• Aucun résultat trouvé

Un modèle d’intermédiaire typique de l’économie numérique

Les modèles types du porte-à-porte : retour aux définitions

3.2 Le modèle de plate-forme

3.2.1 Un modèle d’intermédiaire typique de l’économie numérique

Proposition de valeur : information mobilité exhaustive et outils d’accès universels

La proposition de valeur de ce modèle est de permettre à l’usager de connaître et de choisir la meilleure combinaison modale pour aller de A à B, et de lui faciliter l’accès aux modes de transport sélectionnés. Le cœur de l’offre réside donc dans l’agrégation d’une information qui soit la plus complète et précise possible, et qui soit à jour. Du point de vue de la réponse à la demande, ce type de proposition se fonde sur le postulat que l’exhaustivité de l’offre pourra répondre à tout projet de déplacement. Plus l’offre de solutions de mobilité est importante, plus la probabilité qu’il existe une combinaison crédible répondant aux besoins et préférences de chaque individu est élevée. Cela revient à dire que la fonction de disponibilité (tableau 2, page 64) est supposée satisfaite par l’existence préalable d’une offre de transport. Autrement dit, les problématiques de mobilité sont traitées sous l’angle de l’amélioration des conditions du marché. Le principe de valeur à l’œuvre est celui de l’individu qui peut faire mieux que l’organisation à partir du moment où on lui en donne les moyens. La notion de qualité de service est donc essentiellement liée à la perception qu’en ont les clients finaux. Le fonctionnement de plate-forme permet aux utilisateurs de définir de nouveaux référentiels de qualité (2.5.3).

L’intérêt pour les clients finaux est de bénéficier d’une information complète et perçue comme neutre, en un point unique. L’état des lieux nous a permis d’illustrer la multiplicité et la grande variété des offres. Celle-ci s’étend de plus avec la diversité des préférences individuelles. L’apport principal de la plate-forme pour le client est de réduire son ignorance en l’informant et en le conseillant pour qu’il soit à même de choisir parmi ce foisonnement d’offres. L’opérateur de mobilité organise le recours au marché. Le client est de son côté mis à contribution pour produire le service final, ce qui suppose de sa part un degré d’autonomie élevé.

Du point de vue des opérateurs de transport et des fournisseurs de services complémentaires au transport, l’intérêt de participer à la plate-forme est de mettre en avant à moindre coût des synergies entre leur offre propre et des services complémentaires. C’est aussi un nouveau canal de vente qui permet de capter de nouveaux clients. Ce gain est à mettre en balance avec les coûts d’affiliation à la plate-forme.

La fonction de l’opérateur de mobilité suivant un modèle de plate-forme est de permettre aux différents groupes d’utilisateurs, fournisseurs de service et clients finaux, de réaliser directement des transactions entre eux. Permettre la réalisation de la transaction monétaire est donc une fonction naturelle de ce modèle. Pour cela, la plate-forme doit être en mesure de proposer à ses différents groupes d’utilisateurs les outils nécessaires. Ils doivent avoir un caractère suffisamment universel pour être accepté par des fournisseurs de transport tout à fait hétérogènes. Le modèle de plate- forme est un modèle d’intermédiation. Sa limite naturelle réside dans le lien avec la mobilité physique. La connectivité de l’offre porte-à-porte traite de la réalisation concrète du déplacement. Or un opérateur purement numérique a peu de prise sur la qualité des connexions : correspondance des horaires, parcours physique entre deux modes, conditions d’attente. Il dispose toutefois d’un levier d’action au travers des données qu’il maîtrise : le partage de la connaissance de la mobilité réelle ou potentielle des individus avec les acteurs du transport est susceptible d’inciter ces derniers à améliorer les points de friction.

