batteux poursuit sa démonstration en mettant en strict parallèle avec Zeuxis la « peinture d’Alceste331 » par Molière:

Quand Moliere voulut peindre la misantropie [sic], il ne chercha point dans Paris un original, dont sa piéce fût une copie exacte : il n'eût fait qu'une histoire, qu'un portrait […]. Mais il recueillit tous les traits d'humeur noire qu'il pouvoit avoir remarqués dans les hommes : il y ajouta tout ce que l'effort de son génie put lui fournir dans le même genre ; et de tous ces traits rapprochés et assortis, il en figura un caractere unique, qui ne fut pas la représentation du vrai, mais celle du vraisemblable332.

C’est donc finalement l’extension référentielle du type qui fait de la comédie une peinture, que ce soit des mœurs, des caractères ou des ridicules. La composition du personnage permet ainsi de passer du portrait-copie au portrait idéal333, et de faire

327

C’est le titre du 3e chapitre du premier livre, où est définie la « belle nature » (Ibid., p. 24).

328

Ibid., p. 24.

329

Pline, Histoires naturelles, livre 35, XXXVI.

330

Charles Batteux, op. cit., p. 24-25.

331

Ibidem, p. 26.

332

Ibid., p. 25.

333

À la « peinture d’Alceste » équivaut, dans le texte de Batteux, le « portrait d’un Harpagon idéal » (p. 16).

figurer la comédie à sa juste place dans la hiérarchie des genres dramatiques, par analogie avec celle des beaux-arts. Tel est le sens de la distinction suivante de Marmontel :

La tragédie est un tableau d'histoire ; la comédie est un portrait : non le portrait d'un seul homme, comme la satyre, mais d'une espèce d'hommes répandus dans la société, dont les traits les plus marqués sont réunis dans une même figure334.

Mais si le tableau ou, plus souvent, la peinture servent généralement de modèle analogique à la définition de la comédie335, cette analogie ne renvoie pas uniquement à la composition du personnage, que la généralité du référent soit justifiée par sa nécessaire universalité, comme chez Dubos ou La Harpe, ou par un principe de perfection, comme chez Batteux. Elle peut aussi fonctionner aussi sur le plan de la construction formelle et désigner un autre défaut de composition. On retrouve ainsi chez d’Aubignac, à propos de l’ancienne et de la nouvelle comédie, l’opposition entre peinture et portrait envisagée non plus du seul point de vue de l’extension de leur référent, mais aussi de l’« art » et des règles. Les satires d’Aristophane, assimilées par l’auteur de la Pratique du théâtre, on s’en souvient, à « des libelles diffamatoires » contenant jusqu’aux « portraits visibles de ceux que le poëte entreprenoit », n’ont d’« autre conduitte que son caprice et sa hayne », et ne sauraient donc être considérées comme « des ouvrages d’esprit reduits sous un genre de poësie raisonnable et reglée par art336 ». Les portraits aristophaniens ressortiraient ainsi à la poétique aberrante et purement singulière du « caprice ». À l’opposé la comédie nouvelle de Ménandre, cantonnée dans les sujets fictifs, est tout à la fois un art régulier et une peinture, c’est-à- dire une imitation :

De sorte que la comedie n'estant plus qu'une production de l'esprit, receut des regles sur le modelle de la tragedie, et devint la peinture et l'imitation des actions de la vie commune337.

On sait que le motif de la peinture est central dans le discours normatif de la Pratique du théâtre. Le modèle pictural y revient régulièrement comme pivot d’une argumentation analogique, prenant au pied de la lettre le principe de l’ut pictura poesis. C’est lui qui fonde en particulier les prescriptions dramaturgiques de l’unité de lieu et

334

Jean-François Marmontel, Poétique françoise, Paris, Lesclapart, 1763, chapitre 15, « De la comédie », p. 372. Il s’agit en fait d’un article paru en 1753 dans le troisième tome de l’Encyclopédie.

335

L’analogie s’affirme particulièrement au XVIIIe siècle, avec le développement de la comédie de mœurs. Voltaire définit « la bonne comédie » comme « la peinture parlante des ridicules d’une nation » (Lettres philosophiques, Amsterdam, Lucas [Rouen, Jore], 1734, Lettre 19 ; cité d’après l’édition Gallimard, « Folio », 1986, p. 133). On trouve une définition semblable (« la comédie est la peinture des mœurs ») sous la plume de Restif de la Bretonne (La Paysanne pervertie, ou Les Dangers de la ville, La Haie, Paris, Vve Duchesne, 1784, p. 296). Le terme de portrait est aussi utilisé à propos de la comédie de caractère, par exemple par Boileau (Art poétique, chant III, op. cit., v. 355-358, p. 249), mais il ne désigne pas la représentation d’un individu singulier ; il renvoie au motif moliéresque du « miroir public » qui ne frappe « les personnes que par réflexion » (La Critique de l’École des Femmes, 1663, sc. 6).

