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Le cadre conceptuel et théorique de la recherche

Chapitre 3 Le bouddhisme de convertis dans la modernité modernité

3. Les caractéristiques sociodémographiques des pratiquants bouddhistes

Dans sa recherche sur des pratiquants du bouddhisme tibétain et du bouddhisme zen dans les années 1990 en France, Lenoir constate que la population des pratiquants français

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T.VYSTRCIL, « Buddhistická společnost a sametoví buddhisté devadesátých », dans J.HONZIK (dir.), op. cit., p. 49-51. 2

ČESKÝ STATISTICKÝ URAD, ODBOR STATISTIKY OBYVATELSTVA, Náboženská víra obyvatel podle výsledků sčítání lidu, Praha, Český statistický úřad, 2014, <https://www.czso.cz/documents/10180/20551795/17022014.pdf/c533e33c-79c4-4a1b-8494-e45e41c5da18?version=1.0>, le 03/09/2014.

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Nous y trouvons principalement des Vietnamiens, des Chinois, des Mongols, des Japonais et des Coréens (ČESKÝ STATISTICKÝ URAD, c01b10t.xlsx - c01b10t.pdf, <http://www.czso.cz/csu/cizinci.nsf/t/7C00563328/$File/c01b10t.pdf>, le 03/09/2014).

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est citadine1, ce qui se confirme dans notre enquête, menée aux centres urbains. Notre enquête permet également d’affirmer que les pratiquants bouddhistes restent encore largement blancs malgré une légère diversification ethnique qui concerne plus particulièrement la Sōka-gakkai. Cette domination ethnique est aussi observée par le sociologue James William Coleman pour le bouddhisme de convertis aux États-Unis dans les années 19902. Quant à leur nationalité, nous nous sommes entretenus avec des Français à l’exception de deux personnes d’origine anglaise et taïwanaise.

Lenoir montre que ce sont avant tout les femmes qui pratiquent le bouddhisme : 55 % de femmes par rapport à 45 % d’hommes3. Nous pouvons constater dix ans plus tard que la situation n’a guère changé. Les femmes prédominent toujours avec 57 % dans notre échantillon d’interviewés, moins représentatif que celui de Lenoir. Cette prévalence féminine semble être caractéristique pour les pratiquants bouddhistes parce qu’elle est aussi constatée par Coleman aux États-Unis4. Elle reflète les tendances générales dans le domaine religieux en Occident où les femmes sont globalement plus présentes et actives dans les organisations religieuses5. De plus, elle est cohérente avec la dynamique de la féminisation du bouddhisme en Occident6. Nous suggérons qu’elle peut également relever de la construction sociale de la féminité7. Il faut toutefois noter que la population féminine n’est pas répartie de la même manière dans les organisations étudiées tant chez Lenoir8 que dans nos terrains d’études. Dans les différents lieux de pratique fréquentés durant l’enquête de terrain, les femmes dominent dans une large majorité les rencontres de la Sōka-gakkai9,

sont plus nombreuses dans le bouddhisme tibétain et sont minoritaires dans le bouddhisme zen. Nous reviendrons sur les explications de ce phénomène dans la deuxième partie de notre travail.

Quant à l’âge moyen des pratiquants, il est de 43 ans chez Lenoir aussi bien que dans notre échantillon10. Mais, contrairement à Lenoir qui situe la plupart des pratiquants entre 35 et 50 ans, nous constatons une représentation importante de personnes de plus de 50 ans. Pour le contexte états-unien, Coleman situe l’âge moyen de 46 ans à partir duquel il

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F.LENOIR, Le bouddhisme en France, op. cit., p. 120. 2

J.W.COLEMAN, « The New Buddhism. Some Empirical Findings », dans D.R.WILLIAMS – C.S.QUEEN (dir.), op. cit., p. 94. 3

F.LENOIR, Le bouddhisme en France, op. cit., p. 116-117. 4

J.W.COLEMAN, op. cit., p. 94. 5

T.WALTER – G.DAVIE, « The Religiosity of Women in the Modern West », The British Journal of Sociology 49/4 (1998), p. 640 ; C.MONNOT, op. cit., p. 126.

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K.K.TANAKA, « Epilogue. The Colors and Contours of American Buddhism », dans C.S.PREBISH –K.K. TANAKA (dir.), op. cit., p. 289.

