• Aucun résultat trouvé

De la caricature à la rhétorique

Primat de l’ostension, double jeu de la théâtralité satirique, écriture de la saynète, tels sont donc les aspects théâtraux fondamentaux de la caricature. La lecture caricaturale de la comédie ancienne, si elle affirme indéniablement son caractère spectaculaire, s’expose, en mettant en jeu les dimensions théâtrales propres à la caricature, à retrouver les difficultés dramaturgiques que relevaient la lecture satirique et l’esthétique du portrait, en y ajoutant la prééminence de l’ostension visuelle. Le premier problème consiste en effet dans le passage de la spectacularité fragmentée de la caricature à la dramaturgie continue de la comédie. La temporalité statique de l’opsis caricaturale et la fragmentation dramaturgique de la saynète ne permettent d’envisager d’autre déroulement qu’une pure succession, selon le modèle de la lanterne magique ; la logique causale propre à l’intrigue, le passage de la coordination à la subordination602 semblent exclus. Dès lors la question de la cohérence de la comédie ne peut guère se résoudre en termes d’action. Le second problème concerne l’autonomie d’un univers dramatique dont les personnages, soumis au schématisme caricatural et à la double énonciation de la théâtralité satirique, apparaissent comme des marionnettes manipulées par un archi-énonciateur devenu tout à coup visible et pratiquant en quelque sorte ce que Patrice Pavis appelle, à propos de Brecht, l’ostension démonstrative603. La tentation d’une partie de la critique universitaire française consiste à faire du second problème la établi et préfacé par Marcel Bouteron, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1966, p.1093).

600

Auguste Vivien et Edmond Blanc, Traité de la législation des théâtres, ou exposé complet et

méthodique des lois et de la jurisprudence relativement aux théâtres et spectacles publics, Paris, Brissot-

Thivars, Charles-Béchet, 1830, p. 114 .

601

John Grand-Carteret, L'Année en images, Politique - Littérature - Théâtre - Peinture - mœurs -

actualités diverses - modes, Paris, May et Motteroz, ancienne maison Quantin, s. d. [1893], p. 9. 602

Cf. Paul Ricœur, Temps et récit, t. I, L’intrigue et le récit historique, Paris, Seuil, 1984, réed. « Points Essais », 1991, p. 85.

603

réponse au premier, et à chercher la cohérence de la comédie aristophanienne dans l’unité d’un discours dont la caricature sera conçue comme l’illustration.

Tel est en résumé le raisonnement que développe l’universitaire Jacques Denis, dans le chapitre central de sa volumineuse étude sur La Comédie grecque publiée en 1886604. Le projet critique de Denis, largement dirigé contre la tradition allemande qui, depuis Schlegel et Hegel, voit dans la comédie ancienne le triomphe poétique et anarchique de la gaîté sans autre fin qu’elle-même605, consiste en quelque sorte à vouloir maîtriser la prolifération imaginaire du fantastique (équivalent, pourrait-on avancer, du triomphe de l’opsis spectaculaire) en lui imposant le contrôle du discours :

[…] l’action, s’il y en a une dans les comédies d’Aristophane, est conçue dans les mêmes vues que les caractères ; je veux dire que, dans son étrangeté fantastique, elle a pour but principal de rendre sensible telle ou telle démonstration politique, philosophique ou littéraire606.

Tenant, comme la plupart des commentateurs du siècle, d’une lecture idéologique de l’œuvre aristophanienne, Denis tente de décrire sa structure formelle en utilisant le modèle d’une théâtralité caricaturale qu’il subordonne à une définition non plus dramatique, mais rhétorique et argumentative de la comédie ancienne. Il retrouve, au point de départ, la théorie de l’allégorie caricaturale énoncée par Lemercier et reprise par Poyard :

La comédie d’Aristophane, écrit-il, n’est […] le plus souvent qu’une abstraction réalisée sous une forme bouffonne, ou la mise en action d’une allégorie dans un drame fantastique et burlesque.

Mais le burlesque et le bouffon tiennent à un autre procédé de l’imagination livrée à elle-même, je veux dire à l’hyperbole poussée jusqu’à ses dernières limites, et qui se traduit, dans la comédie, en caricatures607.

Si l’abstraction allégorique, mode spécifique de la démonstration aristophanienne, constitue le fond structurel de sa comédie, son langage est tout entier modélisé par la caricature. Utilisant tout le spectre offert par la forme caricaturale, Denis y distingue les « caricatures des hommes », « Cléon, Nicias, Démosthène, Lamachos, Euripide, Agathon, Socrate, même le grave et vénérable Eschyle », lesquels « ne sont pas des

604

Jacques Denis, La Comédie grecque, 2 vol., Paris, Hachette, 1886.

