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Les premières tentatives de réponse : un porte-à-porte monomodal et routier

Le porte-à-porte, un objectif partagé

Encart 1 15 Le porte-à-porte : recherche d’un compromis entre une organisation centralisée et une dérégulation totale Enseignements de l’année 1966.

1.1.5 Les premières tentatives de réponse : un porte-à-porte monomodal et routier

Le transport à la demande : un complément au transport collectif qui s’est spécialisé, en raison de ses coûts élevés, dans le porte-à-porte pour les personnes à mobilité réduite

A partir de la fin des années 1960, les modélisateurs ont commencé à s’intéresser à la simulation et à l’optimisation des systèmes de bus à la demande offrant un service porte-à-porte. L’idée était de réduire le temps d’attente, le temps de trajet et le coût du service. Ces travaux ont préfiguré une grande vague d’expérimentations de transport à la demande (demande responsive transportation, ou plus simplement dial-a-bus), dans les années 1970 par les agences de transport public américaines (American Academy of Transportation, 1972; Gwynn et al., 1973). Elles ont donné lieu à d’abondantes publications et communications : au cours de la décennie 1970, 77% des publications recensées concernent le transport à la demande. Les motivations pour ces expérimentations étaient diverses : pallier les carences des lignes de bus ou de train et permettre d’accéder aux zones d’emploi ou de consommation (Kirby & Bhatt, 1975) ; fournir un service aux heures creuses en l’absence de service régulier (Crockford, 1974) ; permettre aux personnes exclues de la mobilité

d’accéder au transport (Hood et al., 1978; Schnell, 1974)16 ; desservir les zones rurales (McKelvey &

Dueker, 1974) ; fournir en zone urbaine un moyen de rabattement vers les transports de masse (Debski, 1976). De nombreuses déclinaisons de transports à la demande, le plus souvent incluant un service porte-à-porte, ont ainsi été testées et regroupées sous le terme de paratransit, c’est-à-dire ce qui complémente le transport public (Saltzman, 1976). Un des thèmes de réflexion récurrent a alors été celui du degré d’intégration des services de paratransit au système de transport public régulier. La recherche de solution au défi du porte-à-porte a donc conduit à expérimenter des services de transport à la demande qui incluaient le plus souvent un service d’adresse à adresse. De nombreuses déclinaisons ont été testées à partir des premières expérimentations de dial-a-bus des années 1970. Rapidement, les services de transport à la demande (demand responsive) se sont spécialisés sur les personnes présentant des besoins particuliers : personnes âgées et handicapées. En effet, comme on le voit en figure 2, la majorité des publications relatives au porte-à-porte depuis 1970 jusqu’à la fin des années 1990 concernait le transport à la demande. Au sein de cette thématique, la majeure partie concernait plus spécifiquement les services destinés aux personnes à mobilité réduite. Ce recentrage des enjeux du porte-à-porte sur la question de la mobilité des personnes à mobilité réduite (PMR) s’explique par la mise à l’agenda politique de la question du handicap concrétisée par l’adoption de lois sur l’accessibilité dans de nombreux pays (Suède en 1979, Etats-Unis en 1990, Pays- Bas en 1994, France en 2005, etc.). Elle s’explique aussi par les coûts élevés que les diverses expérimentation de paratransit occasionnent (Rathery, 1979). Répondre à des besoins d’assistance plutôt que de service public permet en effet de mobiliser de nouveaux acteurs capables de financer le système et de trouver un modèle économique stable. Aujourd’hui encore, le terme de porte-à- porte est souvent associé aux services de transport à la demande destinés aux PMR. L’existence de formes très variées de transport à la demande montre à quel point la variété des besoins rend nécessaire une très grande flexibilité dans l’offre dès lors que l’ambition est d’accompagner le voyageur de porte-à-porte tout au long de son programme d’activité. Castex et Josselin (2007) ont montré que le transport à la demande présente des atouts pour répondre aux nouvelles pratiques de mobilité. Mais l’appropriation de ces services demeure incertaine. Il va de soi que les technologies de l’information permettent aujourd’hui une grande souplesse dans la gestion de la flexibilité et la personnalisation du service rendu et font la promesse de réduire les coûts de mise en œuvre de solutions à la demande.

