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Les acteurs de la mobilité porte-à-porte : des frontières en recomposition sous l’effet des technologies de l’information

La problématique organisationnelle au cœur du modèle économique du porte-à-porte

Encart 11 Le transport routier est fortement lié à la question du changement climatique.

2.5 Les acteurs de la mobilité porte-à-porte : des frontières en recomposition sous l’effet des technologies de l’information

Si les changements institutionnels et les évolutions technologiques apportées au véhicule individuel déstabilisent le contexte d’organisation de la mobilité porte-à-porte, ce qu’il est convenu d’appeler la transition numérique modifie radicalement les données du problème.

2.5.1 Des acteurs du transport ébranlés par la digitalisation

Le modèle économique du transport évolue vers un modèle de service dans lequel le rôle d’intermédiaire est prédominant

Les acteurs issus de l’économie numérique perturbent fortement le modèle économique des opérateurs de transport. Ce phénomène s’inscrit dans une dynamique globale de modification des équilibres en place dans tous les secteurs de l’économie depuis le début des années 2000 sous l’effet du développement du numérique. Dans celui du transport, l’année 2004 fut une année charnière, avec l’ouverture du service de cartographie Google Maps, suivi l’année suivante par celui de transport public Google Transit. En France, c’est aussi l’année de création du site covoiturage.fr qui deviendra par la suite blablacar.fr. La généralisation de l’internet mobile à partir de l’année 2010 a conduit à une nette accélération de ce qu’il est convenu d’appeler la transition numérique, ou, par anglicisme, transition digitale, de l’économie française. Entre 2011 et 2015, le taux d’équipement en

smartphone en France est ainsi passé de 17% à 58% de la population française de plus de 12 ans

(CREDOC, 2015). Dans les transports, on a assisté à partir de 2010 à la montée en puissance de la société Uber, fondée en 2009, au démarrage des travaux de Google sur la voiture autonome, au succès des nouvelles offres de mobilité dite « partagée » comme le covoiturage, l’autopartage ou la location de voiture entre particuliers. Dans le sillage de la théorisation d’une économie de la fonctionnalité dans laquelle l’idée de base est de vendre des services plutôt que des biens (Buclet, 2005; Mont, 2002), cette actualité a contribué à imposer l’idée de la mobilité comme service. Dans cette perspective, l’opérateur de mobilité est vu non pas comme un transporteur qui vend son produit de transport mais comme un agent, éventuellement un intermédiaire, qui vend une réponse à un besoin de mobilité indépendamment du moyen de transport utilisé, par exemple au travers d’un forfait mobilité.

Le terrain était prêt pour que la crainte de la « désintermédiation » s’installe chez les opérateurs de transports et les autorités organisatrices. Ce néologisme fait référence à l’insertion de nouveaux intermédiaires numériques en aval de la chaîne de valeur. On peut faire remonter à 2013 la prise de conscience de ce risque par l’opérateur ferroviaire historique, au moment où son président dévoilait son nouveau plan d’entreprise « Excellence 2020 ». Cette année fut d’ailleurs celle de l’ouverture au public de Capitaine Train, service d’achat en ligne de billets de train concurrent de la filiale de distribution de SNCF, voyages-sncf.com. Le plan stratégique SNCF 2020 a marqué les esprits des cheminots en identifiant explicitement Google comme concurrent de l’entreprise pour le porte-à- porte (SNCF, 2013c). Auparavant, c’était la concurrence ferroviaire, spécifiquement sur la grande vitesse, qui concentrait toutes les attentions. Elle était d’ailleurs au cœur du plan stratégique

précédent, « Destination 2012 » (SNCF, 2008a). L’entreprise a marqué un virage à partir de 2013 : son ambition n’était plus seulement l’excellence ferroviaire mais était désormais d’être la référence pour tous les services de mobilité. Pour Finger et al. (2017), le risque de capture de la valeur par des plates-formes en ligne fait peser en outre une menace sur le financement des infrastructures de transport si de nouveaux intermédiaires sont amenés à jouer un rôle majeur dans l’intégration des services de mobilité, y compris pour les services en zone dense.

La transition numérique fait craindre une mainmise des entreprises du numérique sur les filières traditionnelles

Le phénomène de désintermédiation conduit à ce que les acteurs en place perdent le bénéfice de la relation client au profit des acteurs numériques qui captent au passage une partie de la marge. Certains parlent d’ubérisation en référence à la société Uber. Nous éviterons ce terme en raison de son caractère polysémique et polémique65.

Selon certains analystes, la désintermédiation ne serait qu’une étape dans la prise de contrôle des filières par les entreprises numériques : la société de conseil The Family propose ainsi de décrire le processus de la transition numérique par cinq étapes. Les deux premières sont la multiplication de nouvelles propositions de valeur, puis l’émergence de « champions » qui s’imposent auprès des clients. S’en suit l’établissement d’un rapport de force entre les nouveaux intermédiaires et les acteurs en place sur la répartition de la marge. Des acquisitions d’ampleur permettent ensuite aux entreprises dominantes du numérique de s’imposer. Dans l’ultime étape, « la remontée de la chaîne

(…) se concrétise lorsque l’un des géants issus de l’économie numérique (…) décide d’évincer les entreprises en place en s’intégrant verticalement » (The family, 2016). Le même rapport soutient que

ce processus est déjà avancé dans le secteur des transports. Il en serait d’ailleurs à sa dernière étape dans le secteur du transport individuel.