605

Sur la réception d’Aristophane chez les frères Schlegel et chez Hegel, cf. Martin Holtermann, Der

deutsche Aristophanes […], op. cit., p. 91-117. Le Cours de littérature dramatique d’August Wilhelm

von Schlegel (Vorlesungen über dramatische Kunst und Literatur, Heildelberg, Mohr & Zimmer, 1809), traduit dès 1814, a une grande influence, on le verra, sur la réception d’Aristophane en France. On y trouve une définition de la comédie ancienne comme une forme démocratique et anarchique en son principe, dont le seul but consiste dans « la gaîté elle-même » (August Wilhelm von Schlegel, Cours de

littérature dramatique, traduit de l'allemand [par Madame Necker, née de Saussure], 3 vol, Paris, Genève,

J. J. Paschoud, 1814, cité d'après la nouvelle édition, revue et annotée [par Eugène Van Bemmel], 2 vol., Paris, Bruxelles, Leipzig et Livourne, A. Lacroix, Verboeckoven et Cie, 1865, t. I, p. 229).

606

Jacques Denis, op. cit., t. 1, chapitre VI, « Esprit et constitution de la comédie aristophanesque », p. 274.

607

hommes, mais des masques » et les « caricatures des actions et des choses 608», comme l’altercation du corroyeur et du charcutier dans les Chevaliers. Les personnages et l’action étant définis comme des caricatures, Denis peut alors décrire – à l’aune de la forme dramatique aristotélicienne – une dramaturgie aristophanienne qui déroule les différents aspects de la théâtralité caricaturale. Le premier aspect est la déshumanisation des personnages, qui « manquent de vie, parce qu’ils manquent de vérité », à l’exemple du Paphlagonien :

L’entrée de Cléon dans les Chevaliers est magnifique et semble promettre la forte peinture d’un sycophante au service des appétits populaires. Mais ce caractère, qui s’annonçait si bien par ses premières paroles, tourne aussitôt à la charge, et Cléon, au lieu d’être un personnage réel, n’est plus qu’une marionnette que le poète fait mouvoir et grimacer à son gré pour le rendre odieux et ridicule609.

Le deuxième aspect, conséquence du premier, concerne la syntaxe de l’action : Il résulte de là une conséquence à peu près inévitable, c’est que, toute vraisemblance étant écartée, les hommes étant réduits à l’état de marionnettes, et leurs actions à l’état de caricatures bouffonnes et impossibles, il ne reste plus au poète de moyens et de ressorts pour constituer une action véritable, qui ait un commencement, un milieu et une fin, un nœud, des péripéties et un dénouement610.

De manière significative, cette carence de l’action est comprise comme un statisme et donnée comme la conséquence explicite du primat de l’ostension :

Destinée à représenter grotesquement une action abstraite, l’action est aussi immobile que le masque des personnages ; elle se réduit en général à une scène extrêmement frappante ; après quoi, si on la considère selon les règles habituelles de l’art dramatique, elle semble languir malgré l’esprit et la verve plaisante du poète ; et lorsque la pièce finit, on ne voit pas pourquoi elle finit, si ce n’est que le poète l’a ainsi voulu611.

La force pragmatique de la comédie aristophanienne est pensée sur le mode de l’impression immédiate et unique de l’opsis caricaturale. Dès lors la dynamique temporelle ne peut relever que de la simple succession et l’on tombe fatalement dans le travers de la forme épisodique, conséquence de la temporalité rigide de la forme caricaturale : « À la place d’une action bien conduite nous avons des épisodes décousus ; à la place d’une comédie qui marche et se développe, une comédie à tiroirs ; et c’était une nécessité du genre612. » Fragmentation, mécanisme et rigidité vont finalement contrevenir à une définition normative de la forme dramatique, fondée sur l’autotélisme des personnages et l’organicité de la fable. En l’absence de cet

608 Ibid ., p. 266-267. 609 Ibid., p. 271. 610 Ibid., p. 275-276. 611

Ibid., p. 276. C’est nous qui soulignons.

612

illusionnisme de la « vérité » et de la « vie », on ne saurait conclure autrement qu’en excluant la comédie aristophanienne du champ dramatique :

[…] il m’est impossible de ne point considérer la comédie comme une œuvre dramatique, et ce qui manque le plus à celle d’Aristophane, en vertu même de sa constitution, est précisément le drame ou une action vraie, parce qu’elle n’est pas impossible, se développant comme d’elle-même et ne résultant pas des vues fantastiques et de la verve endiablée du poète613.

