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Chapitre 2 Méthodologie de la recherche

5. Quelle méthode comparative ?

5. Quelle méthode comparative ?

En dernier lieu, nous voulons présenter les lignes de notre démarche comparative au niveau macrosociologique. La comparaison entre les formes bouddhistes européennes et asiatiques est caractéristique d’une partie importante des études sur le bouddhisme. Nous avons compris que la multiplicité des terrains étudiés ne nous permettrait pas de développer cette approche en raison du temps consacré à la recherche dans le cadre d’une thèse et de son étendue. De plus, du fait de l’orientation que nous avons donnée à notre recherche, nous avons trouvé plus pertinent – au bout de trois ans d’approfondissement de nos connaissances sur les bouddhismes japonais et tibétain1 – de nous consacrer à l’analyse macrosociologique du contexte social des pays étudiés, et en particulier de la culture de consommation, au détriment de la comparaison avec les réalités asiatiques.

Quant à l’approche de nos deux terrains nationaux, nous avons commencé notre enquête à la manière d’une étude comparative supposant deux cadres sociaux distincts : celui de la France et celui de la République tchèque. Les sociologues Ulrich Beck et Natan Sznaider dénomment cette approche « nationalisme méthodologique2 » (en anglais : « methodological nationalism ») qui privilégie l’adéquation du concept de société à l’espace de l’État-nation. Le nationalisme méthodologique « assimile les sociétés aux sociétés nationales et considère les États et leurs gouvernements comme le point d’intérêt principal de l’analyse socio-scientifique3 ». Cependant, au cours de notre enquête, nous avions déjà perçu une très grande proximité dans les discours des pratiquants, leurs différences se situant davantage dans les différentes formes de bouddhisme pratiquées qu’entre les pratiquants français et tchèques eux-mêmes. Ce constat s’est largement confirmé dans la suite de notre analyse. Nous n’étions d’ailleurs pas la seule à découvrir une proximité de deux cas nationaux pour le bouddhisme de convertis. La sociologue Michal Pagis l’avait aussi relevé dans son étude sur les pratiquants bouddhistes theravāda en Israël et aux États-Unis4. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’opter pour la position soutenue

1

Cette décision a été prise au cours de la troisième année de la thèse après nos lectures approfondies de différents ouvrages et leur comparaison avec les terrains étudiés. Il s’agissait des livres comme H. DUMOULIN, op. cit., 2011; M.C.GOLDSTEIN – M. T.KAPSTEIN (dir.), Buddhism in Contemporary Tibet. Religious Revival and Cultural Identity. With a Foreword by O. Schell, Berkley – London, University of California Press, 1998 ; The Tibetan Assimilation of Buddhism. Conversion, Contestation and

Memory, Oxford – New York, Oxford University Press, 2000 ; D. MATSUNAGA – A.MATSUNAGA, Foundation of Japanese

Buddhism, Los Angeles – Tokyo, Buddhist Books International, 1992-1993 ; K. MATSUO, A History of Japanese Buddhism, Folkestone, Global Oriental, 2007 ; I.READER, Religion in Contemporary Japan, Basingstoke – London, Macmillan, 1991 ; G. RENONDEAU, La doctrine de Nichiren, Paris, PUF, 1953 ; G.SAMUEL, op. cit.

2

U.BECK – N.SZNAIDER, « Unpacking Cosmopolitanism for the Social Sciences. A Research Agenda », British Journal of

Sociology 57/1 (2006), p. 1.

3

« […] equates societies with nation-state societies and sees states and their governments as the primary focus of

social-scientific analysis. » (Ibid., p. 3, traduction personnelle).

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par le « cosmopolitisme méthodologique1 » (en anglais : « methodological

cosmopolitanism »).

Pour le cosmopolitisme méthodologique, « l’organisation nationale comme le principe structurant de l’action sociale et politique ne peut plus servir de point de référence pour guider l’observateur en sciences sociales2 ». Ainsi, dans son analyse, le sociologue ne devrait pas partir systématiquement d’une situation nationale. Au lieu de figer et de renforcer les différences, le cosmopolitisme les accepte « en présentant les Autres comme différents et égaux3 ». L’optique cosmopolite conçoit des frontières nationales, territoriales, ethniques, sans contours clairs. Elle perçoit même les individus engagés dans la situation cosmopolite, comme des acteurs de la complexification du monde. Quant à l’aspect méthodologique du cosmopolitisme, si l’État-nation est un concept valable pour l’acteur social et politique, il ne l’est pas forcément pour le sociologue. Le cosmopolitisme méthodologique est donc une posture analytique qui ne nie pas les différences nationales et n’affirme pas la fin de l’État-nation.

