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Le cadre conceptuel et théorique de la recherche

Chapitre 1 Le religieux dans la modernité tardive

3. La subjectivisation du religieux

3.1. Le religieux-vécu et la spiritualité de la vie subjective

Afin de pouvoir analyser les pratiques et les croyances qui se développent à distance des prescripteurs institutionnels, la sociologue américaine des religions, McGuire, déconnecte le vécu religieux au quotidien par les personnes, du religieux prescrit par les institutions religieuses, en développant le concept de « religieux-vécu1 » (en anglais : « lived

religion »)2. Dans Lived Religion (2008)3, McGuire le définit en tant que

« La religion et la spiritualité pratiquées, expérimentées et exprimées par les personnes ordinaires (plutôt que par des porte-parole officiels) dans le contexte de leur vie quotidienne. […] La notion de “religieux-vécu” est utile pour différencier entre l’expérience réelle de personnes religieuses et la religion prescrite basée sur des croyances et des pratiques définies par l’institution4. »

Le religieux-vécu est le religieux individuel au quotidien, qui se distingue du religieux institutionnel pour McGuire. Ce religieux-vécu concerne les pratiques et les croyances vécues, c’est une religiosité liée et intégrée dans la vie quotidienne :

« Afin de comprendre les vies religieuses modernes, nous devons essayer de saisir la complexité, la diversité et la fluidité du religieux tel qu’il est pratiqué par des individus ordinaires dans le contexte de leur vie quotidienne. Bien que les études sur les organisations et les mouvements religieux continuent à être pertinentes, elles ne sont pas en mesure de saisir la qualité des vies quotidiennes et religieuses des personnes5. »

Si le religieux-vécu peut suivre des croyances et des pratiques prescrites, il s’exprime sous formes non institutionnalisées, plus individuelles ou dans le cadre des activités quotidiennes du travail ou de l’aide sociale. En effet, les dimensions religieuses et quotidiennes ne sont pas vécues séparément par les personnes religieuses qui abordent leur vie dans sa globalité à travers le religieux-vécu.

1

Traduction de F.GAUTHIER, « Primat de l’authenticité et besoin de reconnaissance. La société de consommation et la nouvelle régulation du religieux », Studies in Religion / Sciences Religieuses 41/1 (2012), p. 95.

2

D’autres auteurs travaillent sur le religieux-vécu, par exemple N.T.AMMERMAN, Sacred Stories, Spiritual Tribes. Finding

Religion in Everyday Life, New York, Oxford University Press, 2014 ; R.A.ORSI, The Madonna of 115th Street. Faith and Community in Italian Harlem, 1880-1950, New Haven – London, Yale University Press, 20022.

3

M.B.MCGUIRE,Lived Religion. Faith and Practices in Everyday Life, New York, Oxford University Press, 2008.

4

« […] religion and spirituality [which are] practiced, experienced, and expressed by ordinary people (rather than official

spokepersons) in the context of their everyday lives. […] The term “lived religion” is useful for distinguishing the actual experience of religious persons from the prescribed religion of institutionally defined beliefs and practices. »(Ibid., p. 12, traduction personnelle).

5

« To understand modern religious lives, we need to try to grasp the complexity, diversity, and fluidity of real individuals’

religion-as-practiced, in the context of their everyday lives. Although studies of religious organizations and movements are still relevant, they cannot capture the quality of people’s everyday religious lives. » (Ibid., p. 213, traduction personnelle).

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Pour comprendre un peu mieux ce concept de religieux-vécu, il faut définir ce que nous entendons par « le quotidien ». Susie Scott, spécialiste britannique de la microsociologie, définit le quotidien comme ce qui est répétitif, routinier et familier1. Le quotidien « est ce que nous supposons être terre-à-terre, familier et ordinaire […,] il est routinier, répétitif et rythmé […,] nos vies quotidiennes nous apparaissent comme privées et personnelles, comme le produit de nos choix individuels2 ». Le quotidien se réfère aux espaces de vie où « les gens font (réalisent, reproduisent et occasionnellement défient) la vie sociale, tous les jours3 ». Dans leur étude sur le quotidien des jeunes bouddhistes en Grande-Bretagne, les sociologues des religions britanniques Page et Yip conseillent d’élargir le quotidien à la vie personnelle4. Pour eux, cette conception nous permet de saisir les processus sociaux et les structures sociales qui continuent à influencer le quotidien, à restreindre les actions individuelles, à conduire à la conformité ou à provoquer des résistances. Comme le propose la sociologue britannique Vanessa May, la vie personnelle renvoie à un soi relationnel, connecté aux autres personnes de son entourage, intimes, proches ou collègues5. C’est une vie domestique, de travail, de relations marchandes ou de participation au politique. Elle dépasse la dichotomie privé/public à travers des relations avec des proches et des étrangers. Elle s’insère de façon relationnelle également dans la structure sociale, construite par elle et agissante sur elle6. Par conséquent, nous suggérons de comprendre le religieux-vécu comme la religiosité qui s’exprime dans ce domaine de l’ordinaire, du quotidien et du personnel.