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L’historien Callum Brown le propose dans son ouvrage sur le christianisme en Grande-Bretagne. Il montre que le christianisme de l’époque de 1800 à 1960 a construit la piété en tant que caractéristique féminine (C.G.BROWN, The Death of Christian

Britain. Understanding Secularisation, 1800-2000, London, Routledge, 2001).

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F.LENOIR, Le bouddhisme en France, op. cit., p. 116-117. 9

L’enquête effectuée dans l’organisation en 2006 indique 70,26 % de femmes (CONSISTOIRE SOKA DU BOUDDHISME DE

NICHIREN, « Étude sur la vie familiale des pratiquants du culte du bouddhisme de Nichiren », dans CONSISTOIRE SOKA DU

BOUDDHISME DE NICHIREN, Le droit du culte du bouddhisme de Nichiren en France. Doctrine juridique et jurisprudence, annexes, Sceaux, Consistoire Soka du Bouddhisme de Nichiren, 2009, p. 1-5). L’enquête de Wilson et Dobbelaere sur la Sōka-gakkai en Grande-Bretagne apporte un pourcentage moins élevé de 59,5 % de femmes (B.R.WILSON – K. DOBBELAERE, op. cit., p. 42). 10

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explique le bouddhisme de convertis par l’effet de génération des « baby-boomers1 », à

savoir des enfants nés après la Seconde Guerre mondiale qui participent au bouleversement culturel dans les années 1960. Notons que cette explication n’est pas suffisante parce que d’autres tranches d’âge sont présentes dans des lieux de pratique concernés par notre recherche.

En ce qui concerne le statut social des pratiquants bouddhistes, nous nous accordons sur le constat de Lenoir d’un niveau d’étude élevé, à savoir le passage par l’enseignement supérieur pour 64 % d’entre eux2 et pour presque les deux tiers de pratiquants interrogés à travers notre enquête. Ces chiffres dépassent la moyenne nationale française qui est en 2012 de 29 % pour les hommes et de 32,9 % pour les femmes3.

Pour ce qui concerne les emplois occupés, Lenoir cite des professions libérales, des cadres, des enseignants ou des professionnels médico-sociaux. Pour la Sōka-gakkai, Hourmant indique cette forte représentation du personnel de l’éducation, des cadres et des professions libérales, y compris artistiques4. Nous avons interrogé, quant à nous, des enseignants, une banquière, des ingénieurs, des cadres commerciaux et techniques, des informaticiens, des psychothérapeutes, un artiste, des éducateurs spécialisés, des animateurs, une assistante maternelle, une assistante dentaire, des auxiliaires de la vie sociale, un ouvrier et un « futur agriculteur », selon ses dires. Pour résumer, un tiers de nos interviewés occupent un poste à responsabilité de cadre et les professions intermédiaires rassemblent un quart de la population étudiée.

Au niveau du salaire, deux tranches sont surreprésentées à parts égales : ceux qui vivent avec moins ou avec l’équivalent d’un salaire minimal de 1 100 € et ceux qui gagnent plus de 2 300 €. Cependant, plus que 60 % de pratiquants gagnent plus que le salaire minimum5. Puis, la proportion non négligeable de personnes « sans emploi » est également à nuancer au vu de la présence d’un étudiant, de deux retraités, d’une femme au foyer et d’une nonne. L’ensemble de ces données nous permet d’inclure la majorité de pratiquants bouddhistes dans la tranche des classes moyennes, ce qui correspond également aux résultats de Coleman aux États-Unis6. Toutefois, nous pouvons observer que les pratiquants

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J.W.COLEMAN, op. cit., p. 94 ; B.G.SMITH, op. cit., p. 313. 2

F.LENOIR, Le bouddhisme en France, op. cit., p. 121. 3

INSEE, Enseignement supérieur−Tableaux de l'Économie Française | Insee, <https://www.insee.fr/fr/statistiques/-1288360?sommaire=1288404>, le 05/06/2017.