Nous avons adopté cette méthodologie parce qu’elle est mieux adaptée à l’analyse de la situation cosmopolite où les phénomènes globaux émergent et sont partagés dans le monde : « [Le cosmopolitisme méthodologique] prend les variantes de la modernité et leur interdépendance globale comme le point de départ pour la réflexion théorique et pour la recherche empirique4 ». Le sociologue doit partir de la situation de la modernité partagée qui est en même temps nécessairement variée et interconnectée5. Nous assistons au processus du développement des sociétés modernes plurielles et liées ensemble, c’est-à-dire cosmopolites. Ainsi, convient-il de définir les « principes de base » (en anglais : « basic

principles ») de ces modernités cosmopolites (en anglais : « cosmopolite modernities »), les

dynamiques et les processus modernes communs6 qu’ils suscitent, afin de pouvoir définir la modernité d’un terrain national à l’autre.

Cette approche n’exige cependant pas que les dynamiques modernes prennent partout les mêmes formes institutionnelles7. Par exemple, la dynamique moderne de l’individualisation, qui naît dans un contexte démocratique en Europe et se traduit par des

1

U.BECK – N.SZNAIDER, op. cit., p. 1. 2

« […] national organization as a structuring principle of societal and political action can no longer serve as the orienting

reference point for the social scientific observer. » (Ibid., p. 4, traduction personnelle).

3

U.BECK, « Nationalisme méthodologique – cosmopolitisme méthodologique. Un changement de paradigme dans les sciences sociales » (trad. de l’anglais par B. Boudou), Raisons politiques 54/2 (2014), p. 107.

4

« […] takes the varieties of modernity and their global interdependencies as a starting point for theoretical reflection and

empirical research. » (U. BECK –E.GRANDE,« Varieties of Second Modernity. The Cosmopolitan Turn in Social and Political Theory and Research », British Journal of Sociology 61/3 [2010], p. 412, traduction personnelle).

5

Nous retrouvons déjà une idée proche chez Shmuel Noah Eisenstadt (S.N.EISENSTADT, « Multiple Modernities », Daedalus 129/1 [2000], p. 1-29), mais cet auteur conçoit différentes modernités autonomes avec des dynamiques propres à chacune d’entre-elles. Il souligne les différences. Les auteurs théorisant le cosmopolitisme méthodologique développent cette théorisation autrement avec des processus modernes interconnectés, accentuant leurs points communs (U. BECK –E.GRANDE,

op. cit., p. 414).

6

Ibid., p. 413, 415. 7

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lois sur la liberté individuelle, ne s’inscrit pas dans le droit de la même façon en Chine où elle n’est pas associée à la démocratie, bien qu’elle soit présente dans la biographie des Chinois.

Dans notre analyse, cette posture signifie que nous partons d’une base commune sociale, celle de la modernité tardive et celle de la culture de consommation. Nous cheminerons ainsi bien au-delà du cadre national pour considérer la problématique du bouddhisme de convertis dans la culture de consommation, tout en l’étudiant principalement en France et en République tchèque dans une perspective micro-, méso- et macrosociologique.

Si, en l’absence d’une approche comparative systématique, nous avons opté pour le choix de conserver deux terrains nationaux, c’est aussi pour montrer que l’analyse du religieux contemporain ne dépend pas nécessairement d’un cadre purement national. C’est cette conception du contexte social qui fournit l’arrière-plan commun au fonctionnement organisationnel et au vécu individuel, à partir duquel les éventuelles différences nationales peuvent être observées. Ces différences sont à démontrer, elles ne constituent pas le point de départ de l’analyse1. La nationalité peut donc, parmi d’autres, intervenir comme une variable explicative. Elle n’est pas naturalisée. Nous sommes aidée dans cette conception de l’aspect national par notre approche compréhensive qui s’intéresse aux actions significatives qui construisent la structure macrosociologique.

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