Ce religieux-vécu accorde une attention particulière aux pratiques religieuses : « [L]e religieux-vécu est basé davantage sur les pratiques religieuses que sur les idées ou les croyances religieuses7 ». Les croyances y sont interprétées par rapport aux pratiques, en tant que connaissances les mettant en place. Ces pratiques sont religieuses dès lors que les individus leur donnent un sens religieux. Les acteurs religieux « s’engagent, soit seuls ou en groupes, dans les pratiques rituelles quotidiennes qui répondent, en les prenant dans leur ensemble, aux dimensions spirituelles, physiques et émotionnelles de leur vie, de leurs relations et de leur identité8 ». Comme le suppose la définition du religieux-vécu, les

1

S.SCOTT, Making Sense of Everyday Life, Cambridge – Malden, Polity Press, 2009, p. 2. 2

« […] is that which we presume to be mundane, familiar and unremarkable […,] that which is routine, repetitive and rhythmic

[…,] our everyday lives appear to us private and personal, the product of our individual choices » (Ibid., p. 2, traduction

personnelle). 3

« […] people do (perform, reproduce, and occasionally challenge) social life, day to day » (Ibid., p. 1, traduction personnelle). 4

S.-J.PAGE –A.K.-T.YIP, op. cit., p. 154. 5

V.MAY, « Introducing a Sociology of Personal Life », dans V.MAY (dir.), Sociology of Personal Life. With Contribution of W. Bottero et al., Basingstoke – New York, Palgrave Macmillan, 2011, p. 1-10 ; V.MAY, « Conclusion. Why a Sociology of Personal Life », dans V.MAY (dir.), op. cit., p. 168-172.

6

Les auteurs anglo-saxons utilisent souvent le terme d’agency pour nommer cette capacité individuelle d’agir et de contrôler sa vie dans la société régie par différentes formes de pouvoir (Ibid., p. 170).

7

« […] religion-as-lived is based more on such religious practices than on religious ideas or beliefs » (M.B.MCGUIRE, Lived

Religion…, op. cit., p. 15, traduction personnelle).

8

« […] engage in everyday ritual practices, alone or in groups, that address – as a unity – the spiritual, physical, and emotional

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pratiques religieuses ont le pouvoir d’influencer les individus de différentes manières, physique, émotionnelle ou religieuse. La religiosité cherche alors à impliquer le corps, l’esprit et l’âme.

Comme l’atteste McGuire, le phénomène de « bricolage », rassemblement de différentes pratiques et croyances, n’a rien d’exceptionnel dans le religieux-vécu, même dans l’histoire des religions. Il est plutôt caractéristique du vécu : « [L]e religieux-vécu individuel n’est pas fixé, unifié ou encore moins cohérent1 ». Pour McGuire, la cohérence de ce religieux-vécu n’est pas à chercher dans un agencement logique des pratiques et des croyances, mais dans la cohérence pratique, c’est-à-dire existentielle : « Il doit faire sens dans la vie quotidienne de l’individu2 », et pragmatique : « [I]l doit être efficace, “marcher”, dans le sens d’accomplir le but désiré3 ». Le religieux-vécu est ainsi une religiosité pratique et pragmatique au quotidien.

Nous voulons revenir encore sur la notion de spiritualité utilisée par McGuire pour définir le religieux-vécu. Nous avons déjà mobilisé cette notion dans notre présentation, en citant Hervieu-Léger qui s’en sert pour qualifier de nouvelles formes religieuses, sans les inclure dans la catégorie de religion. La spiritualité est ainsi opposée à la religion. Pour McGuire, la religion en tant que religieux-vécu et religiosité sont des synonymes de la spiritualité4 : « J’utilise le terme de “spiritualité” pour décrire les façons quotidiennes par

lesquelles les gens ordinaires s’occupent de leur vie spirituelle5. » Le terme de spiritualité est ainsi repris chez elle pour désigner le religieux-vécu, différent du religieux institutionnel.