Le porte-à-porte sans sa voiture mais avec celle des autres : partager l’automobile

Parallèlement à cela, les utilisations partagées de l’automobile (taxi, taxi collectif, autopartage et covoiturage) ont été rapidement identifiées comme des solutions permettant de bénéficier de sa qualité « porte-à-porte » tout en évitant son usage excessif. Le covoiturage (ride-sharing, carpooling) et dans une moindre mesure l’autopartage (carsharing) sont cités très tôt dans le contexte nord- américain comme de bons moyens d’améliorer le trafic en augmentant le taux de remplissage des véhicules car ils présentent l’avantage de fournir un service porte-à-porte à un coût d’investissement

16 Les personnes « désavantagées » (disadvantaged people) regroupent ainsi les personnes âgées, les handicapés physiques, les pauvres, les jeunes, les personnes éloignées des réseaux de transports. Voir par exemple (Hood et al., 1978).

faible (Pratsch, 1976)17. Les taxis et la question de leur inclusion dans le système de transport collectif

sont également un sujet ancien et récurrent (Wohl, 1975). Les navettes d’aéroport qui fournissent un service porte-à-porte sont une autre déclinaison de ce type de services partagés et ont pu inspirer l’idée d’une généralisation des services routiers collectifs flexibles en minibus (Poole & Griffin, 1994). Cette idée a sans doute reçu un accueil particulièrement positif à une époque et dans des lieux où le transport collectif semblait mort et enterré au profit de l’automobile. Dernièrement on constate dans les zones urbaines des Etats-Unis un regain d’intérêt pour ce type de solution dans des versions modernisées comme Leap ou Chariot.

De nombreuses tentatives pour inventer des systèmes techniques à mi-chemin entre l’automobile et le transport collectif

Ces préoccupations sur l’optimisation du système automobile ont vu le jour dans un contexte économique marqué par les chocs pétroliers et donc par le souci de frugalité énergétique. Elles ont trouvé un écho important aux Etats-Unis où la priorité avait été donnée à la voiture individuelle au détriment du transport public de voyageurs. Une autre grande tendance dans la recherche de réponse au problème du porte-à-porte a consisté à imaginer des systèmes de transport innovants qui auraient permis de combiner les vertus du transport collectif et la qualité du porte-à-porte. Les solutions fondées sur l’automatisation des véhicules et qui semblent en passe de se concrétiser sont au cœur de ces réflexions depuis plusieurs décennies. L’idée de véhicules autonomes circulant à grande vitesse sur infrastructure dédiée18 et pouvant être conduits par leur utilisateur sur route normale afin de permettre le porte-à-porte revient de manière récurrente depuis les années 1960 (Fichter, 1968; Jensen, 1996; Kraft, 1969; Lowry, 2000; Marden, 1976; Pfarr, 1968). Elle est souvent portée par des industriels cherchant à promouvoir leurs solutions techniques. On trouve aussi de manière plus anecdotique toute une panoplie de modes innovants servant le porte-à-porte : petits avions, hélicoptères, siège transféré d’un mode à l’autre, etc. (Cwerner, 2006; Golaszewski, 2001; Steven, 1973).

