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Le cadre conceptuel et théorique de la recherche

Chapitre 2 La sociologie du religieux dans la modernité tardive

3. La sociologie du religieux-vécu dans la modernité tardive

3.1. Les rituels et le corps en rituels

McGuire nous place clairement dans la perspective de la pratique religieuse comme objet central de l’analyse du religieux-vécu. L’étude des pratiques à travers l’analyse des rituels est un sujet de recherche familier pour la sociologie des religions classique. Dans Les

formes élémentaires de la vie religieuse, le père fondateur de la sociologie, Émile Durkheim,

fait du rituel un élément central dans son analyse de la religion1. Il montre que les rites en tant que « modes d’action déterminés » assurent le maintien de la religion et de la société2. Complémentaires aux croyances qui les précèdent, ils permettent de tisser des liens sociaux. Ce sont donc les activités religieuses qui actualisent les représentations religieuses et amènent les individus à adopter ces croyances : « [L]es rites sont des manières d’agir qui ne prennent naissance qu’au sein des groupes assemblés et qui sont destinés à susciter, à entretenir ou à refaire certains états mentaux de ces groupes3. » Dans cette vision durkheimienne du rituel, les croyances précèdent l’action religieuse qui les renforce.

Pour remettre en question cette séparation entre rituel et croyances, Catherine Bell propose une autre vision du rituel4. Sa définition s’écarte de la dichotomie entre rite et croyance, action et représentation, qui impliquerait la conception du rituel comme un moyen d’intégration des croyances par l’action. Pour Bell, cette vision du rituel peut aboutir à un rituel devenu activité automatique, imitative et formelle5. Elle refuse également de définir le rituel par rapport à la répétitivité de l’action fixe et préfère l’inscrire dans un autre système d’opposition. Mais au lieu de le définir frontalement, elle s’intéresse plutôt au processus de ce qu’elle appelle la ritualisation qui crée le rituel :

« Nous allons utiliser le terme de ritualisation pour attirer l’attention sur la façon par laquelle certaines activités sociales se distinguent stratégiquement par rapport à d’autres. Dans un sens préliminaire, la ritualisation est un moyen d’agir qui est conçu et orchestré afin de se différencier et de privilégier ce qui est fait par rapport à d’autres activités, souvent plus quotidiennes6. »

1

É.DURKHEIM, op. cit. 2

Ibid., p. 82. 3

Ibid., p. 48. 4

C. BELL, Ritual Theory, Ritual Practice, New York – Oxford, Oxford University Press, 1992. 5

Ibid., p. 19. 6

« [...] I will use the term “ritualization” to draw attention to the way in which certain social actions strategically distinguish

104

Dans cette optique, le rituel est une activité sociale qui, par son processus, se différencie des autres activités, notamment les plus quotidiennes. Pour pouvoir nommer le rituel, il faut avant tout définir l’activité à laquelle il s’oppose et déterminer les stratégies qui créent cette opposition : « Agir de façon rituelle est avant tout une manière de faire, caractérisée par des contrastes nuancés et une évocation des différences stratégiques et chargées de valeurs1. » Bell suggère qu’il existe des enjeux de pouvoir dans l’élaboration du contraste qui fournissent du pouvoir symbolique au rituel. En même temps, ce pouvoir nécessite l’accord des participants, ce qui fait de la ritualisation un moyen de construction de la communauté. Pour illustrer son propos, nous pouvons suivre Bell qui choisit elle-même une activité collective, la messe chrétienne. Cette dernière diffère du repas ordinaire par différentes stratégies, comme l’absence de nourriture suffisante pour manger à sa faim. Cette différence stratégique en fait un rituel. Ce statut lui reste attaché, même pour une messe improvisée, sans objets traditionnels ni espace religieux. Dans ce cas, la différence avec un repas ordinaire persiste et les participants peuvent en ajouter d’autres par rapport à la messe conventionnelle. Cette distinction n’est pas neutre, parce qu’elle porte un jugement sur la messe conventionnelle, considérée comme trop rigide.

