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La présentation ruyerienne de la théorie du double aspect

125. Comment concevoir le rapport psychophysique ? On peut le concevoir soit comme une forme d’interaction, soit comme une forme de parallélisme95.

126. S’il s’agit d’une interaction, on cherchera à comprendre ce rapport comme

94 Voir les citations d’Hippolyte Taine, dans l’Appendice (infra, p. 342-343). 95 Butler, « The Mind-Body Problem... », art. cité (supra, n. 60, p. 40), p. 229-240.

rapport causal. Soit le mental cause le physique (je décide d’étirer mon bras, et mon bras s’étire), soit le physique cause le mental. On dira, dans le dernier cas, tel événement cérébral cause tel événement mental. Ou bien, autre possibilité, on postulera la présence d’un troisième terme, un terme inconnu, causant simultanément l’événement mental et l’événement physique.

127. On peut dire de ce dernier cas de figure qu’il n’explique tout simplement rien, ne réduisant pas le moindrement l’écart qui semble exister au départ entre le psychique et le physique. Mais on retrouvera la même difficulté avec les deux autres modèles d’interaction. De plus, ces modèles mènent à un cul-de-sac causal (quand, par exemple, un effet mental ne serait pas à son tour cause) ou impliquent une série causale à sens unique, en particulier lorsqu’on évoque un troisième terme pour expliquer le mental et le physique. Dans ce dernier cas, ce troisième terme aurait un effet sur le physique et le mental, sans que ceux-ci exercent à leur tour un effet sur lui96. Ou bien on aura le problème contraire,

qui sera celui de la surdétermination, un événement physique unique pouvant alors s’expliquer entièrement à la fois par ses antécédents physiques et par un événement mental, par une décision, par exemple. C’est donc autrement qu’il faut procéder pour aborder la question du rapport psychophysique, et c’est ce que font les thèses qui proposent au lieu une forme de parallélisme. Parmi ces thèses, on peut compter celle de Raymond Ruyer, laquelle, en somme, correspond à la théorie du double aspect.

128. Pour nous introduire au parallélisme, Ruyer rappelle une erreur commune. Pour Ruyer, la question du rapport psychophysique ne fait qu’une « avec le problème des rapports du subjectif et de l’objectif. »97 Or, précise Ruyer, « [o]n

donne quelques fois, pour illustrer l’opposition de l’objectif et du subjectif, l’opposition entre les ondes électromagnétiques du physicien, et la couleur

96 Il faut penser que tout ce qui se conçoit comme cause, dans une série causale, n’est cause plutôt qu’effet qu’en raison du point de vue adopté. Une boule de billard blanche heurte franchement une rouge : la blanche cause le mouvement de la rouge, mais cette dernière a bien causé l’arrêt de la première. Tous les rapports causaux sont des rapports réciproques. Un rapport à sens unique est impensable.

comme qualité consciente. »98 Subjectivement, je vois des couleurs.

Objectivement, ces couleurs seraient de la lumière, laquelle serait en réalité des ondes dans une sorte d’éther photonique. Cependant, ce parallèle serait fautif. Le fait objectif auquel il faudrait opposer la couleur ressentie, si on tient à penser ce parallèle, serait plutôt le cerveau, et non les ondes électromagnétiques, faits objectifs externes dont les couleurs seraient des signes. Butler fait la même remarque99, en croyant discerner cette même erreur chez Feigl100 et reprenant

d’ailleurs, presque mot pour mot, peut-être sans l’avoir connue, l’essentiel de la thèse ruyerienne101. Ruyer poursuit ainsi :

La physique étudie les ondes lumineuses, ou les photons, quand ils existent en dehors des cerveaux ; la couleur qualité n’apparaît — nous avons du moins de bonnes raisons de le supposer — que là où existe un cerveau. Il ne s’agit donc pas là, en toute hypothèse, de deux faces d’une même réalité, mais de deux réalités différentes102

... soit celle du cerveau et celle de la lumière.

