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Un fonctionnement dont l’application à la mobilité porte-à-porte reste à valider

Les modèles types du porte-à-porte : retour aux définitions

3.2 Le modèle de plate-forme

3.2.2 Un fonctionnement dont l’application à la mobilité porte-à-porte reste à valider

L’incitation à participer à une plate-forme résulte de compromis complexes

Les principales caractéristiques des marchés bifaces sont : l’existence d’effets indirects de réseau entre les groupes mis en relation ; le principe de non neutralité selon lequel le volume des transactions dépend de la structure des prix entre les deux faces ; la relation directe entre les groupes mis en relation ; l’affiliation de chacune des faces à la plate-forme (1.4.3). Selon Rochet et Tirole (2005), un marché est biface si la plate-forme peut affecter le volume de transactions en chargeant plus une face et en réduisant le prix payé par l’autre face d’un montant égal. La structure des prix n’est pas neutre et la plate-forme doit la concevoir de manière à attirer toutes les faces à bord.

Meurs et Timmermans (2017) discutent les choix pour les individus et pour les opérateurs de transport de s’affilier ou non à une plate-forme de mobilité. Le profit que ceux-ci dégagent dépend du nombre de clients qu’ils toucheront par l’intermédiaire de la plate-forme, du prix des services rendus, du coût marginal par voyageur, du coût de production du service et du coût du service offert par la plate-forme. Les fournisseurs de services affiliés à la plate-forme peuvent par contre perdre des clients au bénéfice de solutions concurrentes présentes également sur la plate-forme. Leur décision de s’affilier ou non dépend donc d’un compromis à réaliser entre les gains de clients permis par la participation à la plate-forme et la perte de clients au détriment de solutions concurrentes. Les grands réseaux de transport public, et le train en particulier, sont mis en difficulté par les nouvelles concurrences : VTC, autocars, location instantanée de véhicules individuels ou partagés, location entre particuliers, covoiturage, avions low-cost. La publicité de solutions de transport alternatives aux leurs peut leur faire craindre que ce compromis ne soit en leur défaveur. Dans cette perspective, le choix d’un modèle intégré apparaît naturel. Pour éviter ce risque, l’opérateur de mobilité suivant un modèle de plate-forme doit être en mesure de démontrer que le gain de clients est positif, c’est-à-dire que les externalités de réseau indirectes existent et sont suffisamment puissantes. Nous examinerons plus en détail cet aspect dans les paragraphes qui suivent. Une évolution de la législation vers une obligation faite aux transports publics d’ouvrir la distribution des titres de transport à des tiers permettrait à l’opérateur de mobilité de contourner le problème. La Commission Européenne s’est déjà attelée à ouvrir l’information multimodale, notamment avec la directive concernant les systèmes de transports intelligents dont la priorité « A » est « la mise à

disposition, dans l’ensemble de l’Union, de services d’informations sur les déplacements multimodaux » (Union Européenne, 2010). Son règlement d’application concerne l’ensemble des

fournisseurs de transport, qu’ils soient publics ou privés, partagés ou individuels (Commission Européenne, 2017). L’ouverture de la distribution pourrait vraisemblablement constituer son chantier suivant. Mais même dans un tel cas, il n’y aurait aucune garantie de l’existence d’effets de réseau indirects. La condition d’affiliation proposée par Hagiu et Wright (2015) ne serait pas non plus remplie. Le modèle d’organisation de l’opérateur de mobilité se rapprocherait alors plutôt d’un modèle client-fournisseur. Une ouverture de la distribution rendue obligatoire serait alors plutôt au service de nos deux autres types de modèles économiques du porte-à-porte : intégré et distribué. Il est en tout cas clair, comme le souligne M. Finger dans son rapport sur le poids de l’économie du partage dans les transports, que si les fournisseurs de services de transport de masse devaient être inclus dans des plates-formes d’agrégation, la définition des prix pour le transport et des marges prélevées par l’intermédiaire deviendrait un débat central dans le secteur (Finger, 2017, p. 63) Les fournisseurs de services peuvent retirer un bénéfice supplémentaire qu’omettent de mentionner Meurs et Timmermans : la plate-forme leur permet de réduire leurs coûts d’organisation. L’entreprise Velocomotion (cf. 2.5.3) illustre bien cela puisqu’elle fournit aux loueurs de vélos des outils de gestion de leur activité. Ces gains revêtent une importance particulière pour les petits agents économiques. En effet, ils n’ont pas nécessairement la structure et les outils numériques adaptés pour participer à un fonctionnement de plate-forme. Ils doivent être en mesure de supporter les coûts de connexion à la plate-forme, ce qui suppose de leur côté un degré de maturité technologique élevé. Des outils de gestion d’activité apportés par la plate-forme constitueraient une forme de subvention qui inciterait ce groupe d’utilisateurs à s’affilier.

