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a) Satire, satyre et satire dramatique : la comédie ancienne ou le chaînon manquant

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, à partir des Philosophes, Aristophane accède, comme nous l’avons établi, au statut d’archétype et prend place dans le panthéon sulfureux des satiristes. Le XIXe siècle héritera de cette tradition, et fera souvent figurer l’auteur des Nuées dans le cortège dangereux des Archiloque et des Juvénal. Victor Hugo en est le meilleur exemple, qui ressentira toujours une certaine gêne à l’égard de l’adversaire de Socrate, et ne se mettra que tard au diapason de ses contemporains, reconnaissant finalement le génie de l’« immense Aristophane obscène257 » :

257

Victor Hugo, « Le poëte bat aux champs », in Chansons des rues et des bois, Paris, Librairie Internationale, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1865, cité d’après Victor Hugo, Œuvres complètes.

Cette antipathie [d’Aristophane envers Socrate] a été hideuse ; le poëte a eu une allure de persécuteur ; il a prêté main-forte aux oppresseurs contre les opprimés, et sa comédie a commis des crimes. Aristophane, châtiment sombre, est resté devant la postérité à l’état de génie méchant258.

L’auteur des Nuées rejoint ainsi, dans Les Rayons et les Ombres, la liste des satiristes des époques sombres où le sacerdoce poétique, en l’absence d’inspiration prophétique, se réduit à l’exercice des châtiments. Privé de l’horizon divin, ne pouvant guider les peuples vers des jours meilleurs, le poète, rêveur sacré, serait réduit à « jeter de la cendre / Aux quatre coins de l’horizon259 » :

Tels que l’autour dans les nuées, On entendrait rire, vainqueur Les noirs poètes des huées, Les Aristophanes moqueurs.

Pour flétrir nos hontes sans nombre, Pétrone, réveillé dans l’ombre,

Saisirait son stylet romain. Autour de notre infâme époque L’ïambe boiteux d’Archiloque Bondirait, le fouet à la main260 !

Comme l’indique le pluriel, la référence au dramaturge est générique, et n’a rien de spécifiquement théâtral ; elle fonde une catégorie qui englobe aussi bien Pétrone et Archiloque. Théâtre, poème et récit, prose ou vers, la satire se définit ici non par des critères stylistiques ou poétiques, mais par sa fonctionnalité, le châtiment, et par ses moyens, la raillerie et l’invective, entendues, selon une métaphore classique que vient

Poésie, t. II, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », p. 852. Cette gêne est très perceptible à la lecture de William Shakespeare et des notes préparatoires. Certainement perpétuée par la réception politique

conservatrice d’Aristophane propre au XIXe, elle est héritée de la lecture antisocratique du XVIIIe siècle : même si la bibliothèque de Hauteville-House comporte la seconde édition de la traduction d’Artaud (J. Cassier, Bibliographie Hugo, en ligne,

http://groupugo.div.jussieu.fr/Biblioth%E8que_Hugo/Interrogation_Bibliotheque_Hugo.htm, interrogée le 25/01/2004), Hugo a sans doute d’abord lu Aristophane dans la traduction de Poinsinet de Sivry, qu’il cite et ridiculise dans le fragment non publié de William Shakespeare sur les mauvais traducteurs (pp. 428 et 437 de l’édition Paris, Flammarion, 1973), et trouve qu’« il y a du Voltaire dans Socrate » (William

Shakespeare, première partie, livre IV, VIII, op. cit., p. 139) ! Aristophane y fait tantôt partie de la liste

des génies, tantôt en est absent. C’est finalement Juvénal qui tiendra la place du génie satirique antique. La préface de Cromwell, on le sait, refuse de faire naître le grotesque dans l’Antiquité, Plaute et Aristophane y étant comptés pour peu de chose ; à mesure que grandit l’aura de l’auteur grec – et l’amitié d’Émile Deschanel, un de ses ardents défenseurs républicains, n’y est sans doute pas étrangère –, Hugo revient sur cette position, lui reconnaît le « souffle éperdu et tout-puissant » d’Eschyle en célébrant son « obscénité sacerdotale » (William Shakespeare, Première partie, Livre IV, VIII, op. cit., p. 138). Aristophane devient alors le modèle d’un lyrisme faunesque que reflète le poème des Chansons des rues

et des bois ; il s’insère, après Archiloque et avant les idylliques alexandrins (Asclépiade, Théocrite, Bion

et Moschus), dans « le groupe des Idylles » de la deuxième série, publiée en 1877 (Paris, Calmann Lévy, 2 vol.) de la Légende des siècles (cf. Victor Hugo, Œuvres complètes. Poésie, t. III, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2002, p. 436-440).