Il est donc important de souligner que le caractère rituel d’une activité dépend du contexte et de sa perception par les participants, « ce qui est un rituel est toujours fortuit, provisoire et défini par la différence2 ». Cette conception du rituel revalorise la pratique religieuse et donne du pouvoir à l’acteur religieux. La centralité de l’individu dans la vision du rituel, chez Bell, correspond bien à une valeur individuelle moderne bien que cette approche puisse être problématique pour l’analyse du rituel dans d’autres contextes culturels.

Chez Bell, l’individu est également présent dans son analyse de la transformation individuelle par le processus de ritualisation. L’auteur dit, en effet, que le processus de ritualisation transforme le corps. Les personnes qui maîtrisent les rituels acquièrent une « maîtrise rituelle3 » (en anglais : « ritual mastery ») par le « corps rituel » (en anglais : « ritual body ») : « Nous utilisons le terme de maîtrise rituelle pour désigner la maîtrise pratique des procédés de la ritualisation en tant que connaissance incorporée, en tant que sens du rituel perçu par son exercice1. » Le corps s’y trouve façonné, devient un corps rituel, et en passant par les différents niveaux de maîtrise, acquiert progressivement l’habileté rituelle.

orchestrated to distinguish and privilege what is being done in comparison to other, usually more quotidian, activities. » (Ibid., p.

74, traduction personnelle). 1

« Acting ritually is first and foremost a matter of nuanced contrasts and evocation of strategic, value-laden distinctions. » (Ibid., p. 90, traduction personnelle).

2

« […] what is ritual is always contingent, provisional, and defined by difference » (Ibid., p. 91, traduction personnelle). 3

105

Une autre conceptualisation du rituel, qui nous permettrait de nous intéresser plus au rituel lui-même qu’à sa constitution, est repérable chez Victor Turner. À partir de sa recherche de terrain en Afrique dont il rend compte dans The Ritual Process et Dramas,

Fields, and Metaphors durant les années 19702, Turner montre que le rituel est un processus3 au cours duquel la vie quotidienne est liée à des idéaux de la société. Il est également possible de le concevoir comme un moyen d’associer la structure à l’antistructure. La structure symbolise les rôles sociaux, les normes, les règles, les conflits quotidiens et l’aspect séculier du monde. L’antistructure se définit par opposition à la structure. Elle se situe au-delà de la structure, représente des idéaux et relève du domaine du sacré4. Le conflit qui existe entre la structure, l’ordre quotidien, et l’antistructure, l’idéal de la société, est possible à surmonter justement par le rituel. Ce dernier supprime la structure et fait entrer les individus dans l’antistructure. C’est à ce titre que le rituel est une activité sociale parce que la société est le résultat de la dialectique entre la structure et l’antistructure. Par le rituel, la société trouve des solutions à ses conflits et évolue5.

Pour définir le rituel, Turner s’appuie sur les réflexions de l’anthropologue français Arnold Van Gennep. Ce dernier divise les rites de passage en trois phases : la séparation, la marginalisation ou la liminalité, et la réintégration, nommée aussi phase postliminale. Turner, quant à lui, s’attache notamment à la problématique du moment liminal du rituel. D’après lui, cette dimension liminale est au cœur même de tout rituel. C’est un moment antistructurel qui donne du pouvoir au rituel. La liminalité se définit donc par opposition à la structure et diffère de l’ordre. Son statut est donc relatif. Dans son caractère antistructurel, elle représente un domaine hors de la vie quotidienne, un « moment dans le temps et hors du temps6 » (en anglais : « moment in and out of time »). Cependant, ce n’est pas un moment supposé durer, elle est éphémère.

Du point de vue individuel, la liminalité a un statut ambigu. C’est une phase « entre-deux7 » (en anglais : « betwixt and between states ») : « [P]endant la période “liminaire” intermédiaire, les caractéristiques du sujet rituel (le “passager”) sont ambiguës ; il passe à

1

« I use the term “ritual mastery” to designate a practical mastery of the schemes of ritualization as an embodied knowing, as

the sense of ritual seen in its exercise. » (Ibid., p. 107, traduction personnelle).

2

V.TURNER, The Ritual Process. Structure and Anti-structure, Chicago, Aldine ; V.TURNER, Dramas, Fields, and Metaphors.

Symbolic Action in Human Society, Ithaca – London, Cornell University Press, 1974.