C’est finalement l’autonomie de la fiction dramatique, reposant sur l’altérité des personnages, que nie la comédie de caricature. Est-ce le poète ou Cléon qui apostrophe les héliastes en les qualifiant de « confrérie des trois oboles614 » ? Les marionnettes laissent deviner le marionnettiste ; le fantasme illusionniste de l’invisibilité de la double énonciation est balayé par l’évidence de la double voix satirique et de la manipulation caricaturale, partiales et arbitraires. Évidence qui n’avait pas échappé à Édélestand du Méril, prompt à déceler derrière les caricatures aristophaniennes le crayon de leur dessinateur :

Ils avaient, chacun, une étiquette spéciale, un masque d’une laideur bien personnelle et un rôle différent à remplir, mais aucune individualité : c’était en réalité l’auteur qui riait, qui raillait, qui pérorait sous leur nom. […] ces prétendus portraits historiques, si savamment reconnus par quelques philologues, étaient de grosses caricatures à la sanguine, où Aristophane ne s’inspirait de la réalité que pour l’enlaidir et n’attachait un nom connu que pour en compléter le ridicule615.

Nous voilà donc renvoyés à un problème classique d’énonciation, que pointait parfaitement Marmontel. Sans revenir à d’Aubignac en acceptant que la comédie soit tout entière dictée par le « caprice » personnel et vindicatif du satiriste, faut-il admettre la version schlegelienne du triomphe anarchique et chaotique de l’imagination comique ? Pas plus que Lemercier ne pouvait envisager la prolifération d’un grotesque livré à lui-même sans le contrôle d’une raison allégorique, pas plus le rationalisme de Denis, sans doute aussi rivé sur la ligne bleue des Vosges, ne peut se satisfaire de « cette théorie de la comédie ou du fantastique, qui a tourné tant de têtes allemandes et leur a fait débiter tant de sottises à peine intelligibles » : c’est « plutôt la théorie de la folie que celle de la gaieté616 ».

Puisque « je » il y a, c’est donc dans le discours que l’universitaire va reconstituer la cohérence de la comédie ancienne, en tentant de faire du modèle caricatural une forme- sens. Reprenant les arguments de la thèse de Maurice Croiset, consacrée aux personnages chez Aristophane617, et qui les distingue de ceux de Molière en ce que, peu caractérisés, ils fonctionnent comme des instruments au service d'une démonstration,

613

Ibid., p. 292.

614 Ibid., p. 271 (Aristophane, Cavaliers, v. 255 : « fra/terej triwbo/lou »). 615

Édélestand du Méril, op. cit., t. 1, p. 365.

616

Jacques Denis, op. cit., T. I, p. 262.

617

Denis construit une lecture entièrement rhétorique de la comédie aristophanienne. Croiset, d’après les catégories des rhéteurs grecs, définissait la comédie ancienne, par opposition à la comédie de caractère ou de mœurs (h0qikh/), comme une comédie militante et de combat (parainetikh\ kai\ a)gwnistikh/). Denis généralise cette vision :

[…] la comédie aristophanesque a un but très précis, très déterminé, aussi déterminé et aussi précis que celui d'un discours et d'une démonstration, et elle le poursuit invariablement avec une logique qui lui est propre, à travers les divagations apparentes et les fantaisies les plus étranges et les plus folles618.

Avec l'appui un peu forcé des grammairiens anciens, dont certains définissaient l'ancienne comédie comme « un art oratoire soumis à la mesure de la versification619 », Denis ramène l’objectif de la comédie à la démonstration d’une thèse ; le dramaturge devient un « pamphlétaire dramatique620 », un poète orateur qui adapte son discours à son public en s’adressant à son imagination, « cette folle du logis, la vraie reine de l’orgie de Bacchus621 », c’est-à-dire en réalisant ses arguments sous une forme burlesque. La fable est fondée la plupart du temps sur « les fausses analogies de l’imagination622 », comme celle qui préside aux Chevaliers : « La démocratie est une constitution si mauvaise que le méchant ne peut être remplacé au pouvoir que par un pire que lui623 ». Quant aux personnages, « types grotesques d’une classe d’hommes » schématisés par la caricature, « ils entrent en quelque sorte comme arguments dans la thèse qu’il s’est proposé de démontrer624 » :

Par leurs masques, par leur accoutrement, par leurs actions, par leurs paroles, ils prouvent : Cléon, que la démocratie est le régime des gredins impudents ; Socrate, que la philosophie n’est qu’une sophistique, mère de tous les désordres et de tous les vices ; Euripide, que la fausse poésie est un fléau pour les mœurs publiques. Ne leur demandez pas d’êtres vrais, naturels, vivants ; comme types abstraits ou

618

Jacques Denis, op. cit., t. I, p. 263.

