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a) Fictions allégoriques : les personnifications de Louis-Népomucène Lemercier

Aristophane revient souvent dans l’œuvre de ce « premier novateur455 » assez vite oublié que fut Louis-Népomucène Lemercier, fertile en idées mais peu fécond en réalisations durables, ouvrant la voie au romantisme mais incapable de le reconnaître. Évoqué dans quelques poésies de jeunesse, l’auteur antique fournit la matière de quelques allusions – on s’en souvient – à un essai de Comédie grecque tardivement publié, mais aussi quelques pages d’un cours de littérature qui fut le premier à appeler à sa réhabilitation456, ainsi que la caution d’une illisible satire politique publiée en 1832. Ces deux dernières œuvres constituent en fait, en théorie puis en pratique, le premier système général d’une esthétique aristophanienne fondée sur le modèle caricatural457. Or ce système, ce qui n’étonne guère dans une œuvre littéraire et critique qui assume l’héritage classique tout en cherchant de nouvelles voies formelles458, reste prisonnier de la dimension normative de ses prédécesseurs. La réhabilitation de la comédie aristophanienne qui s’y opère se coule donc dans le moule et le vocabulaire de la critique antérieure. Elle en reprend le paradoxe principal, qui oppose la non-fiction des personnalités à l’excès de fiction du burlesque, pour tenter de lui conférer une dimension positive.

454

Karl Hillebrand, Des conditions de la bonne comédie, Paris, A. Durand, 1863, p. 22.

455

Jules Janin, Histoire de la littérature dramatique, op. cit., t. IV, 1854, p. 428.

456

Cf. René Canat, La Renaissance de la Grèce antique, Paris, Hachette, 1911, p. 80.

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Esthétique aristophanienne, mais aussi, dans la mesure où Lemercier, comme on va le voir, la met en œuvre lui-même, aristophanesque (ou plus précisément, « aristophanique »).

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Malgré la faible réussite littéraire de Lemercier, « un de ces hommes rares à qui il n’a manqué qu’un peu de génie pour faire de grandes choses » (Jules Janin, Histoire de la littérature dramatique, op. cit., t. 4, 1854, p. 283) on s’accorde à voir par exemple dans Pinto ou la Journée d’une conspiration (1800) le prototype de la comédie historique (cf. par exemple Pierre Frantz, « Théâtre et fêtes de la Révolution » in Jacqueline de Jomaron (dir.), Le Théâtre en France, [1983], Paris, Le livre de poche, « Encyclopédies d’aujourd’hui » 1993, p. 521). Christophe Colomb (1807) s’attaque aux unités. Le Cours analytique de

littérature, quant à lui, pousse à l’extrême le souci taxinomique des traités néo-classiques, tout en tentant

d’ouvrir la voie à de nouvelles formes. Sur Louis-Népomucène Lemercier, on pourra consulter la monographie de G. Vauthier, Essai sur la vie et les œuvres de Népomucène Lemercier, Toulouse, A. Chauvin, 1886.

La première présentation de la comédie grecque ancienne, dans le Cours analytique de littérature générale, commence précisément par disjoindre les deux termes du paradoxe ; assez curieusement, Lemercier y distingue deux époques, qui correspondent grosso modo aux étapes traditionnelles de l’ancienne et de la moyenne comédies : celle d’Aristophane, « où les choses et les personnes étaient traduites au théâtre sous leurs noms véritables et livrées sans déguisement à la dérision populaire », et celle de Magnès, « où les objets critiqués n’étaient que désignés sous les formes de la parodie allégorique459 ». Quel que soit son fondement historique460, la distinction recouvre exactement la dichotomie classique entre burlesque et personnalités : « les dieux de la fable n’y sont pas plus épargnés que les hommes de l’histoire461 ». Mais elle n’est posée qu’à titre provisoire, pour lever d’emblée la critique classique et plutarquienne de l’absence de decorum : « on lui reproche de ne point distinguer les conditions, les traits, les physionomies des individus, par la diversité du langage et des habitudes : mais ce n’est pas là son but462 ». La finalité qu’attribue Lemercier à la comédie ancienne va permettre en effet de réconcilier allégorie et réalité référentielle des personnages :

Elle ne peint point les mœurs des originaux d’une ville, ni tels ou tels personnages de la société : c’est la cité elle-même qu’elle personnifie sous ses emblèmes bouffons ; c’est le masque d’Athènes toute [sic] entière : son gouvernement, sa politique, ses abus, ses sophismes, s’y caractérisent par la licence, en des portraits effrontés463.

