• Aucun résultat trouvé

Le porte-à-porte sur la longue distance et pour des motifs personnels : parent pauvre du nouveau cadre institutionnel

La problématique organisationnelle au cœur du modèle économique du porte-à-porte

Encart 10 – L’approche par les parties prenantes (R Edward Freeman)

2.3 Un contexte institutionnel qui modifie en profondeur l’organisation du transport et de la mobilité

2.3.6 Le porte-à-porte sur la longue distance et pour des motifs personnels : parent pauvre du nouveau cadre institutionnel

Une intensification des effets de coupure aux frontières régionales est à attendre

Depuis le 1er janvier 2016, la fusion d’anciennes régions a abouti au passage de 22 à 13 régions métropolitaines. Ce changement d’échelle donne mécaniquement aux régions concernées un poids économique et une force de négociation accrus. Ce changement de périmètre pourra permettre de mettre en place une gestion intégrée de la mobilité à l’échelle de territoires élargis. Mais il ne résout pas la question des discontinuités aux frontières régionales. Au contraire, le renforcement des compétences de la région fait même courir le risque d’une intensification des effets de coupure au niveau des nouvelles frontières régionales. Un tel effet avait déjà été mis en évidence suite à la régionalisation des transports ferrés en 2002 (Vrac, 2005). La régionalisation avait entraîné une réorganisation des réseaux à l’échelle de chaque région administrative. Une structure radiale centrée sur les métropoles s’était imposée au détriment des lignes transversales. La mise en place des étoiles ferroviaires régionales et la séparation progressive les unes des autres avaient abouti à de nouveaux effets de frontière. Ces discontinuités ont été aggravées par le déclin des relations ferroviaires transversales de longue distance (Vrac, 2014). Pour maintenir les liaisons entre les villes moyennes et vers les métropoles limitrophes, les régions ont été amenées à prendre en charge des lignes interrégionales. Mais l’abandon progressif des liaisons ferroviaires transversales par l’Etat et leur

transfert vers les régions a montré ses limites « car ces acteurs ne privilégient pas les mêmes axes au-

delà de leur territoire régional » (Vrac, 2014). La réforme territoriale risque donc d’introduire aux

frontières régionales de nouvelles discontinuités dans le porte-à-porte.

Les discontinuités ne se limitent pas au seul réseau et concernent plus largement l’ensemble du système de transport. Comme nous l’avons déjà vu, les systèmes d’information multimodale et les systèmes billettiques sont déjà spécifiques à chaque réseau régional et ne sont pas toujours interopérables. La liberté tarifaire introduite par la réforme ferroviaire de 2014 et par son décret d’application du 17 mars 2016 accentue encore l’autonomie des systèmes de transport régionaux les uns par rapport aux autres. En effet, jusqu’alors, la tarification TER était basée sur le barème kilométrique national qui s’appliquait partout en France. Les régions avaient déjà développé des produits tarifaires locaux parfois plus avantageux que les tarifs nationaux. Mais ils restaient basés sur le barème national. Désormais, chaque région peut définir un barème kilométrique régional qui détermine le niveau de prix de référence61.De plus, les autorités organisatrices de transport et de

mobilité ne voient pas forcément l’intérêt d’organiser le porte-à-porte au-delà des limites de leurs territoires. C’est en tout cas le constat fait par le directeur de l’AFIMB suite aux tentatives inabouties de mettre en place des systèmes de billettique interopérables62 :

« On peut constater que l’idée de l’interopérabilité a du mal à s’imposer, chacun voyant que sur son territoire, c’est son territoire qui est essentiel »

