• Aucun résultat trouvé

Les clients de l’entreprise : individus, autorités organisatrices et entreprises

La problématique organisationnelle au cœur du modèle économique du porte-à-porte

Encart 10 – L’approche par les parties prenantes (R Edward Freeman)

2.2.3 Les clients de l’entreprise : individus, autorités organisatrices et entreprises

Les clients individuels : le porte-à-porte pour qui ?

Au premier rang des parties prenantes pour une activité d’opérateur de mobilité porte-à-porte figurent les individus qui ont besoin de se déplacer d’une origine à une destination en vue d’accomplir certaines activités. En tant que clients, les individus pèsent sur les choix de l’entreprise parce qu’ils ont la possibilité de cesser d’acheter un produit. Ils peuvent aussi mobiliser les pouvoirs publics et les médias pour faire valoir leurs intérêts. Leurs intérêts sont représentés par des organisations comme la Fédération Nationale d’Usagers des Transports (FNAUT). Médias, groupes d’intérêt et organisation de consommateurs sont des parties prenantes secondaires (Cadiou & Morvan, 2007) qui influencent et sont influencées par l’entreprise mais qui n’entretiennent pas avec elle de relations conditionnant sa pérennité.

Evoquer les clients de l’entreprise amène à se demander à qui se destine le porte-à-porte. En effet, les navetteurs qui utilisent le train pour leurs allers-retours domicile-travail, les professionnels en mission, les familles, les retraités qui disposent d’une résidence secondaire ou les étudiants n’ont pas les mêmes attentes. Dépositaires de différents besoins, les clients peuvent être segmentés selon des critères variés comme nous l’avons vu au paragraphe 1.3. Adapter une offre de porte-à-porte qui impliquerait le train à tous ces besoins peut apparaître comme une gageure étant donné la permanence de la structure du réseau. En effet, la mobilité actuelle des Français a profondément évolué au cours des cinquante dernières années. Des phénomènes marquants sont apparus qui impactent profondément les mobilités. Les activités sont désormais tout autant structurées autour des loisirs que du travail (Viard, 2013). La pratique du tourisme s’est généralisée et les voyages ont évolué vers des séjours plus nombreux et plus courts (CGDD-SOeS, 2010, p. 123). Les modes de résidence ont également évolué avec, bien sûr, le phénomène de périurbanisation et son corollaire, l’augmentation des distances parcourues en automobile46. On a assisté également au

développement de la bi-résidence qui concernait tout de même 11% des adultes français en 2011 (Imbert et al., 2013). Une autre partie des Français se déplacent régulièrement vers une résidence secondaire. La part des logements secondaires à tendance à s’effriter mais elle représente près de 10% des logements (Arnold, 2016). La recomposition des schémas familiaux entraîne aussi de nouveaux besoins de mobilité. Avec une croissance continue depuis les années 1960 du nombre de familles monoparentales (Chardon et al., 2008) et un nombre important de familles recomposées, ce sont 29% des enfants français qui sont concernés (Lapinte, 2013). Dans le cadre professionnel, de nombreuses personnes sont concernées par la grande mobilité, qu’il s’agisse de pendularité de longue durée, de déplacements pour le travail, d’absence du domicile pendant la semaine ou de relations à distance. Vincent-Geslin et al. (2016) estiment qu’en France en 2011, 15% de la population était concernée et que plus de la moitié des adultes avaient déjà connu une période de grande mobilité. A l’opposé des grands mobiles, certains sont exclus de la mobilité, en particulier les personnes qui n’ont pas le permis de conduire. Après une augmentation constante de la diffusion du permis dans la société, les dernières années ont vu une baisse notable de son taux de détention chez les jeunes, ce qui traduit en partie des difficultés financières croissantes pour cette partie de la population (Le Parisien, 2017). Pour eux, la mobilité porte-à-porte, à bas coût, pourra s’avérer être une nécessité. Toutes ces évolutions, brossées ici à grands traits, ne doivent pas être oubliées par l’opérateur de mobilité dans la constitution de son offre. Elles invitent de plus à considérer toutes les solutions qui peuvent contribuer à répondre aux différents besoins et à ne pas se focaliser sur le train. Le système de mobilité « sans sa voiture » en bénéficiera dans son ensemble.