En nous appuyant sur les travaux de McGuire et de Hervieu-Léger, nous pouvons constater que, progressivement, ce terme de spiritualité s’impose au sein de la sociologie des religions pour désigner une religiosité non institutionnalisée et de nouvelles formes religieuses, y compris celles associées d’une manière ou d’autre aux religions institutionnalisées6. Comme le remarque Obadia, il arrive que, dans la volonté des sociologues des religions de dépasser les limites épistémologiques du concept de religion, jugé trop lié à son origine judéo-chrétienne, et de trouver un terme plus adapté à la modernité religieuse, ils adoptent le concept de spiritualité à la place de religion1.

On rassemble sous l’appellation de spiritualité, parfois couplée avec l’adjectif « alternative », une multitude de pratiques et de croyances qui n’appartiennent pas

1

« […] individuals’ lived religions are not fixed, unitary, or even particularly coherent. » (Ibid., p. 185, traduction personnelle). 2

« It needs to make sense in one’s everyday life » (Ibid., p. 15, traduction personnelle). 3

« […] it needs to be effective, to “work”, in the sense of accomplishing some desired end » (Ibid., p. 15, traduction personnelle).

4

Ibid., p. 6. 5

« I am using the term “spirituality” to describe the everyday ways ordinary people attend to their spiritual lives. » (Ibid., p. 98, traduction personnelle).

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nécessairement à une religion particulière2. Mais la spiritualité peut trouver de l’inspiration dans les religions traditionnelles, orientales ou les religions indigènes, des Indiens par exemple. Les sociologues des religions Giselle Vincett et Linda Woodhead proposent une typologie de la spiritualité en quatre catégories : les pratiques corps-âme-esprit comme le

reiki, le yoga, le New Age3, le paganisme et la spiritualité théiste dans des religions monothéistes comme la kabbale4.

Dans cette approche scientifique, étique, du terme de spiritualité, est ainsi désignée l’expérience personnelle non systématisée par l’institution religieuse qui accentue les pratiques spirituelles et l’individu unique et holiste5. Ce dernier concept est utilisé par Vincett et Woodhead pour définir « l’interconnexion des choses6 » (en anglais : « the

interconnectedness of things »). Cela peut être la connexion entre le corps, l’esprit et l’âme,

avec le soi authentique, la nature ou le cosmos. Pour James Beckford, l’holisme saisit une forme de lien sacré entre l’ensemble et ses parties : « [L]’imaginaire holiste situe le sacré précisément dans la relation discernée entre le soi et le contexte cosmique. […] C’est dans la réciprocité entre le soi et le cosmos que le sens de sacré est situé1. » Le sacré se trouve dans les relations réciproques entre les éléments corporels, matériels, naturels et spirituels. Il s’agit d’abord de développer une unité avec soi-même en se connectant à son vrai soi et en le développant. Une fois ce vrai soi atteint, il doit ensuite être mis en accord avec l’environnement naturel, matériel et cosmique. Conçu comme faisant partie de l’univers, il est ainsi sacralisé par ce lien. Beckford met l’accent tant sur l’unité de soi avec d’autres éléments que sur le caractère relationnel de la connexion de soi à ces éléments. Mais il s’agit moins d’une interprétation moniste du terme que d’une interprétation relationnelle

1

L.OBADIA, « “Désoccidentaliserˮ encore les sciences des religions ? L’anthropologie contemporaine et la modélisation des traditions asiatiques en France et en Europe », Revue des sciences sociales 49 (2013), p. 124.

2

G.VINCETT – L.WOODHEAD, op. cit., p. 321-329. 3

Le terme New Age est « un mot à la mode » (en anglais : « a buzzword ») qui « réfère à une large série de pratiques et de croyances spirituelles qui ont pour dénominateur commun, le fait d’être perçues comme “alternatives” dans le cadre de la société occidentale dominante » (en anglais : « refers to a wide array of spiritual practices and beliefs which share as their most

common denominator the fact that they are perceived as “alternative” from the perspective of mainstream Western society »)

(W. J.HANEGRAAF, « New Age religion », dansL.WOODHEAD – H.KAWANAMI – C.PARTRIDGE [dir.], op. cit., p. 340, traduction personnelle). Il trace ses origines immédiates dans la contre-culture des années 1960 et surtout dans les croyances aux extraterrestres, mais aussi dans l’occultisme du XIXe siècle, qui lui-même est dans la continuité de l’ésotérisme occidental. 4