Cette perception s’explique en partie par les méthodes d’enquête qui comptent le nombre de déplacement des habitants des zones concernées. La majorité des déplacements se font en effet à l’intérieur des agglomérations. A titre d’exemple, les enquêtes ménages déplacement (EMD) et déplacements grand territoire réalisées en 2009 en Gironde (a’urba, 2011, 2013) montraient que plus de la moitié des déplacements réalisés au cours « d’un jour moyen de semaine » par les habitants de la Gironde se faisaient au sein de la Communauté Urbaine de Bordeaux. Les résultats des enquêtes ne faisaient en revanche pas mention des déplacements en lien avec l’extérieur du territoire de la Gironde. Ces enquêtes donnent une vision très fine des déplacements en semaine et week-end des résidents, mais les déplacements de vacances ou ceux réalisés par des non-résidents ne sont pas pris en compte. Ils le sont dans l’enquête nationale transport et déplacements (ENTD), mais les résultats sont globaux à l’échelle nationale et ne prennent pas non plus en compte les touristes étrangers. C’est d’ailleurs ce constat de lacunes dans la collecte de données de mobilités qui a conduit, dans le contexte particulier de territoires caractérisés par un important tourisme estival, à mettre en place de nouvelles méthodologies d’enquête (Baudean, 2015). D’une manière générale, les principales enquêtes concernent l’échelle urbaine. Il n’y a que peu d’enquêtes sur les déplacements à l’échelle interurbaine, hormis l’ENTD dont les résultats n’ont pas de pertinence géographique. Elle est de plus réalisée à des intervalles de temps qui sont problématiques lorsque l’on se penche sur des dynamiques récentes et des changements rapides comme ceux induits par les technologies de l’information.

61 Les premières régions à avoir mis en place la liberté tarifaire sont Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne- Framche-Comté et Grand-Est, au deuxième semestre 2017

62

La prise en compte par les AOT des besoins de mobilité porte-à-porte à une échelle élargie n’est donc pas naturelle. L’affirmation des métropoles et l’élargissement des régions ne vont pas dans le sens d’une mise à l’agenda politique de ces questions.

Les services librement organisés soulèvent la question de l’intérêt d’un modèle intégré centré sur le train

L’articulation des échelles nationale et régionale est prévue uniquement au travers des pôles d’échanges. Lieux de l’intermodalité, les gares et les pôles d’échanges contribuent au porte-à-porte. Leur conception figure au premier rang des modalités d’action des régions pour améliorer l’intermodalité. Mais là encore, la question de l’organisation de l’intermodalité avec les services librement organisés n’est pas résolue. Le rapport de l’ARAFER à l’issue d’un an de libéralisation du marché de l’autocar longue distance en témoigne pour ce mode de transport (ARAFER, 2016). Le choix des points d’arrêts desservis par les autocaristes répond avant tout à leur intérêt commercial. Même lorsqu’une gare routière historique existe, elle n’est pas forcément utilisée comme point d’arrêt par les autocaristes, par exemple lorsque la durée du trajet en pâtirait trop sévèrement : « La

présence d’une gare routière historique et surtout sa localisation ne correspondent pas toujours aux besoins des opérateurs de services librement organisés. » Selon ce même rapport, les autocaristes

semblent tout de même accorder de l’importance à l’accessibilité des points d’arrêt par les transports collectifs urbains : ils utilisent les gares desservies dans 94% des cas. Les choix des opérateurs rejoignent d’ailleurs certaines préoccupations des élus locaux qui peuvent s’inquiéter des problèmes de circulation, de pollution et d’image causés par l’accueil des autocars en centre-ville. Les récentes décisions d’augmentation des tarifs du stationnement des autocars par la ville de Paris illustrent cette tendance (Mobilicités, 2016b). Selon le conseiller transports de l’Association des Régions de France (ARF), « la tendance [était en juillet 2015] plutôt à sortir les autocars des centres-

villes » en raison des problèmes qu’y pose leur accueil.

Le développement des réseaux de cars longue distance se fait indépendamment d’une planification de l’intermodalité et d’une réflexion globale sur la complémentarité des modes de transport. Les flux de passagers se reconfigurent selon une trame qui se détache de celle du réseau ferroviaire. Il est donc légitime de s’interroger sur la pertinence d’une stratégie d’opérateur de mobilité centrée autour du seul mode ferroviaire. Même si une telle approche est utile pour valoriser le train, elle ne doit sans doute pas être exclusive d’une approche complémentaire qui ne serait pas centrée sur le train mais plutôt sur la gestion des interfaces entre les modes.

