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40. Admettons donc que cette méthode dite « calibrationnelle » puisse réussir. Présenterait-elle des avantages par rapport à la première, soit celle de la traduction ? Il faudrait à tout le moins, nous dit-on, lui attribuer un avantage en particulier. En effet, il se pourrait, semble-t-il, qu’il y ait des cas où un contenu pourrait être calibré sans qu’il puisse être traduit, en raison d’une défaillance quelconque (FQ, p. 141). Il est assez difficile de concevoir ce que C. & S. peuvent

entendre par « défaillance », mais ils évoquent trois cas possibles où la traduction pourrait être défectueuse, là où la calibration ne le serait pas. La calibration — savoir nouveau — serait possible (« can take place »), nous explique-t-on d’abord, quand bien même la traduction ne le serait pas, « pour autant qu’un système ait une quelconque réponse systémique à son environnement » (FQ, p. 141). La

traduction, pour sa part pourrait ne pas se produire :

soit simplement parce que l’économie nécessaire au contenu traductionnel215 fait défaut au système ; ou parce que la structure

intensionnelle de cette économie est incommensurable par rapport à la nôtre (FQ, p. 141).

Si on comprend bien, le premier cas pourrait vraisemblablement être celui d’une personne qui ne comprend pas ce qui lui arrive (elle serait incapable de traduire son expérience et de lui donner par là une forme propositionnelle). Le second cas pourrait être celui d’une personne qui serait incapable d’en comprendre une autre : le sens qu’un particulier donne à son existence — la « structure intensionnelle [avec un ‘s’] » de son « économie » « systémique », serait incompréhensible pour tel ou tel autre individu. Dans de tels cas, pourra-t-on parer à ce défaut de compréhension en faisant appel à la calibration ?

41. Pour répondre à cette question, penchons-nous sur un troisième cas relevé par C. & S. Dans ce dernier cas, il pourrait y avoir divergence entre un contenu traduit et un contenu calibré. Alors, la calibration, au lieu de pallier la traduction, la corrigerait. Ce cas nous est donc présenté comme en étant un où la calibration pourrait nous préserver de l’erreur, là où la traduction nous y entraînerait. Un son, par exemple, pourrait être bien perçu, mais mal interprété. Il faut lire textuellement le propos :

Plus encore, le contenu calibrationnel peut fréquemment diverger par rapport au contenu traductionnel. Considérez un énoncé qui se calibre comme « Il y a du tonnerre », mais qui se traduit par « Dieu gronde » ; ou un énoncé qui se calibre comme « Cet homme a une infection bactérienne », et qui se traduit par « Cet homme est possédé par un démon rose » (FQ, p. 141).

Souvenons-nous qu’on cherche ici à comparer deux manières « d’assigner un contenu propositionnel à des états représentationnels d’un autre organisme », et qu’on nous offre ici des exemples de cas où il se trouverait à y avoir divergence entre le résultat qu’atteindrait chacune de ces deux manières d’assigner un tel contenu. Or, que nous puissions nous tromper en cherchant à traduire, c’est-à- dire simplement à comprendre ce qu’autrui se représente, cela ne pose point de difficulté ; et le but apparent de C. & S. semble bien être de soutenir qu’il est possible de découvrir ce qu’une personne pense en passant par la « calibration »,

là où l’interprétation — entendons, la traduction — pourrait rester dans l’erreur. Pourtant, ce n’est plus de cas semblables qu’il s’agit maintenant.

42. Car, ce que l’exemple illustre est comment la « calibration » d’un fait objectif peut être juste, là où son interprétation peut être erronée. Pour vous, le tonnerre (fait objectif), c’est Dieu qui gronde (interprétation subjective). Pour un autre, une maladie bactérienne (fait objectif) sera une possession démoniaque (interprétation subjective). Mais, dans ces exemples, les dés semblent pipés. Car, à n’en pas douter, la méthode objective sera supérieure quand viendra le temps d’établir un fait objectif. Elle ne peut jamais être dans l’erreur, d’ailleurs, contre l’interprétation, puisque c’est elle qui fournit l’étalon de mesure, le but étant d’établir une vérité objective. Mais quand il s’agit de déterminer le « contenu propositionnel » assignable à un organisme, cet ordre n’est-il pas à inverser ?

43. En effet, quand il s’agit d’attribuer un contenu propositionnel à un individu, comment l’erreur ou la divergence — le cas échéant —, ne se situerait- elle pas du côté de l’alchimie présumée du « synaptologue » ? La mission des neurosciences de C. & S. ne serait-elle pas de découvrir — sans le lui demander — ce que l’individu pense, et non pas de prouver qu’il se trompe ? Car, que l’individu se trompe ou non en pensant « Dieu gronde », ce qu’il pense doit néanmoins correspondre exactement à un état de son cerveau. Ne serait-ce donc pas un énoncé identique à « Dieu gronde » que la « calibration » devrait être en mesure de discerner ? Et si les neurosciences ne peuvent découvrir nos pensées conscientes, erronées ou pas, comment découvriront-elles nos pensées secrètes ? Les premières ne devraient-elles pas être au moins aussi faciles à atteindre que les secondes ?

44. À vrai dire, si ce sont nos pensées cachées qu’on croit pouvoir nous révéler, la psychanalyse semble nettement promettre de meilleurs résultats. Un polygraphe peut indiquer un niveau de nervosité typique à associer au mensonge. Une drogue peut nous délier la langue. Mais, si le sujet ne parle point, comment le fond de son cœur ne resterait-il pas opaque pour celui qui ne

l’approche qu’avec l’instrumentation du laboratoire, aussi naturel et matériel que ce sujet puisse être, et aussi raffiné que puisse être l’instrument ? Et s’il parle, ce sera alors des paroles ou des gestes signifiants qu’il y aura à comprendre, des messages, et ce sera alors à l’interprète, et non aux neurosciences, de chercher à y comprendre quelque chose.

45. Enfin, demandons-nous si un médecin qui, en utilisant ses instruments, donc en « calibrant », arrive à déterminer qu’une personne a une infection bactérienne — pour prendre maintenant le deuxième exemple proposé par les auteurs — assigne par là un contenu propositionnel à un état représentationnel de cette personne ? Assurément non, puisque c’est un état physique et non psychique qu’il décrit. Et qu’en est-il de l’interprétation des faits qui conduit une personne à énoncer que « Cette personne est possédée d’un démon rose » ? De toute évidence, cette personne est un tiers, le fou du village sans doute, et non plus le malade. Ainsi, compare-t-on ce qu’un médecin peut savoir à ce qu’un fou peut penser et, d’ailleurs, ce qu’un médecin et un fou peuvent dire d’un corps, et dans aucun cas ce que l’un et l’autre peuvent dire concernant le contenu propositionnel d’un sujet, l’un en exemplifiant la calibration, l’autre l’interprétation.