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31. L’argument associant le volet subjectif de l’expérience à une théorie primitive est déjà mis en avant quand C. & S. introduisent une distinction entre ce qu’ils appellent « traduction » et « calibration ». Les auteurs répondent ici à John Searle, lequel, pour sa part, a défendu l’idée qu’une description strictement fonctionnelle de l’activité mentale exclut toute référence à ce qu’il nommait alors « l’intentionnalité intrinsèque »214.

32. Dans leur réplique à cette objection contre le fonctionnalisme, les auteurs suggèrent d’abord « que nos propres états mentaux sont aussi dépourvus [innocent of] “d’intentionnalité intrinsèque” que ne peuvent l’être les états de simulations mécaniques [machine simulation] », la notion d’intentionnalité intrinsèque n’ayant, selon eux, aucun sens empirique (FQ, p. 140). Nier ainsi

214 John R. Searle, « Minds, Brains and Programs », The Behavioral and Brain Sciences, vol. 3 (1980), p. 451. Cité par C. & S., FQ, p. 141-142.

arbitrairement l’existence même d’états mentaux intrinsèquement intentionnels, ce ne serait pas, selon nos auteurs, admettre que leur conception du fonctionnalisme exclut effectivement toute référence à de tels états intentionnels. Pour C. & S., la question serait plutôt de savoir comment nous pourrions « assigner un contenu propositionnel aux états représentationnels d’un autre organisme. » (FQ, p. 140) Montrer qu’on pourrait « assigner un contenu

propositionnel à des états représentationnels » suffirait donc, à leurs yeux, pour écarter l’objection de Searle selon laquelle une description fonctionnelle ne pourrait aucunement faire référence à des faits intentionnels qui pourraient être présents dans un « organisme étranger » (FQ, p. 140).

33. La question se pose alors de savoir comment nous pourrions confirmer la présence d’un tel contenu propositionnel dans l’esprit d’autrui, ce qui revient vraiment à se demander comment nous pouvons être certains qu’il y a effectivement des pensées dans son cerveau. Or, C. & S. répondent en disant

que, pour reconnaître la présence d’un contenu propositionnel chez autrui, on peut soit traduire, soit « calibrer ». Notons-le tout de suite, on introduit par là deux manières de connaître : traduire et calibrer. Qu’est-ce donc tout d’abord que traduire ?

Dans le cas de la traduction, nous assignons un contenu propositionnel spécifique aux représentations étrangères parce que nous trouvons que se tracent entre elles et les nôtres des schémas semblables, de sorte que le réseau d’inférences formelles et matérielles qui tient au sein des représentations étrangères reflète d’assez près un réseau semblable prévalant dans nos propres représentations. En bref, leurs représentations dans leur ensemble démontrent une

structure intensionnelle qui fait écho à nos propres représentations

dans leur ensemble (FQ, p. 140).

34. C. & S. auraient intérêt à nous expliquer comment nous pourrions avoir accès à ces « représentations étrangères », pour ensuite seulement être en mesure de reconnaître que « se tracent entre elles et les nôtres des schémas semblables », alors que la question initiale semble être de savoir comment une approche fonctionnaliste peut même reconnaître la présence d’un fait de conscience en autrui. Cela dit, à moins d’erreur, on semble nous dire ici que,

lorsque nous « traduisons », nous comprenons autrui parce que nous reconnaissons dans ses « représentations », un sens pour nous, un sens que nous pouvons projeter en lui, étant données les circonstances que nous connaissons de sa propre vie et de l’existence en général. Après avoir nié l’existence de l’intentionnalité intrinsèque, les auteurs semblent nous concéder ici l’univers du sens. C. & S. ajoutent :

Nous assignons un contenu spécifique P aux représentations d’un étranger sur la foi des assurances que nous pouvons avoir que sa représentation joue le même rôle inférentiel abstrait dans son économie intellectuelle (computationnelle) que la croyance-que-P joue dans la nôtre. Et ce qui prévaut pour les étrangers prévaut aussi pour nos frères et sœurs (FQ, p. 140).

Ce qui est intéressant dans ces deux passages est le beau rôle qu’on y réserve à la connaissance interne ou subjective en nous disant que notre compréhension d’autrui repose principalement sur notre propre expérience vécue.

