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Chapitre 2 Méthodologie de la recherche

1. Le choix des organisations bouddhistes

Afin de pouvoir rendre compte du sujet de l’enquête, nous avons pris le parti de nous concentrer sur deux terrains nationaux, l’un français et l’autre tchèque, ce qui devait permettre la prise de distance (pour le terrain tchèque), l’enrichissement des regards et une portée plus générale des résultats. Le choix concret s’est imposé à nous au vu des moyens

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financiers et humains qui peuvent y être consacrés. En effet, le fait de devoir réaliser seule cette recherche nous a contrainte à restreindre l’envergure du terrain sur lequel nous allions devoir entreprendre nos enquêtes. Sont venues se rajouter les limites de nos capacités linguistiques et financières. Étant d’origine tchèque et entreprenant des études en France, ces deux terrains d’étude nous semblaient relever d’un choix logique : accessibles grâce à notre maîtrise des langues et à la proximité géographique de deux pays, l’accès étant également facilité par les connaissances sur place pour des séjours à frais réduits. De plus, le choix visait aussi à assurer une meilleure rigueur méthodologique qui aurait pu être compromise par une étude plus étendue.

Dans un second temps, nous avons pris la décision de ne travailler que sur certains lieux bouddhistes et auprès des personnes que nous allions y rencontrer. Après quelques observations participantes et des entretiens informels sur le terrain du bouddhisme ethnique en France et en République tchèque, surtout dans sa version vietnamienne, le projet initial d’inclure ce type de bouddhisme dans notre enquête a été abandonné pour des raisons de faisabilité de la recherche. Nous avons donc restreint notre enquête au bouddhisme de convertis. En ce qui concerne le choix des organisations relatives à ce bouddhisme, nous avons voulu trouver celles qui étaient représentatives du paysage du bouddhisme de convertis. Si les deux courants bouddhistes, Theravāda1 et Mahāyāna2, sont présents en France et en République tchèque, c’est surtout le bouddhisme mahāyāna qui domine avec 89,8 % des centres bouddhistes en France selon des estimations de 19983 et 87 % pour la République tchèque en 20104. Au sein du bouddhisme mahāyāna, le bouddhisme tibétain et le bouddhisme zen sont les plus répandus dans ces pays5. Aussi avons-nous interrogé les statistiques pour savoir quelle école à l’intérieur de ces formes de bouddhisme était la plus représentée. Ainsi, c’est surtout l’école Kagyüpa6 du bouddhisme tibétain et le Zen sōtō pour

1

Le bouddhisme theravāda est pratiqué principalement dans le Sud-Est asiatique dans des pays comme le Sri Lanka. Il s’appuie sur des textes en pāli.

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D’après Paul Williams, le Mahāyāna commence à émerger à partir du IVe siècle pour se solidifier au fil des siècles en opposition à d’autres formes du bouddhisme (P.WILLIAMS, op. cit., p. 3-6). Il est typique pour ce courant bouddhiste d’accentuer le concept de compassion, l’esprit éveillé né de la compassion pour tous les êtres (en sanskrit : bodhicitta), et la personne pleine de la compassion, résolue d’atteindre l’éveil pour le bonheur de tous les êtres (en sanskrit : bodhisattva).

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P.RONCE,Guide des centres bouddhistes en France, Paris, Éditions Noêsis, 1998.

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J.HONZÍK (dir.), op. cit. 5

Le recensement de Philippe Ronce indique 36,8 % de centres du bouddhisme tibétain et 53 % pour le bouddhisme zen en 1998 (P.RONCE, op. cit.). Pour la République tchèque, le bouddhisme tibétain représente 68 % et le bouddhisme zen 20 % de la population bouddhiste convertie en 2010 (J.HONZIK [dir.], op. cit.).

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L’école Kagyüpa représente 61 % des bouddhistes tibétains en France en 1999 (L.OBADIA, Bouddhisme et Occident…, op.

cit., p. 174). Les origines de cette école remontent au Xe siècle au Tibet. Les premiers ordres du bouddhisme tibétain

commencent à être fonder à partir du XIe siècle jusqu’à ce que quatre école principales se constituent : l’école Sakyapa,

Guélougpa, Kagyüpa et Nyingmapa (J.POWERS, Introduction to Tibetan Buddhism, Ithaca – Boulder, Snow Lion Publications, 20072). Les représentants de l’école Sakyapa obtiennent le pouvoir politique sur le Tibet avant qu’il passe au XVIIe siècle dans les mains des principaux maîtres, portant le titre honorifique de dalaï-lama, de l’école Guélougpa. Cette dernière est fondée au XVe siècle par Tsongkhapa (1357-1419) et se caractérise schématiquement par l’accent sur la discipline monastique, l’étude et la méditation. Quant à l’école Nyigma, elle se réfère aux textes de la première venue du bouddhisme au Tibet et accentue l’enseignement oral. Pour la Kagyüpa, elle retrace ces origines au Xe siècle et notamment chez Marpa (1012-1097) et son disciple Milarepa (1040-1123). Une de ses quatre grandes sous-écoles est Karma kagyü, dont relève la Diamond Way, et une école plus récente est Shangpa kagyü, à l’origine de la Bodhicharya France, les deux organisations de notre terrain. Cette école

Kagyü met au centre la relation entre le maître et le disciple. En parlant du bouddhisme tibétain, nous ne faisons pas référence

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le bouddhisme zen1. À ces statistiques, il faut ajouter encore la Sōka-gakkai avec ses dix mille pratiquants en France2, très peu développée toutefois en République tchèque.

