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Le cadre conceptuel et théorique de la recherche

Chapitre 1 Le religieux dans la modernité tardive

2. La sécularisation de la religion

2.1. Les théories de la sécularisation

Nous commencerons notre analyse de la sécularisation avec Peter Berger qui dans

The Sacred Canopy (1967) théorise la sécularisation comme la conséquence de la perte du

pouvoir de la sphère religieuse sur d’autres sphères en raison du capitalisme et de l’industrialisation1. Avec l’extension de ces éléments modernes, leur caractère rationnel se propage, ce qui étend la sécularisation à d’autres domaines sociaux et entraîne la différenciation en différentes sphères sociales. La différenciation introduit ensuite des structures de plausibilité non religieuses à côté des religieuses, différenciées également du fait de la pluralisation religieuse. Il en résulte la sécularisation de la société. La religion perd ainsi son importance dans différentes sphères sociales. Mais il faut s’intéresser au traitement du religieux par Berger. En effet, lorsqu’il analyse la religion, il se réfère au religieux institutionnel.

Du côté des individus, Berger souligne l’individualisation du religieux2. Les individus sont libres de choisir parmi différentes options religieuses qui se présentent à eux. Dans ce processus de l’individualisation, le religieux se transforme en étant adopté pour répondre à des questions morales et psychologiques de l’individu. Il s’agit de la mondanisation du religieux dans la modernité où les intérêts religieux centrés sur les rétributions après la mort cèdent la place aux intérêts mondains.

Toutefois, à la fin des années 1990, Berger3 pointe une autre tendance, à savoir la vitalité des institutions religieuses traditionnelles en termes de « désécularisation1 » (en anglais: « desecularization »). Il cherche alors à démontrer la vitalité renouvelée des religions. Ainsi, pour Berger, la modernité peut avoir des effets sécularisants et la religion

1

P.L.BERGER, The Sacred Canopy. Elements of a Sociological Theory of Religion, Garden City, Anchor Books, 1967. 2

Ibid., p. 145-147. 3

P.L.BERGER, « The Desecularization of the World. A Global Overview », dans P.BERGER (dir.), The Desecularization of the

World. Resurgent Religion and World Politics, Washington, Ethics and Public Policy Centre – Grand Rapids (Mich.), William B.

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décliner et, en même temps, un mouvement de contre-sécularisation peut apparaître2. Il nous faut préciser toutefois que ces analyses concernent surtout le religieux institutionnel.

La différenciation fonctionnelle, la perte de l’influence du religieux institutionnalisé, la pluralisation des donneurs de sens et l’individualisme religieux sont également abordés par le collaborateur de Berger, Thomas Luckmann, dans son ouvrage The Invisible Religion (1967)3. « Porteur passif4 » du paradigme de sécularisation, Luckmann contribue au débat en analysant surtout la privatisation de la religion dans le contexte moderne5. Pour lui, la socialisation de la religion a été administrée jusqu’à récemment par les Églises. Mais la religion se sécularise à cause de l’industrialisation et de l’urbanisation qui conduisent à la différenciation de la société, à des logiques différentes pour chaque domaine social. Les différentes sphères sociales s’autonomisent de l’emprise de la religion institutionnelle et dans la sphère de la religion institutionnelle elle-même, la différenciation sociale cause la privatisation de la religion. Ce statut de la religion privée en fait une « invisible religion ».

Dans cette situation, les individus choisissent librement la religion qui leur convient sans être socialisés par des institutions religieuses publiques ecclésiales. Il en résulte une religion privée affirmée comme un choix : « À partir du moment où la religion est définie en tant qu’“affaire privée”, l’individu peut choisir de l’assortiment de significations ultimes ce qui lui convient, guidé uniquement par les préférences, déterminées par sa biographie sociale6. » En construisant son identité, l’individu choisit librement sa vision religieuse du monde dans une situation de pluralité en fonction de ses besoins. Il adapte les éléments religieux disponibles et crée à partir d’eux son système privé et individuel de signification religieuse. Luckmann renforce ainsi l’idée d’une individualisation et d’une autonomisation de la religiosité individuelle à l’époque moderne.

La religion apporte dorénavant des réponses aux besoins privés et se centre donc notamment sur la sphère émotionnelle : « Les thèmes religieux trouvent leur origine dans les expériences du “domaine privé”. Ils reposent principalement sur les émotions et les

1

Nous préférons l’anglicisme de désécularisation à la traduction française de réenchantement qui a son origine dans la traduction de « Entzeuberung der Welt » de Weber par le « désenchantement du monde » (M.WEBER,L’éthique protestante..., op. cit., p. 132). Or, Weber parle de la démagification du monde, du recule et de la disqualification de la magie.