Cette définition porte en germe tout le raisonnement de Lemercier. Loin de mimer un individu singulier, le masque imite un modèle doté d’une certaine généralité. Il semble bien s’agir d’une imitation, dans la mesure où les moyens formels, « portraits effrontés » ou « emblèmes bouffons », servent à la caractérisation politique et sociale d’Athènes. De sorte que la distinction entre les charges personnelles et les chimères grotesques ne tient plus : les unes et les autres, le Paphlagonien-Cléon comme le chœur des Guêpes, relèvent d’un fonctionnement allégorique et sont englobés sous la dénomination commune de personnifications. Juger, comme le fait La Harpe, de la comédie d’Aristophane « suivant les règles de la comédie domestique » conduit à une totale erreur de perspective : « cette autre comédie grecque, prenant tout en général, ne trace pas […] les figures individuelles, mais les faces ridicules de la chose publique464 ». Tout l’effort de Lemercier va donc consister à unifier la dimension

459

Louis-Népomucène Lemercier, Cours analytique de littérature générale, op. cit., tome premier, p. 124.

460

Lemercier les présente à rebours de la chronologie, Magnès étant cité dans les Chevaliers comme un vieillard chenu (v. 520). L’évocation qu’en fait Aristophane (v. 521-526), qui permet de reconstituer quelques-uns des titres de ses comédies, est à peu près la seule source fiable le concernant. Le caractère fantastique de ces titres conduit généralement à le classer du côté de la fiction allégorique plutôt que de celui de la satire personnelle. Cf. par ex. Jacques Denis, La Comédie grecque, 2 vol., Paris, Hachette, 1886, t. 1, chapitre III, ou Maurice Croiset, op. cit., t. III, p. 493-494.

461

Louis-Népomucène Lemercier, op. cit., t. 1, p. 124.

462 Ibid. 463 Ibid. 464 Ibid., p. 125.

fantastique et la dimension satirique de la comédie aristophanienne en veillant à lui restituer la portée générale que la lecture personnelle et l’esthétique du portrait lui déniaient. Ainsi se met en place un jeu complexe d’oppositions entre la comédie antique et la comédie moderne :

[…] la nôtre représente fidèlement les hommes et leurs mœurs ; la leur représentait des êtres de raison et des corporations entières individualisées : la nôtre touche proprement les vices de la société ; la leur atteint figurément les vices de l'administration publique : la nôtre ne frappe que les ridicules ; la leur désigne les personnes, et les nomme : la nôtre a pour fondement le vrai et le vraisemblable ; la leur bâtit des fables sur la bouffonnerie idéale et sur une invraisemblable parodie : la nôtre parle un langage direct ; la leur ne parle qu'à double sens et ne se fait entendre que par allusion465.

C’est donc dans un véritable « système allégorique466 » que la comédie ancienne trouve sa cohérence esthétique, fondée sur la concordance de ses moyens avec sa fin, l’objectif avoué de la démonstration étant d’attribuer « une sorte de vraisemblance suffisante467 », définie comme « une coordonnance régulière de folies idéales », à tout un « ensemble de chimères risiblement extravagantes, que rien ne démentira dans la composition ni dans l’exécution468 ». Ce système se décline en « sept conditions spéciales469 » :

1° Son but philosophique, comme nous l'avons dit, est de corriger les corporations, les factions et les sectes, êtres qui ne sont réels que collectivement ou qu'en idée ; 2° elle les personnifie en individus fictifs et sous des figures imaginaires ; 3° les actions de ces personnages chimériques sont invraisemblables comme eux et malignement bouffonnes, parce qu'elles sont la parodie d'actions folles ou méchantes ; 4° la fable offrira continuellement un double aspect ; un direct au sujet exposé sur la scène, et un indirect à l'objet allégoriquement raillé ; 5° conséquemment les discours auront deux sens, dont l'un s'appliquera aux passions du personnage théâtral, et l'autre aux vices ridiculisés des personnages ou des choses que l'on critique ; 6° les traits du dialogue seront comiquement outrés pour s'accorder avec l'exagération des masques ; 7° les caractères seront chargés pour se conformer au ridicule excessif des figures agissantes […]470.