619

Ibid., p. 261. Denis cite, sans référence, ces lignes anonymes empruntées au recueil des Rhetores

graeci (t. V, p. 461) : tine\j kai\ r(htorikh\n e1mmetron th\n kwmw|di/an e)kalesan (« certains allaient

jusqu’à appeler la comédie une rhétorique versifiée »). Maurice Croiset (Histoire de la Littérature

grecque, troisième édition, op. cit., t. III, 1913, p. 543, note 2) donne la phrase complète, qui ne compare

en fait que le style comique au style oratoire, tous deux proches de la conversation naturelle (lo/gw| pezw|=). 620 Ibid., p. 272. 621 Ibid., p. 265. 622

Cette définition argumentative de la fable comme thèse burlesque ou thèse aberrante est en phase avec l’orientation souvent rhétorique de la lecture d’Aristophane par les hellénistes français. On la retrouve chez Octave Navarre, qui consacre un chapitre de son dernier ouvrage (Les Cavaliers d’Aristophane, La Pensée moderne, « Mellottée », 1956, p. 45-59) à « la thèse dans les comédies d’Aristophane » ; le principe générateur de la fable aristophanienne consiste pour lui à « supposer le problème résolu » (p. 46). Pascal Thiercy (Aristophane, fiction et dramaturgie, Paris, Les Belles Lettres, 1986 ; Aristophane et

l’ancienne comédie, Paris, PUF, « Que sais-je », 1999) identifie, à la base des fables aristophaniennes, des

raisonnements syllogistiques aberrants, comme le sorite exposé au début des Cavaliers : « la ruine de la Cité est provoquée par les démagogues ; les démagogues sont de plus en plus nuisibles ; le pire d’entre eux marquera la fin de cette succession ; le pire des démagogues mettra fin à la ruine de la cité » (Aristophane et l’ancienne comédie, p. 52).

623

Jacques Denis, op. cit., p. 262.

624

comme simples concepts de l’esprit ou de la fantaisie, ils se plient plus commodément au but du poète politique625.

Après avoir expliqué le schématisme invraisemblable de l’intrigue et l’absence d’épaisseur des personnages, la visée rhétorique permet encore de rendre raison du dernier inconvénient de la forme caricaturale, le caractère épisodique de la construction dramatique :

Il ne suffit pas de mettre en lumière, par quelques scènes vives et piquantes, l’absurdité réelle ou apparente de la thèse que l’on attaque ; il faut encore en faire sentir les conséquences funestes ou ridicules. C’est à cela que servent les scènes épisodiques par lesquelles se terminent plusieurs comédies d’Aristophane626.

Ainsi, le schème rhétorique permet de rendre raison des faiblesses structurelles de la comédie aristophanienne, identifiées à celles de la théâtralité caricaturale. La théorie de Denis fait donc fonctionner le modèle caricatural à plein régime, tout en explicitant l’impossibilité générique d’une comédie de caricature comprise comme forme dramatique. La comédie ancienne devient « une variété poétique du genre oratoire627 ». Quelque acrobatique et maximaliste que soit la démonstration628, elle n’en a pas moins le mérite de relier et de théoriser systématiquement les deux grandes tendances de la réception d’Aristophane chez ses contemporains. Car, comme c’était déjà le cas chez Lemercier, l’esthétique caricaturale développée par Jacques Denis ne prend place et sens que dans une lecture fondamentalement politique de la comédie ancienne, dont le texte emblématique est devenu, à bien des égards, les Chevaliers. Tout autant que le caricaturiste et ses charges, c’est le pamphlétaire et ses opinions qui concernent le XIXe siècle.