258

Victor Hugo, William Shakespeare, Bruxelles, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1864. Cité d’après l’édition Paris, Flammarion, 1973, p. 139.

259

Victor Hugo, « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres, Paris, Delloye, 1840. Cité d’après l’édition Gallimard, « NRF, Poésie », 1983, p. 246.

260

varier le recours au « stylet », comme flagellation verbale. À peu près au même moment, Nodier creuse l’image traditionnelle, qui pense l’efficacité de la parole satirique sur le modèle de la blessure et de la marque :

Le temps où nous vivons nous a cependant compté des jours dans lesquels Aristophane et Juvénal ne seraient pas de trop ; où cet effronté d'Archiloque décocherait peut-être inutilement son iambe insolent sur le triple airain dont le vice heureux est cuirassé ; où ce n'est pas assez de stigmatiser les fous et les méchants des pastels de l'esprit et des pochades de la fantaisie ; où ce serait peu, je le crains, de l'acide et du fer chaud […]261.

Si la lecture satirique de l’auteur des Nuées est ici valorisée, elle est encore fonctionnelle et transgénérique, et confine au cliché. Car si l’on en croit le Grand Dictionnaire de Larousse, « en littérature, le nom d’Aristophane est souvent cité par antonomase pour désigner un poëte, un écrivain qui attaque énergiquement et avec l’arme du ridicule, les travers, les vices de ses contemporains262 ». La seule spécificité aristophanienne reste la légendaire cible du poète ; le nom, précise Larousse, constitue souvent « une expression de blâme à cause de la part, vraie ou fausse, que le grand comique a eue dans la condamnation de Socrate263 ».

Aristophane est ainsi devenu une figure classique du discours satirique, entendu de manière transhistorique et transgénérique. C’est ainsi un modèle éternel, un répertoire de formes et de tropes qu’Eugène Fallex, traducteur florissant d’un Plutus264 puis de Scènes265 d’Aristophane en vers, fort expurgées, propose à ses lecteurs. Dans l’avant- propos du second ouvrage, il insiste sur le caractère exemplaire de l’œuvre du dramaturge :

[…] la satire, voilà ce que j’ai extrait d’une œuvre qui est la satire sous toutes ses formes. Je voudrais, avec ces épigrammes, ces sarcasmes, ironies, parodies, invectives, apostrophes, étrivières, coups de langue, coups de fouet ou de bâton assénés impitoyablement sur tous les dos, et qui ont fait rire les Athéniens du siècle de Périclès, je voudrais faire rire un peu les Français du XIXe siècle […]266.

La traduction de Fallex vise donc ainsi à une réactualisation de la part de satire éternelle dont Aristophane est plein. Mais cette visée généralisante est réductrice. Comme le précise Fallex dans l’avant-propos de la traduction du Plutus, l’œuvre de l’auteur grec comporte une part historique intransmissible dans son étrangeté ou son scandale :

261

Charles Nodier, « Voyage pittoresque et industriel dans le Paraguay-Roux et la Palingénésie Australe », Revue de Paris, février 1836, cité d’après Charles Nodier, Contes, avec des textes et des documents inédits, Paris, Garnier, « Classiques Garnier », 1979, p. 461-462.

262

Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876, t. 1, 1866, s. v. Aristophane. 263

Ibid.

264

Eugène Fallex, Plutus ou la richesse, comédie d'Aristophane traduite du grec en vers français, Paris, Furne et Perrotin, 1849.

265

Eugène Fallex, Scènes d'Aristophane, traduites en vers français, Paris, Auguste Durand, 1859.

266

[…] reste le style, c’est-à-dire la forme : elle est satirique comme toutes les comédies grecques, comme toutes celles sorties de la verve d’Aristophane. Le mot satirique doit être pris ici dans son acception primitive ; il ne désigne pas seulement la raillerie, l’épigramme badine ou sanglante, la médisance envenimée, il désigne aussi tous les propos et même les gestes hardis et cyniques de cette espèce d’hommes-boucs appelés satyres. Le satyre était né de l’imagination grecque, il dut passer dans la comédie grecque née de lui267.