La plate-forme répartit ses revenus entre les clients finaux et les fournisseurs de services

Le modèle économique de l’opérateur de mobilité selon un modèle de plate-forme est un modèle biface (1.4.3). Le prix d’une transaction est réparti entre les groupes mis en relation. Dans le cas de marchés bifaces, la plate-forme doit choisir une structure de prix et non pas seulement un niveau de prix pour le service (Rochet & Tirole, 2003). La plate-forme peut prélever des frais d’usage et des frais d’affiliation sur chaque groupe d’usager de la plate-forme (Rochet & Tirole, 2005). Les frais d’affiliation sont des coûts fixes payés ex ante. En ce qui concerne le client final, ils peuvent par exemple prendre la forme d’un abonnement ou de frais de téléchargement d’une application mobile ou de frais d’acquisition de carte. Pour les fournisseurs de services affiliés à la plate-forme, les frais d’affiliation recouvrent non seulement d’éventuels coûts monétaires d’adhésion au service mais aussi les coûts de développements technologiques nécessaires à la participation à la plate-forme. On trouve parmi ceux-ci les coûts de mise à jour des systèmes de billettique des réseaux de transport, les coûts de mise à niveau des systèmes d’information des opérateurs et les coûts de développement pour connecter ces systèmes via des interfaces de programmation.

Les frais d’usage peuvent correspondre du côté des vendeurs, les fournisseurs de service, à un prélèvement réalisé sur chaque transaction rendue possible avec le client final. La plate-forme peut de l’autre côté prélever des frais d’accès à l’acheteur. Dans la pratique, pour les services d’information ou de paiement, le groupe des clients finaux est celui qui présente le moins d’externalités positives vis-à-vis de l’autre groupe. Il constitue donc la face subventionnée de la plate- forme. Les frais d’usage adressés à l’acheteur sont en général nuls : le voyageur ne paye pas pour accéder à l’information transport et ne consent pas à payer plus cher son transport parce qu’il passe par un intermédiaire. Il découle de cette remarque que le prix du service devrait être intégralement, ou au moins dans sa plus grande partie, supporté par les fournisseurs de services de transport. Selon Armstrong (2006), les externalités croisées entre groupes sont moindres lorsque la plate-forme prélève des frais d’usage plutôt que des frais fixes. En effet une fraction du bénéfice de l’interaction avec un agent d’un autre groupe est supprimée par le paiement supplémentaire qui est supporté. Si un coût variable supplémentaire repose sur les fournisseurs de service de transport, cela suppose que leur marge est érodée d’autant. Mais le niveau de marge des transports en commun est très faible. Cela conduit à opter pour un niveau de prix variable le plus bas possible pour ce groupe-ci.

Cette analyse reste bien entendu à un niveau de généralité élevé et devrait être affinée réseau par réseau, mode par mode. En effet, le groupe des fournisseurs de transport ou de services connexes au transport n’est absolument pas homogène. Le modèle type de plate-forme tend en tout cas vers un modèle d’affiliation pure. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant pour la plate-forme de prélever des frais d’affiliation si elle est dans l’incapacité de taxer les interactions correctement. C’est le cas dans les systèmes de transport ouverts où il est difficile de connaître précisément l’usage réel du réseau par les individus. Ça l’est aussi dans les systèmes de mise en relation qui peuvent être facilement contournés par leurs utilisateurs. Par exemple, les conducteurs et les passagers de services de covoiturage domicile-travail peuvent négocier directement entre eux une fois la première mise en relation effectuée. Les restrictions à la négociation directe entre les groupes d’utilisateurs de la plate-forme sont d’ailleurs une des conditions pour que le marché soit biface. Dans le cas contraire, la condition de non neutralité de la structure des prix ne s’applique pas (Rochet & Tirole, 2005).

Les frais d’usage et ceux d’affiliation peuvent en théorie être prélevés sur les deux faces mises en relation. Armstrong (2006) souligne que le niveau de prix prélevé sur un groupe donné dépend du niveau des externalités qu’il exerce sur l’autre groupe. Si l’on appelle 1 et 2 les groupes mis en relation, c’est bien le bénéfice que le groupe 1 apporte au groupe 2 qui détermine le prix pour le groupe 1. Ce prix ne dépend pas des bénéfices retirés par le groupe 1 de la présence du groupe 2. Le niveau de prix qui peut être prélevé sur les fournisseurs de transport dépend donc du bénéfice retiré par les clients finaux de leur utilisation de la plate-forme. Pour maximiser le profit de la plate-forme, il convient donc d’apporter aux clients finaux des avantages qu’ils ne retireraient pas d’une relation bilatérale avec les fournisseurs de transport pour construire leur trajet porte-à-porte. La plate-forme ne devrait donc pas se limiter à un rôle d’intermédiaire qui, d’une manière générale, se limiterait à répondre aux fonctions d’interlocuteur unique (cf. tableau 2, page 64). Il apparaît donc fondamental que la plate-forme puisse répondre également aux fonctions de continuité de service. En ce qui concerne la fiabilité du parcours porte-à-porte, nous avons ainsi vu de quelle manière il serait possible de promettre aux voyageurs une assurance d’arriver à destination dans le cadre d’un déplacement intermodal à la carte (1.2.5).

