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Le cadre conceptuel et théorique de la recherche

Chapitre 5 Les organisations et les styles de vie dans la culture de consommation culture de consommation

2. Des vendeurs religieux à la logique de service

Le sujet des organisations religieuses dans la culture de consommation est peu affronté directement dans la recherche sociologique. À l’image de l’économiste Mormann qui observe l’existence des services, des compétences et des expériences commercialisées

1

« […] consumer culture is based on institutions which place the emphasis on individuality and work on people’s capacity to

choose. » (R.SASSATELLI, Consumer Culture…, op. cit., p. 177, traduction personnelle). 2

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délivrés par des Églises1, plusieurs sociologues constatent que les organisations religieuses participent à l’économie de services, en proposant des activités religieuses moyennant un échange financier2. Elles établissent donc des relations contractuelles avec des croyants, à savoir des relations volontaires3 et marchandes4.

En plus de ces approches qui soulignent la vente de services marchands par les organisations religieuses, d’autres sociologues pointent l’individualisation du fonctionnement organisationnel en ayant le recours au vocabulaire économique. Woodhead postule que le fonctionnement des nouveaux acteurs religieux sur le marché est tourné vers les besoins individuels : « Les nouveaux entrants sur le marché religieux sont plus centrés sur le soutien des individus dans leur vie quotidienne5. » Ce sujet de l’individualisation organisationnelle apparaît également chez Hervieu-Léger qui observe qu’à la fin du XXe siècle, des croyants se transforment en consommateurs demandant un « service spirituel ponctuel6 » aux institutions religieuses. À travers ce constat, cette sociologue souhaite exprimer que les organisations religieuses doivent dorénavant répondre à des demandes individuelles occasionnelles. C’est dans le même sens que vont Heelas et Woodhead et al. lorsqu’ils écrivent que les professionnels du milieu holiste (homéopathes, dirigeants de centres bouddhistes ou acupuncteurs) agissent en « “servant” leurs participants7 » (en anglais : « “serving” their participants »). Ces auteurs associent la centralité de l’individu, sa liberté de répondre et les transformations organisationnelles faisant suite à l’individualisation de la modernité tardive, mais ils n’approfondissent pas leur réflexion au-delà d’un langage assez métaphorique.

C’est le sociologue suédois Par Pettersson qui attire notre attention sur l’impact qu’exerce l’individualisation sur les organisations religieuses, plus particulièrement par rapport à la culture de consommation8. Travaillant sur l’Église luthérienne suédoise, cet auteur constate un changement dans le rapport des individus aux institutions religieuses. D’un côté, ses membres mais aussi une population plus large, demandent une participation ponctuelle et cherchent d’autres types de soutien de la part de l’Église tels que le travail social ou les rites de passage (baptême, confirmation, mariage, enterrement). De l’autre,

1

Ibid., p. 20. 2

Voir par exemple G.REDDEN, op. cit., p. 235 ; S.BRUCE, God is Dead. Secularization in the West, Malden – Oxford – Carlton, Blackwell Publishing, 2002, p. 90 ; S.ELLINGSON, « Packaging Religious Experience, Selling Modular Religion. Explaining the Emergence and Expansion of Megachurches », dans F.GAUTHIER – T.MARTIKAINEN (dir.), op. cit., p. 60 ; V.ALTGLAS, Le nouvel

hindouisme occidental, Paris, CNRS Éditions, 2005, p. 53.

3

C’est déjà Berger qui voit que les organisations religieuses s’adressent à de clients qui ne sont plus obligés de répondre à leur appel (P.BERGER, The Sacred Canopy…, op. cit., p. 138).

4

L.WOODHEAD, « Introduction », op. cit., p. 24. 5

« The new entrants to the spiritual marketplace are more focused on supporting individuals in their everyday lives » (Ibid., p. 27, traduction personnelle).

6

D.HERVIEU-LEGER, La religion en miettes…, op. cit., p. 148. 7

P. HEELAS –L.WOODHEAD et al., op. cit., p. 28 (traduction personnelle).

8

P.PETTERSSON, « From Standardised Offer to Consumer Adaptation. Challenges to the Church of Sweden’s Identity », dans F. GAUTHIER – T.MARTIKAINEN (dir.), op. cit., p. 43.