Il est pertinent de rechercher un modèle économique du porte-à-porte qui traite la longue distance et les motifs privés

L’intermodalité à l’échelle régionale est envisagée prioritairement sous l’angle du domicile-travail. La lecture du décret d’application de la loi MAPTAM concernant le SRADDET nous le confirme : « les

objectifs en matière d’intermodalité et de développement des transports sont déterminés en particulier au regard des besoins identifiés de déplacement quotidien entre le domicile et le lieu de travail » (République Française, 2016c). Ce prisme historique est à l’origine du financement des

donné le caractère structurant du travail et des déplacements associés dans les programmes d’activité quotidiens des individus. Le poids des déplacements domicile-travail est majeur : ils représentent plus de 40% des kilomètres parcourus au quotidien. Néanmoins, ils représentent moins de 20% des déplacements quotidiens. Cette proportion est d’ailleurs stable depuis au moins trente ans (CGDD-SOeS, 2010, p. 32). Les études Keoscopies menées par l’opérateur de transports urbains Keolis insistent justement sur cet aspect ainsi que sur l’hétérogénéité spatiale et temporelle au niveau individuel qui se cache derrière les analyses agrégées par flux (Keolis, 2014, 2016). Outils de pédagogie utilisés dans la discussion avec les collectivités, ces études montrent que la structuration des réseaux de transport ne doit pas uniquement se fonder sur une analyse agrégée des déplacements pendulaires. Plus généralement, la société n’est plus seulement structurée par le travail mais au moins dans une part égale par le temps libre (Viard, 2013).

Lorsque les trajets domicile-travail se font de pôle urbain à pôle urbain, l’échelle de la région semble à première vue pertinente pour les traiter : plus de 90% des déplacements interurbains pour motif domicile-travail étaient inscrits à l’intérieur des anciens périmètres régionaux (Conti, 2016). Cette proportion est d’ailleurs mécaniquement plus importante suite à la fusion des régions. L’analyse des relations entre les villes françaises au travers des migrations alternantes fait bien apparaître une mise en réseau des villes. Par contre ce ne sont pas de grands ensembles régionaux qui sont mis en évidence, mais plutôt des systèmes de relations de proximité, certes inscrits dans les périmètres des régions administratives, mais déconnectés les uns des autres (LVMT & SYSTRA, 2013). La région n’est donc pas forcément l’échelle la plus pertinente en ce qui concerne la gestion des mobilités domicile- travail.

Sur la longue distance, le motif domicile-travail a un poids encore plus faible. Même s’ils ont tendance à augmenter, les déplacements pendulaires de longue distance ne concernaient en 2011 que 4% de la population française (Vincent-Geslin et al., 2016). Les motifs non professionnels représentaient par contre 84% des voyages à longue distance en 2015 (CGDD-SOeS, 2016c). Les motifs personnels ne sont eux-mêmes pas homogènes. Ils renferment une grande variété de situations avec des déplacements qui sont dans certains cas contraints, d’autres fois flexibles sur la date ou sur le lieu. Le questionnaire de l’Enquête Nationale Transport et Déplacement de 2008, qui parle de motifs privés, en distinguait ainsi huit catégories (retour au point de départ, achats, soins, visites, accompagnement, loisirs, vacances) détaillées en 27 motifs.

L’organisation de l’intermodalité sur la longue distance risque donc de passer à côté d’une partie importante de la question si elle ne s’intéresse qu’aux déplacements domicile-travail. De plus il est clair que la mobilité à longue distance, tous motifs confondus, ne s’inscrit pas dans les limites des territoires institutionnels, même élargis. La fusion régionale ne résout ni la question de l’adéquation de l’offre à la demande, ni celle du transport interrégional. La longue distance, et plus particulièrement celle associée à des motifs autres que professionnels, ne doit pas être négligée.

2.3.7 Quelles conséquences pour le modèle économique du porte-à-porte à l’échelle

Outline

Documents relatifs