Des revenus peuvent être prélevés sur d’autres groupes de clients

Nous avons focalisé l’analyse des revenus sur les deux principaux groupes d’utilisateurs de la plate- forme : les fournisseurs de transport et les voyageurs. D’autres groupes retireraient une utilité d’une participation à la plate-forme. Par exemple, les destinations touristiques ont besoin, pour accroître leur accessibilité, de fournir des solutions de transport à leurs clients. Les agences de voyage peuvent trouver un intérêt à interagir non seulement avec les opérateurs de transport, mais aussi avec les destinations touristiques, de manière à concevoir des offres touristiques packagées comprenant des prestations de mobilité. Les agrégateurs privés ou publics d’information touristique ou encore les zones d’activité sont d’autres groupes d’utilisateurs qui peuvent tirer profit d’une mise en relation avec les offreurs de solutions de transport, avec les individus qui ont un besoin de mobilité, avec les destinations ou les agences de voyages. Tous ces groupes sont susceptibles de constituer d’autres faces d’un marché de la mobilité structuré par l’opérateur de plate-forme. Celui-ci se retrouve ainsi au centre d’un réseau d’acteurs en interaction qui échangent des flux de données décrivant un système de mobilité. Il en retire une connaissance de la mobilité qui peut être monétisée. Il y a plusieurs pistes de valorisation : auprès d’annonceurs via de la publicité ciblée ; auprès de

prestataires de services pour qu’ils accèdent à une clientèle ciblée ; auprès des autorités organisatrices et opérateurs de transport pour qu’ils puissent améliorer leur offre. La monétisation de la connaissance de la mobilité est au cœur des préoccupations des entreprises de transport et des acteurs numériques. Si les gains sont suffisants, elle pourrait permettre de subventionner plus largement les différentes faces du marché. Ainsi, les sociétés de transport comme Uber ou Waze étudient la possibilité de vendre à des acteurs privés ou aux autorités organisatrices leurs données de flux (JDN, 2017).

Le modèle de plate-forme est focalisé sur les services rendus aux utilisateurs finaux par des tiers. La valeur réside dans l’organisation des interactions et dans la connaissance de la mobilité qui en découle. La question de la rentabilité intrinsèque des services proposés ne se pose pas pour l’opérateur de mobilité. Le problème de l’équilibre économique des moyens de transport n’entre pas en ligne de compte dans son modèle économique. Les coûts du service, c’est-à-dire les revenus de l’opérateur de mobilité, sont répartis entre les différents groupes d’utilisateurs du service. Toute la difficulté du modèle de plate-forme consiste à trouver un point d’équilibre dans cette répartition. La question qui se pose est donc celle de la disposition à payer des différents groupes d’utilisateurs de la plate-forme. Nous verrons dans la suite que les spécificités du transport font qu’il n’est pas toujours possible de trouver un tel équilibre.

Ressources et compétences : un modèle fondé sur la maîtrise du numérique

Typique de l’économie numérique, le modèle porte-à-porte de plate-forme se base sur un socle de ressources et compétences informationnelles. L’agrégation d’une information complète et de qualité, la qualification des données, le choix de l’information pertinente et sa restitution sont des compétences centrales. La maîtrise des ressources techniques correspondantes est fondamentale : moteur de calcul d’itinéraire, accès aux portails de distribution ou aux interfaces logicielles de services tiers.