46 Même si la dépendance à l’automobile reste forte dans le périurbain, les enquêtes récentes montrent des signes d’évolution vers des pratiques plus ancrées dans la proximité. Les activités se réorganisent autour de pôles secondaires pour le travail comme pour les loisirs, voire même à l’échelle de la commune de résidence pour les activités de loisirs. Mais les effets en termes de mobilité automobile sont contrebalancés par les pratiques des non-résidents du fait de l’attractivité renforcée de ces nouveaux pôles, aussi bien pour le travail que pour les loisirs. (Aguiléra et al., 2017)

Les voyageurs ne sont pas les seuls clients du porte-à-porte

Les voyageurs ne sont pas les seuls clients de l’entreprise (voir tableau 4 ci-dessous). Les clients de SNCF, pour ce qui concerne la mobilité des personnes, se répartissent en plusieurs groupes distincts. Ils ne sont pas les mêmes selon les différentes entités de l’entreprise (voir l’annexe A2 – L’organisation de SNCF avant et après la réforme ferroviaire). Dans le cadre des services de transport conventionnés, les clients de SNCF Mobilités sont les autorités organisatrices de transport. C’est le cas pour le transport régional avec les activités TER et Transilien. SNCF exploite aussi des réseaux urbains et interurbains en délégation de service public via sa filiale Keolis. Une convention de service public lie enfin SNCF à l’Etat pour l’exploitation des Trains d’Equilibre du Territoire (TET). Les usagers des services couverts par un contrat ou une convention de service public ne sont donc clients de SNCF que de manière indirecte. Bien que cette distinction fasse débat, les activités dites commerciales sont souvent opposées à celles qui relèvent du service public47. Il s’agit des activités de

trains à grande vitesse et de cars de longue distance qui sont regroupées, avec celles de distribution, dans SNCF Voyages. Les clients de l’entreprise pour ces activités commerciales sont avant tout les voyageurs et peuvent aussi être des entreprises. Les clients de l’établissement chargé de la gestion et du développement des gares, Gares & Connexions, sont principalement les entreprises ferroviaires et les commerces en gare. Enfin, les clients de l’EPIC SNCF Réseau sont les entreprises ferroviaires.

Activité Clients

SNCF Réseau Entreprises ferroviaires et entreprises qui commandent des

sillons qu'elles confient ensuite à des entreprises ferroviaires

SNCF Voyageurs TER, Transilien, Intercités

Autorités Organisatrices des Transports Régionaux, Etat SNCF Voyages

(TGV, Ouibus)

Voyageurs individuels

Gares & Connexions

Entreprises ferroviaires, commerces

Keolis Autorités Organisatrices de Transports en France et dans le

monde

Tableau 4 – Les clients des activités de transport de voyageur du groupe SNCF

Source : réalisation auteur à partir de (SNCF, 2015c)

2.2.4 Les autorités publiques et les territoires : cadre et financement de la mobilité L’Etat, en plus d’une compétence, au moins théorique, d’autorité organisatrice pour les transports ferroviaires longue distance, pèse sur les décisions de SNCF en tant que propriétaire de l’entreprise. L’Etat est la tutelle de SNCF. L’interventionnisme de l’Etat dans le secteur ferroviaire remonte à la

47 Patricia Perennes montre dans sa thèse sur la libéralisation du secteur ferroviaire (Perennes, 2014b) que le périmètre des activités qui relèvent du service public n’est pas clairement établi en raison du flou qui existe autour de la définition même de la notion de service public.

période antérieure à la création de SNCF, dès la première concession en 1823. Pendant la troisième république, il y avait un consensus parlementaire pour une intervention de l’Etat dans le secteur qui se traduisait par le versement d’aides financières aux compagnies, le contrôle des tarifs et les obligations en termes de desserte et de construction de lignes (Perennes, 2014a). Ce poids de l’Etat était lié à la dimension stratégique et militaire du secteur ferroviaire. Actuellement, même si son poids réel sur les décisions de l’entreprise a pu être débattu et les carences dans son rôle de tutelle et d’actionnaire soulignées48, la réforme ferroviaire de 2014 réaffirme son rôle de stratège du

système ferroviaire. Son article premier l’expose ainsi :