Il est possible de jouer sur le degré d’ouverture de la plate-forme pour attirer les utilisateurs

La première difficulté rencontrée par les organisations de type plate-forme réside dans l’activation des effets de réseau. Une taille critique doit en effet être atteinte simultanément des deux côtés du marché. Pour cela, des stratégies de lancement doivent être mises en œuvre. Par exemple, les deux faces peuvent être temporairement subventionnées jusqu’à atteindre la taille critique. Blablacar illustre bien cette stratégie puisque son service était initialement gratuit. Parker et van Alstyne (2014) recensent d’autres stratégies concrètes qui peuvent être mises en œuvre pour attirer les usagers et résoudre ce dilemme de la poule et de l’œuf : lancer la plate-forme avec des produits d’appel ; démarrer sur un micro-marché avant de se généraliser ; associer la plate-forme à un autre réseau existant de manière à lui emprunter sa base d’usagers. Une fois la masse critique atteinte, les effets de réseau croisés permettent d’entretenir la dynamique de croissance de l’entreprise. Trouver la bonne répartition des coûts fixes et variables entre le côté de l’offre et celui de la demande est évidemment le paramètre clé qui déterminera le succès ou l’échec de la plate-forme.

Il est particulièrement difficile de déterminer a priori l’intensité des effets de réseau. Pour augmenter l’utilité retirée par chacun des groupes d’utilisateurs, la plate-forme peut jouer sur le degré d’ouverture de son modèle économique. Si la plate-forme restreint son accès à des modes jugés compatibles avec les intérêts des territoires ou des grands réseaux, alors ceux-ci auront une incitation plus importante à participer. Par contre, l’utilité pour le client final en sera affectée négativement. Une autre option consisterait au contraire à ouvrir la plate-forme, c’est-à-dire à partager la définition des règles de fonctionnement. A titre d’exemple, un calculateur d’itinéraire détermine des options possibles pour un même trajet, les pondère et les restitue au client final selon

un ordre déterminé. La transparence sur les critères utilisés ou leur négociation constitue un gage de confiance envers les utilisateurs de la plate-forme. L’incitation à s’affilier à la plate-forme est liée à son degré d’ouverture. Celui-ci peut varier au fil du temps en fonction du niveau de maturité du marché et de l’évolution du contexte concurrentiel. La littérature en management stratégique montre que le niveau d’ouverture est un paramètre qui peut être optimisé par l’entreprise. Il existe de nombreuses analyses détaillées des dynamiques d’ouverture des modèles de plate-forme (Eisenmann et al., 2008; Parker et al., 2014, 2016). Nous en utilisons ici les principaux éléments. Un modèle économique ouvert va dans le sens d’une adoption plus rapide de la plate-forme. Une plate-forme est plus ouverte dans la mesure où elle place moins de restrictions dans l’accès à ses différents rôles, quels qu’ils soient : fournisseurs de services, client final, fournisseur de plate-forme ou sponsor (Eisenmann et al., 2008). L’ouverture permet de proposer des services plus riches et de bénéficier d’un rythme d’innovation alimenté par de nombreux acteurs externes. Dans le même temps, elle stimule la compétition avec d’autres plates-formes et limite la capacité de la plate-forme à capturer la valeur. L’objectif pour l’opérateur de mobilité est justement de proposer le plus grand nombre possible de solutions de mobilité aux clients finaux. La plate-forme doit alors avoir un caractère ouvert vis-à-vis des fournisseurs de service tiers. Cela ne l’empêche pas de mettre en place des règles de participation ni d’établir des relations privilégiées avec certains partenaires. La question de la multi-affiliation des fournisseurs de service à différentes plates-formes concurrentes fait d’ailleurs partie des considérations relatives au degré d’ouverture. Le caractère ouvert ou fermé de la plate-forme concerne non seulement ses usagers du côté de l’offre (les fournisseurs de services tiers) et de la demande (les clients finaux), mais aussi la possibilité de partager les rôles de fournisseur et de sponsor de plate-forme. Le fournisseur de plate-forme constitue le point d’entrée pour le client final. Le système de la marque blanche offert par certaines centrales d’information multimodale permet par exemple à des sites internet tiers de proposer le service à leurs clients. Dans ce cas, le rôle de fournisseur de plate-forme est partagé avec les sites tiers. Le sponsor de plate-forme, quant à lui, contrôle les règles d’utilisation. Ce rôle peut aussi être partagé avec plusieurs acteurs si le sponsor ne dispose pas seul des ressources nécessaires. Le contrôle exercé par les autorités organisatrices et les opérateurs de transport sur l’information et sur la distribution peut ainsi orienter vers une gouvernance plus ouverte de la plate-forme. Cependant, quand les marchés sont matures, le contrôle tend à être resserré autour de l’acteur pivot (Eisenmann et al., 2008; Parker et