336

François Hédelin, abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, op. cit., p. 47.

337

de l’unité d’action. Or une des constantes de la réception de la comédie aristophanienne, qui perdurera jusqu’au début du XXe siècle338, réside précisément dans l’impossibilité d’y décrire une construction dramatique cohérente, autrement dit une intrigue. Dans une véhémente critique contre madame Dacier, Houdar de la Motte soutient, avec toute son époque, qu’« on ne doit point donner Aristophane comme le modele de la comédie, mais seulement comme une preuve historique de l'état encore informe où elle étoit chez les grecs339 ». D’Aubignac reproche à l’auteur antique de s’être « entierement abandonné aux desordres de la vieille et moyenne comédie340 » ; le père Rapin lui fait grief de n’être « point exact dans l’ordonnance de ses fables341 ». Même Fontenelle, qui trouve par ailleurs Aristophane « plaisant » et porte sur lui un jugement dénué d’a priori, note que la plupart de ses pièces sont « sans art », qu’« elles n’ont ni nœud ni dénouement », et que leur auteur « ne connoissoit point ce que nous appelons intrigue » : « La Comédie, explique Fontenelle, étoit alors bien imparfaite342. » Comme l’écrit La Harpe, « il ne faut pas s’imaginer qu’il soit question de plan, d’action, d’intrigue, d’intérêt, d’ordonnance dramatique, d’aucune des bienséances théâtrales ; de situation ou de caractères comiques : rien de tout cela343. » Raoul-Rochette, dans la dernière édition du Théâtre des Grecs, n’est pas plus indulgent, en 1820, pour l’art de ces « comédies si célèbres » :

Toute la science de ce poète se réduit à présenter successivement des tableaux qui ne tiennent que par un fil négligemment tissu à l’action principale. Du reste, aucun soin des vraisemblances théâtrales ; aucun respect des convenances dramatiques. Le lieu de la scène change perpétuellement, ainsi que le caractère de la fable344.

Henri Becque ne fera qu’ajouter, à la toute fin du XIXe siècle, le point de vue autorisé du professionnel, à une longue tradition de critique de l’absence de structure dramatique :

[…] une pièce de théâtre se reconnaît surtout à ceci, qu’elle est une composition qui a un commencement, un milieu et une fin.

Eh bien, cette composition, c’est justement ce qui manque à Aristophane. Des scènes, des saynètes, des dialogues, si spirituels qu’ils soient […], ne constituent pas une comédie345.

338

Cf. infra, chapitres II et V. Le XIXe siècle repèrera un embryon de composition, de type rhétorique, dans la comédie aristophanienne ; il faut attendre le début du XXe pour voir proposer une structure typique de la comédie ancienne.

339

Antoine Houdar de la Motte, Réflexions sur la critique, Paris, Du Puis, 1715, cité d’après l’édition Paris, Du Puis, 1716, p. 90.

340

François Hédelin, abbé d’Aubignac, op. cit., p. 57.

341

René Rapin, Réflexions sur la Poétique d’Aristote, et sur les ouvrages des poètes anciens & modernes, Paris, F. Muguet, 1674, p. 211.

342

Fontenelle, Remarques sur quelques comédies d'Aristophane, sur le théâtre grec, etc., Œuvres de Monsieur de Fontenelle […], nouvelle édition, 10 vol, tome IX, Paris, Brunet, 1758, p. 416.

343

Jean-François de La Harpe, op. cit., p. 131.

344

[Désiré-Raoul, dit] Raoul-Rochette dit, « Observations nouvelles sur l'origine de la tragédie et de la comédie grecques », Le Théâtre des Grecs, op. cit., t. 1, 1820, p. 296.

345

Henri Becque, « Aristophane : Plutus », in Œuvres complètes, 7 vol., Paris, Grès et Cie, 1924-26, t. VII, p. 90-91.