En sociologie des religions française apparaît également le terme de « nébuleuse mystique-ésotérique » pour aborder ces phénomènes. Françoise Champion le privilégie dans son analyse du renouveau religieux dans le processus de sécularisation à partir des années 1970. Ce terme part de la dichotomie avec la religion et désigne un phénomène composé « de groupes, de réseaux très divers, pouvant se rattacher à de grandes religions orientales, correspondre à des syncrétismes ésotérique plus ou moins anciens ou à de nouveaux syncrétismes psychoreligieux, ou bien regrouper des personnes autour de la pratique de tel ou tel art divinatoire. […] C’est l’existence de liens avec certaines revues, maisons d’édition, librairies, avec certains salons d’expositions, lieux de stage, centres de conférences, etc., jouant, de fait, un rôle de structuration de cette nébuleuse, qui permet d’en décider. » (F. CHAMPION, « La nébuleuse mystique-ésotérique. Orientations psychoreligieuses des courants mystiques et ésotériques contemporains », dans F. CHAMPION – D. HERVIEU-LEGER [dir.], op. cit., p. 17). L’auteure y inclut, par exemple, le New Age ou le yoga en ajoutant sous cette appellation également des groupes plus structurées comme des associations bouddhistes en France (F.CHAMPION, « Les sociologues de la post-modernité religieuse et la nébuleuse mystique ésotérique », Archives de sciences sociales des religions 67/1 [1989], p. 156). Ce terme est parfois mobilisé avec d’autres notions comme les nouveaux mouvements religieux sur lesquels nous reviendrons dans le deuxième chapitre de la première partie pour englober l’ensemble des transformations du religieux dans le contexte sécularisé français.

5

G.VINCETT – L.WOODHEAD, op. cit., p. 320. 6

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parce que c’est le lien qui sacralise l’individu. Eeva Sointu et Linda Woodhead, dans un article commun « Spirituality, Gender, and Expressive Selfhood », accentuent le caractère holiste des relations interpersonnelles : l’individu se découvre comme authentique grâce à des pratiques holistes et se sent connecté à des personnes de son entourage2.

Il faut toutefois noter que cet usage scientifique est précédé par un usage interne aux religions. En effet, il est issu, dans un premier temps, d’une approche émique, fondée sur le regard intérieur3. La spiritualité désignait l’accent mis sur le côté mystique des religions traditionnelles dans le discours des personnes religieuses. Mais à partir du XIXe siècle, le terme est utilisé par opposition à ces traditions. Dans cette perspective, la religion est perçue comme dogmatique et la spiritualité comme touchant une expérience profonde individuelle. Le terme de spiritualité dévalorise alors indirectement la religion et son usage nécessite une réflexion critique.

L’ouvrage de référence sur la spiritualité est The Spiritual Revolution (2005) par Heelas, Woodhead et un groupe de collaborateurs4. Dans le cadre d’une enquête qualitative dans une ville britannique de taille moyenne, Kendal, les auteurs cherchent à vérifier à quel point il est possible de qualifier la situation actuelle du religieux de « révolution spirituelle5 » (en anglais : « spiritual revolution »). Ils partent de l’opposition entre religion et spiritualité. S’ils n’adoptent pas un point de vue dévalorisant envers la spiritualité hors du religieux institutionnel, ils l’associent toutefois au religieux non institutionnel, contrairement aux recherches menées ultérieurement et dans lesquelles la spiritualité peut figurer au sein des religions institutionnelles. Ils postulent le déclin progressif du religieux institutionnel traditionnel, centré sur une autorité extérieure, au profit de l’expansion progressive de la spiritualité, devenu un religieux non institutionnel valorisant le sujet religieux. Ils distinguent donc la religion confessionnelle, « life-as religion », et religion non-confessionnelle, « subjective-life spirituality6 ». La religion confessionnelle privilégie la source transcendantale de l’autorité (être fidèle, respectueux, remplir des obligations, servir les autres et obéir à Dieu), contrairement à la spiritualité qui s’adresse à la source subjective (la recherche et le

1

« […] holistic imagery locates the sacred precisely in the perceived relationship between the self and a cosmic context. […] It

is in the reciprocity between self and cosmos that a sense of sacredness is located. » (J.A.BECKFORD, « Holistic Imagery and Ethics in New Religious and Healing Movements », Social Compass 31/2-3 [1984], p. 270, traduction personnelle).