al., 2014). De plus, comme nous l’avons vu, la Commission Européenne pousse dans le sens d’une

ouverture de l’information des autorités organisatrices de transport, des opérateurs et des gestionnaires d’infrastructure. La distribution pourrait être l’étape suivante. Une telle évolution dispenserait l’opérateur de mobilité de s’assurer, à l’échelle de l’Europe, du concours des territoires. Cependant, dans un tel scénario où les autorités organisatrices seraient contraintes d’ouvrir la distribution de leurs titres de transport, il n’y aurait pas d’affiliation des autorités organisatrices à la plate-forme. Le coût du service devrait alors être transféré vers les autres utilisateurs de la plate- forme.

Les hypothèses du modèle de plate-forme ne s’appliquent pas à tous les cas de figure

Le modèle économique de plate-forme est fondé sur un fonctionnement de marché biface. Le caractère biface suppose l’existence d’effets de réseau indirects entre les clients finaux et les fournisseurs de services de transport. En d’autres termes, plus l’opérateur de mobilité serait en mesure de proposer un nombre important de solutions de transport, plus la valeur du service de

mobilité porte-à-porte augmenterait pour les voyageurs et plus la plate-forme serait attractive pour eux. Réciproquement, plus le nombre de clients finaux de la plate-forme est important, plus les fournisseurs de solutions de transport seraient incités à s’affilier à la plate-forme. Selon Meurs et Timmermans (2017), l’existence de tels effets n’a pas encore été démontrée dans le contexte du transport et de la mobilité. Il existerait néanmoins des indices allant dans ce sens : le développement des pratiques multimodales des voyageurs d’une part, et d’autre part le potentiel de complémentarité des services de transports entre eux pour offrir de nouvelles alternatives aux besoins de mobilité. Ces indices tendent plutôt à conforter la pertinence des offres porte-à-porte intermodales, sans préjuger du modèle économique retenu. En effet, un bouquet de services complètement intégré permet lui aussi aux voyageurs de profiter d’une combinaison de modes. Le développement des offres et des pratiques multimodales et intermodales ne dit en fait rien de l’intensité d’effets indirects de réseau entre fournisseurs de services de transport et voyageurs. Or en l’absence d’effets de réseau suffisamment puissants, l’utilité totale perçue par les utilisateurs de la plate-forme ne compense pas forcément le coût du service. Il n’est alors pas possible de trouver une structure de prix qui permette à la plate-forme d’assurer sa pérennité. Un modèle vertical peut alors s’avérer potentiellement plus pertinent dans la mesure où une organisation intégrée optimise les coûts de production du service de transport porte-à-porte. Peut aussi être mis en place un modèle de plate-forme hybride dans lequel une autre catégorie d’acteur, qui a intérêt à ce que la transaction ait lieu, apporte un financement complémentaire. On peut observer cela pour le covoiturage de courte distance. Les entreprises ou les collectivités financent en partie le service de manière à pouvoir subventionner les conducteurs et les passagers106. Le rôle de sponsor est alors partagé avec ces nouvelles parties prenantes. Comme nous l’avons vu, une autre solution réside dans la monétisation des données de mobilité qui permettrait de subventionner les différentes faces du marché et d’équilibrer le modèle. Mais le risque est grand de conditionner le modèle économique de l’opérateur de mobilité aux seuls revenus dérivés de la commercialisation de la connaissance de la mobilité. En effet l’open data est une tendance lourde. En France, la loi sur la République Numérique s’intéresse spécifiquement aux données du transport. En Europe, la Commission œuvre à rendre disponibles les données historiques, les données temps réel de transport et les données de flux (Commission Européenne, 2017). Ces orientations tendent à ôter le caractère rare de l’information. Les données de mobilité seraient alors une ressource partagée que tout acteur pourrait mettre à profit pour optimiser son activité en la combinant avec d’autres ressources et compétences spécifiques. Les données ne seraient donc pas intrinsèquement dépositaires de valeur. C’est bien leur traitement et leur réutilisation dans d’autres chaînes de valeur qui apportent de la valeur. A titre d’exemple, grâce aux données de mobilité qu’elle collecte et à leur exploitation, l’application d’information transport Moovit a pu identifier à Londres des potentiels commerciaux non couverts par les transports publics. Elle expérimente depuis l’exploitation commerciale de lignes de bus. Citymapper, autre application d’information voyageurs s’oriente vers le conseil et l’expertise auprès des collectivités (Mobilettre, 2017).

