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Une tentative de mise en place de plate-forme de mobilité par un acteur institutionnel : l’exemple de Lyon

Le porte-à-porte, un objectif partagé

Encart 9 Une tentative de mise en place de plate-forme de mobilité par un acteur institutionnel : l’exemple de Lyon

La métropole de Lyon a voulu mettre en place, au travers de son projet Optimod’Lyon, une stratégie de plate-forme pour gérer l’information multimodale. La plate-forme technologique centrale consiste en un entrepôt de données auquel contribuent les acteurs locaux de la mobilité (exploitants de réseaux ferrés, de gare, de parkings, de réseaux d’autopartage, de vélos en libre-service, de transports urbains, départementaux et régionaux). La collectivité qualifie les données et organise leur mise à disposition : c’est donc elle qui définit les règles de fonctionnement de la plate-forme. Les données sont ensuite mises à disposition de manière gratuite ou payante selon les cas, de façon que des acteurs tiers puissent développer des applications complémentaires innovantes relatives à la mobilité sur le territoire. Ce fonctionnement théorique est toutefois à relativiser du fait des stratégies individuelles des autres acteurs. Ainsi, la convention de mise à disposition de l’information multimodale relative aux gares du réseau TER entre la Communauté Urbaine de Lyon et SNCF Gares & Connexions stipule que les données sont mises à disposition uniquement pour le projet de GPS urbain multimodal et ne peuvent pas être réutilisées par des tiers (Grand Lyon & Gares & Connexions, 2014). La stratégie de plate-forme du Grand Lyon a donc été mise en difficulté par la résistance des acteurs à la diffusion de leurs données. Ces difficultés devraient se lever progressivement avec les évolutions introduites par la loi pour une République numérique (voir en 2.2.9). L’enjeu est ici celui du partage de la valeur que l’on retire de la production et de l’exploitation de données.

La stratégie de mise à disposition des applications développées à partir des données transport suit également une logique de plate-forme : « la collectivité donne l’accès à l’usage de sa marque aux services qui répondent à un cahier des charges de service, avec possibilité de télécharger des applis correspondantes depuis les sites web du territoire ». Il s’agit donc ici d’une démarche qui est comparable à celle des stores d’applications mobiles et qui est typique de l’économie de plate-forme : la collectivité subventionne les offreurs d’applications puisqu’elle leur permet de bénéficier gratuitement du capital de confiance associé à son nom et de l’audience dont elle bénéficie. Elle crée de la valeur pour elle- même par effet de réseau, en mettant à disposition ces applications auprès de ses administrés, grâce à l’amélioration de la mobilité sur le territoire.

Les grands acteurs du numérique cherchent de leur côté à devenir les points d’entrée unique de la mobilité pour les individus. La valorisation des données est au cœur de leur modèle économique. Ces données sont de plusieurs types : les données relatives à l’offre de transport constituent la proposition de valeur principale pour les individus. Mais ce sont surtout les données issues de l’activité des utilisateurs qui constituent la matière de leur économie (Collin & Colin, 2013, p. 36) : données individuelles, données de demande de mobilité exprimée au travers des requêtes, données de mobilité réalisée et décelée par les appareils mobiles. L’économie numérique déplace donc la question du positionnement dans la chaîne de valeur à celle de la maîtrise de l’information produite tout au long de cette chaîne.

L’économie du numérique permet donc de dépasser le questionnement qui est au cœur des théories de la firme et qui consiste à choisir entre faire et faire faire. En effet, « l'alternative pour une

entreprise n'est plus seulement entre sous-traiter à des fournisseurs et recruter des salariés. Dans l'économie numérique, une troisième branche de l'alternative consiste à produire une application inspirant à ses utilisateurs une activité dont les externalités positives vont, sous la forme de données, s'incorporer à la chaîne de production sans contrepartie monétaire. » (Collin & Colin, 2013, p. 53).

L’exploitation des données permet donc de réaliser des gains de productivité importants pour l’entreprise et de fournir aux individus un service pour un coût minime.

L’hypothèse d’une plate-forme de mobilité porte-à-porte globale proposée par un acteur privé peut paraître séduisante. On peut en tout cas la penser probable. Cependant, les principales implications du fonctionnement des plates-formes invitent à en examiner l’opportunité pour les autres acteurs. En effet, la tendance à l’établissement de quasi-monopole détenu par de puissantes firmes transnationales n’est pas forcément souhaitable lorsqu’il s’agit de missions d’intérêt général (l’organisation des mobilités). La littérature montre de plus que « les plates-formes en monopole ont

tendance à distordre la structure des prix (i.e. le ratio des prix payés par chaque groupe d’utilisateurs) par rapport à l’optimum social et que la concurrence entre plates-formes peut mener à une distorsion encore plus importante de la structure des prix que le monopole ». (Verdier, 2016, p. 25) C’est

pourquoi nous nous efforcerons d’aller au-delà du modèle de plate-forme et de trouver d’autres modèles qui permettent de mieux répartir la valeur au sein de l’écosystème dont font partie les individus et les territoires.

