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Les îles ioniennes et la Suisse, deux expériences libérales.

La Russie impériale à l’épreuve

III. En politique extérieure, les hésitations d’Alexandre.

1. Les îles ioniennes et la Suisse, deux expériences libérales.

Deux expériences en politique extérieure nous paraissent cruciales : la fondation de la République des Îles ioniennes ou République des Sept-Îles d’une part, et la restauration de la fédération helvétique de l’autre. En effet, ces deux régimes soutenus par l’Empire – république et fédération – correspondent à deux possibles politiques que les Républicanistes tenteront, par la suite, d’appliquer et d’adapter à la Russie. C’est dire si la réalisation des principes républicain et fédératif prend un relief particulier dans la formation intellectuelle des Républicanistes.

Les îles ioniennes furent le théâtre de nombreuses querelles entre la France napoléonienne et les puissances des différentes coalitions. Délivrées en 1798 de la tutelle vénitienne par Napoléon Bonaparte, les Îles ioniennes furent soumises en 1800 à un protectorat russo-ottoman. La Russie et l’Empire ottoman décidèrent de réunir en un seul Etat les sept îles ioniennes408, ce qui donna naissance à l’Etat heptanésien. Au cours de cette période, l’Empereur russe assura de fait la protection du nouvel Etat et lui octroya une constitution. En 1807, les Îles ioniennes furent cédées à la France puis elles furent occupées par les Britanniques à partir de 1809. A la chute de Napoléon, la Grande-Bretagne transforma les îles en protectorat britannique par le traité de Paris, en date du 5 novembre 1815, fondant ainsi l’Etat des Sept-Îles (United States of Ionia). Les îles furent rétrocédées à la Grèce en 1864.

De toutes ces péripéties, la période russe présente pour notre sujet d’étude un grand intérêt : c’est sous Alexandre que fut en effet réalisée la république fédérative des Îles ioniennes. En 1801, l’Empereur russe choisit de laisser aux Îles ioniennes leur indépendance et le libre choix d’une constitution. En 1801, une première loi fondamentale vit le jour, qui instituait un gouvernement représentatif. La république des

408 Liste des sept îles principales qui entraient dans la composition de cet Etat : Corfou, Paxos, Ithaque,

Sept-Îles fut proclamée et reconnue par les puissances étrangères409. La constitution de

1801, à laquelle Alexandre accorda toute son attention, donnait naissance à une république fédérative, modèle adapté à un archipel. L’exécutif était remis aux mains du Sénat, composé de douze membres ; le prince-président, désigné par élection, détenait l’autorité suprême du législatif. La magistrature et l’assemblée législative étaient réservées à la noblesse. En matière de religion, l’orthodoxie grecque supplanta le catholicisme. Le fonctionnement de ce gouvernement représentatif ne se révéla pas satisfaisant : de nombreuses dissensions internes, encouragées par l’esprit de parti, virent le jour, entravant les initiatives du gouvernement410. Pour résoudre cette crise, une nouvelle constitution, élaborée en grande partie par Capo d’Istria411 dans un sens démocratique, fut promulguée le 14 novembre 1803. Capodistria fut élu en 1803 président du Sénat et demeura ministre de la République des Sept-Îles de 1802 à 1807. La nouvelle constitution instaurait à nouveau le principe représentatif. Elle réservait à la noblesse l’accès au Sénat et à l’Assemblée législative. Pour être élu à l’Assemblée législative, il fallait être né sur les îles, d’une union légitime, être chrétien et bénéficier d’un revenu foncier. Toutefois, la constitution proposait d’élargir cette représentation à la noblesse peu fortunée, puisqu’un titre universitaire pouvait remplacer les revenus fonciers. La période russe fut donc le temps d’une expérience politique qui consacrait le mode représentatif de gouvernement412 : cette tentative ne devait pas être oubliée par les Républicanistes.

409 L’article 9 de la Convention secrète conclue à Paris le 18 vendémiaire an X (10/10/1801), entre

Talleyrand et le comte Markov, stipulait que la Russie et la France s’engageaient à reconnaître et à garantir « l’indépendance et la Constitution de la République des Sept-Îles-unies ».