« L'Etat veille à la cohérence et au bon fonctionnement du système de transport ferroviaire national. Il en fixe les priorités stratégiques nationales et internationales. »

Notamment, L’Etat veille à ce que soient assurée la cohérence de l'offre proposée aux voyageurs entre les différentes autorités organisatrices de transport ferroviaire. Il prend en main l'organisation et le pilotage de la filière industrielle ferroviaire. Il programme les investissements de développement et de renouvellement du réseau ferroviaire ainsi que ceux relatifs aux interfaces intermodales. Il s’assure de la complémentarité entre les différents services de transport ferroviaire (TGV, Intercités et TER) en vue de satisfaire aux objectifs d'aménagement du territoire. Depuis la réforme ferroviaire de 2014, un contrat-cadre stratégique doit être signé entre l’Etat et le Groupe Public Ferroviaire qui détermine les objectifs assignés par l’Etat à l’entreprise. Il comporte deux contrats de performance. L’un est signé avec SNCF Réseau, l’autre avec SNCF Mobilités. Ces contrats formalisent les objectifs stratégiques et les trajectoires financières des deux entités. Le contrat signé en avril 2017 entre l’Etat et SNCF Mobilités encourage SNCF Mobilités à se positionner comme un acteur de la mobilité partagée. Il soutient l’objectif de l’entreprise de devenir un intégrateur de mobilité capable de proposer des offres personnalisées de déplacement représentant une alternative crédible à l’automobile individuelle. Le contrat cite d’ailleurs à plusieurs reprises les services « porte à porte ».

Il y a donc un historique des relations entre SNCF et l’Etat et de ce point de vue la dette du système ferroviaire qui affecte fortement le modèle économique de l’entreprise en est l’héritage. Elle s’élevait fin 2016 à 43,6 milliards d’euros (CCTN 2017). De manière symétrique, l’influence de l’Etat sur l’entreprise se justifie par le poids des transferts publics vers elle49. Il convient cependant de

48 On pourra se reporter par exemple au premier chapitre de la thèse de C. Desmaris dans lequel celui-ci apporte son crédit à la thèse de la capture de la tutelle par la firme régulée (Desmaris, 2010)

49 On se reportera à ce sujet aux rapports successifs de la commission des comptes des transports de la nation. La majeure partie des fonds publics transférés à SNCF Mobilités (7,2 milliards d’euros en 2016 hors contribution aux charges de retraites) correspond en fait au fonctionnement des trains TER et Transilien pris en charge par les régions et le Stif. Ces montants sont en partie transférés par l’Etat via les dotations aux régions. Réciproquement, le chiffre d’affaires des activités TER, Transilien et Intercités représente plus de 50% des 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires externe de SNCF Voyageurs et plus de 25% du chiffre d’affaires externe de SNCF Mobilités (SNCF Mobilités, 2016). Cette part est tendanciellement en baisse avec la croissance des activités à l’étranger. En ce qui concerne SNCF Réseau, les subventions publiques représentaient en 2016 plus du tiers des investissements, hors partenariat public-privé, parmi lesquelles 15% étaient apportées par l’Etat.

souligner que les efforts consentis par l’Etat pour le financement du réseau n’ont pas toujours été suffisants, comme l’a illustré le progressif affaiblissement de la desserte par les trains Intercités (Vrac, 2014; Commission « TET d’avenir », 2015).

Au-delà du seul transport ferroviaire, le code des transports stipule que « l'élaboration et la mise en

œuvre de la politique des transports sont assurées, conjointement, par l'Etat et les collectivités territoriales concernées ». Les autorités chargées de l’organisation du transport définissent les

objectifs à atteindre pour une politique de mobilité, en assurent la promotion et le contrôle, et financent le transport. Plus généralement, les instances gouvernementales établissent aux différentes échelles géographiques, du niveau local au niveau international, le cadre réglementaire de la mobilité.