Centré sur le transactionnel, ce type d’opérateur de mobilité répond prioritairement aux fonctions d’information et d’achat. S’agissant de modes de transport, la gestion des titres de transport et de leur validation, la billettique, est intimement liée à la gestion des transactions lors de l’achat, la monétique. L’opérateur de mobilité selon un modèle de plate-forme doit donc maîtriser des outils permettant la réalisation des transactions monétaires, la validation et l’accès aux services. Une solution de billettique mobile permettrait par exemple d’accéder aux différents modes de transport quels qu’ils soient. Le secteur des transports est à l’heure actuelle caractérisé par une grande variété des systèmes de billettique et de monétique. Cette variété est à la fois technologique mais concerne aussi les règles locales de gestion des réseaux de transport : validation à l’entrée ou à la sortie ; réseau fermé ou ouvert. Tous les opérateurs n’ont pas la même capacité à supporter les coûts d’investissement nécessaire à l’acceptation d’une solution donnée de monétique et de billettique. Par ailleurs, l’acceptation de tels outils varie en fonction des segments de clients. Par exemple, des abonnés d’un réseau urbain qui disposent d’une carte de transport et de vie quotidienne donnant accès à de très nombreux services seront peu enclins à adopter un moyen alternatif au contraire de clients de passage. Il s’agit donc d’un aspect critique du modèle économique puisqu’il amène l’opérateur à chercher un compromis entre l’inflation des coûts liés à l’acquisition de nombreuses ressources à même de s’adapter à tous ces systèmes, et le risque de ne pas investir dans « la bonne solution ». La tendance actuelle à aller vers des architectures dites back-office centric où le client est

reconnu par un identifiant unique améliore l’interopérabilité. Comme la tarification se fait en aval, l’intervention de tiers dans le processus de distribution est simplifiée. Cette grande tendance est donc tout à fait favorable à l’établissement d’une activité d’opérateur de mobilité selon un modèle de plate-forme.

Une organisation selon le principe des marchés multifaces

Le modèle de plate-forme se base sur l’hypothèse que le marché de la mobilité présente les caractéristiques d’un marché multiface. Il en découle une organisation typique de l’économie des plates-formes (voir 1.4.3). Sa structure est représentée ci-dessous en figure 12. La face du côté de l’offre regroupe des autorités organisatrices de transport et des opérateurs de transport. Des partenariats privilégiés avec quelques acteurs clés à la présence globale permettent par ailleurs d’offrir un cœur d’offre standardisé qui constitue l’armature du réseau porte-à-porte. Le groupe de la demande est celui des clients finaux.

Figure 12 – Schématisation du modèle de plate-forme pour un opérateur de mobilité Source : auteur

La question de l’organisation de l’entreprise ne se pose donc pas selon les termes du faire et du faire faire. Le choix d’un modèle de plate-forme par rapport à une organisation intégrée dépend des ressources et compétences dont l’entreprise dispose. Il résulte aussi d’un arbitrage entre intégrer et rendre possible. Cet arbitrage amène à comparer les gains de coordination permis par la forme intégrée avec les gains associés à la connaissance fine de la mobilité obtenue dans un fonctionnement de plate-forme (2.5.2). Cette connaissance constitue le cœur du modèle de revenu. La recherche de ce compromis a par ailleurs une incidence directe sur la nature des relations qui seront entretenues avec le client final. En effet les gains de coordination de la forme intégrée permettent d’apporter une continuité de service particulièrement élevée, notamment en ce qui concerne les fonctions de d’accessibilité, de connectivité et de lisibilité de l’offre porte-à-porte. Le modèle de plate-forme répond de manière plus naturelle à la fonction de disponibilité, étant donné son caractère exhaustif. Mais il s’appuie pour cela sur une plus grande autonomie du voyageur. Le modèle de plate-forme implique le client final dans la production du service. C’est lui qui prend la responsabilité de combiner les différents maillons de son parcours porte-à-porte. Le client final est

aussi sollicité pour évaluer les autres usagers de la plate-forme. Ce mécanisme permet une gestion efficace des questions de qualité de service par l’entreprise (voir en 2.5.3, page 129). Il la dispense en outre d’une partie des coûts de régulation qui sont par exemple liés à la certification des fournisseurs de services tiers (Chevallier, 2013). Dans ce type d’organisation, plus la participation des clients à la production du service est élevée, plus le mode de contrôle et d’évaluation doit reposer sur les autres clients (Codello-Guijarro et al., 2013). Dans le cas où, comme dans le modèle de plate-forme, l’opérateur de mobilité ne participe pas à l’organisation et à l’opération des prestations de transport, le recours à la participation active des clients finaux permet en retour d’influencer d’une manière indirecte la production du service.

Outline

Documents relatifs