En France, le projet ARAMIS porté par la RATP et la société Matra fut exemplaire de ces recherches d’innovations de rupture destinées à révolutionner le monde du transport. Il s’agissait d’un système de petites cabines autonomes capables de s’assembler en convoi. Ce projet démarré en 1970 a bénéficié d’investissements importants. Il a été testé sous forme prototype sur un site d’essai en région parisienne avant d’être abandonné en 1987. Une analyse complète du projet et des raisons de son échec a été réalisée par Bruno Latour (1992). Latour montre en quoi Aramis est un cas édifiant en ce qui concerne les difficultés de l’innovation. Son échec ne peut se résumer ni par de mauvais choix techniques, ni par des décisions politiques, ni par la contrainte budgétaire, ni par l’absence de prise en compte des usages. L’explication réside plutôt dans l’absence de consensus entre les acteurs. Cet exemple illustre que le développement des techniques n’est pas autonome et reste tributaire d’un ensemble de facteurs socio-politiques.

17 Pour un panorama assez complet sur l’autopartage, on consultera le rapport de Le Vine et al. (2014).

18 Différentes expressions désignent cette solution : autoroute automatisée, Small Car Automated Transit, Personnal Rapid Transit.

Le véhicule autonome, nouveau graal du porte-à-porte ?

Ces dernières années ont vu une très nette accélération du développement du véhicule autonome. Comme le souligne Vincent Kaufmann, (Kaufmann et al., s. d.), la conduite automatique est fondamentale car elle libèrerait le conducteur de la tâche de la conduite et lui permettrait de disposer de son temps. Idéalement, le temps de transport ne représenterait plus un coût. La voiture sans conducteur serait alors un concurrent sérieux au train et aux transports en commun. De plus, dans le cas de services commerciaux de transport, le véhicule autonome permettrait à la fois de s’affranchir du coût des conducteurs et d’optimiser la répartition des véhicules dans l’espace et dans le temps. Les grands acteurs de l'internet et des technologies de l'information ont bien compris le potentiel de valorisation commerciale que la conduite autonome représente et se sont immiscés dans un périmètre que les constructeurs automobiles croyaient être leur chasse gardée. La presse relaie régulièrement des annonces sur les avancées de Google, Tesla ou Uber dans ce sens pendant que les constructeurs et équipementiers automobiles travaillent à l’automatisation de leurs véhicules. La taille des acteurs, le poids des investissements en jeu et la rapidité des avancées concrètes invitent à prendre au sérieux l'éventualité d’un proche avènement du véhicule autonome même s'il subsiste de nombreuses incertitudes quant à leurs futures caractéristiques et performances, au délai de leur mise au point et au rythme de pénétration sur le marché. En tout état de cause, il apparaît maintenant réaliste que le véhicule autonome puisse faire baisser substantiellement le coût de production du transport et que l'on assiste à un renouveau de la voiture sous cette forme au détriment du transport public. C’est ce qu’affirme par exemple le BCG, Boston Consulting Group, qui s'est livré à une analyse comparée des coûts du véhicule autonome et du train à partir du cas des Pays-Bas (BCG, 2016). Selon le BCG, un système de voitures autonomes mutualisées permettrait d’atteindre un coût kilométrique par voyageur inférieur à celui des modes ferrés pour les trajets de courte et moyenne distances tout en permettant de réduire les temps de trajet porte-à-porte (notamment pour les services régionaux, mais à l’exclusion des trains à grande vitesse). La capacité de porte-à-porte des véhicules autonomes couplée à une disponibilité supérieure à celle du train, sous réserve d’un nombre suffisant de véhicules répartis sur le territoire, assurerait leur succès au détriment du transport public classique. On assisterait ainsi à un retour en puissance du porte-à-porte monomodal recherché des années 1970. Le véhicule autonome partagé constituerait notamment une solution pour les zones périurbaines et rurales. Il serait en mesure de siphonner une part importante des usagers du train. Etant donné l'importance des coûts fixes dans l'économie ferroviaire, une perte de passagers sur certains segments entraînerait l'ensemble du secteur dans une spirale délétère. L’étude très approfondie de Bösch et al. (2017) dresse un panorama bien plus contrasté. Leurs calculs montrent que le coût pour les particuliers de voitures autonomes n’augmenterait que marginalement par rapport aux véhicules conventionnels. Mais il serait supérieur aux coûts nécessaires au fonctionnement de bus autonomes ou même de taxis autonomes. Sur les trajets urbains ou dont la demande est élevée, le transport public de masse resterait compétitif par rapport à des flottes de taxis autonomes. Par contre, dans le périurbain ou l’interurbain, l’analyse tend à montrer que les taxis autonomes s’avéreraient plus compétitifs en termes de coûts pour l’opérateur. Mais les différences entre modes seraient en fait minimes. Il y aurait donc toujours une concurrence entre les modes et une attractivité de la voiture individuelle. Les estimations des auteurs suggèrent une certaine convergence des coûts par passager-kilomètre entre les différents modes s’ils sont automatisés. En excluant les effets des subventions, l’arbitrage se ferait alors plutôt sur la vitesse que sur le prix. Cela permet surtout de souligner une fois de plus le

