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L’après plate-forme : vers une disparition des intermédiaires ?

La problématique organisationnelle au cœur du modèle économique du porte-à-porte

Encart 12 Le rôle des coûts de transaction dans l’économie du porte-à-porte

2.5.4 L’après plate-forme : vers une disparition des intermédiaires ?

La confiance au cœur de la révolution numérique et au cœur du porte-à-porte

Un élément clé expliquant le succès des plates-formes est qu’elles apportent une solution au problème de la confiance. Différents leviers sont utilisés. Le premier d’entre eux est le fonctionnement sous forme de réseau social : les usagers des plates-formes, utilisateurs finaux comme fournisseurs de services, donnent leur avis sur la partie avec laquelle ils ont contractualisé. Un score est attribué et les avis sont visibles par tous. Le score est un indicateur de confiance. Ce fonctionnement permet d’exercer un contrôle social sur chacun des usagers de la plate-forme lequel est lui-même générateur de confiance.

D’autres leviers peuvent être actionnés. Par exemple, Airbn’b ou Blablacar vérifient l’identité des membres en s’appuyant sur des techniques de contrôle de documents d’identité. Ici, les individus sont évalués par des algorithmes. Ce type de technique se développe particulièrement rapidement mais est à double tranchant : renforcer le niveau d’authentification améliore la confiance mais la surveillance crée de la défiance dans le système (Laurent, 2017). La plate-forme peut aussi sélectionner ses membres sur critères, comme nous l’avons vu dans le cas de Velocomotion. Elles peuvent aussi mettre en place des procédures de contrôle et d’audit. L’entreprise Mesdépanneurs.fr qui met en relation des artisans avec des individus qui ont des petits travaux d’urgence à réaliser chez eux – plomberie, serrurerie, vitrerie, électricité, chauffage – explique ainsi dans son dossier de presse qu’elle effectue un véritable casting et qu’elle refuse 60% des artisans. De plus, en imposant des fourchettes de tarifs et leur propre moyen de paiement par tablette connectée, elle entend

lutter contre la malhonnêteté de certains artisans (Mesdepanneurs.fr, 2016). C’est aussi et avant tout la confiance que Blablacar met en avant sur son site internet comme le montre la capture d’écran ci-dessous.

Figure 4 - La confiance, première priorité de Blablacar

Source : capture d’écran du site internet de Blablacar, www.blablacar.fr, 2017

La confiance apparaît d’ailleurs sur son site avant même la simplicité du service, son côté économique ou l’aspect convivial. L’entreprise se présente comme un réseau social organisant une « communauté de confiance ». Elle utilise toute une panoplie d’outils : le profil public des membres, les avis des autres membres, la modération des profils par la plate-forme, la prise de contact par messagerie sécurisée, l’assurance en cas d’accident et le contrôle des transactions. Dans tous les exemples que nous venons de passer en revue, le problème de confiance entre les utilisateurs de la plate-forme existe parce que les acteurs mis en relation ne se connaissent pas.

La mise en œuvre d’une chaîne multimodale porte-à-porte suppose de coordonner de nombreux acteurs hétérogènes. Certains peuvent être des particuliers, des artisans, des petites structures. Le problème de confiance que nous venons de décrire entre ici en ligne de compte. D’autres acteurs sont de grandes organisations connues, comme SNCF. Si l’opérateur de mobilité est lié à ce type d’opérateur, il peut être suspecté par ses clients ou ses partenaires de favoriser ses propres solutions au détriment d’autres options, issues de petits acteurs, que le client pourrait préférer. Il existe donc un problème de confiance vis-à-vis de la plate-forme et de sa neutralité. Un troisième problème de confiance est lié à la répartition des charges et des recettes entre les fournisseurs de services mobilisés dans une prestation porte-à-porte. Ces fournisseurs ne se font pas nécessairement confiance. Les rapports de forces entre eux peuvent d’ailleurs être nettement déséquilibrés du fait de l’hétérogénéité de leurs structures. Il suffit de songer au dernier kilomètre suivant un trajet en train. L’artisan taxi, le loueur de vélo ou encore la navette touristique privée n’ont évidemment aucune commune mesure avec l’opérateur ferroviaire.

