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6. Essentiellement, McGinn suggère que, si nous ne pouvons refermer l’écart psychophysique, c’est parce que la conscience serait un fait sans étendue, alors que nous ne pourrions que percevoir et, par suite, que comprendre des faits qui s’inscrivent dans l’étendue. Pour McGinn, il y a, de toute évidence, un rapport entre le physique et le mental. Cependant, puisque la conscience est inétendue, cette relation causale doit elle-même dépendre de propriétés inétendues, des propriétés qui, étant inétendues, échapperaient dès lors à notre perception de même qu’à notre compréhension. McGinn postule donc l’existence d’une propriété ou d’un ensemble de propriétés (du cerveau) que nous ne pouvons concevoir et qui pourraient expliquer le rapport psychophysique, pourrions-nous les concevoir.

7. Nous pouvons donc déjà le constater, quoique la nature ineffable du rapport psychophysique trouve encore son explication dans la nature du regard que nous portons sur le monde, l’explication du rapport en tant que tel liant le mental au physique se trouve encore dans le monde objectif. Car, c’est bien une propriété dans le monde observable — soit une propriété du cerveau — qui, pour McGinn, pourrait rendre compte de ce rapport.

8. L’auteur commence par souligner des évidences. Pensons aux compétences cognitives de tout animal. Celles-ci varieront d’une espèce à l’autre. Et, si tous sont prêts à admettre que c’est chez l’être humain que ces compétences ont atteint leur plus haut niveau de développement, il serait difficile de prétendre que ce développement aurait atteint là son ultime limite. En ce qui a trait à nos pouvoirs représentationnels, le bon sens même nous le dit, ce ne

sera jamais une question de tout ou rien ; il y aura toujours en eux du plus et du moins (CWS, p. 350).

9. La puissance de nos pouvoirs cognitifs ou perceptuels ne serait pas le seul facteur dont il faudrait tenir compte. Il faudrait aussi considérer le degré d’adaptation de nos facultés par rapport certaines tâches cognitives (CWS, p. 350).

Nous pourrions, par exemple, ne pas comprendre un problème parce que nos capacités ne sont pas suffisamment développées, ou nous pourrions être constitués d’une manière telle que nous ne pourrions comprendre ce genre de problème en particulier. Nous pourrions être très intelligents et ne pas être en mesure de comprendre certaines choses simples.

10. Pour rendre ce concept de limites cognitives plus clair, nous pouvons nous reporter au concept de limites perceptuelles. Il est facile d’illustrer le concept de limites représentationnelles lorsqu’il s’agit de la perception. Nous ne percevons pas les rayons X, par exemple (CWS, p. 351). Mais les rayons X existent, à n’en pas

douter. Or, comment ne pas soupçonner que, de même qu’il doit exister des dimensions de l’univers (et, bien entendu, par le fait même, de nous-même) que nous ne pouvons percevoir, il doive en exister que nous ne puissions concevoir ? Pour McGinn, les propriétés de l’univers qui ne peuvent être conçues par nous seraient alors pour nous des propriétés nouménales, mais elles n’en demeureraient pas moins des propriétés réelles, et donc — et surtout — naturelles (CWS, p. 350).

11. Or, parmi ces propriétés nouménales, il en existerait une, selon McGinn, qui permettrait d’expliquer le lien psychophysique (CWS, p. 350). Il y aurait une

« propriété naturelle du cerveau (ou de la conscience) » qui rendrait le lien psychophysique compréhensible pour nous, si nous pouvions la percevoir et la concevoir mais, justement, nous ne le pouvons pas, « étant donnée la manière avec laquelle il nous faut former nos concepts » (CWS, p. 350). Ici, l’auteur cherche

surtout à nous introduire à l’idée de « fermeture cognitive ». Un esprit sera fermé à l’égard d’une propriété quelconque « si et seulement si les procédures dont il dispose pour former des concepts ne peuvent aller jusqu’à saisir cette propriété »

(CWS, p. 350). L’énoncé a tout l’air d’être un pléonasme, mais il dit bien ce qu’il a à

dire : l’esprit serait fermé aux propriétés que ses règles de constitution de concepts (ou de théories) l’empêcheraient de concevoir.

12. Tout réalisme serait donc contraint d’admettre l’inconcevable autant qu’il le serait d’admettre l’indétectable (CWS, p. 351). Rien ne nous oblige à associer le

nouménal au miraculeux, écrit McGinn (CWS, p. 352). Il suffit de comprendre que

la nature insaisissable de certains faits dépend simplement d’une « fermeture cognitive » qui nous serait propre, propre à la structure même de notre faculté représentationnelle (CWS, p. 352). Ce serait donc cette fermeture qui serait

« susceptible d’engendrer l’illusion de mystère objectif » (CWS, p. 352).

13. McGinn doit donc penser la conscience comme mystère, tout en soutenant que, malgré cette apparence de mystère, c’est en vertu de faits naturels qu’un organisme tel que le nôtre peut éprouver un vécu phénoménologique que les sciences physiques ne semblent pas être en mesure de cerner. Pour arriver à ses fins, McGinn croit qu’il lui faut soutenir deux choses : 1) qu’il existe une propriété qui explique la relation âme-corps ; 2) que comprendre cette relation requerrait des capacités d’explication qui dépasseraient nos propres capacités cognitives. Nous verrons sous peu pourquoi McGinn est convaincu que comprendre cette relation dépasse nos capacités. Son but n’est pas de montrer que les faits qui se rapportent à l’esprit sont explicables par des faits naturels, mais de montrer qu’ils peuvent être naturels sans être explicables par une science humaine.

14. Ceci laisserait cependant en suspens cette autre question : comment le naturaliste composera-t-il avec le mystère, après l’avoir reconnu comme composante inéluctable de l’expérience ?

15. Laissant nous-mêmes pour le moment cette question, à laquelle le chapitre 6 (infra, p. 277) apportera une réponse, tournons-nous maintenant vers le sujet qui

nous concerne dans l’immédiat et que McGinn évoque à deux reprises au cours de son article, soit celui du dualisme épistémique.