410 Sur ces débuts mouvementés de la république ionienne, on se reportera à l’analyse de l’historienne

A.M. STANISLAVSKAÂ, Rossiâ i Greciâ v konce XVIII – načale XIX veka. Politika Rossii v

Ioničeskoj respublike, 1798-1807 g., Moskva, Nauka, 1976, pp.90-146. On trouvera une analyse

contemporaine du règne d’Alexandre dans l’ouvrage suivant : SCHNEIDER, A.-V. et BORY de SAINT-VINCENT, Histoire et description des îles ioniennes depuis les tems fabuleux et héroïques

jusqu’à ce jour, Paris, Dondey-Dupré, 1823, livre II, chapitre IV, pp.280-288.

411 Cette mission dans les Îles ioniennes fut la première grande responsabilité du jeune Capo d’Istri, qui

devait par la suite devenir un conseiller influent d’Alexandre et jouer un rôle de premier plan au Congrès de Vienne et dans le dénouement de l’affaire suisse. Il devait par la suite s’investir dans l’indépendance de la Grèce et devenir le premier chef d’Etat de la Grèce libre ; il mourut assassiné en 1831. Il publia ses mémoires sous le titre Aperçu de ma carrière diplomatique, depuis 1798

jusqu’en 1822.

412 En dépit des différents protectorats, les Îles ioniennes disposèrent d’un Sénat jusqu’en 1864. Sous le

protectorat britannique, une constitution fut promulguée en 1817, qui organisait la séparation des trois pouvoirs. Le Sénat disposait de l’exécutif ; le législatif était remis aux mains d’une Assemblée composée de quarante membres ; quant au pouvoir judiciaire, il se subdivisait entre une juridiction civile, criminelle et des tribunaux de commerce. Le texte de cette constitution est disponible dans le

Autre expérience politique, la confédération helvétique voit le jour au début du XIXème siècle. En 1803, Napoléon octroie à la Suisse un « Acte de médiation », qui

contient un « Acte fédéral » unissant les dix-neufs cantons suisses. En 1813, le comte Capo d’Istria, envoyé par Alexandre Ier en Suisse, rend compte de la stabilité de la Suisse, grâce à l’Acte de médiation. Mais Metternich envoie à Berne un agent secret pour inciter le gouvernement de la ville à réfuter l’Acte de médiation. La Suisse risquait d’être partagée en deux camps : celui des cantons fidèles à l’Acte de Napoléon et celui des cantons récusant cet Acte et réclamant d’anciennes frontières. Malgré le revirement de Metternich, le canton de Berne persistait à réclamer son indépendance et à ne conserver que des relations extrêmement lâches avec la Confédération helvétique. Le baron Paul de Krüdener fut envoyé en Suisse en mars 1814 pour exiger la reddition du canton de Berne et son adhésion à la Diète des dix-1euf cantons, ce qui fut fait le 31 mars 1814413. Le nombre de cantons fut porté à vingt-deux par le Congrès de Vienne, qui reconnaissait la neutralité et l’inviolabilité du territoire suisse.

La solution de l’Empereur russe consistait à imposer à la Suisse une constitution libérale, garantissant les libertés fondamentales du peuple suisse. Les deux plénipotientaires qu’il y envoya, le comte Capo d’Istria et le baron Paul de Krüdener, manifestèrent nettement l’attitude favorable de l’Empereur envers un régime libéral :

« Leurs Majestés sont décidées à ne point reconnaître ni garantir la constitution suisse, à moins : 1° que cette constitution ne soit fondée sur des principes libéraux. »414

Les solutions choisies pour la république ionienne et la Suisse témoignent des penchants libéraux d’Alexandre. Elles suscitèrent un vif intérêt au sein de la noblesse libérale. Mais ces expériences côtoient d’autres orientations politiques de l’Empereur, qui affiche une grande sévérité à l’égard des révoltes en Italie, en Espagne, et même à l’égard des velléités d’indépendance de la Grèce en 1821.

recueil Archives diplomatiques pour l’histoire du tems et des Etats. Vol.6 : Grande-Bretagne et îles

ioniennes. Diplomatisches Archiv für die Zeit und Staaten-Geschichte. Gorssbritanien und ionische Inseln, Stuttgart et Tübingen, in J.G. Gotta’schen Buchhandlung, 1826, pp.169-220.

413 Pour une relation extrêmement détaillée des négociations, on se reportera à l’ouvrage de Francis

LEY, La Russie, Paul de Krüdener et les soulèvements nationaux, 1812-1858, Paris, Hachette, 1971. Voir notamment le chapitre premier : « L’imbroglio suisse : 1814-1826 – La solution libérale, imposée par le tsar de Russie », pp.39-56.

414 Instruction d’Alexandre Premier, d’après l’historien du droit constitutionnel suisse William Rappard.

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