3

Pour les interprétations et les usages actuels, voir G.ST JOHN (dir.), Victor Turner and Contemporary Cultural Performance,

New York – Oxford, Berghahn Books, 2008. 4

Turner reprend ici la dichotomie devenue classique du profane et du sacré, connue de l’œuvre de Durkheim (É.DURKHEIM, op.

cit.).

5

Nous constatons que Turner base son analyse sur les rites dans des sociétés de petite taille. Il serait possible de remettre en question cette analyse pour les sociétés de la modernité tardive, dans lesquelles le rituel ne concerne pas nécessairement toute la société. Mais nous considérons que ces analyses peuvent être valables également pour la modernité tardive si on renforce le côté idéal et antistructurel en donnant au rituel un sens large. Puis, Turner s’intéresse aussi à l’individu et son expérience, ce qui permet de retenir son analyse.

6

V.TURNER, The Ritual Process…, op. cit., p. 96, traduction prise de V.TURNER, Le phénomène rituel. Structure et

contre-structure : « le rituel et le symbole : une clé pour comprendre la contre-structure social et les phénomènes sociaux » (trad. de l’anglais

par G. Guillet), Paris, PUF, 1990. 7

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travers un domaine culturel qui a peu ou aucun des attributs de l’état passé ou à venir1. » Le statut de l’individu n’est pas clair dans la phase liminale. Il s’extrait des conventions auxquels il était soumis, peut s’habiller différemment, se comporter de façon humble, respecter l’autorité, être muet, etc. La liminalité est aussi une source de potentiel en raison de son caractère transformateur de l’individu. Le moment liminal du rituel est un moment qui arrache l’individu au quotidien avant de l’y faire retourner. Mais l’individu en sort changé et intègre la structure avec un nouveau statut et de nouveaux pouvoirs. La phase liminale est autant un moment transitoire que transformateur pour l’individu.

Pour accomplir un rituel, l’individu utilise son corps à travers des gestes ou des mouvements et progressivement, selon Bell, acquiert une maîtrise corporelle de ce rituel. Il faut donc également aborder le corps dans le rituel. Pour cela, nous proposons de tourner notre regard vers l’anthropologue français Marcel Mauss. Dans son article « Les techniques du corps », transcription d’une conférence donnée en 19342, Mauss cherche à déterminer l’influence sociale sur les pratiques corporelles. Dans cette analyse du corps, il souligne la nécessité d’une étude plurielle du corps, sujet négligé par la tradition cognitiviste de la sociologie3 :

« Je savais bien que la marche, la nage, par exemple, toutes sortes de choses de ce type sont spécifiques à des sociétés déterminées ; que les Polynésiens ne nagent pas comme nous, que ma génération n’a pas nagé comme la génération actuelle nage. Mais quels phénomènes sociaux étaient-ce4 ? »

Face à l’absence conceptuelle pour désigner différentes attitudes corporelles, Mauss qualifie la danse ou la nage par le concept de techniques du corps, à savoir « les façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps5 ». Ce sont des modes d’agir corporel « traditionnel[s] et efficace[s]6 », propres aux corps sains. Ils diffèrent d’une société à l’autre, se transforment dans l’histoire et dépendent de l’éducation, des normes ou du prestige.

Une technique du corps contient plusieurs dimensions pour permettre de saisir l’« homme total » : physique, psychique et sociale7. Pour l’aspect physique, une technique du

1

« […] during the intervening “liminal” period, the characteristics of the ritual subject (the “passenger”) are ambiguous ; he

passes through a cultural realm that has few or none of the attributes of the past or coming state » (V.TURNER, The Ritual

Process…, op. cit., p. 94).

2

Le texte est édité dans M.MAUSS, Sociologie et anthropologie. Précédé d’une introduction à l’œuvre de M. Mauss par C. Lévi-Strauss, Paris, PUF, 201012, p. 365-386.

3

Cf. M.L.LYON, « The Material Body, Social Processes and Emotion. “Techniques of the Body” Revisited », Body and Society 3/1 (1997), p. 83-84.