1.5

Le porte-à-porte : une vision idéale face à des principes de réalité

Dans ce premier chapitre, la notion de porte-à-porte a été précisée à partir d’une catégorisation fonctionnelle des besoins individuels : le porte-à-porte regroupe le besoin de traiter avec un interlocuteur unique et doit répondre au problème de la rupture de charge en apportant de la continuité de service. Nous avons vu que l’approche par les modèles économiques est pertinente pour étudier les différentes manières dont il est possible de répondre aux fonctions du porte-à-porte. Confronter cette démarche pragmatique à la vision idéale du porte-à-porte amène un éventuel opérateur de mobilité à s’interroger sur ses motivations et à bien circonscrire son périmètre d’intervention.

1.5.1 Le porte-à-porte, un rêve (in)atteignable ?

L’analyse du porte-à-porte dévoile la vision idéale qui le sous-tend, celle d’une mobilité sans entrave. Le porte-à-porte devrait permettre de pouvoir aller partout depuis n’importe quel point du territoire. Le déplacement devrait de plus être sans couture, c’est-à-dire sans rupture de charge. On attend du porte-à-porte qu’il réponde à l’ensemble des projets de déplacements des individus. Mais il y a une infinité de besoins individuels de mobilité. Ils correspondent à un réseau de projets transactionnels (Dupuy, 1987). Ce réseau relève du désir, c’est-à-dire des souhaits des acteurs qui veulent se déplacer pour réaliser une transaction. Il relève aussi de l’imaginaire car il ne tient pas compte de la réalité des moyens techniques à disposition, ni des contraintes politiques et économiques. Il peut

être qualifié de maximal puisqu’il contient l’infinité des relations point-à-point possibles. L’idéal du porte-à-porte est donc celui d’un réseau réel qui permettrait d’épouser parfaitement le réseau idéal des projets transactionnels.

En élargissant l’éventail des possibilités auxquelles les individus ont accès et en introduisant des mécanismes efficaces de prise en compte de la demande43, les technologies de l’information et les

nouveaux systèmes de mobilité donnent l’impression que cet idéal est désormais réalisable. Les grandes plates-formes de mise en relation font miroiter une disponibilité maximale de leur offre : en tout lieu et à tout moment, une offre adaptée serait disponible. Elles sont néanmoins dépendantes de l’existence locale d’une offre et l’expérience montre que les propositions sont nettement moins abondantes dans les zones peu densément peuplées que dans les grands centres urbains pourtant déjà bien pourvus en offre de transport. A l’échelle métropolitaine ou régionale, le transport intégré est supposé permettre une disponibilité maximale. Une desserte extrêmement fine du territoire est censée la rendre possible. Cette vision d’un réseau de transport est un idéal inaccessible. Dans un tel réseau imaginé, les propriétés caractérisant sa couverture spatiale et temporelle seraient maximales : ubiquité, connexité, immédiateté, instantanéité. (Bavoux et al., 2005; Dupuy, 1991). Le porte-à-porte ne se limite pas à un réseau de transport donné mais vise au contraire à unifier l’ensemble des possibilités de mobilité, qu’elles soient publiques ou privées. Il réactive donc, sur un périmètre plus large, une vision idéale de la mobilité sans couture et ubiquitaire. La recherche d’un modèle économique pour le porte-à-porte implique d’aller au-delà de la simple formule et de déterminer ce qui est désirable et atteignable. C’est ce qu’a permis l’amélioration préalable de la compréhension du concept de porte-à-porte.

1.5.2 Etablir un modèle économique du porte-à-porte invite l’impétrant à répondre à de nombreuses questions

La question posée initialement sur le modèle économique du porte-à-porte pouvait laisser croire que l’offre était clairement définie et qu’il suffisait d’en étudier la rentabilité. L’analyse invite pourtant à revenir à quelques questions préalables à la détermination d’une offre de service.

Pourquoi? Quelles sont les motivations de l’opérateur pour mettre en place une offre porte-à-porte ? Préserver sa relation client, consolider sa position en préparation de l’arrivée de la concurrence, limiter la perte de clients au profit de nouveaux modes, garantir l’égalité des territoires, permettre un report modal de la voiture particulière vers des modes plus vertueux ? Le choix d’un modèle économique ou d’un autre dépend de la détermination de ces objectifs.

Quelles portes ? L’opérateur doit faire le choix de l’échelle et du périmètre sur lesquels il se situe. Le porte-à-porte est donc une question spatiale. Il est en cela intrinsèquement lié aux problématiques d’aménagement. Le porte-à-porte est un concurrent direct à la voiture individuelle en usage unique. La performance économique du modèle dépend donc de l’attitude à l’égard de la voiture : où la collectivité décide-t-elle de l’accepter et à quel coût ? Le porte-à-porte est donc aussi une question collective et la performance économique du modèle dépend des réponses qui y sont apportées.