2

D’autres auteurs théorisent la vitalité des institutions religieuses dans le cadre de la globalisation du religieux. Voir M.WATERS,

op. cit. ; R.ROBERTSON, op. cit. ; P.BEYER, Religion and Globalization, London – Thousand Oaks – New Delhi, Sage, 1994. Les recherches plus récentes sont souvent consacrées à l’étude de situations dans lesquelles les religions sont considérées plutôt comme parties prenantes du processus de la globalisation : Par exemple : J.-P.BASTIAN – F.CHAMPION – K.ROUSSELET (dir.),

op. cit. ; S.FATH, Dieu XXL. La révolution des megachurches, Paris, Éditions Autrement, 2008 ; R.LIOGIER, Le bouddhisme

mondialisé…, op. cit.. Un autre courant de la recherche montre l’émergence du religieux grâce à la médiatisation. Par exemple

pour Stig Hjarvard, les médias confirment la sécularisation tout en contribuant à une « sacralisation » (en anglais : «

re-sacralization ») (S. HJARVARD, « The Mediatization of Religion. A Theory of the Media as Agents of Religious Change »,

Northern Lights 6/1 [2008], p. 9-26).

3

T.LUCKMANN,The Invisible Religion. The Problem of Religion in Modern Society, New York, Macmillan Company – London,

Collier-Macmillan, 1967. 4

O.TSCHANNEN, op. cit., p. 259. 5

T.LUCKMANN, op. cit. 6

« Once religion is defined as a “private affair” the individual may choose from the assortment of “ultimate” meanings as he

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sentiments1 . » Il formule ici une variante à la mondanisation du religieux développée par Berger.

Cette religion privée n’est soutenue que par des relations sociales familiales, amicales, de travail, de voisinage ou de loisirs qui peuvent constituer des « institutions secondaires2 » (en anglais : « secondary institutions »). Il s’agit par exemple de groupes informels de personnes partageant des convictions religieuses ou des médias. Cette religion privatisée, perdant son attachement institutionnel, est moins stable et moins riche que la religion institutionnelle. Par rapport à Berger, Luckmann ajoute donc au paradigme de la sécularisation l’analyse de la privatisation du religieux individualisé. En effet, pour lui, la religion individualisée n’a pas de rôle public, d’où sa conception de religion invisible. La religion institutionnelle attachée à l’État représente la norme de la présence publique de la religion dans la théorie luckmannienne et ce n’est que sous cette forme que la religion peut prétendre à un rôle public.

Attardons-nous un instant sur la notion de privé et public chez Luckmann. Au départ, la dichotomie privé/public partait d’une séparation entre le domaine public du politique, relatif aux intérêts collectifs, et le domaine privé concernant les acteurs sociaux individuels agissant pour leurs intérêts au sein d’associations3. Il faut noter qu’il s’agit d’une dichotomie libérale née de la conception du social par la classe bourgeoise. Cette conception est adoptée par Luckmann.

Cette dichotomie est remplacée par une autre, plus restrictive et spatialement déterminée1. Dans cette conception moderne, développée à partir de la précédente, le public s’élargit et désigne dorénavant les institutions étatiques, la société civile – domaine des associations, des médias, des syndicats, etc. – et le travail. Le privé, quant à lui, est associé à l’espace domestique. Ainsi, la théorisation luckmannienne peut se trouver réinterprétée dans ce sens plus restreint du privé.

Pour notre recherche, nous gardons cette dichotomie dans sa conception moderne, mais nous entendons la vie privée dans le sens de la vie personnelle vécue au quotidien, ce que nous développerons plus tard dans ce chapitre.

Comme le montre Luckmann, la religion ne disparaît pas nécessairement dans la modernité. Elle se reconfigure et se renouvelle. Hervieu-Léger cherche à expliquer la sécularisation par rapport au religieux institutionnel, en la liant à la recherche d’un renouveau religieux. Quand la religion est définie comme une lignée croyante, elle est identifiée à la

1

« Religious themes originate in experiences in the “private sphere.” They rest primarily on emotions and sentiments » (Ibid., p. 103, traduction personnelle).

2

Ibid., p. 104-106. 3

D. SLATER, « Public/private », dans C.JENKS (dir.), Core Sociological Dichotomies, London – Thousand Oaks – New Delhi, Sage, 1998, p. 138-150.

