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Renouveler la culture politique : continuités et ruptures avec l’autocratie.

II. Renouveler les institutions.

2. La création des ministères.

L’exécutif, relais du pouvoir du souverain, attira tout particulièrement l’attention d’Alexandre Ier : le manque d’efficacité des collèges instaurés par Paul Ier, la corruption des fonctionnaires et la non-application des lois étaient devenus proverbiaux. Deux décrets successifs, en 1802 et 1803, tentèrent de remédier à cet état de fait.

Par le décret du 8 septembre 1802315, Alexandre Ier institue les Ministères, accédant ainsi à une requête constante de la noblesse éclairée depuis un demi-siècle ; reprenant la distinction établie par le maréchal de Münnich, l’Empereur crée huit ministères : les ministères de l’Armée, de la Marine, des Affaires Etrangères, de l’Intérieur, des Finances, de la Justice, du Commerce et de l’Instruction publique316. Ces

313 Cela correspond au caractère d’Alexandre Ier, comme en témoigne Vigel’, un proche de l’Empereur :

« En un mot, Alexandre Ier aurait volontiers donné la liberté au monde entier à condition que tous se

soumettent volontairement à sa seule volonté. » « Odnim slovom, [Aleksander I] ohotno daroval by svobodu vsemu miru pri tom uslovii, čto vse dobrovol’no podčinilis’ isklûčitel’no ego vole. » Cité par MEL’GUNOV, S.P., in Dela i lûdi Aleksandrovskogo vremeni, Berlin, Vataga, 1923, pp.57-58.

314 STROGANOV, P.A., Imperator Aleksandr I, ego žizn’ i carstvovanie, op.cit., pp.340-341. 315 Voir PSZ, n°20406.

ministères sont dirigés par un Ministre, aidé d’un adjoint et d’un secrétaire. La mission des ministres se limite à assurer l’application des lois décidées au Conseil de l’Empire. L’institution des ministères ne supprime pas pour autant les collèges (kollegiâ), instaurés par Paul Ier : les ministres servent d’intermédiaire entre les collèges et le souverain, ils se situent au même niveau que les autres fonctionnaires de l’exécutif. Le Sénat dirigeant, en tant que « lieu suprême de l’exécutif »317, reçoit pour fonction de promulguer les lois et les décrets impériaux, de veiller à la stricte exécution des lois ; il joue aussi le rôle d’instance judiciaire suprême. Ce mode de fonctionnement avait pour mérite de pallier les défauts de l’exécutif, sans pour autant toucher aux institutions pauliniennes, ce que les conseillers de ce dernier auraient sans doute interprété comme un désaveu.

Toutefois, neuf mois après la création des ministères, un second décret vient modifier l’organisation de l’exécutif. De graves défauts sont apparus dans ce système : les collèges viennent seconder le travail des ministères et freinent l’efficacité de ces derniers. Par le décret du 4 juin 1803, les collèges sont donc supprimés et sont remplacés par des chancelleries (kancelâriâ). Cette réforme renforce le pouvoir et l’efficacité des ministères, mais elle rend aussi les ministres tout-puissants : ils se trouvent désormais à la tête de l’exécutif et ne doivent rendre de comptes qu’au souverain. Cette disposition suscite le mécontentement de l’aile conservatrice de la noblesse ; D.P. Troŝinskij318 rappelle que l’Empereur doit demeurer au sommet de l’appareil administratif et récuse cette toute-puissance des ministres, qui n’assure pas nécessairement un meilleur fonctionnement de l’exécutif :

« Dans toutes les affaires qui les intéressent particulièrement et auxquelles ils prêtent une attention spécifique, les ministres sont de véritables super-arbitres ;

« Proekt organizacii ministerstv », in Grand-Duc Nicolas Mikhaïlovitch, Comte Paul Stroganov, Paris, Imprimerie nationale, 1905, préface de Frédéric Masson, volume II, annexe 8, p.277. Edition originale : Graf Pavel Aleksandrovič – Istoričeskoe izsledovanie èpohi imperatora Aleksandra I, Sankt-Peterburg, Ekspediciâ zagotovleniâ gosudarstvennyh bumag, 1903.

317 « Verhovnoe ispolnite’lnoe mesto ». L’expression est de D.P. Troŝinskij, qui analyse dans une note

le sens politique des institutions ministérielles et des réformes de 1802-1803. Voir « Zapiska Dmitriâ Prokof’eviča Troŝinskogo o ministerstvah », in Sbornik russkogo istoričeskogo obŝestva, 1868, pp.24-159.

318 TROŜINSKIJ, Dmitrij Prokof’evič (1754-1829) : homme d’Etat. En 1793, il membre de la Direction

principale des postes. En 1796, il accompagne Paul Ier à Moscou pour le couronnement ; il devient

par la suite sénateur. Alexandre Ier le nomme membre du Conseil d’Etat et directeur des postes. De

1814 à 1817, il est ministre de la justice. En 1833, son neveu transmet ses papiers à Nicolas Ier.

Certains de ses textes sur la justice sont publiés dans la revue Čteniâ Moskovskogo Obŝestva Istorii i

mais dans toutes les autres affaires, ils ne sont que les armes aveugles de leurs propres fonctionnaires. »319

Le décret de 1803 appelle d’autres critiques. En effet, le travail est effectué en étroite collaboration avec le Souverain : chaque ministre se présente quotidiennement devant l’Empereur pour lui rendre compte des affaires courantes. Le comte P.A. Stroganov souligne le manque de cohésion dans les différents ministères, qui restreint vivement leur efficacité :

« L’Empereur a adopté, pour méthode de travail, de s’occuper tous les jours successivement avec tous ses ministres ; ils entrent chacun à leurs heures et rendent compte de leurs affaires respectives : l’Empereur donne ses décisions, et c’est ainsi que l’ouvrage se fait. Cette méthode a plusieurs inconvénients […]. En ne rassemblant jamais tous les ministres pour résumer tout le travail, n’en faire qu’un seul et même faisceau et par là coordonner toutes les parties, on perd soi-même de vue, et les ministres oublient l’ensemble qui doit exister entre toutes les parties. Chacun, de cette manière, ne peut travailler que dans le sens de sa partie : il y subordonne toutes les autres. »320

Pour pallier ce défaut, Alexandre Ier crée en 1810 le Conseil d’Etat, qui doit servir d’intermédiaire entre le souverain et les autres instances du pouvoir.

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