C’est bien en effet un système qui nous est présenté, dans lequel le dualisme et la clôture sémantique de l’allégorie permettent de rendre raison de toutes les irrégularités aristophaniennes selon la critique classique, et de leur réattribuer une visée mimétique. La nature abstraite du comparé (1°) met à distance le réel que les personnalités faisaient surgir dans son irréductible singularité ; celles-ci deviennent des personnifications (2°), c’est-à-dire qu’elles se laissent traduire en termes abstraits (4° et 5°). Le grotesque généralisé (3°, 6°, 7°) redonne par ailleurs, comme c’était déjà le cas chez l’abbé Vatry, 465 Ibid., t. 2, p. 56. 466 Ibid., p. 49. 467

Ibid., p. 58-59. D’Aubignac était déjà de cet avis en ce qui concerne l’invention du chœur aristophanien, « imaginations certes tres-ridicules, mais comiques, et où la vray-semblance est bien gardée » (op. cit., p. 200).

468 Ibid., p. 58. 469 Ibid., p. 59. 470 Ibid., p. 58.

une autonomie fictive à l’univers dramatique. Mais cette autonomie ne va pas jusqu’à l’« extravagance » reprochée par les classiques ; le burlesque est en effet pensé, dans l’application bijective de l’allégorie, en termes de relations avec le référent abstrait (3°) : c’est la folie ou la méchanceté des actions critiquées qui déterminent l’invraisemblance maligne et bouffonne des actions fictives. Le mode de la relation est donc univoque : génériquement identifié à la parodie, il consiste esthétiquement dans la déformation de l’outrance, de l’exagération et de la charge.

La réhabilitation de la poétique aristophanienne est donc inséparable d’une réévaluation du fantastique et du grotesque. Cette réévaluation, comme on le sait, est caractéristique de l’histoire littéraire du XIXe siècle ; elle constitue un des chevaux de bataille du romantisme, de la Préface de Cromwell aux Grotesques de Théophile Gautier, et le réalisme y voit aussi plus tard, pour d’autres raisons, un enjeu fondamental. Or la caricature, qui constitue un des modes d’expression privilégié du grotesque s’impose, à la faveur de sa diffusion et de son accession au statut artistique, comme une forme centrale de la réflexion esthétique sur cette catégorie. Avant les Histoires de la caricature de Champfleury471, qui sont aussi à bien des égards une histoire du grotesque, Baudelaire, comme on le sait, donne avec Banville et Vitu un Salon caricatural472 et consacre une partie de ses essais esthétiques à « Quelques caricaturistes français et étrangers »473. « L’Essence du rire », qui théorise le grotesque, se présente d’abord comme une réflexion sur les « éléments constitutifs de la caricature », dont il s’agit de penser, dans les productions qui se haussent au-dessus du simple témoignage historique, « cet élément insaisissable du beau » introduit « dans les œuvres destinées à représenter à l’homme sa propre laideur morale et physique474 ». À la fin du siècle, son statut artistique relève de l’évidence, comme en témoignent par exemple Arsène Alexandre, qui publie en 1890 une histoire générale du genre sous le titre éloquent de L’Art du rire et de la caricature475, ou Léo Claretie, évoquant, dans la monumentale Histoire de la langue et de la littérature française de Petit de Julleville, les revues satiriques du milieu du siècle, « ces pamphlets illustrés où Daumier

471

Jules Husson, dit Champfleury, le promoteur du réalisme, consacra plusieurs volumes, tous publiés chez Dentu, à l’histoire du dessin caricatural : l’Histoire de la caricature antique [1865], Histoire de la

caricature moderne [1865], Histoire de la caricature au moyen-âge [1870] (réed. augmentée Histoire de la caricature au moyen-âge et sous la Renaissance [1875]), Histoire de la caricaturesous la République, l'Empire et la Restauration (idem, [1874]), Histoire de la Caricature sous la Réforme et la Ligue [1880]. 472

Le Salon caricatural. Critique en vers et contre tous illustrée de soixante caricatures dessinées sur

bois. Première année, Paris, Charpentier, 1846, in Baudelaire, Œuvres complètes, texte établi, présenté et

annoté par Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1976.

473

Charles Baudelaire, « Quelques caricaturistes français », Le Présent, 1er octobre 1857 ; « Quelques caricaturistes étrangers », Le Présent, 15 octobre 1857. Ces deux essais font suite à la reprise de l’« Essence du rire » dans le même périodique (1er septembre 1857).

474

Charles Baudelaire, « De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques », Le

Portefeuille, 8 juillet 1855. Cité d’après l’édition des Œuvres complètes, op. cit., t. II, 1976, p. 526. Les

trois articles, qui formaient une sorte d’ensemble, furent recueillis par Banville et Asselineau dans le deuxième tome des Œuvres complètes de 1868, intitulé par eux Curiosités esthétiques.

475

prodiguait ses silhouettes inoubliables, où André Gill, Bertall, Cham, Moloch, Le Petit, Gavarni, haussaient la charge à la hauteur d’un art476 ».