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religion institutionnelle. La sécularisation est alors interprétée comme l’interruption de la chaîne de mémoire religieuse et associée à la désinstitutionnalisation du domaine religieux2. Le sens religieux social et individuel n’est plus régulé par les institutions religieuses. Les croyances et les croyants s’éparpillent. Pour Hervieu-Léger, cette situation est à mettre en lien avec un défaut de la transmission : « La transmission est le mouvement même par lequel la religion se constitue comme religion à travers le temps : elle est la fondation continuée de l’institution religieuse elle-même3. » Lorsque la transmission religieuse est rompue, la religion se décompose. La religion est la religion institutionnelle transmise socialement par la famille, l’école, et pratiquée localement et régulièrement dans une paroisse4.

Dans cette situation de dérégulation du religieux institutionnel, Hervieu-Léger observe le « processus d’individualisation et de subjectivisation du croire5 ». Les croyants n’expriment pas le besoin de s’attacher à une institution religieuse6. Nous assistons à la création de nouvelles formes d’un religieux devenu dérégulé et non institutionnel et représentant un « appauvrissement de l’imaginaire religieux » par rapport à des traditions religieuses7. Ce sont des « spiritualités », des croyances « à la carte » ou le « religieux “flottant”8 ». Hervieu-Léger ne les considère plus en tant que religion9. Ce refus part d’une conception normative de la religion en tant que religion institutionnelle10.

Hervieu-Léger attribue ainsi à la modernité la situation paradoxale du déclin de la religion institutionnelle et de la pertinence continue des croyances. En effet, la modernité, tout en encourageant la rationalisation, l’autonomisation individuelle et la différenciation sociale, crée sa propre « utopie11 ». Elle promet un monde idéal, réalisable ici-bas, ce qui est en contradiction avec l’état actuel des choses qui se caractérise davantage par « un univers d’incertitudes12 ». D’où la persistance du croire.

Des auteurs américains proposent une autre interprétation de la sécularisation dans la « théorie du choix rationnel ». Il s’agit par exemple de Rodney Stark, Roger Finke ou William Bainbridge d’après qui la place des Églises est prise par de nouvelles organisations

1

De nouveau, cette dichotomie continue à être sexuée et déterminée par l’origine sociale. En effet, les représentations du public sont associées au masculin alors que le privé est marqué comme féminin et tient ses représentations de la famille des classes moyennes : familiarité, émotions, intimité, sécurité, etc. (D.SLATER, « Public/private », op. cit., p. 138-147).

2

D.HERVIEU-LEGER, Le pèlerin et le converti…, op. cit., p. 18-22. 3

Ibid., p. 67. 4

Ibid., p. 89-109. 5

D.HERVIEU-LEGER, La religion en miettes ou la question des sectes, Paris, Calmann-Lévy, 2001, p. 74. 6

D.HERVIEU-LEGER, Le pèlerin et le converti…, op. cit., p. 53. 7

D. HERVIEU-LEGER, « Renouveaux émotionnels contemporains. Fin de la sécularisation ou fin de la religion ? », dans F. CHAMPION – D. HERVIEU-LEGER (dir.), De l’émotion en religion. Renouveaux et traditions, Paris, Centurion, 1990, p. 241. 8

D.HERVIEU-LEGER, Le pèlerin et le converti…, op. cit., p. 22, 138-140. 9

D.HERVIEU-LEGER, La religion pour mémoire, op. cit., p. 181, 202-203. 10

Cf. L.WOODHEAD, « Five Concepts of Religion », International Review of Sociology/Revue Internationale de Sociologie 21/1 (2011), p. 122 ; F. GAUTHIER – T. MARTIKAINEN – L. WOODHEAD, « Introduction. Religion in Market Society », dans T. MARTIKAINEN – F.GAUTHIER (dir.), Religion in the Neoliberal Age. Political Economy and Modes of Governance, Surrey – Burlington, Ashgate, 2013, p. 6.

11

D.HERVIEU-LEGER, Le pèlerin et le converti…, op. cit., p. 29-39. 12

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religieuses. Par conséquent, la sécularisation signifie la perte de pouvoir des institutions religieuses. Ces auteurs considèrent les organisations religieuses comme des entreprises concurrentielles proposant des biens à des clients qui prennent des décisions de manière rationnelle et utilitaire pour décider de leur affiliation religieuse1. Leur choix est régi par une logique de coûts et de récompenses. Le marché des biens proposés doit répondre à des besoins très diversifiés, sinon la participation religieuse décline, comme c’est le cas en Europe2.