43 L’entreprise Leap à San Francisco est un exemple paradigmatique de la prise en compte de la demande permise par les nouvelles technologies : ses lignes de bus sont crowdsourcées.

Comment? La définition idéale du porte-à-porte bute sur un impératif de rationalité économique. C’est pourquoi il importe de mettre à profit l’existant et de valoriser des offres dont les modèles économiques sont déjà en place. En utilisant mieux les capacités existantes, cette stratégie peut permettre à un opérateur de transport de réaliser des économies de système. Finger et al. (2005, p. 231) définissent les économies de système comme l’amélioration de l’utilisation d’une capacité de production donnée d’un système en réseau. Elles sont distinctes des traditionnelles économies d’échelle, de vitesse et d’envergure qui peuvent par exemple être réalisées par l’accroissement de la taille d’un réseau. Quel que soit le modèle économique retenu, il importe à l’opérateur d’apprécier sa contribution à l’ensemble de son écosystème. Il peut adopter une logique de captation de la valeur. A l’inverse, il peut, dans une logique de « communs », vouloir apporter les outils permettant d’améliorer l’intermodalité dans son ensemble, et donc favoriser sa propre activité.

1.5.3 La gestion des interfaces au cœur du modèle économique

Le travail de caractérisation du porte-à-porte proposé ici adopte une perspective orientée du côté de la demande. Il diffère en cela d’analyses antérieures portant sur les concepts d’intermodalité (Bozzani-Franc, 2005) et de pôle d’échange (Chapelon, 2010). Les conclusions, bien que vues au travers de prismes différents, n’en demeurent pas moins cohérentes. Autre différence, ce travail ne s’attache pas au transfert entre deux modes, c’est-à-dire à la gestion d’une intermodalité ponctuelle et localisée, mais à toute la chaîne du déplacement et des activités qui en sont l’objet. Considérer la chaîne de déplacement amène à adopter une approche système où la qualité de l’interface est primordiale. La vitesse, exprimée souvent par un temps de déplacement, est traditionnellement le critère déterminant d’évaluation des systèmes de transport. Puisque l’interface devient le centre d’attention, le critère de référence du porte-à-porte n’est plus la vitesse, mais l’accessibilité au sens des géographes, c’est-à-dire le niveau d’effort à consentir pour accéder quelque part (Bavoux et al., 2005). Le modèle économique distribué, qui se focalise sur les interfaces entre les réseaux et les offres existants, semble de ce fait le plus en adéquation avec cette approche. Il apparaît donc particulièrement à même de répondre aux besoins de mobilité porte-à-porte.

L’accessibilité est en général mesurée par la distance. Celle-ci est exprimée par une longueur (distance en kilomètres), une durée (distance-temps) ou une unité monétaire (distance-coût) (Bavoux

et al., 2005). La prise en compte de la mobilité porte-à-porte plutôt que du déplacement invite à

prendre en compte des paramètres d’évaluation qui traduiraient le niveau d’effort demandé pour remplir chacune des fonctions de demande du porte-à-porte. Ils devraient permettre de décrire le degré de difficulté pour réaliser le déplacement physique, sans oublier d’intégrer la compatibilité des solutions proposées avec le programme d’activité ainsi que la part d’aléa inhérente aux déplacements. Les progrès dans l’évaluation de la performance des transferts modaux apparaissent donc cruciaux pour comparer différentes options d’itinéraire au-delà du prix et du temps de trajet. Tout un travail de construction d’indicateurs reste à réaliser. Les travaux théoriques de caractérisation des interfaces donnent quelques perspectives (Chapelon, 2010). Par l’éclairage qu’elle apporte sur les différentes fonctions de demande qui sont à prendre en compte dans un modèle de choix, la présente analyse amène une contribution à ce projet.

La proposition de valeur d’une offre de mobilité porte-à-porte doit accorder une attention particulière au traitement des interfaces entre les différents réseaux et moyens de transport

empruntés. La gestion des interfaces constitue une source de valeur potentielle à exploiter dans le modèle économique. L’intermédiation ne serait finalement pas la seule source de valeur dans le domaine de la mobilité porte-à-porte, comme pourrait le laisser croire un discours fréquemment entendu sur le numérique. Elle est d’ailleurs le principal moteur du modèle de plate-forme. La source de valeur du modèle intégré réside plutôt dans la valorisation du cœur de métier de l’opérateur ferroviaire. Un modèle économique distribué permettrait d’exploiter au mieux cette nouvelle source de valeur résidant au cœur de la mobilité. Encore faudra-t-il se demander comment mettre en place un tel modèle. Les parties suivantes permettront d’apporter un éclairage sur ce point décisif.

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