Cette présence du discours d’Aristophane à travers ses caricatures se traduit d’ailleurs symboliquement par l’apparition du poète sur la scène. Son visage se profile derrière le masque des personnages. Du Méril le voit surgir sur la scène dans les Acharniens ; commentant les vers où, dans une métalepse caractérisée, le héros se plaint d’avoir été tourmenté par Cléon à cause de sa précédente pièce et s’excuse de mêler la politique à la comédie629, il suppose que « le masque ou le costume de Dicéopolis y préparait sans doute les spectateurs ». Et, rappelant que l’helléniste allemand Süvern « a déjà supposé que […] le Juste des Nuées avait un masque à la ressemblance

625 Ibid., p. 273. 626 Ibid., p. 279. 627 Ibid., p. 281. 628

Certains pairs de l’helléniste, comme Jules Girard, ne manquent d’ailleurs pas de critiquer son rationalisme outrancier (« La Comédie grecque, par Jacques Denis », Journal des savants, avril 1887, p. 198-202).

629

d’Aristophane », il ajoute : « nous croirions volontiers que cette intervention personnelle du poète se trouvait dans beaucoup d’autres pièces630. »

Avec l’affaire du masque de Cléon, Aristophane va se montrer à découvert. Pièce incontournable du bréviaire aristophanien du XIXe siècle, la légende prend sa forme définitive : aucun artisan n’ayant osé sculpter le masque du démagogue, et aucun comédien n’osant se charger du rôle, Aristophane l’avait joué lui-même, le visage barbouillé de lie. L’anecdote court les manuels, accompagne les traductions, se retrouve dans les recueils de curiosités, fleurit dans les feuilletons631, tenace malgré quelques dénégations érudites632. Jules Janin la reprend à son tour :

Pas un comédien, ni Callistrate qui excelle à faire la charge des citoyens, ni Philonide qui se moque, par métier, des archontes, n’ont osé mettre sur leur joue effrayée le masque de Cléon. Eh bien ! qu’à cela ne tienne, Aristophane montera lui-même sur les planches et jouera le rôle de Cléon, le fils du corroyeur633.

Le visage barbouillé de lie a remplacé la caricature ; dans le face-à-face politique, le poète, à peine caché par le maquillage primitif des processions dionysiaques, affronte le pouvoir sans masque.

630

Édélestand du Méril, op. cit., t. 1, note p. 365 ; le critique fait référence à Johann Wilhelm Süvern,

Ueber Aristophanes Wolken, Berlin, F. Dümmler, 1826, p. 12. 631

Voir par exemple Louis Ménard (Histoire des Grecs, Paris, Delagrave, 1884, p. 502), Georges Ferté (op. cit., p. 47), les notices d’Artaud (Comédies d’Aristophane, 2e édition, Paris, Charpentier, 1841, p. 52), et de Poyard (Aristophane, op. cit., p. 44), Victor Fournel (Curiosités théâtrales, Paris, A. Delahays, 1859, p. 240-241), L.-A. Binaut (« Aristophane. La comédie politique et religieuse à Athènes », Revue des Deux Mondes, 15 août 1843, p. 688), Alfred de Musset (« La loi sur la presse »,

Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1835, p. 609-616), Théophile Gautier (« Feuilleton de La

Presse », La Presse, 11 décembre 1848). 632

Comme celles de Du Méril (op. cit., p. 381 note 2) ou de Jacques Denis (op. cit., t. I, p. 379-381), remettant en cause le fait qu’Aristophane aurait joué lui-même le rôle de Cléon. L’anecdote disparaît du discours universitaire au XXe siècle. Richepin affirme encore, en 1911, qu’Aristophane était obligé de jouer toutes ses comédies, « personne ne voulant représenter les personnages importants et vindicatifs qu’il ridiculisait avec la violence la plus cruelle » (Jean Richepin, L'Âme athénienne, Conférences faites à l'Université des Annales, 3 vol., Paris, Arthème Fayard, 1912, t. 2, p. 25-26).

633

B.

L’ANCÊTRE DU JOURNALISME MODERNE

Une belle et grande étude, par exemple, sur Aristophane, considéré non comme un poète, mais comme l'aïeul de tout le parti Rivarol de l'esprit humain, l'ancêtre du journalisme, l'aristocrate sceptique.

Edmond et Jules de Goncourt, Journal, 16 avril 1858

On peut lire dans le deuxième tome, consacré à la Grèce, de la considérable Histoire du droit des gens et des relations internationales634 de François Laurent, en introduction à quelques pages sur les comiques grecs :

Le théâtre a joué chez les Athéniens un rôle qu’il n’a plus eu depuis : c’était pour ainsi dire une institution sociale. Nos journaux ne peuvent nous donner qu’une faible idée de l’ancienne comédie ; ils exercent une action plus continue, il est vrai, plus puissante par conséquent ; mais quelle que soit la violence de leur langage, ils n’approchent pas de ces représentations, dans lesquelles des hommes vivants, chefs

Outline

Documents relatifs