Les autorités organisatrices de transport peuvent aussi constituer un nœud de service sur lequel pourrait se connecter un opérateur porte-à-porte qui voudrait mettre à profit des offres locales. C’est particulièrement vrai dans un modèle économique distribué pour lequel la structuration locale des offres existantes est primordiale. La répartition des compétences en matière de transport entre les différents échelons de l’action publique fera l’objet d’une description plus détaillée dans le paragraphe suivant (2.3).

Les autorités publiques s’appuient dans certains cas sur des autorités indépendantes de régulation. En France, l’Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires et Routières (ARAFER) rend des avis juridiquement contraignants. Elle a été créée en 2009 pour accompagner l’ouverture à la concurrence du marché de transport ferroviaire. Ses activités ont été étendues en 2015 au transport interurbain par autocar et en 2016 aux autoroutes sous concession. En matière de transport routier de voyageurs, elle peut notamment être saisie sur les questions d’aménagement des gares routières dont le fonctionnement, comme nous le verrons plus bas, n’a pas été complètement résolu par la loi de libéralisation du transport par autocar de 2015.

Même lorsque les territoires institutionnels ne disposent pas de la compétence d’autorité organisatrice de transport, ils peuvent jouer un rôle important dans le modèle économique de la mobilité porte-à-porte. Les intercommunalités sont non seulement traversées par les déplacements individuels mais disposent de compétences en matière d’urbanisme. Elles financent certaines infrastructures fondamentales pour le porte-à-porte, en particulier les aménagements à l’extérieur des gares dont les itinéraires d’accès et les zones de stationnement. Les intérêts portés par les différents niveaux de collectivités territoriales doivent être pris en compte par le groupe ferroviaire d’autant plus que le financement des dernières lignes à grande vitesse repose sur elles pour une partie importante50. Elles sont donc en position de faire valoir pour le porte-à-porte les enjeux

50 Alors que le financement de la première ligne à grande vitesse entre Paris et Lyon reposait intégralement sur le système ferroviaire, celui de la LGV Rhin-Rhône reposait aux deux tiers sur des financements publics, dont la moitié venait des collectivités locales. Même dans le cas des deux dernières lignes, pourtant financées par des partenariats publics-privés, une grande partie du financement reposait sur des collectivités locales. Pour la ligne SEA (Sud Europe Atlantique) reliant Tours à Bordeaux presque 40% des 7,8 milliards d’euros financés venaient d’un apport direct de l’Etat, des collectivités locales et de l’UE (http://www.lgv-sea-tours- bordeaux.fr/connaitre-la-lgv-sea/informations-sur-le-financement consulté le 2 décembre 2014). Pour la LGV Bretagne-Pays de la Loire, 60% du montant du PPP de 3Mds d’euros est apporté par des subventions publiques dont un tiers par les collectivités territoriales (http://www.ere-lgv-bpl.com/financement consulté le 2 décembre 2014). Pour des précisions complémentaires, on trouvera dans les comptes des transports de la

d’égalité des territoires qui se traduisent en général par un objectif de couverture territoriale maximale par les services de transport. Par ailleurs, l’évolution des modes de vie vers une plus grande mobilité, dont nous avons rappelé quelques grandes composantes dans le paragraphe précédent (2.2.3), entraîne une circulation des richesses telle que le poids de l’économie résidentielle est devenu majeur. Ce phénomène a été mis en évidence par la théorie de la base économique réintroduite en France par les travaux de Davezies (2008). Elle montre que les territoires qui se développent le plus sont ceux qui réussissent à capter les revenus non productifs. Il y a ainsi un enjeu économique majeur lié à l’attractivité touristique et aux choix résidentiels, notamment des retraités. La capacité à apporter des solutions aux besoins de mobilité qui leur sont liés, autrement dit à assurer une bonne desserte au-delà des seuls flux domicile-travail, représente de ce point de vue un impératif pour les territoires.

Outline

Documents relatifs