35. Passons toutefois à la calibration. Qu’est-ce que calibrer ? Calibrer, cela veut bien dire « mesurer ». De quelle sorte de mesure s’agit-il ? Il s’agit tout simplement d’une description de l’état physique d’un sujet. Lorsque nous « calibrons », nous nous basons « plus ou moins » sur les états récurrents dans un système physique pour lui attribuer un « contenu calibrationnel » (FQ, p. 141).

Il en va de même pour le « système humain » (idem). Les états récurrents des

systèmes physiques

sont des indicateurs à peu près fiables de certaines propriétés de leur environnement, et nous pouvons assigner un contenu (par exemple, « Il fait 0 °C ») à ces états [...]. Nous pouvons assigner de cette façon un contenu à divers états que nous nommons « croyances perceptuelles » en fonction du type de circonstances environnementales qui provoquent habituellement leur occurrence (FQ, p. 141).

36. Dans ce passage, on semble nous dire que, à regarder l’état physique du cerveau, nous devrions être en mesure — au moins en principe — de savoir ce qu’un sujet perçoit, en assignant un contenu à des « états que nous nommons, nous dit-on, ‘croyances perceptuelles’ » (idem). Donc, si on nous disait au départ

qu’il existe deux manières « d’assigner un contenu propositionnel à des états représentationnels d’un autre organisme », le processus calibrationnel ne promet ici d’assigner un contenu qu’à des « ‘croyances perceptuelles’ ». Ce glissement de la pensée à la perception peut sembler facilité par le fait qu’on parle maintenant de « croyances » perceptuelles. Un tel glissement, allant d’un contenu propositionnel à des croyances perceptuelles, aurait néanmoins encore à être expliqué et justifié.

37. Certes, nous pouvons comprendre qu’un thermomètre dont le mercure indique 0 °C soit dans un état habituellement « provoqué » par le « type de circonstances environnementales » où l’eau gèle. Mais en quel sens assignons- nous à cet état le « contenu » « zéro » ? Certainement pas dans le même sens que, chaque fois que je déposerai mon parapluie, on pourra m’assigner le contenu « croyance qu’il fait beau ». Que l’usage du concept de « contenu » dans le cas du thermomètre ne puisse être que métaphorique ne semble pourtant pas incommoder les auteurs.

38. Par ailleurs, il faudrait préciser de quels états physiques et de quelles circonstances environnementales il s’agit quand on projette d’assigner un contenu — propositionnel faut-il comprendre — « à divers états » nommés ‘croyances’ en fonction des « circonstances environnementales » qui les provoquent. D’abord, qu’est-ce qu’un état physique que nous nommons croyances ? Il ne peut s’agir que d’un état du cerveau, dans l’optique des Churchland. Assignera-t-on alors un contenu propositionnel au cerveau en fonction des dispositions corporelles d’un individu (il dépose un parapluie = il croit qu’il fait beau). Ou sera-ce en vertu d’un certain état du cerveau qu’on assignera au cerveau un contenu propositionnel ? Peu importe, en réalité, puisque dans un cas comme dans l’autre, comme nous plaquons sur le thermomètre des graduations, nous plaquerons sur le cerveau des « contenus », un système indiciel que nous nommerons « croyances », qui en vérité viendra de nous et nullement de la masse grise observée, même avec une fine analyse neurobiologique à l’appui.

39. Enfin, ce serait là un exercice qui pourrait être pratiqué autant sur un thermomètre que sur des morts-vivants, de sorte que cette réponse des Churchland ne permet donc pas d’écarter l’objection de Searle suivant laquelle le fonctionnalisme ne tient point compte d’une intentionnalité intrinsèque. Pour être juste, il faut dire que C. & S. ne cherchent pas à réfuter Searle. Au contraire, ils abondent dans son sens, et lui concède donc l’objection, puisqu’ils répètent en conclusion « qu’il n’existe tout simplement rien qui corresponde à une intentionnalité intrinsèque, du moins dans le sens où Searle l’entend », en précisant que « [l]es fonctionnalistes n’ont donc pas à s’inquiéter si les simulations du fait mental humain n’arrivent point à l’exposer [fail to display it]. »

(FQ, p. 141) Voyons cependant ce que nous pourrions véritablement attendre de la

calibration comme technique permettant d’attribuer un contenu propositionnel à des états physiques.