L’essor de la caricature est largement lié à l’extension massive de sa diffusion grâce aux perfectionnements techniques de la lithographie. Importé d’Allemagne en France au tout début du siècle, le procédé bénéficie, en 1818, d’un appui gouvernemental important qui assure ainsi à la reproduction des dessins caricaturaux un développement sans précédent477. Ce progrès de la diffusion se lie, après les journées de juillet 1830, à une liberté retrouvée de la presse, bridée depuis la Révolution, pour donner lieu à une explosion de la production de caricatures politiques, en particulier dans des journaux satiriques spécialisés comme la Caricature, créée en 1830, puis le Charivari (1832). Baudelaire évoque ainsi cette période de « fièvre caricaturale » dans les pages de « Quelques caricaturistes français » qu’il consacre à Daumier :

Dans cette guerre acharnée contre le gouvernement, et particulièrement contre le roi, on était tout cœur, tout feu. C’est véritablement une œuvre curieuse à contempler aujourd’hui que cette vaste série de bouffonneries historiques qu’on appelait la Caricature […]. C’est un tohu-bohu, un capharnaüm, une prodigieuse comédie satanique, tantôt bouffonne, tantôt sanglante, où défilent, affublées des costumes variés et grotesques, toutes les honorabilités politiques478.

Or, ce modèle de la caricature politique va fournir à Lemercier l’analogie picturale permettant par équivalence de penser le grotesque aristophanien que son Cours analytique met au premier plan. C’est précisément dans ce contexte, en 1832, qu’il choisit de publier, assez confidentiellement479, une sorte de « comédie épique », à la portée littéraire fort limitée, mais qui présente l’immense intérêt de mettre en application une lecture caricaturale de l’esthétique aristophanienne établie dans le Cours analytique, tout en la théorisant à l’aide d’un large appareil paratextuel. Sous-titrée Le Spectacle infernal du dix-neuvième siècle, le texte se présente comme la Suite de la Panhypocrisiade480. La première Panhypocrisiade, ou Le Spectacle infernal du seizième

476

Léo Claretie, « La Presse au XIXe siècle », in Histoire de la langue et de la littérature française des

origines à 1900, publ. sous la dir. de L. Petit de Julleville, 8 vol., Paris, A. Colin, 1896-1899, t. VIII,

1896, p. 391.

477

Cf. John Grand-Carteret, Les Mœurs et la caricature en France, Paris, Librairie illustrée, 1888, p. 117 sq.

478

Charles Baudelaire, « Quelques caricaturistes français », cité d’après Œuvres complètes, op. cit., t. II, 1976, p. 549.

479

D’après Fernand Drujon (Les Livres à clef, 2 vol., Paris, E. Rouveyre, 1885-1888, t. 2, p. 740), le texte ne fut pas mis en vente.

480

Louis-Népomunène Lemercier, Suite de la Panhypocrisiade, ou Le Spectacle infernal du dix-neuvième

siècle, Paris, G. Doyen, 1832. Le texte est publié en 1832, mais une note au début du chant I en fait

remonter la période de composition aux années 1814-1815, ce qui semble corroboré par une précision dans le texte lui-même (p. 14), qui date l’écriture du chant I d’une époque où Napoléon gouvernait encore, soit 1814. La présence de Fusillaron (Napoléon) parmi les spectres infernaux s’explique alors par le fait que « son esprit d’avance habite dans l’enfer ». Mais l’important pour Lemercier est moins la date de la rédaction que celle de la présentation. La « Deuxième Lettre à Dante Alighieri » insiste sur le fait que les événements, et les hommes, appartiennent au passé, et, échappant au reproche de personnalité,

siècle, donnée en 1819 et dédiée à Dante, se présentait comme la publication d’un vieux manuscrit dû à « un poëte nommé Mimopeste, c’est-à-dire, fatal aux mimes481 ». Il s’agissait d’une sorte d’« épopée théâtrale482 » en seize chants, relatant un spectacle donné aux enfers, mêlant récit et dialogues, et évoquant sous une forme allégorique les hypocrisies du siècle. On y voyait apparaître les grandes figures politiques, scientifiques, religieuses et artistiques de la Renaissance, Copernic dialoguer avec la Terre, François Premier avec la Conscience et la Monarchie, Michel-Ange avec l’Hypocrisie, Luther avec le Diable, etc. La Suite de la Panhypocrisiade, elle, se présente comme le doublet plus nettement satirique de la première, et se consacre à l’histoire politique récente, de la Révolution au début de la Restauration. S’il en est encore le dédicataire, Dante n’est plus la référence intertextuelle principale, comme le lui expose Lemercier dans sa « Lettre » liminaire :

[Le] souvenir [de la Panhypocrisiade] m’encourage à t’offrir la suite de mes chants infernaux. Ceux-ci te sembleront moins empreints de ton coloris sombre que des teintes vives et caustiques d’Aristophane. À son exemple, j’ai voulu traduire en scènes les hypocrisies de nos factions sous les formes dont il revêtit les impostures des factions athéniennes483.