Il existe donc un double problème de confiance : l’un entre les acteurs mis en relation et l’autre entre ceux-ci et l’intermédiaire qui les met en relation. La question de la confiance et de la répartition de la valeur entre les acteurs du porte-à-porte revient à poser la question de la gouvernance du porte-à- porte.

Suppression des coûts de transaction et instauration de la confiance : les promesses de la technologie

Les plates-formes d’intermédiation seraient, si l’on en croit certains discours portés par des analystes comme Gilles Babinet73, le parangon d’un mouvement généralisé d’horizontalisation de la société

(Babinet, 2016). Loin d’être terminé, ce mouvement pourrait éventuellement continuer à s’étendre jusqu’à une disparition même des intermédiaires au profit d’une mise en relation directe entre les individus et d’une gouvernance décentralisée. La technologie « blockchain » qui repose sur la gestion décentralisée de bases de données (voir l’annexe A6) serait sinon son aboutissement, l’étape suivante de ce mouvement. Ce type de technologie donne des perspectives intéressantes de mise au point d’une gouvernance décentralisée du porte-à-porte qui permettrait d’éviter la captation de la valeur par un acteur unique et d’articuler entre elles les diverses offres de mobilité. Le problème de la confiance revient traditionnellement à se demander qui détient la légitimité suffisante pour s’imposer comme tiers de confiance. Les technologies décentralisées proposent, d’après leurs promoteurs, de se passer de tiers de confiance et de leur substituer le code informatique.

La blockchain est en effet un outil qui rend possible une véritable désintermédiation. Le secteur du covoiturage et des taxis est fréquemment cité comme exemple. Uber fait en sorte de s’imposer comme un intermédiaire incontournable entre les chauffeurs et leurs clients. C’est en ce sens que l’on peut dire qu’Uber a « désintermédié » le secteur. La technologie blockchain permet en théorie de mettre en place une plate-forme comparable mais complètement autogérée : un Uber sans Uber74. Pour SNCF, il y a un enjeu important à conserver la maîtrise de sa relation client. Pour autant il peut paradoxalement y avoir un intérêt pour ce type d’opérateur à s’impliquer dans un tel système porte-à-porte décentralisé.

Les systèmes techniques décentralisés ont la capacité de permettre à de petits opérateurs de se structurer en réseau de manière autonome. Ce système, comme celui des plates-formes, permettrait de réduire les coûts de transaction pour interconnecter les offres locales avec les offres de transport structurantes tout en économisant les coûts d’intermédiation. Du point de vue des petits opérateurs, l’avantage est de bénéficier à la fois d’une meilleure visibilité et d’un meilleur pouvoir de négociation vis-à-vis des acteurs de poids du porte-à-porte.

L’automatisation des contrats permise par les technologies de type blockchain permettrait en outre de simplifier la mise en œuvre de contrats de transport intermodaux : des dispositifs connectés pourraient automatiser la mise à disposition des moyens de transport ou des services associés, valider automatiquement la réalisation de la prestation de service, déclencher la répartition des recettes entre les opérateurs selon les termes prévus et indemniser les voyageurs automatiquement en cas d’aléa.

C’est bien encore la vision d’une technologie neutre qui supprime les coûts de transaction et qui renforce l’économie de marché que la blockchain réactive. Il n’en reste pas moins qu’une

73 Gilles Babinet représentait pendant le quinquennat de François Hollande la position française auprès de la Commission Européenne en ce qui concerne les enjeux du numérique.

74

automatisation des contrats nécessite une contractualisation en amont qui cache des coûts de transaction irréductibles. De plus, il existe des coûts de fonctionnement et de gouvernance de la blockchain qui sont à l’heure actuelle difficiles à estimer et qui devraient être comparés aux coûts des solutions traditionnelles (Innovation Makers Alliance, 2017).