Il est possible de critiquer, pour son regard simpliste, cette théorie sur l’individu rationnel qui se base sur les travaux de l’économiste Gary Becker. Ce dernier considère que les individus font des choix rationnels et déterminés économiquement à tous les niveaux de décision3 alors qu’il faut inclure le rôle des relations sociales de l’individu dans ses prises de décision. De plus, la théorie du choix rationnel ne prend pas en considération le contexte culturel qui limite, par exemple, la possibilité de choix4. Elle restreint également la vision de la religiosité individuelle qui peut dépendre des relations sociales et de valeurs individuelles et dont l’intensité est liée aussi à des exigences doctrinales.

En dernier lieu, nous tenons à présenter la théorisation du religieux sur le marché. Cette approche macrosociologique place le processus de la sécularisation dans une autre perspective, sans remettre en question la sécularisation comme déclin de la religion institutionnelle et comme changement du religieux. Nous avons déjà vu que la théorie du choix rationnel s’approche d’une représentation de la religion comme un marché. Ainsi, si l’on supprimait le mot « religieux », nous serions face à une théorie économique libérale des marchés libres, concurrentiels, assurant l’équilibre entre l’offre et la demande, et dans laquelle les individus choisissent en fonction des demandes utilitaires auxquelles répondent les produits proposés5. Mais l’application des théories libérales sur le religieux réduit le phénomène à une conception économique libérale6. Or, comme nous l’explique Raymond Lemieux, le religieux se transforme par sa « mise en marché » dans la modernité tardive :

« [L]’expression marché des biens de salut, que nous avons alors employée, est plus qu’une simple métaphore. Elle ne veut pas dire que les valeurs religieuses du monde contemporain se produisent comme dans un marché (ce à quoi certains commentateurs

1

R.STARK –W.S.BAINBRIDGE, A Theory of Religion. New York – Bern – Paris, Peter Lang, 1987 ; R.STARK – R.FINKE, Acts of

Faith. Explaining the Human Side of Religion, Berkeley – Los Angeles – London, University of California Press, 2000.

2

R.STARK – L.IANNACCONE, « A Supply-Side Reinterpretation of the “Secularization” of Europe », Journal for the Scientific

Study of Religion 33/3 (1994), p. 230.

3

G.S.BECKER, The Economic Approach to Human Behavior, Chicago – London, University of Chicago Press, 1976. 4

S.BRUCE, « Les limites du “marché religieux” », Social Compass 53/1 (2006), p. 33-48. 5

F.GAUTHIER –L.WOODHEAD – T.MARTIKAINEN, « Introduction. Consumerism as the Ethos of Consumer Society », op. cit., p. 6-8.

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ont tenu à réduire notre problématique). Elle indique au contraire qu’elles se produisent par leur mise en marché1. »

C’est cette mise en marché du religieux que nous souhaitons analyser maintenant. Nous avons vu que l’une des dynamiques modernes est le capitalisme consumériste et que nous assistons à l’importance grandissante du marché dans la société. Dans l’introduction de l’ouvrage Religion and Change in Modern Britain (2011), la sociologue des religions britannique Linda Woodhead propose une analyse macrosociologique de la mise en marché du religieux, principalement dans sa version institutionnelle et dans le contexte britannique2. Autrement que le fait Berger, cette interprétation explique le déclin du religieux institutionnel par l’impact de l’économie capitaliste. Elle remet implicitement en question la pertinence des analyses du religieux à partir des logiques propres à différentes institutions sociales.

Comme le constate Woodhead, la religion s’est façonnée par sa relation à l’État, dans les années 1950 et 1960 avec la mise en place de l’État-providence3. Les Églises se retrouvent sans ressources matérielles ni fonction sociale, comme dans le domaine de l’éducation, de la santé ou de la sécurité sociale4, reprises par l’État. Par conséquent, les institutions ecclésiastiques se fondent dans le social et la religion devient socialement moins visible. De surcroît, la population bénéficiant de l’État-providence perd de plus en plus son intérêt pour la religion institutionnelle. Au moins en partie, elle commence à adhérer à l’idéologie portée par l’État-providence prônant l’accomplissement d’un bonheur séculier. Les régimes communistes, quant à eux, suppriment par la force tout pouvoir aux institutions religieuses5.