Témoignage indirect de la continuité entre la Poétique d’Aristote et le modèle omniprésent de la pièce bien faite346, ce jugement résume bien l’impression dominante longtemps causée par la non-conformité de la comédie ancienne au canon dramatique aristotélicien, non-conformité qu’achève de marquer Jules Janin, en faisant du « hasard […] le fabricateur de cette œuvre sans nom347 ». Face à la logique narrative de la mise en intrigue, la comédie aristophanienne n’offre donc qu’une structure épisodique sans autre lien qu’une succession apparemment aléatoire. Or celle-ci peut précisément se lire comme une succession de portraits. C’est très exactement l’argument avancé par Palissot et ses défenseurs, pour répondre au reproche de l’absence d’intrigue dans les Philosophes. Ainsi La Marche-Courmont :

Les Nuées n’ont aucune intrigue. Les Grecs pensaient sans doute avec raison que l’intrigue n’est point essentielle dans une Piéce de caractère […].[…] il suffit dans une Piéce de caractère que les scènes soient amenées & dessinées. On ne demande dans ces sortes de Piéces que des tableaux vrais & peints avec goût ; elles n’ont besoin, ni de nœuds, ni de dénouemens frappans […]348.

Palissot, dans l’Examen des Philosophes, dit à peu près la même chose :

Ce grand Poëte s’occupait faiblement de sa Fable […]. Ce qu’il regardait comme important, & ce qui est véritablement le plus grand mérite de la Comédie, c’était de peindre ses caractères avec assez de vérité, pour que la charge théâtrale, dont il abusait quelquefois, ne pût en altérer la ressemblance349.

Quoiqu’il soit ici question de tableaux et de charges, et non littéralement de portraits, le modèle pictural qui remplace l’intrigue s’oppose bien à celui de la peinture tel que l’entendait d’Aubignac, dans la mesure où il fait primer l’ethos sur le mythos. Une des analogies entre la peinture et l’art dramatique dans l’esthétique classique repose en effet sur l’intégration logique des motifs narratifs. Celle-ci consiste, pour la peinture, dans l’intelligibilité du point de vue perspectif (appelé précisément, à la suite d’Alberti, istoria350), et, pour le théâtre, dans la liaison causale des incidents. Si bien que d’Aubignac peut établir analogiquement la nécessaire unité de l’action principale et la subordination logique des actions secondaires par un strict parallèle avec la peinture351,

346

L’exigence d’une action formant un tout, avec un commencement, un milieu et une fin est formulée au chapitre VII (50b23-34) et au chapitre XXIII (18-21) de la Poétique.

347

Jules Janin, Histoire de la littérature dramatique, 6 vol., Paris, Michel Lévy frères, 1853-1858, t. 2, 1853, p. 326. Aristote (Poétique, VII, 50b32-34) récuse précisément l’intervention du hasard (o(po/qen e1tuxen) dans le choix d’un commencement ou d’une fin.

348

Ignace de La Marche-Courmont, Réponse aux différens écrits publiés contre la comédie des

Philosophes, op. cit., p. 58-60. 349

Charles Palissot de Montenoy, Examen (1763) des Philosophes, op. cit., 1779, tome second, p. 264- 266.

350

Alberti, De pictura, 1435, 30 et 35 (De la peinture, préface, traduction et notes par Jean-Louis Scheffer, introduction par S. Deswart-Rosa, Paris, Macula, 1992). Sur cette question, cf. Hubert Damisch,

Théorie du nuage, Paris, Seuil, 1972, p. 152-158. 351

François Hédelin, abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, op. cit. Livre 2, chapitre 3, p. 83-88. Les deux termes de l’analogie, peinture et théâtre, sont déployés symétriquement dans une véritable fusion

et que réciproquement Le Brun peut décrire La Manne dans le désert de Poussin selon la grille dramatique de l’exposition, du nœud et du dénouement352. Or, si cette analogie fonctionne surtout à propos de la tragédie, mise en parallèle avec la peinture d’histoire, dont le modèle ne renvoie pas au genre comique, souvent davantage défini par la vraisemblance des caractères que par celle de l’action, il n’en demeure pas moins que les préceptes de composition tragique restent valables pour la comédie, témoin par exemple Boileau :

Que son nœud bien formé se dénoue aisément ; Que l’action, marchant où la raison la guide Ne se perde jamais dans une scène vide […]353.

La nature de l’action comique, « plus familière que celle de la tragédie354 » supposerait même pour la comédie, à en croire Marmontel, une observance encore plus stricte des règles fondatrices de la vraisemblance. La composition comique implique donc « unité », « simplicité dans le tissu de l’intrigue », « art de cacher l’art même dans l’enchaînement des situations355 ».

Ainsi que le révèle le contre-modèle de la peinture, l’esthétique du portrait satirique que représente classiquement Aristophane contrevient donc à une double règle de composition. Par l’irrégularité de la fable, dont l’intrigue relève de la fragmentation

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