Fallex ne fait ici que réactiver une étymologie comme on le sait controversée, mais tenace, qui consiste à relier la figure du satyre grec et la satire latine. Dans l’optique propre au XIXe siècle, le satyre désigne ici la monstruosité primitive et mythique des origines, et sert à qualifier le « cynisme » et l’obscénité de la comédie aristophanienne, bref, pour reprendre l’expression de Hugo, son « antique impudeur sacrée268 ». La décantation des âges – et c’est le propos de la traduction de Fallex – permet de faire ressortir de la satyrique satire d’Aristophane le substrat universel et civilisé, et d’y retrouver la forme plus policée de la satire telle que les Romains nous l’ont léguée. Mais la distinction de Fallex, qui oscille entre une définition transhistorique et transgénérique de la satire, définie par son objet et ses figures, et une définition historique qui pose l’épineuse question des origines, désigne en fait le point d’aboutissement d’un bon siècle de redéfinitions du rapport entre satyre et satire, dans lesquelles Aristophane et la comédie ancienne tiennent le premier rôle.

Traditionnellement, en effet, l’association entre satire et satyre, d’abord causée par une confusion lexicale, remontant au Bas-Empire, entre l’adjectif grec saturiko/j et le substantif latin satura, repose sur une fausse étymologie qui fait dériver le mot latin du mot grec et, indissociablement, sur une généalogie poétique affiliant la satura lanx au drame satyrique grec269. Cette généalogie, qui rend ainsi raison du caractère « capricant », désordonné et licencieux de la satire, permet aussi d’en asseoir une définition transgénérique en reliant une forme dramatique à une forme poétique. Elle s’enracine à la Renaissance, en particulier sous l’influence de Scaliger, et s’acclimate dans l’orthographe française qui confondra longtemps les deux formes dans la même graphie (« satyre ») et hésitera, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, à lui substituer la graphie latine de « satire ». Or l’apparition de cette graphie moderne, mentionnée comme une variante peu répandue dans la troisième édition (1740) du Dictionnaire de l’Académie française, correspond à un rétablissement de l’origine latine du terme, que défendait déjà, seul parmi les humanistes, Casaubon, démontrant, dans son essai De Satyrica graecorum Poesi et Romanorum Satira Libri duo de 1605, les différences fondamentales entre le drame satyrique grec étudié dans son seul exemple conservé, le Cyclope d’Euripide, et la satura lanx des Latins. Ce rétablissement, probablement lié à

267

Eugène Fallex, Plutus ou la Richesse, op. cit., avant-propos, p. 11.

268

Victor Hugo, William Shakespeare, op. cit., p. 138.

269

Sur cette question, cf. J. W. Joliffre, « Satyre, Satyra, SATYROS. A study in confusion »,

Bibliothèque d'Humanisme et de Renaissance, 18, 1956, p. 84-95. On pourra aussi consulter la mise au

une volonté de normalisation esthétique après la difficile accession au XVIIe siècle de la satire régulière, imitée d’Horace et de Juvénal, au statut de genre, s’assortit d’une réhabilitation des thèses de Casaubon.

En 1762, dans la quatrième édition, le Dictionnaire de l’Académie, qui reprend globalement les définitions antérieures du mot « satyre » (l’homme-bouc, la satire régulière ou en prose, et par extension tout discours piquant ou médisant), les répartit désormais sous deux entrées correspondant aux deux orthographes. Il y ajoute une nouvelle définition, celle du substantif féminin « satyre » (au sens du drame satyrique), qui nie toute relation avec l’homonyme latin :

Ce nom désignoit, chez les Grecs certains Poèmes mordans, espèce de pastorales ainsi nommées, parce que les Satyres en étaient les principaux personnages : ces Poèmes n'avoient point de ressemblance avec ceux que nous appelons Satire, d'après les Romains270.