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L.HOURMANT, La construction du croire…, op. cit., p. 267 5

Pour Damon, les classes moyennes françaises correspondent en 2010 à la tranche de salaires se situant entre 1 142 € à 2 477 € pour une personne vivant seule si l’on considère qu’elles représentent 60 % de la population, ou à la tranche de salaire se situant (en 2009) entre 1 146 € au 2 456 €, à savoir respectivement 70 % et 150 % du revenu médian (J.DAMON, op. cit., p. 34). Ignorant les montants précis des revenus se situant au-dessus de 2 300 €, nous pouvons cependant supposer que les personnes interviewées n’appartiennent pas aux classes supérieures, voire à la bourgeoisie par rapprochement avec les postes professionnels occupés.

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des classes populaires se font plus nombreux depuis ces dernières années1, notamment dans la population des pratiquants de la Sōka-gakkai de notre enquête.

Quant aux caractéristiques sociodémographiques des pratiquants bouddhistes en République tchèque, nous nous appuyons sur l’enquête de Cirklová et sur la nôtre. Notre enquête nous a fait découvrir, comme en France, une population citadine. C’est également un milieu ethniquement très homogène qui rassemble des pratiquants de couleur exclusivement blanche. Il faut toutefois préciser qu’au contraire de la France, une plus grande homogénéité ethnique caractérise la population tchèque dans son ensemble. À l’exception d’une Slovaque, les pratiquants interrogés sont tous de nationalité tchèque.

Les hommes sont plus nombreux que les femmes dans l’enquête de Cirklová2, dans le recensement de 2011 (61 %)3, et parmi nos interviewés (58 %). Ces chiffres contredisent les statistiques nationales de croyants institutionnels où dominent les femmes avec 56 %4 et diffèrent des données sur les pratiquants français. La religiosité bouddhiste n’est ainsi pas nécessairement une affaire de femmes. Comme en France, nous observons des différences en fonction du bouddhisme pratiqué. Si, dans notre enquête, les hommes fréquentent aussi souvent que les femmes les activités du bouddhisme tibétain, ce qui n’est pas le cas en France, ils prédominent largement comme en France les rencontres du bouddhisme zen.

Cirklová situe la plupart des bouddhistes tchèques dans la tranche d’âge de 25 à 35 ans5. Notre enquête révèle un âge moyen de 31 ans et la plupart des pratiquants interviewés sont âgés entre 20 et 40 ans. Sur le terrain tchèque nous n’avons pas rencontré de personnes de plus 60 ans, mais avons constaté que les pratiquants sont en moyenne plus jeunes que les pratiquants français. La pratique bouddhiste n’est donc pas comme le suggère Coleman l’activité d’une génération. Nous émettons l’hypothèse que c’est probablement le retard dans le développement des centres bouddhistes, de la spiritualité alternative et de la culture de consommation lié au régime communiste, qui est à l’origine de la différence d’âge moyen des pratiquants, parce que d’autres caractéristiques sociodémographiques s’en rapprochent.

Pour ce qui est de leur posture dans la structure sociale, il faut tout d’abord considérer leur niveau d’étude. Dans les entretiens qualitatifs réalisés par Cirklová auprès de personnes très avancées dans la pratique bouddhiste, l’échantillon est principalement composé de personnes éduquées issues de l’enseignement supérieur6. Elles sont au moins

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D’après Obadia, ce constat concerne notamment des centres situés dans les zones périphériques des villes (L.OBADIA,

Bouddhisme et Occident…, op. cit., p. 189).

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J.CIRKLOVÁ, Buddhismus jako zdroj hodnot…, op. cit., p. 89-90. 3

ČESKÝ STATISTICKÝ ÚŘAD, Obyvatelstvo podle náboženské víry…, op. cit. 4

ČESKÝ STATISTICKÝ ÚŘAD, ODBOR STATISTIKY OBYVATELSTVA, Náboženská víra obyvatel…, op. cit. 5

J.CIRKLOVÁ, Buddhismus jako zdroj hodnot během…, op. cit., p. 88. 6

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deux tiers à avoir une licence ou de la préparer au moment de l’entretien dans le cadre de notre recherche, alors que la moyenne nationale est 12,5 % pour les personnes de 15 ans et plus1. Cette donnée nous montre que, comme en France, la population des pratiquants bouddhistes tchèques est en moyenne plus éduquée.