4

M.MAUSS, Sociologie et anthropologie, op. cit., p. 366. 5

Ibid., p. 365. 6

Ibid., p. 371. 7

Au vu de cette séparation entre dimension physique et psychologique, il est nécessaire de rappeler qu’elle obéit à la vision cartésienne différenciant corps et esprit (M.L.LYON, op. cit., p. 83-101). Elle est contrée par Merleau-Ponty qui postule que toute activité humaine est a priori corporelle. L’homme ne possède pas son corps, mais il est son corps (M. MERLEAU-PONTY,

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corps est envisagée comme technique grâce à la présence de la dimension mécanique. Elle est un acte qui « est senti par l’auteur comme un acte d’ordre mécanique, physique ou

physico-chimique et qu’il est poursuivi dans ce but1 ». Le corps devient l’objet et l’outil de la personne qui mobilise la technique du corps, « le premier et le plus naturel objet technique, et en même temps moyen technique, de l’homme, c’est son corps2 ».

La dimension psychique, quant à elle, s’associe aux états mentaux de l’activité corporelle traditionnelle. Elle renferme, par exemple, des états émotionnels, implicitement inconscients, que le corps peut contrôler grâce à des techniques particulières : « C’est grâce à la société qu’il y a sûreté des mouvements prêts, domination du conscient sur l’émotion et l’inconscience3. »

Pour la dimension sociale, Mauss montre que l’apprentissage se fait dans le cadre de relations hiérarchiques. Il utilise à ce sujet le terme de « dressage4 » pour parler des gestes accomplis à l’intérieur : « L’enfant, l’adulte, imite des actes qui ont réussi et qu’il a vu réussir par des personnes en qui il a confiance et qui ont autorité sur lui5 ». Ce savoir-faire est à l’origine du respect et du prestige des personnes : « C’est précisément dans cette notion de prestige de la personne qui fait l’acte ordonné, autorisé, prouvé, par rapport à l’individu imitateur, que se trouve tout l’élément social6. » Pour les individus socialisés, l’imitation dépend de ce prestige accordé au transmetteur parce qu’il incarne à lui seul l’aspect social de la technique du corps.

Concernant le choix du terme désignant les postures et les gestes d’une activité rituelle, Mauss est plus ambigu. D’une part, il s’aligne sur la division classique entre « techniques » et « rites » pour dire que ces derniers ne sont pas accomplis pour des raisons physiques, mais religieuses et symboliques7 et il différencie ainsi activité physique et religieuse en associant les techniques du corps à des activités purement physiques. D’autre part, il parle de techniques du corps au sujet du yoga ou des techniques de la respiration adoptées pour des buts religieux. Il nous paraît donc approprié d’adopter sa terminologie pour le rituel.

Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945). Toutefois, l’imaginaire bouddhiste, comme nous le verrons, reproduit

cette dichotomie. C’est la raison pour laquelle l’analyse maussienne reste pertinente. 1

M.MAUSS, Sociologie et anthropologie, op. cit., p. 372. 2 Ibid., p. 372. 3 Ibid., p. 386. 4 Ibid., p. 374. 5 Ibid., p. 369. 6 Ibid., p. 369. 7 Ibid., p. 371.

108 3.2. Les émotions religieuses dans le religieux-vécu

Le travail de Heelas et Woodhead et al. développe l’idée, déjà présentée par Luckmann, qui associe le religieux et le domaine émotionnel. Mais nous constatons que les sociologues ont parfois tendance à traiter les émotions de façon unilatérale, à l’image de Mauss1, qui mentionne les émotions dans le cadre de l’aspect psychologique des techniques du corps2. Pour lui, elles représentent des passions inconscientes et non contrôlées, sujettes au façonnement par la société3. Cependant, les techniques du corps sont également à l’origine des états émotionnels, comme nous le rappelle l’anthropologue de la médecine, Margot L. Lyon4. Il en découle qu’il faut prendre en considération l’origine sociale des émotions, comme le suggère déjà Durkheim5. Chez ce dernier, l’émotion n’est pas une expression purement individuelle. Il le montre notamment avec l’exemple d’une forte émotion extatique, celle de l’« effervescence collective6 ». Celle-ci est engendrée par un rituel collectif et contribue à la cohésion sociale du groupe et à transmettre des croyances. C’est le groupe auquel l’individu appartient qui est à l’origine des émotions religieuses. L’individu ressent les émotions voulues par le groupe durant le rite, ce qui renforce son attachement au groupe.