Le texte se présente donc explicitement comme une réactualisation de l’esthétique aristophanienne. De fait, la pièce « méchamment toute aristophanique484 » dont le poème lui-même relate la représentation infernale prend comme matrice le noyau de la fable des Chevaliers, qu’elle exploite à l’envi, et qu’indique d’ailleurs dès l’incipit une réécriture de son exposition :

DYNASTIARQUE Allons, Féodalie ! Inquisitine, allons !

Pleurons, pleurons ensemble, et tous trois exhalons De soupirs et d’hélas un concert lamentable.

ENSEMBLE

Mù, mù, mù, mù, mù, mù ! Quel accord pitoyable ! FÉODALIE

Papa Dynastiarque, en doyen de céans, Rappelez la vertu de vos treize cents ans. À quoi bon soupirer comme trois cornemuses ?

sont en quelque sorte « tombés dans le domaine de la libre critique offerte à la postérité » (op. cit., p. VIII).

481

Louis-Népomucène Lemercier, La Panhypocrisiade ou Le Spectacle infernal du seizième siècle, comédie épique, Paris, Firmin-Didot, 1819, « Épître à Dante Alighieri », p. VI.

482

Ibid., p. X.

483

Louis-Népomucène Lemercier, Suite de la Panhypocrisiade, ou Le Spectacle infernal du dix-neuvième

siècle, op. cit., « Deuxième lettre à Dante Alighieri », p. II. 484

INQUISITINE

Forgeons quelques ressorts, inventons quelques ruses Pour fuir de cet hôtel485.

Dynastiarque (le pouvoir royal) et Féodalie (l’aristocratie) pleurent avec Inquisitine (le Clergé) la décision de Lutessote (la France) qui vient de renvoyer son ancien régisseur (Dynastiarque lui-même), tandis que Démagogueule, « fille de son faubourg486 », lui cherche « un nouvel intendant487 ». Lutessote finit par accepter le candidat de Démagogueule, l’« incorruptible488 » Tigrispierre, « un charlatan de place, escroc des plus pervers489 », qui la métamorphose en la coiffant d’un bonnet rouge490. Tigrispierre déchu, Lutessote confie sa « régie » à « un corps quitumviral491 » avant que survienne, « en caporal / De tous les charlatans un charlatan rival492 », le dénommé Fusillaron qui lui fait miroiter des chasses « sur les terres lointaines493 » : Lutessote le nomme « surintendant et de plus grand-veneur494 ». Suite logique de la succession des régimes, le dénouement voit bien entendu Dynastiarque, « rajeuni de mœurs et de costume495 », en habit constitutionnel, restauré dans ses fonctions initiales de régisseur. Si le principe de la fable provient des Chevaliers, il se résume en fait à son motif principal, à savoir le détrônement d’un intendant malfaisant par une canaille pire encore ; les oracles dérobés par le premier serviteur au Paphlagonien dans la pièce d’Aristophane, qui énumèrent, dans une gradation vers le pire, les marchands appelés à se succéder à l’administration de Démos, du marchand d’étoupes (Eucratès) au marchand de boudin qui doit supplanter le Paphlagonien (Cléon) en canaillerie496, fournissent la base de la transposition diégétique opérée par Lemercier. Quant au dénouement, s’il est calqué sur l’épiphanie proposée par l’hypotexte, qui s’achève par l’apothéose de Démos rajeuni, il fait l’objet d’une transvalorisation négative et se

485

Ibid., p. 4-5 (chant XVIIe).Ces répliques condensent et adaptent les v. 8 à 26 des Chevaliers, citant textuellement les onomatopées du v. 10.

486

Ibid., p. 5.

487

Ibid., p. 6. Rappelons que le Paphlagonien représentant Cléon est, dans les Cavaliers, l’esclave intendant de Démos. Le nom de Lutessote (Lutte-sotte ou encore Lutèce-sotte – ce qui justifie le « faubourg ») est, par ailleurs, un mot-valise conforme aux caractéristiques habituelles de l’onomastique

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