Dans ce contexte, est-on alors vraiment certain du caractère biface du marché de la mobilité ? Parmi les facteurs qui font le caractère multiface d’un marché, Rochet et Tirole (2005) soulignent

106 C’est le cas par exemple de l’entreprise Wayz-up spécialisée dans les offres de covoiturage domicile-travail à destination des entreprises. L’entreprise Ecov propose aux collectivités un système de lignes de covoiturage avec arrêts. C’est aussi le modèle économique pressenti par Blablacar pour son offre de covoiturage courte distance lancée en 2017 (Le Monde, 2017a).

l’existence de coûts de transaction entre les usagers de la plate-forme. Autrement dit, pour qu’un modèle de plate-forme fonctionne, il faut que les interactions directes entre les voyageurs et les fournisseurs de services de transport soient difficiles sans l’intermédiaire de la plate-forme. Plusieurs éléments contribuent à accroître ces coûts. La prolifération d’offres accroît les coûts de recherche pour le client final. L’absence de confiance est un frein aux interactions directes. Les coûts de transaction augmentent aussi avec les situations de fragilité. Ces situations sont variées et incluent la méconnaissance du territoire, l’absence d’une pratique de la mobilité en transports publics, la méconnaissance de la langue, les difficultés à lire les indications ou à s’orienter. Ces situations sont reconnues comme particulièrement fréquentes par les experts de la mobilité107. Dans certains cas, les coûts de transaction sont cependant moins élevés. Par exemple, lorsque les individus connaissent bien le territoire sur lequel ils sont amenés à se déplacer, ils peuvent contractualiser directement avec les fournisseurs de service. Sur un territoire donné, sur lequel ils effectuent la plupart de leurs déplacements, les individus disposent déjà d’accès simplifiés aux offres des autorités organisatrices. De plus, les progrès technologiques promettent de nouvelles réductions des coûts de transaction (voir à ce propos les promesses de la blockchain en 2.5.4). Les marchés de la mobilité ne réunissent donc pas systématiquement les conditions d’un marché biface. Les évolutions techniques incitent de plus à une grande prudence en la matière.

Dans les analyses théoriques des marchés bifaces, les différents groupes sont supposés homogènes. La situation est différente dans le cas de la mobilité porte-à-porte. Le groupe des fournisseurs de services qui apportent les éléments constitutifs d’une solution porte-à-porte est composé de membres aux caractéristiques très différentes. Du côté de la demande, il existe une grande disparité dans les situations individuelles. Les élasticités au prix d’usage et d’affiliation varient donc entre les sous-groupes d’utilisateurs. Il conviendrait alors de quantifier ces élasticités pour chaque sous- groupe, aussi bien du côté de l’offre que du côté de la demande et de croiser ensuite ces résultats pour déterminer s’il existe un ou plusieurs domaines de compatibilité. Ce problème d’hétérogénéité suggère en outre que, pour desservir un même territoire, la coexistence de modèles économiques différents pour le porte-à-porte est pertinente. Tel ou tel modèle serait préféré en fonction de chaque situation individuelle. Une analyse de la demande en fonction du niveau des coûts de transaction entre les différentes catégories d’acteurs doit permettre de préciser les cibles pertinentes et d’affiner les modèles économiques. Une segmentation clientèle par rapport aux situations de fragilité peut ainsi apporter des éléments précieux. L’étude réalisée par Keolis concernant de l’usage des outils digitaux en constitue un exemple intéressant dont il serait possible de s’inspirer (Keolis & Netexplo, 2016).

La mobilité porte-à-porte comporte en outre une difficulté liée aux parcours intermodaux. En effet, dans les marchés bifaces, on s’intéresse à une transaction entre un agent du côté de la demande et un agent du côté de l’offre. La mobilité porte-à-porte suppose cependant de combiner différents services entre eux pour répondre à un même besoin. Plusieurs transactions doivent donc être réalisées simultanément pour que l’utilisateur final en retire une utilité. L’utilité retirée d’une transaction est conditionnée à la réalisation d’autres transactions. Ce type de situation n’est, à notre connaissance, pas abordé dans la littérature économique sur les marchés bifaces. Une modélisation économétrique prenant en compte le cas de transactions multiples et liées complèterait utilement notre analyse du modèle de plate-forme pour un opérateur de mobilité porte-à-porte.

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Nous venons de voir que la mobilité porte-à-porte présente des caractéristiques qui rendent complexe l’application d’une modèle économique de plate-forme généralisé. L’hétérogénéité des acteurs et des situations rend incertaine la mise au point d’un modèle économique de plate-forme. Il conviendrait de pousser l’analyse des élasticités prix et des coûts de transaction en fonction des différents sous-groupes d’utilisateurs. L’utilité conditionnelle des services combinés en réponse à un besoin de mobilité des clients finaux devrait également être prise en compte. De telles analyses dépassent le cadre du présent travail. Elles pourraient être menées dans le cadre d’expérimentations de services porte-à-porte.

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