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Traquer l’incompétence : l’efficacité législative d’après le comte N.I Panin 217

Des institutions à la constitution : métamorphoses de l’art des réformes.

I. Le Conseil et le Sénat : l’impossible réforme des institutions.

1. Traquer l’incompétence : l’efficacité législative d’après le comte N.I Panin 217

A la demande de Catherine II, le comte N.I. Panin rédige, dès 1762, un projet très abouti de réforme du Sénat218, mais qui détournait cette institution de ses prérogatives

premières. En effet, sous Pierre le Grand, le Sénat était doté de pouvoirs extrêmement élargis : en l’absence du Souverain, le Sénat était chargé d’assurer la régence et de diriger le pays. Méfiant vis-à-vis de l’institution sénatoriale, le comte N.I. Panin modifie profondément le rôle que le Sénat est appelé à jouer dans la vie politique en lui adjoignant une autre institution, celle du Conseil de l’Empire. En effet, par le Manifeste du 28 décembre 1762, N.I. Panin réaffirme la nécessité de créer un Conseil de l’Empire (Imperatorskij sovet), chargé de combler le vide institutionnel entre le Souverain et son peuple. Ce Conseil, formé d’au moins six membres nommés par le tsar, a pour fonction d’étudier les affaires les plus importantes avant de les présenter au Souverain. Il rassemble les conseillers secrets du Département des affaires étrangères, du Département des affaires intérieures, du Département de la guerre et du Département de la marine, assistés de vice-conseillers. Le Conseil de l’Empire se voit confier le pouvoir législatif : il est chargé de présenter au souverain des projets de lois, de décrets et d’avis déjà discutés par le Sénat et amendés par le Conseil. Le pouvoir de décision du souverain n’est pas fondamentalement remis en cause, quoique tout nouveau projet de loi doive être contresigné par le conseiller adéquat de l’Empire pour recevoir force de loi et être promulgué219. Pour contrôler le Conseil, une Chancellerie – composée d’un

217 Le comte N.I. Panin (1718-1783) fut ambassadeur en Suède de 1748 à 1760. 1762, il prit part à un

complot visant à placer Pierre II sur le trône, et non Catherine. Pardonné, il présenta un projet de Conseil d’Etat ainsi que plusieurs projets de réformes du Sénat. D’après V.I. Semevskij, il confiait souvent à la princesse Daškova son espoir de voir le tsarévitch Paul, dont il était précepteur, gouverner selon les principes de la monarchie sudéoise. Voir V.I. SEMEVSKIJ, Političeskie i

obŝestvennye idei dekabristov, Sankt-Peterburg, Tipografiâ Pervoj Sankt-Peterburgskoj Trudovoj

Arteli, 1909.

218 Ce projet existe sous deux variantes, toutes deux datant de 1762 : « Proekt N.I. Panina o reforme

Senata i sozdanii Imperatorskago Soveta pri monarhe, 28 dekabrâ 1762g. » et « Proekt Manifesta o reforme Senata i učreždenii Imperatorskago Soveta (podgotovlen N.I. Paninym), 28 dekabrâ 1762g. ». Le texte intégral de ces deux projets est disponible dans le recueil de Saharov et Bertolissi,

Konstitucionnye proekty Rossii, XVIII- načalo XX vv., op.cit., pp.222-240.

219 PANIN, N.I., « Proekt Manifesta o reforme Senata i učreždenii Imperatorskago Soveta (podgotovlen

directeur, de plusieurs secrétaires, de deux chanceliers par secrétaire et d’un archiviste – doit rendre compte des débats menés entre le Conseil de l’Empire et le Souverain.

Corps intermédiaire entre le Sénat et le Souverain, le Conseil de l’Empire doit limiter l’influence des familles de la haute noblesse présentes au Sénat220, dont N.I. Panin critique le manque de formation et l’inefficacité ; mais il est aussi chargé de gérer les affaires de l’Empire de manière plus rationnelle, en fonction de départements spécifiques, qui annoncent la création des ministères sous Alexandre Ier. La réforme semble urgente et nécessaire ; l’incompétence du Sénat et son incapacité récurrente à gérer rapidement des affaires qui se multiplient de plus en plus, sont des facteurs de paralysie du pays :

« Si l’on ose s’exprimer ainsi, le Sénat juge souvent et résoud des affaires nuisibles d’après des lois promulguées parfois à la va-vite, parfois sans examen scrupuleux, parfois même avec trop de passion. »221