129. Il s’agirait donc d’abord de tenir compte du fait que toute expérience renvoie à deux réalités objectivables, et non pas à une seule. Aux « ondes lumineuses réelles en elles-mêmes » correspondent des « ondes connues objectivement par le physicien »103, des concepts d’ondes. Mais à la sensation

subjective de lumière, donc à la couleur en tant que telle, correspondrait une autre réalité objectivable qui, pour Ruyer, serait cette fois une aire ou « un certain étage », par exemple, d’une aire de Brodmann104. Partant de là, la voie

nous dirigeant vers la théorie du double aspect s’ouvre d’elle-même. Ce parallélisme que nous propose Ruyer suppose un rapprochement qui, aussi curieux et douteux qu’il puisse paraître, n’en demeure pas moins incontournable. Ruyer nous dit que la sensation correspond à (au moins une partie de) la chose en soi de ce qui pour nous se présente sous l’aspect d’un

98 Ibid., p. 5.

99 « The Mind-Body Problem... », art. cité (supra, n. 60, p. 40), p. 244.

100 Herbert Feigl, « The ‘Mental’ and the ‘Physical’ », Minnesota Studies in the Philosophy

of Science, vol. II (1957), p. 370-498

101 « The Mind-Body Problem... », art. cité (supra, n. 60, p. 40), p. 241. 102 Ruyer, op. cit. (supra, n. 67, p. 42), p. 5.

103 Ibid., p. 6. 104 Idem.

cerveau. Ainsi, Ruyer, rappelant l’idée d’une interaction entre un inconnu nouménal et un réel apparent, physique ou mental, demande pourquoi nous aurions à évoquer encore un « troisième terme inconnaissable » derrière la sensation105. Ce réel nouménal dont les sciences physiques tentent de se

rapprocher, lorsqu’elles visent cette fois le cerveau, en sachant qu’elles ne sauront jamais l’atteindre en tant que tel, pourquoi ne serait-ce pas la sensation elle-même ? La réalité nouménale peut effectivement rester à jamais inaccessible quand le réel visé est celui d’un être autre que nous. Mais cette réalité qui existerait indépendamment de la représentation objective que nous pouvons en construire ne pourrait-elle pas, dans notre propre cas, être (au moins en partie) la sensation elle-même ? Sinon où faudrait-il situer cette sensation, entre ce monde objectif dont elle a été définitivement délogée et ce réel « profond » et irrémédiablement inconnaissable que serait notre cerveau réel ? Rejetant donc la critique bergsonienne du parallélisme106, Ruyer présente cet argument :

la sensation de lumière est incontestablement une partie de la réalité, ou alors le mot réalité ne signifie plus rien[107]. Nous ne pouvons donc

pas parler du « tout de la réalité inconnaissable en soi » sur lequel s’étendrait le « tout de la représentation »108

... car il faut bien — argument incontestable — que cette sensation elle-même soit au moins une partie de cette réalité.

130. Il s’agit là d’un argument puissant qui mérite d’être reformulé, si ce n’est que pour en rendre la conclusion plus évidente :

105 Id.

106 Présente dans l’ensemble de son œuvre, mais plus explicite dans « Le paralogisme psycho-physiologique », Revue de métaphysique et de morale, vol. 12 (1904), no 6, p. 895-908 (repris dans L'énergie spirituelle [1919], Paris, Puf, 132e éd., 1967, ch. VII, sous le titre de « Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique » [Œuvres,

op. cit. (supra, n. 21), p. 959-974]) et dans « L'âme et le corps », in L’énergie spirituelle, ibid., ch. II (Œuvres, p. 836-860). Voir Annie Petit, « ‘La relation du corps

à l’esprit’ selon Henri Bergson », in Entre le corps et l’esprit. Approche

interdisciplinaire du ‘Mind-Body Problem’, B. Feltz–D. Lambert (dir.), Bruxelles,

Mardaga, 1995, p. 53-78.

107 Cet argument correspond au premier point de Galen Strawson (infra, chap. 1, p. 66- 67).

La sensation est un noumène

1) Le noumène est tout ce qui existe indépendamment de la représentation que nous pouvons en avoir109.

1 bis) Le noumène est tout ce qui existe.

2) La sensation existe (= la représentation existe).

3) Donc, la sensation est un noumène (ou est du nouménal).

Ou encore, en résumé : l’apparence n’est pas que l’apparence d’une réalité, elle est elle aussi une réalité.