Dans le contexte de cette « dérégulation » (en anglais : « deregulation ») du religieux institutionnel par l’État, de nouveaux acteurs religieux surgissent à partir des années 1970, cette fois-ci sur le marché. De nouvelles formes du religieux sont proposées aux individus au travers d’activités commerciales individuelles ou organisationnelles. Leur accès est directement lié aux moyens promotionnels mis en œuvre par les entrepreneurs dans les librairies, médias ou autres cadres. Il en résulte un paysage religieux diversifié, occupé davantage par des femmes et des acteurs minoritaires6.

1

R.LEMIEUX, « Sécularités religieuses. Syndromes de la vie ordinaire », Cahiers de recherche sociologique 33 (1999), p. 32. 2

L.WOODHEAD, « Introduction », dans L.WOODHEAD – R.CATTO (dir.), Religion and Change in Modern Britain, London – New York, Routledge, 2012, p. 1-33.

3

Cette période correspond également en France à la mise en place de l’État-providence comme modèle économique et politique (S.BERSTEIN – P.MILZA, Histoire du XXe siècle, II : Le monde entre guerre et paix [1945-1973], Paris, Hatier, 1996, p. 75-83).

4

Ce processus est entamé en France bien avant avec la laïcité. 5

Voir pour la Tchécoslovaquie de l’époque K.KAPLAN, Nekrvavá revoluce, Praha, Mladá Fronta, 1993, p. 220-236. 6

Cela explique pourquoi des auteurs comme Hervieu-Léger peuvent avoir l’impression de la décomposition des croyances. Comme le constate Guy Redden au sujet du New Age : « The amorphousness of the New Age does not denote the entropic

randomness of religion in an institutional vacuum. Rather, the New Age is diffuse, because it is diffused through marketisation. »

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L’État essaie de réagir à cette nouvelle situation et cherche à « re-réguler1 » (en anglais : « reregulate ») le religieux. Mais cette nouvelle régulation n’est plus, pour Woodhead, celle d’une domination. Le religieux se trouve plutôt administré par l’État à travers le soutien financier de groupes accrédités ou par la législation qui vise à prévenir des formes radicales du religieux.

Dans la situation où le religieux se développe en relation avec le marché, ces nouveaux acteurs religieux possèdent, selon Woodhead, « l’esprit d’entreprise », ils sont « démocratiques et individualisés ou autonomes2 » (en anglais : « entrepreneurial,

democratized, and individualized or autonomized »). Ils adoptent les principes du marché et

les organisations religieuses sont plus libres, loin des structures bureaucratiques centralisées, proches des entreprises et tournées vers l’individu.

Ces nouveaux représentants du religieux introduisent une relation contractuelle avec les individus et établissent des accords volontaires et marchands avec eux.Par conséquent, « [l]es nouveaux entrants sur le marché spirituel sont plus centrés sur le soutien des individus dans la vie quotidienne, encourageant de nouvelles formes d’identité et de styles de vie, et associant les personnes qui partagent les mêmes idées et les mêmes valeurs dans une grande pluralité de formes des alliances religieuses3 ». Ces nouvelles formes religieuses sont aussi centrées sur l’individu par le contenu intramondain et les liens de sociabilité adaptés qu’elles proposent. Contrairement à la théorie développée par Hervieu-Léger, leur position sociale n’est pas discréditée par leur rejet hors de la sphère religieuse.

Ainsi, tout en étant interprétée différemment, la sécularisation ne signifie pas la disparition du religieux, mais propose un cadre d’analyse portant l’attention sur la perte du pouvoir du religieux, notamment pour le religieux institutionnel. Cela s’associe à l’individualisation, à la privatisation et à la mondanisation du religieux selon les auteurs. De plus, de nouvelles formes organisationnelles et individuelles apparaissent à l’échelle méso-sociale et microméso-sociale.

Il ne faut cependant pas oublier que nous pouvons associer à la sécularisation les processus modernes qui traversent également d’autres sphères sociales. Ce n’est pas juste le religieux qui s’individualise ou se désinstitutionnalise. Le processus moderne de l’individualisation, comme la domination de la valeur individuelle, concerne d’autres institutions sociales, causant un mouvement de désinstitutionnalisation au-delà de la sphère religieuse. La marchandisation s’applique progressivement à l’ensemble de ces institutions

1

L.WOODHEAD, « Introduction », op. cit., p. 22-24. 2

Ibid., p. 19 (traduction personnelle). 3

« The new entrants to the spiritual marketplace are more focused on supporting individuals in their everyday lives, fostering