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l’Église exige une présence régulière, surtout aux cultes du dimanche. Par conséquent, les Suédois sont en discordance avec la logique adoptée par l’Église, ce qui entraîne son déclin.

Alors que l’Église reste dans un rapport hiérarchique et dans celui de l’obligation, et souhaite délivrer une activité standardisée aux individus, cette régulation du religieux par les autorités ecclésiales n’est plus attendue par ces derniers. Ce qui est demandé, en revanche, c’est la provision de ressources pour le bien-être de la société et des individus sous forme de services, c’est-à-dire adaptées aux demandes subjectives, transmises dans une relation plus symétrique et soumises aux évaluations. Les individus, y compris les membres de l’Église, ne se sentent pas dans l’obligation de participer à une activité religieuse, mais attendent une approche personnalisée et de se voir autorisés à être critiques. Le rapport hiérarchique cède la place à la perception de l’Église comme organisation qui devrait répondre aux besoins individuels : « Les organisations religieuses sont devenues plus les fournisseurs de services répondant aux besoins des individus que les autorités hiérarchiques et doctrinales1. » Elles portent « attention à l’utilisateur individuel de l’organisation religieuse et possèdent donc une “orientation consumériste”2 » (en anglais : « a focus on the individual user of the religious

organisation and in that sense a “consumer orientation” »), ce que Pettersson qualifie de

« logique des services3 » (en anglais : « logic of services »). C’est un fonctionnement adapté à l’individu. Perçue en tant que fournisseur de service parmi d’autres, l’Église devrait comme l’affirme Pettersson, s’adapter à cette logique pour survivre.

Cette logique des services (ou aussi logique de service) s’inscrit dans le processus historique de la transformation économique : « La logique des services signifie l’intérêt pour les besoins et pour les perceptions spécifiques de l’individu, ce qui s’approche de l’idée philosophique de l’individu indépendant que nous retrouvons dans le nouveau libéralisme économique4. » L’auteur la lie en effet à l’économie dominante de la société, celle de services, et à celle liée à la profession des croyants chrétiens. De fait, ceux-ci occupent souvent eux-mêmes des fonctions dans l’économie de services et adoptent une manière de penser qui lui est propre. Ils demandent donc que ce type de fonctionnement aux organisations soit étendu aux organisations religieuses. Finalement, la logique des services correspond à des conceptions philosophiques et économiques libérales de l’individu.

Pour les organisations bouddhistes, les études sociologiques s’inscrivant dans le contexte de la culture de consommation sont encore très rares. Parmi les exceptions figure

1

« Religious organisations have become more like providers of services responding to people’s needs and less hierarchical and

doctrinal authorities. » (Ibid., p. 43, traduction personnelle).

2

Ibid., p. 54 (traduction personnelle). 3

Ibid., p. 52. 4

« Service logic implies a focus on the individual’s specific needs and perceptions, which is similar to the idea of independent

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une nouvelle fois l’étude de McKenzie sur la Rokpa Scotland1. L’auteur y traite notamment la marchandisation contrôlée du bouddhisme par l’organisation, qui ne se prive pas de gagner de l’argent en vendant des activités et des objets bouddhistes, élargissant même sa gamme de produits au-delà le domaine purement religieux. Elle adopte en même temps une marchandisation maîtrisée pour que les pratiquants consomment dans un environnement contrôlé et que les organisations externes ne puissent pas accéder à toute la richesse du bouddhisme. Ce modèle marchand se répercute également dans son organisation interne qui est dirigée par un manager.

Dans l’économie dominée par les services, les organisations religieuses s’adaptent en proposant des activités tarifées. Elles sont de plus conduites à agir dans la logique de service, en se centrant sur les besoins individuels. Quant aux individus, ils sont libres d’y répondre. Ce cadre organisationnel fournit des ressources aux individus pour construire leur style de vie et leur identité.