131. À ceux qui, par ailleurs, souhaiteraient faire abstraction de toute réalité nouménale, Ruyer répond, visant par là Bergson, qu’une telle « [é]conomie malheureuse [...] fausse toutes les perspectives » parce qu’elle « définit inexactement la position réaliste. »110 Car, s’il est vrai que « le cerveau matériel

comme tel, le cerveau objet, n’existe pas », il n’en demeure pas moins qu’il doit y avoir « continuité d’une action entre la lumière réelle » et « notre cortex réel, dont une partie est la nappe lumineuse de la sensation. »111 En d’autres mots, on ne

peut être réaliste sans admettre la distinction entre l’image et le réel, tout en associant cette image aux apparences physiques, et ce réel à l’expérience vécue elle-même.

132. Il faudrait donc accepter comme évidence première que la sensation et, avec elle, tout ce qui peut être rapporté à l’expérience a bien sa place dans une ontologie réaliste, et que cette place est nulle autre que l’ordre du nouménal. L’expérience, si elle n’est pas tout le noumène, doit en être, tout comme le cône visible d’un iceberg, lequel indique certes une masse sous-marine de glace d’autant plus imposante, n’en demeure pas moins lui-même glace.

109 Ruyer : « une réalité absolue de l’objet est parallèle à l’objet tel que nous le connaissons », ibid., p. 9.

110 Ibid., p. 9-10. 111 Ibid., p. 10.

133. Considérons sous forme de grille cette présentation ruyerienne de l’hypothèse du parallélisme, en soulignant, dans une deuxième grille, les différentes notions de rapports de causalité qu’elle sous-entend de même que le faux et le bon parallèle notés par Ruyer entre le subjectif et l’objectif112 :

GRILLE 1

Ordre nouménal apparences Ordre des

Altérité

(dehors) Ondes lumineuses réelles ◄ Rapport causal ?

Ondes électromagnétiques du physicien Rapport causal ? Rapport causal ? Ipséité

(dedans) de couleur Sensation Rapport causal ? ► Cerveau

À n’en pas douter, ranger la « sensation de couleur » sous le titre « ordre nouménal » peut paraître contestable. Mais, les apparences phénoménales ne sont des apparences que pour autant qu’ont les considèrent en tant qu’apparences de quelque chose. Pour le reste, en elles-mêmes, elles sont des réalités et elles seraient d’ailleurs les seules réalités dont nous aurions une authentique « possession », étant constitutives113 de notre être propre.

112 Grille construite sur la base d’une grille semblable parue dans La conscience le

corps, (ibid., p. 12).

113 « Constitutif » : « Qui, avec d’autres éléments, entre dans la composition d’un tout, d’une chose complexe »,Trésor de la langue française, Paul Imbs (dir.), Paris, CNRS,

GRILLE 2

Ordre nouménal apparences Ordre des

Altérité Ondes lumineuses

réelles ◄ Causalité insensée (les apparences ne peuvent pas causer le réel) ◄ Ondes électromagnétiques du physicien ▲ « Causalité » réelle et au-delà de l’intelligible ▼ FAUX PARALLÈLE ▲ Causalité apparente et concevable ▼

Ipséité de couleur Sensation

« Causalité » inconcevable

(le réel peut « causer » les

apparences)

► Cerveau

BON PARALLÈLE entre le subjectif et l’objectif

Le bon parallèle mettant en rapport le subjectif et l’objectif serait donc celui qui oppose la sensation en elle-même, laquelle reçoit alors le statut de « réalité », au cerveau — vu ou conçu comme objet — qui pour sa part se voit alors « réduit » au statut d’apparence.

134. Notons que même si la conscience ne constituait qu’une infime partie de notre être réel, la thèse essentielle du parallélisme, telle que conçue par Ruyer, ne s’en trouverait pas moins valide : l’esprit serait un fait nouménal, un « dedans » métaphysique ; il le serait encore, ne correspondait-il qu’à une mince

couche de la totalité de ce dedans.