L’actualité automobile, alimentée régulièrement par des annonces sur les voitures connectées de Google, Apple ou Uber, semble confirmer cette observation. Le même phénomène peut être observé en Chine où Alibaba, géant du e-commerce a multiplié les acquisitions de start-up liées à l’automobile et à la mobilité avant de dévoiler en 2016 sa voiture connectée fabriquée avec le constructeur SAIC. La même année LeEco, entreprise fondée en 2004 qui a démarré comme fournisseur de contenu vidéo en ligne, a annoncé un partenariat avec un constructeur pour produire sa voiture électrique connectée. Il n’est pas certain que le transport ferroviaire subisse ce phénomène de remontée de la chaîne de valeur. Les niveaux élevés d’investissement sont un frein.

65 Voir par exemple sur le sujet l’article du Monde (2015) Le terme « ubérisation » est un néologisme qui s’est imposé dans le langage courant. Il désigne l’apparition d’un intermédiaire digital, une plate-forme, qui, comme Uber, met en relation des individus qui ont un besoin donné avec des professionnels indépendants ou des particuliers capables de leur fournir ce service. Ce fonctionnement permet de proposer des services à un prix concurrentiel. Le terme « ubérisation » est employé dans des contextes qui ne se limitent pas à celui des transports. Il prend des connotations variées et parfois polémiques selon que l’accent est mis sur la plate- forme, sur les travailleurs indépendants, sur les usagers ou sur les professions traditionnelles qui subissent cette nouvelle concurrence. Le terme souligne en tout cas les difficultés du régulateur à s’adapter aux changements rapides introduits par les intermédiaires numériques. D’une manière générale, l’ubérisation désigne la déstabilisation par le numérique des modèles économiques traditionnels.

Mais surtout, l’automobile présente l’intérêt d’être individuelle et bardée de capteurs. Comme le téléphone portable, elle recèle une mine de données personnelles et relatives à son environnement. La trajectoire de LeEco peut rappeler celle de l’entrepreneur Elon Musk qui avait d’abord connu le succès dans le service avec Paypal avant de se lancer avec succès dans des projets de fabrication de véhicules avec les lanceurs spatiaux Space X et les voitures électriques Tesla. Ses voitures disposent de leur propre couche logicielle qui permet de proposer des services au conducteur. Il s’est ensuite investi dans les infrastructures de réseau d’énergie complémentaires à ses voitures électriques avec les batteries domestiques Powerwall et les toits en panneaux solaires Solar Roof66. Tesla englobe donc l’ensemble du système de mobilité plutôt qu’un seul de ses aspects. Paradoxalement, cet exemple illustre donc moins un phénomène de remontée de la chaîne de valeur qu’une approche système qui entre par les infrastructures. Son dernier projet, Hyperloop, qui vise à mettre en place un nouveau mode de transport par tube, se focalise pour l’instant sur les véhicules et l’infrastructure support.

Quoi qu’il en soit, la désintermédiation n’est pas qu’un risque pour une entreprise en place. Elle est aussi porteuse d’opportunités. SNCF ne s’y trompe d’ailleurs pas en cherchant à se positionner comme intermédiaire de référence pour toutes les mobilités de courte distance en rabattement vers le train. Il est alors plus juste de parler, comme le propose le rapport au gouvernement sur la transformation numérique de l’économie française, de « réorganisation des schémas d’intermédiation » (Lemoine, 2014).

2.5.2 Le numérique, vecteur d’opportunités pour le porte-à-porte

Le porte-à-porte est caractérisé par d’importants coûts de transaction que le numérique peut faire baisser

La réorganisation des schémas d’intermédiation n’est pas le seul effet de la transition numérique. Le rapport Lemoine l’analyse comme une combinaison de trois effets : automatisation, dématérialisation et réorganisation des schémas d’intermédiation (Lemoine, 2014, p. 55).

L’automatisation est supposée permettre d’améliorer la productivité. Elle prolonge les phases d’accroissement de la performance permis par la mécanisation puis par l’informatisation. Dans les transports, le véhicule autonome est, comme nous l’avons vu plus haut, une tentative sérieuse de faire baisser les coûts de production.

La dématérialisation permet de générer à la fois de nouveaux canaux de communication et de distribution. Le principe du porte-à-porte intermodal est de combiner les modes de transport de manière à satisfaire à un besoin de déplacement. En l’absence de service porte-à-porte, le voyageur devra organiser lui-même son voyage intermodal. Les efforts consentis augmenteront significativement son coût généralisé. De manière symétrique, si un interlocuteur unique souhaite proposer une multiplicité de solutions de transport que le voyageur puisse assembler comme il l’entend, il en résulte une multiplication des contrats avec les opérateurs concernés, et donc une multiplication des coûts de transaction associés (voir encart ci-dessous). Le numérique, en facilitant

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la recherche des opérateurs et la contractualisation, permet de faire baisser les coûts de transaction. Cela est vrai du point de vue du voyageur comme de celui des professionnels. Les transactions, y compris d’un montant très faible, sont ainsi rendues possibles.

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