2

E.SOINTU – L. WOODHEAD, « Spirituality, Gender, and Expressive Selfhood », Journal for the Scientific Study of Religion 47/2 (2008), p. 267.

3

G.VINCETT – L.WOODHEAD, op. cit., p. 319-337. 4

P. HEELAS –L.WOODHEAD et al., The Spiritual Revolution. Why Religion is Giving Way to Spirituality, Malden – Oxford –

Carlton, Blackwell Publishing, 2006. 5

Ibid., p. x. 6

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développement du soi, son caractère unique et holiste)1. Cette spiritualité se développe dans le milieu holiste contrairement au milieu ecclésial privilégiant la vie-comme religion.

Au vu de leur hypothèse, les auteurs arrivent à la conclusion que bien que l’expression de révolution spirituelle semble être trop forte, nous assistons à un changement important. Il s’agit moins de l’expansion des organisations du milieu holiste au détriment des organisations ecclésiales, mais plutôt du développement de la religiosité subjective et des groupes qui la prennent en compte.

Leur étude s’appuie sur la théorisation de la religiosité individuelle à travers sa subjectivisation, posture privilégiée aux théories de l’individualisation du religieux dans la modernité tardive. L’apparition de cette religiosité subjective est due au tournant subjectif dans la modernité dont l’avènement est théorisé par Charles Taylor2. Nous reviendrons sur ce philosophe canadien dans le chapitre 5 au sujet de l’identité, mais nous pouvons résumer dès à présent ce changement culturel comme un tournant dans lequel l’individu, par sa subjectivité et son authenticité, devient la source de la signification et de l’autorité. Heelas et Woodhead et al. résument les domaines de la vie subjective de cette manière : « [É]tats de conscience, états d’esprit, souvenirs, émotions, passions, sensations, expériences corporelles, rêves, sentiments, conscience intérieure, et sentiments – y compris sentiments moraux comme compassion3 ». Aussi, la religiosité inspirée par cette vie subjective

s’intéresse-t-elle à la vie émotionnelle et morale.

De cette manière, la spiritualité accentue l’interconnexion de différents phénomènes, c’est-à-dire le regard holiste de l’individu. Les participants cherchent à devenir eux-mêmes et progressent en se connectant à leur véritable soi ou à une énergie. Ils visent l’unité, une meilleure relation avec leur corps, un équilibre émotionnel, l’établissement d’une dimension spirituelle de la vie. Ils inscrivent leur chemin personnel dans un chemin spirituel centré sur le développement de leur subjectivité, unique par définition.

Dans le milieu holiste, la religiosité s’exprime à travers une multitude de pratiques religieuses, de la méditation au yoga en passant par l’aromathérapie. Ces pratiques encouragent les expériences de la vie subjective et leur qualité. Les acteurs religieux ne cherchent pas à se conformer aux obligations et aux normes sociales4 : « On se focalise beaucoup plus sur l’amélioration de la vie par l’encouragement de la qualité des expériences

1

« Thus the congregational domain and holistic milieu of Kendal are largely separate and distinct worlds. The one emphasizes

life-as and the normativization of subjectivities, the other subjective-life and the sacralization of unique subjectivities. In the former, self-understanding, change, the true life, is sought by heeding and conforming to a source of significance which ultimately transcends the life of this world ; the latter, self-understanding, change, the true life, is sought by seeking out, experiencing and expressing a source of significance which lies within the process of life itself. » (Ibid., p. 31, traduction

personnelle). 2

C.TAYLOR,Le malaise de la modernité (trad. de l’anglais par C. Melançon), Paris, Éditions du Cerf, 1994.

3

« […] states of consciousness, states of mind, memories, emotions, passions, sensations, bodily experiences, dreams,

feelings, inner conscience, and sentiments – including moral sentiments like compassion. » (P.HEELAS –L.WOODHEAD et al.,

op. cit., p. 3, traduction personnelle).

4

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personnelles – appartenant à la personne – qu’à l’amélioration de la qualité des expériences qui se conforment aux rôles attribués1. » Heelas et Woodhead et al. qualifient même la spiritualité de la vie subjective comme une « pratique de l’expérience plutôt qu’une pratique d’un système de croyances ; cultiver plutôt que réprimer l’unique ; la liberté d’explorer et d’exprimer la vérité de sa propre existence que d’adhérer à la vérité de la tradition2 ». Par la spiritualité, la vie s’améliore de façon subjective dans les domaines émotionnel, éthique, social et de santé vers plus de bonheur et de bien-être. Nous retrouvons ici l’accent porté sur