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Libre commerce et prospérité : une ouverture économique.

Renouveler la culture politique : continuités et ruptures avec l’autocratie.

III. Libéraliser la société.

3. Libre commerce et prospérité : une ouverture économique.

Le domaine économique fut l’un des fers de lance des idées libérales d’Alexandre Ier : l’Empereur soutint, par des réalisations et des mesures touchant l’industrie, la libre circulation des biens et des marchandises. Souhaitant dynamiser le commerce intérieur russe, Alexandre Ier prêta attention à la navigation intérieure : il fit

reprendre les travaux, commencés sous Catherine II en 1787, d’un canal reliant la Mer Blanche à la Mer Caspienne, soutint la marine et la pêche et rétablit la liberté de pêche dans la Caspienne. L’Empereur accorda une grande attention au commerce fluvial : il facilita le commerce dans les ports de la Mer Noire, qui furent tous décrétés libres de taxes douanières. Le nouvel Empereur rejeta les mesures de fermeture prises sous le règne précédent : par un décret du 16 mars 1801, il autorisa l’importation, en Russie, de produits en provenance de pays étrangers ; dans le même ordre d’idées, par un décret du 24 mars 1801, il leva l’interdiction d’exporter du pain et du vin à l’étranger. Les résultats furent pratiquement immédiats, et dès 1803, un témoin pouvait observer :

« Les exportations et les importations de la Russie ont plus que doublé par ces mesures. »354

Par ailleurs, pour favoriser le commerce extérieur, et après un protectionnisme marqué au début du règne d’Alexandre Ier, des tarifs douaniers relativement bas furent

établis entre 1819 et 1823 ; les Républicanistes devaient saluer cette mesure conforme

353 Il est difficile de parler d’une société civile, au sens contemporain de ce terme ; tous les écrits du

début du XIXème siècle témoignent de la parfaite confusion entre les notions de « société civile » et d’« Etat » : la société civile ne s’est pas encore affranchie de la tutelle de l’Etat. En revanche, on peut noter l’émergence d’une opinion publique, qui fait ses premiers pas essentiellement dans les journaux satiriques de la veine de ceux de N.I. Novikov, ou dans les revues littéraires.

aux théories de l’économie politique. Les économistes russes n’eurent de cesse de souligner la productivité du travail libre : la Société libre d’Economie (Vol’noe

èkonomičeskoe obŝestvo) avait déjà publié nombre de rapports dans lesquels elle mettait

en valeur l’intérêt du travail libre par rapport au travail servile. Dans une lettre envoyée en 1802 au comte Kočubej, Ministre des Affaires Etrangères, Malinovskij – alors Consul Général à Iassy – soutenait déjà la supériorité du travail libre. Après avoir prouvé, dans une brève analyse historique, que le servage n’avait aucun fondement légal et était totalement inhumain, Malinovskij soulignait l’inefficacité du travail des serfs, sur le plan économique. Selon lui, un homme libre s’adonne de lui-même au travail, tandis que, même sous la menace du bâton, un serf ne cherche pas la rentabilité d’un travail dont il ne goûte pas les fruits :

« L’utilité de l’équilibre de la population en Russie peut être illustrée par l’exemple de ces forêts impénétrables et de ces steppes sauvages et vides dont le mélange proportionné constitue la richesse et la beauté de la terre. Par le déplacement de la population, les forêts se transforment en bocages et les steppes en jardins ; le paysan, pauvre par manque de terre, ayant obtenu avec sa liberté un vaste espace de champs, s’adonnera volontiers à la mise en valeur de ceux-ci, persuadé qu’il sera de conserver pour lui le fruit de ses travaux que personne ne lui ravira. Dans l’état de liberté, le paysan est père d’une famille, il est incité au travail et à l’initiative, ce qui lui assure tranquillité et aisance. […] Quand il n’y a pas d’incitation intérieure au travail, seul le bâton peut la donner et, quand on l’emploie, il n’y a pas de travail sans lui. »355

Le dynamisme économique de la Russie exigeait donc cette abolition du servage, revendiquée par les membres de la noblesse russe éclairée. Cette abolition ne répondait pas tant à des considérations d’ordre humaniste qu’à une réalité économique incontournable. Elle devait s’accompagner de la distribution de lopins de terre constituant la propriété privée des paysans nouvellement affranchis :

« C’est avec cette idée [de déportation] que chacun quitte sa terre natale et arrive dans son nouveau lieu de vie, sans envie ni incitation à se mettre à l’ouvrage, travaille tant bien que mal la parcelle de champ indiquée, s’estimant étranger à celle-ci ; mais un homme libre n’est pas ainsi ; comme il est certain de posséder la terre personnellement, il s’empresse avec ardeur à cette tâche, espérant plus de profit de ses travaux. Tout cela est confirmé par l’expérience, par la mise en valeur

355 Un extrait de cette lettre de Malinovskij, intitulé « Note sur l’affranchissement des esclaves » et

traduit en français, est disponible dans le recueil établi sous la direction de B. Jeu, La pensée des

et le peuplement de la province d’Ekaterinoslav par ceux qui ont acquis la liberté. »356

Ainsi, au début du règne d’Alexandre Ier, et malgré les réticences d’une partie de la noblesse, l’Etat russe a déjà changé de visage : des espaces de liberté ont été créés, qui investissent la vie publique, la presse, les universités, et qui transforment même le regard posé sur l’économie.

Les trois éléments que nous venons d’étudier – position face à l’autocratie, renouvellement des institutions, libéralisation de la société – subissent des modifications importantes sous le règne d’Alexandre Ier. Cibles d’enjeux politiques entre les libéraux et les conservateurs, ces trois composantes de la culture politique russe sont confrontées aux aspirations libérales de l’Empereur : l’autocratie n’est plus la seule référence politique ; les institutions, conçues au préalable comme des canaux de transmission de la volonté impériale, acquièrent une certaine indépendance ; la société russe voit se créer en son sein des espaces de liberté. Les tensions entre les cercles libéraux et conservateurs, ajoutées aux hésitations de l’Empereur, engendrent des situations en apparence contradictoires – terreau extrêmement fertile qui nourrira les revendications politiques des Républicanistes.

SECTION II

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