Vers un réseau porte-à-porte décentralisé

En minimisant les coûts de transactions par la réalisation facilitée de transactions électroniques et la mise en œuvre de contrats automatisés (smart contracts), la blockchain permettrait d’interfacer à moindre coût des opérateurs de tailles très différentes, depuis les microstructures (artisans, auto- entrepreneurs, individus proposant des services de mobilité mutualisée) jusqu’aux plus grandes comme SNCF. Des solutions existent déjà pour traiter les questions de répartition des recettes entre opérateurs sur un réseau multimodal. En Île-de-France, par exemple, le groupement d’intérêt commercial (GIE) Comutitres assure la gestion des titres de transport, du système d’information associé et la gestion financière des recettes pour le compte de RATP, SNCF et Optile qui représente l’ensemble des autocaristes hors RATP. Mais les chambres de compensation impliquent des coûts de transaction élevés. Les mécanismes de coordination décentralisée présentent un potentiel à investiguer pour apporter des solutions de distribution d’offres multimodales ou multiservices tout en se passant de chambre de compensation et indépendamment des limites des territoires institutionnels. Des solutions innovantes pour la mobilité porte-à-porte peuvent alors être envisagées. Les plus évidentes concernent les offres de mobilité entre particuliers ou la combinaison d’offres de micro-mobilité locales (location de vélo, navettes privées, artisans taxis) avec les grands réseaux de transport en se passant d’un acteur intermédiaire qui jouerait le rôle d’agrégateur. Même si la technologie blockchain n’est pas encore mature, il n’en demeure pas moins qu’on assiste à l’émergence d’outils permettant à des individus ou groupes d’individus ne se faisant pas confiance d’échanger de la valeur en se passant de tierce partie. Cependant, ces nouveaux fonctionnements génèrent de nouvelles activités qui concernent la supervision du système. D’une certaine manière, le rôle de tiers de confiance se déplace vers des activités techniques (Innovation Makers Alliance, 2017).

Pour un opérateur de mobilité porte-à-porte, il peut sembler paradoxal de s’intéresser à des outils de désintermédiation. Au contraire, parce qu’ils permettent théoriquement de s’affranchir des plates- formes de mise en relation, ils affranchissent l’opérateur du risque de désintermédiation. Cependant, cela suppose d’accepter de partager le contrôle de la place de marché avec l’ensemble des membres de l’écosystème. Cela implique de renoncer à devenir soi-même l’acteur unique par lequel transitent toutes les transactions, et donc de renoncer à capturer la valeur. On pourrait toutefois penser qu’avec un tel système, l’existence même d’un opérateur de mobilité ne serait plus nécessaire. Mais comme le souligne Primavera de Filippi (2016b), « l’idéal d’une technologie parfaitement trustless

n’est rien d’autre qu’un idéal » et il est nécessaire de faire confiance aux participants du réseau qui

rendent possibles les opérations sur le réseau. Il y a donc, de la même manière que dans les organisations de plate-forme, un enjeu pour les opérateurs en place à définir les règles de fonctionnement qui président à l’établissement d’un consensus distribué au sein du réseau. Dans une organisation de plate-forme, cette fonction est centralisée chez le sponsor de plate-forme

(Eisenmann et al., 2008). Dans une organisation décentralisée, elle est éclatée entre les utilisateurs du système.

Pour un opérateur de mobilité porte-à-porte, il y a donc un enjeu important à s’impliquer dans les processus de mise au point de nouveaux systèmes de gouvernance décentralisée et à acquérir les compétences techniques nécessaires aux fonctions des nouveaux tiers de confiance. Mais la blockchain n’est qu’un outil possible au service d’une gouvernance décentralisée de la mobilité porte-à-porte. Dans le chapitre 3, nous investiguerons cette question par un biais organisationnel plutôt que technique. Le modèle distribué offre en effet des perspectives d’une organisation horizontale du porte-à-porte, sans nécessairement passer par le truchement de nouvelles technologies.

2.6

Les enjeux du porte-à-porte pour SNCF : reflets de la diversité de

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