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Le cadre conceptuel et théorique de la recherche

Chapitre 2 La sociologie du religieux dans la modernité tardive

3. La sociologie du religieux-vécu dans la modernité tardive

3.3. Des collectifs aux communautés religieuses

Le dernier point de la sociologie du religieux-vécu que nous souhaitons aborder, est sa dimension collective, qui transparaît chez Heelas et Woodhead et al. quand ils montrent que la diversité des activités du milieu holiste se caractérise par la prolifération de groupes d’élection. Ainsi, la religiosité de la modernité tardive se définit par l’importance de « la mise

1

« The late modern profusion of cultural resources, breakdown of cultural consensus, and pressures for autonomy and

self-realization increase the pressure to achieve emotional prosperity, whose markers are happiness and well-being. » (Ibid., p. 184,

traduction personnelle). 2

P. N. STEARNS, American Cool. Constructing a Twentieth-Century Emotional Style, New York – London, New York University Press, 1994, p. 1-31 ; voir aussi N.ELIAS, La civilisation des moeurs (trad. de l’allemand par P. Kamnitzer), Paris, Calmann-Lévy, 1973.

3

O.RIIS – L.WOODHEAD, op. cit., p. 163 (traduction personnelle). 4

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en commun volontaire de croyances, de valeurs et de références communes1 » dans la situation où « le culte ne rassemble plus la communauté naturelle qu’était l’espace paroissial, mais un échantillon de militants plus ou moins dispersés2 ».

Concernant le rituel, cette dimension collective est développée par Turner, qui propose qu’à l’étape liminale de rituels collectifs, correspond une sociabilité liminale. Turner appelle communitas cette socialisation du moment de l’antistructure3. Elle est en rupture avec les codes ordinaires de sociabilité qui relèvent des normes sociales, comme l’amitié. Les individus, dans la communitas, sortent de la structure et se sociabilisent, pendant des moments éphémères dans une communitas spontanée d’êtres concrets, égaux, solidaires et anonymes. La communitas disparaît à la fin du rituel, lorsque les individus réintègrent une nouvelle structure et son système de rôles.

Il reste que Turner idéalise largement la communitas, en sous-estimant son caractère humiliant et structurel4. Pour répondre à ce type de critique, Turner postule l’existence de la

communitas avec des règles et une hiérarchie qui se constituent à partir de l’expérience

concrète et éphémère de la communitas. La communitas peut donc devenir une « communitas normative5 » (en anglais : « normative communitas ») avec des règles qui assurent sa durabilité, par exemple dans des monastères.

Weber propose un autre regard sur la sociabilité religieuse, en l’élargissant au-delà du rituel. En effet, à côté de l’association, forme de sociabilité fondée sur un accord rationnel, Weber caractérise la communauté par le partage de « certaines qualités6 », auquel s’ajoute un sentiment subjectif d’appartenance. La communauté trouve donc sa source dans le caractère émotionnel ou traditionnel de l’appartenance. Ce « sentiment commun » induit une orientation mutuelle de comportement7. Il est ainsi possible de parler d’un processus de communalisation (en allemand : Vergemeinschaftung), c’est-à-dire de la construction de la communauté.

Dans le cadre de la sociologie des religions, Weber analyse un type particulier de communauté, la communauté à relations émotionnelles8 constituée autour d’une personne charismatique9. Avant de présenter ses caractéristiques, il faut définir le concept de charisme et de domination dont il est l’expression. La domination signifie le pouvoir ou l’autorité d’un

1

D.HERVIEU-LEGER, « Expériences sociales, expérimentations du sens et religion. Trajectoires typiques », dans R.J.CAMPICHE

(dir.), Cultures, jeunes et religions en Europe, Paris, Éditions du Cerf, 1997, p. 285. 2

J.-P.BASTIAN, « Pour une redéfinition du concept de minorité religieuse dans l’Europe contemporaine », dans J.-P. BASTIAN – F. MESSNER (dir.), Minorités religieuses dans l’espace européen. Approches sociologiques et juridiques, Paris, PUF, 2007, p. 67.

3

V.TURNER, The Ritual Process…, op. cit., p. 94-132 ; V.TURNER, Dramas, Fields, and Metaphors…, op. cit., p. 131-207. 4

R.CHLUP, « Struktura a antistruktura. Rituál v pojetí Victora Turnera I », Religio 13/1 (2005), p. 24-25. 5

V.TURNER, Dramas, Fields, and Metaphors…, op. cit., p. 170. 6

M.WEBER, Économie et société, I…, op. cit., p. 80. 7

Ibid., p. 81. 8

Nous préférons cette expression à celle de “communauté émotionnelle”, utilisée dans la traduction française pour l’expression allemande de Gemeinde (Ibid., p. 322). Il nous semble plus juste.

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individu sur un groupe. Les obéissants ne répondent à cette demande d’autorité qu’à condition de reconnaître sa légitimité. Dans une démarche idéale-typique, Weber définit trois types de légitimité : légale-rationnelle, traditionnelle et charismatique. La domination traditionnelle repose sur la validité de la tradition. On obéit à la personne parce qu’on respecte la tradition. La domination légale-rationnelle, quant à elle, crée l’inégalité parmi les individus, en étant fondée sur « la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens1 ». Finalement, Weber associe la domination charismatique à la soumission au « caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire »ou encore à« la qualité extraordinaire d’un personnage », bref à des capacités individuelles qui sortent de l’ordinaire2. La domination repose alors sur l’autorité d’un individu, qui émane de ses seules capacités individuelles.

Autour d’une telle personne charismatique, peut se former une communauté caractérisée par des relations émotionnelles entre le « prophète » et ses « disciples ». C’est le prophète charismatique qui possède le pouvoir de décision sur le groupe de disciples. Ces derniers vivent comme une masse de personnes égales, dans une forme de « communisme d’amour ou de camaraderie3 », en partageant un territoire. Avec le temps, le charisme peut se routiniser et le groupe peut se consolider.

Les recherches sur les organisations religieuses et sur le religieux-vécu nous montrent qu’il faut s’éloigner de la vision institutionnelle et traiter également l’expérience individuelle dans ses dimensions pratique, corporelle, émotionnelle et collective.

En prenant en considération la culture de consommation, nous allons voir maintenant comment d’autres analyses et concepts théoriques viennent compléter l’étude des organisations et de la religiosité à l’époque contemporaine. Mais avant de faire ce pas, nous trouvons indispensable de présenter l’histoire du bouddhisme de convertis en Occident, que les chercheurs situent précisément dans ce contexte de la modernité.

1 Ibid., p. 289. 2 Ibid., p. 289, 320. 3 Ibid., p. 322.

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Chapitre 3 Le bouddhisme de convertis dans la