135. Comment faudrait-il concevoir cette différence entre un dedans et un dehors métaphysique ? Le « dedans métaphysique », ouverture béante sur le mystère, correspondrait à ce que nous connaîtrions d’une chose en vertu du fait que nous sommes cette chose, en vertu non pas du fait que nous éprouvons cette chose comme objet touché ou senti, mais en vertu du fait que nous sommes cette épreuve. À l’inverse, le dehors d’une chose quelconque serait ce que nous en connaîtrions en vertu des effets que cette chose peut avoir sur nous ou sur les autres choses. Mais nous ne connaîtrions alors que la forme que cette chose prend pour nous une fois qu’elle se trouve coulée, pour ainsi dire, dans la structure catégoriale de l’esprit humain. Cette structure serait un code. Les métaphysiciens voudront savoir quel rapport il peut y avoir entre le code et le réel et, par là, ils voudront vraiment savoir si le code ressemble, en quelque sorte, au réel114. À quoi il faudra répondre : un sentiment de joie ressemble-t-il à une

tempête neuronale ? Cet écart entre une apparence neuronale et un vécu expérientiel est formidable, et on voudra connaître la raison d’une asymétrie si étonnante. Nous examinerons au chapitre 5 les raisons formelles qui font de cet écart et de cette asymétrie une nécessité. Mais pourquoi, voudra-t-on encore demander, les choses réelles devraient-elles prendre pour nous ces formes physiques précises que sont celles sous lesquelles elles nous apparaissent ? À cette question métaphysique, il faudra alors répondre comme le fait Royce :

Le Logos, et non pas nous, connaît les raisons pour lesquelles notre vécu expérientiel, symbolisé extérieurement pour la perception dans l’espace et le temps, prend pour nous l’apparence de centres névralgiques constitués d’innombrables molécules en mouvement. Le double aspect, cependant, n’en demeure pas moins une vérité inhérente à notre expérience115.

Cette vérité, aurait-il pu expliciter, n’en demeure pas moins inhérente à toute

114 Ruyer, op. cit. (supra, n. 67, p. 42), p. 10. Butler, art. cité (supra, n. 60, p. 40), p. 239.

115 « The Logos knows, not we, why inner feelings, outworldly symbolized in space and

time to our perceptions, should appear as nerve-centres, made up of countless flying molecules. The twofold aspect itself is, however, a certain truth of our experience. » The Spirit of Modern Philosophy, op. cit. (supra, n. 32, p. 29), p. 417.

expérience possible, et non seulement à la nôtre. C’est ce que les propos de Searle (chapitre 5) permettront d’expliquer.

136. La théorie du double aspect transforme donc la dualité ontologique pour en faire une dualité foncièrement épistémique, et non substantielle, associant la dualité âme-corps à une dualité de formes d’accès à l’être, soit un accès direct et un accès indirect, codifié. Par suite, étant donnée cette façon de concevoir le rapport psychophysique, on comprendra que les efforts qui ont pu être déployés dans le but de concevoir, de prouver ou de contester le rôle causal que les faits mentaux peuvent jouer dans la détermination des événements physiques ne puissent conserver le moindre sens. Car du point de vue de cette théorie, quand nous cherchons à déterminer un rapport entre l’esprit et la matière, nous chercherions à clarifier un rapport entre un être réel et sa représentation — que celle-ci soit sensible ou conceptuelle —, donc, entre le réel et son image. Chercher un rapport dans lequel la matière physique serait la cause de l’esprit n’aurait pas plus de sens. Comment l’image du réel pourrait-elle être la cause du réel (voir le rapport de « causalité insensée » indiqué dans la deuxième grille ci-dessus) ? Chercher, inversement, comment le mental pourrait produire un effet physique pourrait encore, à la limite, se « concevoir », pour autant qu’on garde les guillemets. Car ce serait chercher comment le noumène cause le phénomène, et cette science n’existe pas encore, et elle reste une impossibilité formelle. C’est pourquoi ce rapport de causalité est indiqué dans la même grille comme étant un rapport de causalité « inconcevable ».