rôle majeur des politiques publiques relevant de l’accès à l’espace et des choix de financement des modes de transport. Du point de vue de l’aménagement, le remplacement des parcs actuels par une majorité de véhicules individuels automatisés pourrait avoir des conséquences lourdes sur le volume de déplacements en automobile et sur les choix de localisation résidentielle des ménages. Les répercussions sur la localisation des activités économies, sur les distances domicile-travail et sur l’organisation des activités quotidiennes des ménages, qui détermine leurs besoins de mobilité, sont pour le moins incertaines.

L’engouement pour le véhicule autonome ne doit en outre pas faire oublier les apports de la sociologie des techniques et de l’innovation. L’exemple du projet Aramis, décrit plus haut, rappelle qu’un projet purement technique n’est qu’une utopie et qu’une innovation résulte d’une série de compromis socio-techniques. De plus, l’évaluation des coûts et des gains promis par une innovation est souvent hasardeuse (Akrich et al., 1988). Les coûts de recherche et développement sont souvent très largement sous-évalués en début de projet. De plus, si l’automatisation réduit certains postes de coût, elle peut en induire d’autres. Dans leur étude, Bösch et al. ont ainsi mis en évidence l’importance des coûts de nettoyage des flottes de véhicules autonomes. Ce poste de coût, qui était largement ignoré par les études antérieures, vient relativiser l’avantage du véhicule autonome. L’adoption et la généralisation d’une innovation technique entraîne en outre des coûts d’adaptation du système dans lequel elle s’inscrit et qui peuvent s’avérer prohibitifs. On peut ainsi penser, dans le cas du véhicule autonome connecté, aux investissements nécessaires à la couverture de tout le territoire par un réseau internet dont le débit serait suffisant, aux capacités de calcul nécessaires, aux centres de production et de maintenance des véhicules, aux problèmes liés à leur recharge dans le cas de véhicules électriques, ou encore aux modifications nécessaires dans l’aménagement des parkings. Akrich, Callon et Latour illustrent ce phénomène à partir de plusieurs exemples passés dans divers secteurs. Ils montrent que « toute innovation suppose un environnement qui lui soit favorable.

S'il n'existe pas, il ne sert à rien de parler de coûts avantageux : la productivité, la rentabilité sont les résultats d'une action obstinée qui vise à créer une situation dans laquelle la nouvelle technique ou le nouveau produit pourront faire valoir toutes leurs présumées qualités. » (Akrich et al., 1988, p. 11).

Finalement, l’adoption d’une innovation peut se traduire par une augmentation des coûts alors même que des économies substantielles étaient attendues. Les gains, s’ils existent, ne sont en fait que le résultat d’un long processus construit pour adapter l’environnement à l’innovation. Il est donc important de savoir se préserver des illusions promises par la technique. Nous verrons de même dans le cas du véhicule électrique (en 2.4) et des plates-formes d’intermédiation (en 3.2) qu’une analyse approfondie incite à la plus grande prudence en ce qui concerne les gains promis par les innovations.

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