Néanmoins, le comte N.I. Panin ne cherche pas à affaiblir l’institution sénatoriale : cette dernière conserve la fonction d’élaborer des projets de loi et de les discuter en première lecture. Le comte souhaite avant tout que le Sénat gagne en efficacité. Pour éviter toute dispersion lors des assemblées plénières, il le divise en six départements : affaires intérieures (gosudarstvennye vnutrennie političeskie dela): dépenses et revenus de l’Etat, topographie, démographie, recensement ; examen des plaintes concernant le service civil (reketmejsterskaâ kontora) ; industrie et commerce (manufaktur- i komerc-kollegiâ) ; justice (ûsticiâ) ; guerre et collège de l’Amirauté (voennaâ i Admiratel’skaâ kollegii) ; affaires allemandes de Narva, de la province de Vyborg et des territoires situés aux « marges » de l’Empire (Petite Russie, Livlande, Estlande, nouvelle Serbie).

p.237, voir notamment le §10.

220 N.I. Panin critique vivement le dysfonctionnement du Cabinet, dominé par Biron : détournée de son

but premier, cette institution ne permit pas de soulager le souverain ; au contraire quelques grandes familles princières l’utilisèrent pour confisquer le pouvoir et établir ainsi une oligarchie. « [Oni] postavili sresdtvom onago [Kabineta] vsegda zloklûčitel’nyj obŝemu blagu interval meždu gosudarâ i pravitel’stva. » in PANIN, N.I., « Proekt manifesta o reforme Seanta… », op.cit., p.227.

221 « I tak, esli možno osmelit’sâ skazat’, senat často opredelâet i rešaet vrednyâ dela po zakonam,

raznovremenno izdannym inogda skoropostižno, inogda ne osmotritel’no, inogda i pristrastno. », PANIN, N.I., « Proekt N.I. Panina o reforme Senata i sozdanii Imperatorskago Soveta pri monarhe, 28 dekabrâ 1762 g. », in Konstitucionnye proekty Rossii, XVIII- načalo XX vv., op.cit., p.223.

Cette division appelle quelques commentaires : on remarquera que le comte N.I. Panin accorde une importance particulière aux territoires situés aux « marges de l’Empire » ; en effet, les tsars ayant adopté pour ligne de conduite de respecter les mœurs des habitants des pays conquis et des zones annexées, la législation était loin d’être unifiée dans l’ensemble de l’Empire, ce qui justifie la création d’un département spécifique pour résoudre les problèmes soulevés par cet état de fait. Fidèle aux théories économiques de son temps, N.I. Panin établit un département spécifique pour l’industrie et le commerce. En outre, la subdivision du ministère des Affaires intérieures témoigne des intérêts économiques de la fin du XVIIIème siècle : superviser la croissance démographique, signe de la richesse d’une nation ; assurer le développement des voies de communication ; assainir les finances de l’Empire. Selon les conditions édictées dans ce projet, les sénateurs doivent se réunir au moins une fois par semaine pour examiner les affaires en cours. En cas d’hésitation ou d’indécision, le Sénat doit en référer au procureur général (general-prokuror), et la question est tranchée par le Conseil de l’Empire. Le Sénat joue en fin de compte le rôle de Chambre basse, dans laquelle sont discutés les projets de loi, mais dépend de cette Chambre haute qu’est le Conseil de l’Empire. D’après le projet de N.I. Panin, seuls les nobles peuvent devenir membres du Sénat et du Conseil de l’Empire.

Si, dans ce projet de réforme, la séparation des pouvoirs législatif et exécutif n’est jamais qu’esquissée et ne remet pas en question l’assimilation du souverain à l’Etat sur lequel s’étend son pouvoir, on peut néanmoins noter un louable souci de rationalisation de la vie politique, ainsi qu’une timide volonté de traduire dans les institutions l’autonomie de la loi voulue par Catherine II. Mais les tentatives de limitation du pouvoir du Sénat qui animent le texte du comte N.I. Panin ne pouvait que mécontenter les familles de la noblesse russe qui dominaient le Sénat : craignant de perdre l’immense influence que leur conférait l’ancienne institution sénatoriale, elles ne pouvaient que s’opposer à un tel projet, qui ne sera jamais appliqué. L’idée d’une vacance institutionnelle entre le Souverain et le Sénat n’est toutefois pas écartée : elle se trouve au cœur d’un autre projet de réforme, celui du maréchal de Münnich.

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