Riis et Woodhead restent dans cette lignée de réflexion en poursuivant l’étude des émotions religieuses et sociales7, dans leur ouvrage A Sociology of Religious Emotion (2010)8. Face à l’émergence de nouvelles formes religieuses accentuant les émotions et à l’insuffisance de travaux récents de la sociologie des religions sur le sujet des émotions, ils synthétisent la recherche sociologique sur cette problématique et proposent leur propre analyse des émotions religieuses dans le cadre des « régimes émotionnels » (en anglais : « emotional regimes ») et plus particulièrement de régimes émotionnels religieux9.

Avant d’expliquer ce que ces auteurs entendent par régimes émotionnels, il faut aborder la définition qu’ils donnent de l’émotion. Pour Riis et Woodhead, celle-ci « implique un état intérieur, mais aussi un sentiment au sujet de quelque chose ou de quelqu’un1 » qui s’expriment pour être partagés avec les autres. Cette dimension relationnelle impacte

1

M.L.LYON, op. cit., p. 88. 2

M.MAUSS, Sociologie et anthropologie, op. cit., p. 386. 3

Nous retrouvons une approche semblable, dans la sociologie des religions, chez Hervieu-Léger qui considère que l’« expérience religieuse émotionnelle » est « originaire » : elle précède la socialisation religieuse chez l’individu et fonde la religion dans la société. Elle est maîtrisée, rationalisée et rendue stable par la religion institutionnalisée, résultat du processus de la « domestication » émotionnelle. Ce passage est nécessaire, d’après Hervieu-Léger, parce que l’émotion primaire est une expérience religieuse dangereuse tant pour l’individu que pour la société (D. HERVIEU-LEGER, « Renouveaux émotionnels contemporains… », op. cit., p. 219-228).

4

M.L.LYON, op. cit., p. 90. 5

É.DURKHEIM, op. cit., p. 318, 324-338. 6

« […] la concentration de la population a lieu quand un clan ou une portion de tribu est convoqué dans ses assises et que, à cette occasion, on célèbre une cérémonie religieuse […]. Parce que les facultés émotives et passionnelles du primitif ne sont qu’imparfaitement soumises au contrôle de sa raison et de sa volonté, il perd aisément la maîtrise de soi » (Ibid., p. 324). 7

Cf. l’approche contemporaine de la sociologie des religions française chez Y.FER, « Genèse des émotions au sein des Assemblées de Dieu polynésiennes », Archives de sciences sociales des religions 131-132 (2005), p. 143-163.

8

O.RIIS – L.WOODHEAD, A Sociology of Religious Emotion, Oxford, Oxford University Press, 2012. 9

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nécessairement les émotions ressenties individuellement. Les émotions sont sociales, non seulement parce qu’elles sont relationnelles, mais aussi parce qu’elles sont vécues au sein de structures socioculturelles et concernent donc les autres qui, avec les contextes sociaux, participent à leur construction. Ainsi, si les émotions sont des états sentimentaux intérieurs, la sociologie ne devrait pas les prendre pour autant pour une affaire privée : « [L]’émotion est “à la fois…et” plus que “ou (bien)…ou (bien)” : en même temps personnelle et relationnelle ; privée et sociale ; biologique et culturelle ; active et passive2. » Grâce à cette approche de Riis et Woodhead, nous pouvons saisir tant le côté personnel que le côté social des émotions.

Riis et Woodhead montrent qu’en fonction des contextes sociaux, différents régimes émotionnels se constituent et forment par la suite des émotions éprouvées individuellement3. Ces régimes émotionnels sont des modèles sociaux cohérents, des éventails structurés indiquant aux individus des émotions à sentir et à exprimer dans un contexte social : « [U]n régime émotionnel tient ensemble un éventail d’émotions et précise leur rythme, leur sens, leur moyen d’expression, et leur combinaison4. » Il s’agit d’une sorte de programme émotionnel émanant d’une autorité culturelle, institutionnalisée ou non :

« Au cœur de chaque régime émotionnel est un “programme émotionnel” unique. En se servant d’une comparaison musicale, il est possible de dire que ce programme se caractérise par une échelle distinctive de notes émotionnelles. Certains programmes ont une tonalité de la peur, de la compétitivité et de la jalousie ; d’autres de l’excitation, de la joie et de l’amusement. Les programmes exhaustifs à l’image de ceux des religions