137. Certes, la tentation est toujours là, qui nous invite à expliquer le mental en établissant des correspondances psychophysiques. Et, certes, de telles correspondances peuvent s’avérer nécessaires dans certains contextes. Savoir si son patient éprouve une douleur ou non à l’estomac peut être utile au docteur qui le soigne en soignant son corps, soit son être apparent. Cependant, nous verrons encore plus en détail pourquoi on ne fait pas de la « science de l’esprit » en établissant de telles correspondances. Mais en gros, l’explication générale en

a déjà été évoquée116. Il est vrai qu’en science, on peut d’abord chercher à établir

des correspondances entre une pluralité de variables. Mais ce sera pour ensuite chercher à vérifier, sur la base de ces corrélations, lesquelles constituent de véritables relations de cause à effet117. Si le vent et la pluie étaient toujours des

phénomènes concomitants, il faudrait, pour prendre un exemple, établir des conditions expérimentales qui nous permettraient de déterminer si l’un est la cause de l’autre. Dans le cas d’une réponse négative, l’enquête se tournerait alors vers d’autres facteurs avec lesquels on pourrait à nouveau établir une corrélation, pour ensuite s’interroger sur les rapports de causalité liant ces facteurs au vent et à la pluie. Or, toute cette méthode présuppose que les diverses variables sont des faits distincts. « Dans les sciences naturelles, la cause n’est jamais identique à ses effets. »118 Dans la perspective de la théorie du

double aspect, il n’y a pas de distinction réelle, dans le sens d’ontologique, entre le mental et le physique119. Toute correspondance entre un événement physique

et un événement mental ne peut donc jamais légitimement se transformer en une

explication du fait mental. La série physique ne peut expliquer que des faits

physiques. La théorie du double aspect accepte la lettre — tout en en refusant l’esprit — de la thèse de l’identité. Elle ne saurait donc admettre une relation de causalité liant l’un à l’autre, le mental et le physique, puisque le mental et le physique ne font qu’un. Ce qu’indiquent le mental et le physique constituerait un seul et même fait ; seulement, l’un et l’autre, le mental et le physique, n’indiqueraient pas ce même fait de la même manière.

138. Les implications de la théorie du double aspect sont loin d’être essentiellement négatives ou seulement théoriques, et elles ont plus d’étendue qu’on pourrait le soupçonner. En effet, ce sont les fondements de l’idée que l’être humain se fait de lui-même que mine cette théorie — et pour le mieux. L’homme neuronal, l’homme-machine, déterminé, certes, mais déterminé, comme un

116 Soit au paragraphe précédent et en Introduction, à la p. 22. La question revient au chapitre 2, section 5 (infra, p. 112) et au chapitre 5 (infra, p. 247-251).

117 John Searle, « Dualism revisited », Journal of Physiology – Paris, vol. 101 (2007), p. 172.

118 Butler, « The Mind-Body Problem... », art. cité (supra, n. 60, p. 40), p. 242. 119 Idem.

mécanisme autoreproducteur centré sur soi, machinalement égoïste, perd sa consistance. Sous cette image évanouissante transparaît maintenant ce que, de son ancien poids, celle-ci écrasait : l’homme réel, un homme qui peut être bon ou mauvais, pervers ou noble, mature ou immature, grand ou petit, soit un homme qui recèle en lui-même toutes potentialités. Il ne s’agit pas de rejeter le mécanisme ou le déterminisme mais, au contraire, de rejeter l’idée que tant se sont faite du mécanisme. Comprendre que l’image que nous avons de nous- même n’est qu’image, c’est se libérer d’elle ; c’est comprendre que cette image ne peut qu’être pauvre (parce qu’elle est image) et que le réel dont elle est l’image est nécessairement infiniment plus riche. C’est finalement nous ouvrir aux possibilités qui sont nôtres, mais que nous ne saurions reconnaître et encore moins admettre si nous nous en tenions à nos conceptions fonctionnelles et mécaniques habituelles du monde.

139. Car, que nous ne soyons qu’une mécanique, rien ne l’interdit. C’est notre idée de ce que peut être un être mécanique qui est accablante, et qui ne peut qu’être accablante. Il ne s’agit donc pas de proposer une autre image de l’être humain. Il s’agit au contraire de reconnaître qu’une image objective ne peut qu’être accablante, pauvre et injuste. Qu’il y ait une mécanique réelle qui règle l’univers, libre à nous de le présumer. Mais n’allons pas pour autant chercher à nous faire une idée de cette mécanique. Ce serait en vain. La logique primaire sous laquelle le primate que nous sommes s’occupe à ranger les éléments de son