Si Cirklová s’est entretenue avec des spécialistes de différents

domaines professionnels tels que la santé, l’éducation, la recherche, le milieu artistique et celui des ingénieurs et des traducteurs2, notre enquête nous a fait découvrir des personnes qui occupent souvent des emplois de cadres dans les secteurs public et privé, ou des professions intermédiaires ou libérales. Nous nous sommes entretenus avec d’actuels ou de futurs professionnels : informaticien, juriste, ingénieur, chercheur, cadre en marketing, manager, banquier, architecte, enseignant, assistant sociale, entrepreneur, infirmière, assistant de l’administration, comptable, gérant d’une boutique, employé. Pour les deux tiers d’entre eux, le salaire net se situe entre 20 000 Kč et 29 000 Kč, ce qui correspond à un salaire moyen, voire moyen-plus3. Seules quelques personnes, dont deux étudiants, ont un salaire inférieur à cette moyenne. Il nous paraît pertinent de dire que la population des pratiquants bouddhistes tchèques occupe un statut social comparable, voire plus privilégié que celui que l’on rencontre en France, et appartient aux classes moyennes et moyennes supérieures.

Mais notre regard historique et statistique resterait incomplet sans aborder la question des caractéristiques du bouddhisme de convertis issues du processus historique de son implantation en Occident. En effet, comme nous l’avions soulevé brièvement au sujet de la recherche scientifique, de la théosophie et du bouddhisme asiatique, le bouddhisme de convertis en Occident a aussi été traversé par des transformations. Obadia le commente ainsi : « [S]on arrivée [du bouddhisme] en Occident devrait se traduire logiquement par une nouvelle forme d’acculturation4. » Baumann, quant à lui, parle de la « transplantation » du bouddhisme dans le cas allemand qui aboutit à l’adaptation innovante du bouddhisme à un

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ČESKÝ STATISTICKÝ ÚŘAD, Úroveň vzdělání obyvatelstva podle výsledků sčítání lidu, Praha, Český statistický úřad, 2014, <https://www.czso.cz/documents/10180/20536250/17023214.pdf/7545a15a-8565-458b-b4e3-e8bf43255b12?version=1.1>, le 08/09/2017, p. 19.

2

J.CIRKLOVÁ, Buddhismus jako zdroj hodnot během…, op. cit., p. 113. 3

Le salaire moyen brut étant 20 000 Kč et médian brut 24 000 Kč au 29/12/2012 (ČESKÝ STATISTICKÝ URAD, Průměrnémzdy | ČSÚ, <http://www.czso.cz/csu/csu.nsf/informace/cpmz090613.doc>, le 29/12/2012), ce qui correspondrait respectivement à 800 € et 960 €. Damon cite des statistiques européennes pour les personnes vivant seules qui situent les classes moyennes en République tchèque entre 441 € et 829 € par mois en 2010 si nous considérons que les classes moyennes occupent 60 % de la population (J.DAMON, op. cit., p. 35). Il serait aussi possible de prendre comme mesure le revenu médian et situer les classes moyennes entre 426 € et 912 € (en 2009). Les pratiquants appartiennent aux classes moyennes, même si nous prenons en considération qu’à Prague, lieu d’habitation de la grande majorité des personnes interrogées, les salaires sont plus élevés que dans d’autres régions tchèques, c’est-à-dire que le plafond devrait être plus haut pour les classes moyennes pragoises (T. KOSTELECKÝ – M.MIKESZOVA, « “V Praze je blaze” anebo co si myslíme o životě lidí žijících v našem hlavním městě a co z toho je pravda », dans H. MARIKOVA –T.KOSTELECKÝ –T.LEBEDA et al. [dir.], Jaká je naše společnost. Otázky, které si často klademe…, Praha, Sociologické nakladatelství, 2010, p. 131-147).

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nouveau contexte socioculturel1, ce qu’Ellen Goldberg, chercheuse en sciences des religions canadienne, suggère d’élargir pour l’Occident2. Si les auteurs analysent ce processus et ses résultats notamment pour l’aire géographique occidentale de l’Europe occidentale et des États-Unis, nous considérons que leurs analyses sont aussi valables pour la République tchèque au regard de son développement historique. Elles nous fournissent le socle pour notre propre recherche qui situe le bouddhisme dans le contexte de la culture de consommation, sans chercher à reprendre le travail des spécialistes dans ces études comparatives.