Mais l’enjeu étymologique s’est déplacé. Car une fois la satire distinguée du drame satyrique, son champ d’extension générique se rétrécit et exclut explicitement la forme théâtrale, que la confusion orthographique laissait encore envisager. Une satire se définira donc comme un « ouvrage moral en prose ou en vers, fait pour reprendre, pour censurer les vices, les passions déréglées, les sottises, les impertinences des hommes, ou pour les tourner en ridicule271 », à l’exemple d’Horace et de Juvénal, et par extension, elle signifie aussi « tout écrit ou discours piquant, médisant, contre quelqu’un272 ». Sans avaliser encore la distinction orthographique, Louis de Jaucourt, dans l’article « satyres » de l’Encyclopédie, démêle les différentes acceptions du mot en prenant parti pour Casaubon. Il précise ainsi que les « satyres » romaines n’étaient, à la différence des « poëmes satyriques » grecs, « ni dramatiques, ni accompagnées de Satyres, de leurs équipages & de leurs danses, ni faites d’ailleurs dans le même but273 ». Or cette distinction en entraîne une autre : Jaucourt refuse, après Brumoy274, d’assimiler la comédie ancienne et le drame satyrique, différant par leurs fables, leurs personnages, et leurs finalités. La « satyre dramatique275 » grecque n’est donc rien d’autre que le drame satyrique, qui perd jusqu’à la qualification de « mordant » et ne saurait renvoyer historiquement aux pièces d’Aristophane. La normalisation étymologique conclut donc à l’exclusion de la comédie ancienne, qui n’est ni une « satyre » grecque, ni une « satire ».

270

Dictionnaire de l’Académie Française, 4e édition, op. cit., s. v. « satyre ».

271

Ibid., s. v. « satire ». La sixième édition (1835) distinguera même la satire stricto sensu, en vers, et ses avatars en vers et prose mêlés, comme la Satire Ménippée.

272

Ibid.

273

Louis de Jaucourt, « Satyres », in L’Encyclopédie, t. 14, Neufchastel, Samuel Faulche, 1765, p. 698.

274

Le « Discours sur le Cyclope d’Euripide et sur le spectacle satyrique » qui introduit la présentation du drame satyrique d’Euripide, dans Le Théâtre des Grecs, reprend les thèses de Casaubon et distingue le drame satyrique et de la satire romaine et de la comédie ancienne (op. cit., t. III, p. 327-329).

275

Or, dans le Supplément à l’Encyclopédie de 1777, Marmontel commence son article sur la « satyre » (corrigé en « satire » dans les Éléments de littérature de 1787), en distinguant deux modes d’expression satirique : le « simple discours » et l’« action ». Évacuée par l’histoire et l’étymologie, la satire dramatique revient donc en force dans la théorie littéraire, et s’entend, dans une approche typologique, comme un des modes d’une expression satirique définie par sa fonctionnalité, ses moyens et ses cibles. Or c’est la récente survenue au premier plan d’Aristophane et son association avec la satire personnelle qui impose ce nouveau réaménagement. L’auteur grec est devenu un monument incontournable de toute théorie générale de la satire.

Du coup, malgré les historiens et les dictionnaires, l’origine grecque de la satire garde ses partisans ; l’enjeu linguistique en cache en effet un autre, celui du modèle fondateur. L’auteur dramatique et écrivain Jean-Louis Laya, qui avait donné en 1793 une comédie satirique anti-montagnarde, L’Ami des lois, précisément comparée à la comédie ancienne276, s’oppose encore, dans un Essai sur la Satyre de 1800, à Casaubon, pour faire dériver la satire latine de la satire grecque, quasiment identifiée à Aristophane :

Chez les Grecs, la satyre fut presque toujours dialoguée. Le théâtre était l’atelier où elle forgeait ses traits. C’est de-là qu’Aristophane, devenu une PUISSANCE, faisait trembler, jusques dans leur cour, les Satrapes du Grand-Roi277.

Ce qui permet de faire de la comédie grecque – et donc du théâtre – l’origine d’un « genre » :

Ce genre de satyre, où excellait Aristophane, est ce qu’on appelle, chez nous, la satyre théâtrale ; genre que Molière, le premier des satyriques, parce qu’il est le premier des moralistes, a porté depuis à une perfection jusqu’à lui inconnue, et désespérante après lui278.

Mais situer ainsi Aristophane aux origines de la satire théâtrale implique, dans une optique historique, de réévaluer les rapports entre satire et satyre. Deux options se présentent, qui placent toutes deux la comédie ancienne au carrefour entre les deux formes. L’Abbé Vatry, dès 1741, donnait la clé de la première version. S’appuyant sur Aristote279, il assigne à la comédie ancienne une double origine : celle de la poésie

276

Jean-Louis Laya, L’Ami des lois, comédie en 5 actes en vers, Paris, Maradan, 1793. Cette comédie politique, nouvelle réécriture des Femmes savantes créée le 2 janvier 1793 au Théâtre-français, fonctionne, comme les Philosophes, sur les personnalités. La Chronique de Paris (N° 4, vendredi 4 janvier 1793, p. 16) prend ainsi sa défense : « On fait craindre pour les représentations suivantes, on répand déjà que Forlis est tel anarchiste, Duricrâne tel journaliste. Il est impossible, il est vrai, de ne pas reconnoïtre quelques individus dans les pièces à caractère ; d'ailleurs, où seroit la liberté, si on ne pouvoit pas jouer, comme sur le théâtre de la Grèce, les hommes d'État et les orateurs populaires ? »

277

Jean-Louis Laya, Essai sur la Satyre, Paris, imprimerie Demonville, an VIII, p. 12.

278

Ibid., p. 13.

279

ïambique, caractérisée par l’invective personnelle « mordante » voire mortifère (Archiloque et Hipponax !) et celle des chants phalliques, obscènes et indécents, débités à l’occasion des vendanges, « dans ces jours consacrés à Bacchus », par des paysans dont certains « se déguisaient en Satyres280 ». La comédie ancienne tient donc des iambographes son caractère satirique, et de ses origines dionysiaques son lien avec les satyres. Ainsi, « par la satyre personnelle elle imita la poësie ïambique, & elle emprunta des poëtes phalliques les ordures dont elle amusa les spectateurs281 ». Telle sera, mutatis mutandis, la version privilégiée du XIXe siècle, dont Fallex donne l’exemple ; le satirique, les ïambographes étant souvent oubliés, renvoie à l’attaque mordante d’une cible, le satyrique se fond dans la bacchanale et le cômos, dans lesquels s’origine l’obscénité primitive de l’ancienne comédie.

L’autre version, plus acrobatique, consiste à poser une essence de la satire et à la repérer dans les formes grecques et latines, en faisant de la comédie ancienne un chaînon manquant et en procédant à un maquillage historique qui restaure l’étymologie primitive en la dissociant de son référent grec habituel. C’est à quoi s’emploie subtilement, en 1821, l’auteur d’une étude sur les « spectacles satiriques » antiques, largement consacrée à Aristophane. Elle s’ouvre sur la généalogie suivante, véritable tour de passe-passe terminologique pour asseoir une définition transgénérique de la satire :

Les drames satiriques, par cela même qu’ils étaient écrits avec une grande licence, devaient contenir un grand nombre de traits mordans. Ces traits finirent par les caractériser, au point qu’on en vint insensiblement à nommer pièces satiriques des pièces épigrammatiques où les Satyres ne figuraient même pas.

C’est à cette modification qu’on doit, ce me semble, les comédies d’Aristophane. C’est d’elle aussi qu’est sorti ce genre de poème non dramatique, spécialement désigné par le nom de satire282.

L’homophonie devenant synonymie, l’origine bachique de la comédie l’autorise à dériver du drame satyrique, lequel est pensé, en retour et par hypothèse, sur le mode satirique du « mordant ». Ce mode « caractéristique » suffit à fonder une catégorie transversale qui relie le drame satyrique au théâtre d’Aristophane, bien qu’il ne comporte pas de Satyres, puis à la satire latine, bien qu’elle ne soit pas théâtrale :

Quand les graves inconvéniens qui résultaient de la représentation des drames satiriques eurent déterminé les magistrats d’Athènes, contre lesquels ils étaient souvent dirigés, à leur interdire l’accès du théâtre, la malice inventa une autre manière de médire ou de calomnier. Substituant l’épître au drame, les poètes adressèrent en leur propre nom au lecteur les déclamations qu’auparavant ils faisaient débiter sur la scène par des interlocuteurs ; et les poëmes où ils attaquèrent

280

René Vatry, « Recherches sur l'origine et les progrès de la comédie grecque » [discours prononcé le 11 avril 1741], Mémoires de l'Académie des Inscriptions et des belles lettres, t. XVI, 1751, p. 392.

281

Ibid.

282

A. V. A., « Biographie dramatique. Des spectacles satiriques. Comiques grecs, Aristophane, etc. », Le

les vices et les ridicules, retinrent la dénomination des drames dont elles reproduisaient le principal caractère283.

La généalogie à rebours que cache ici l’étymologie répond à un double objectif.

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