En même temps, nous avons été contrainte pour d’autres raisons d’entreprendre principalement l’enquête dans deux villes, Strasbourg (474 500 habitants3), notre lieu d’habitation et de travail, et Prague (1 280 508 habitants4), ville où il nous a été commode de séjourner grâce à de nombreuses connaissances. Ces contraintes jointes aux questions financières, en absence de l’allocation de recherche et sans posséder de voiture, expliquent aussi notre volonté de choisir des lieux de pratique urbains pour des observations renouvelées, ce qui nous a permis de limiter les frais de déplacement. L’enquête nous a toutefois guidée à plusieurs reprises à nous en éloigner.

Malgré la différence de population entre chacune de ces deux villes, ce choix s’est montré propice parce que nous n’avons jamais rencontré d’autres chercheurs travaillant sur cette thématique. Campergue témoigne en effet d’une autre situation : des rencontres régulières avec d’autres chercheurs sur le bouddhisme5. Ainsi, étions-nous peut-être moins confrontée à un discours formaté face au chercheur6. Aussi cette situation était-elle avantageuse par rapport aux conditions de possibilité de rencontres bouddhistes en République tchèque, plus importante dans une grande ville.

Liant autant les données sur la représentativité que leurs limites géographiques, nous avons sélectionné cinq lieux bouddhistes urbains qui appartiennent tous à différentes organisations nationales et transnationales : le groupe local du Mouvement Soka, dite

Sōka-gakkai France7 appartenant à la Sōka-gakkai internationale, le groupe local de la

Bodhicharya France qui fait partie de la Bodhicharya Internationale, le Groupe régional de

l’Association Zen Internationale, appelé communément Centre de bouddhisme zen de

Strasbourg pour l’Association Zen Internationale, le groupe local du Bouddhisme de la Voie du Diamant de la lignée Karma Kagyü, dite la Diamond Way tchèque dans la présente étude

pour souligner son appartenance à la Diamond Way, et le groupe local de la Sótó Zen Česká

selon Geoffrey Samuel (G.SAMUEL, Civilized Shamans. Buddhism in Tibetan Societies, Washington, Smithsonian Institution Press, 1993, p. 12).

1

Au IXe siècle en Chine naissent deux écoles qui nous intéressent : la Ts’ao-tong propage la méditation en position assise et silencieuse (en japonais : zazen) pour atteindre l’éveil contrairement à l’école Linji qui développe plutôt la tradition d’une courte histoire ou d’un dialogue succinct à méditer (en japonais : kōan). Ces deux écoles donnent les écoles Sōtō et Rinzai au Japon (H. DUMOULIN, A History of Zen Buddhism [trans. from the German by P. Peachey], New Delhi, Munshiram Manoharlal Publishers, 2011).

2

N.CHELLI – L. HOURMANT, « Orientations axiologiques dans le bouddhisme du mouvement Soka Gakkaï France. Le bouddhisme en Occident : approches sociologique et anthropologique », Recherches sociologiques 31/3 (2000), p. 89.

3

VILLE ET EUROMETROPOLE DE STRASBOURG, Atouts de Strasbourg | Développement & rayonnement | Strasbourg.eu, <http://www.strasbourg.eu/developpement-rayonnement/atouts;jsessionid=D013B0D6533311CEEDC3506E4326C12A>, le 20/11/2017.

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ČESKÝ STATISTICKÝ URAD, Stav a pohyb obyvatelstva v hl. m. Praze v roce 2016 | ČSÚ v hl. m. Praze, <https://www.czso.cz/csu/xa/stav-a-pohyb-obyvatelstva-v-hl-m-praze-v-roce-2016>, le 20/11/2017.

5

C.CAMPERGUE, Le maître dans la diffusion..., op. cit., p. 39. 6

Obadia constate la routinisation de ce discours pour le terrain lyonnais (entretien personnel, le 25/10/2010). 7

Nous retiendrons la dénomination Sōka-gakkai dans la suite de notre propos parce que c’est l’appellation qu’utilisent les pratiquants et par la recherche scientifique. Il est parfois d’usage d’utiliser l’expression « Mouvement bouddhiste Soka » pour l’ensemble des ramifications mondiales et la version française de la Soka Gakkai International qui représente plusieurs organisations.

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republika, membre de la Zazen Internationale. S’y sont ajoutés des groupes situés en

campagne, avec éventuellement leurs associations plus ou moins autonomes, proches de ces groupes locaux et relevant des mêmes organisations nationales. L’observation participante a été plus restreinte dans ce deuxième type de lieu. Pour simplifier notre propos, nous utilisons des appellations suivantes pour parler de données obtenues pour chacune des organisations : la Sōka-gakkai, l’Association Zen Internationale, la Bodhicharya France, la Diamond Way et la Sótó Zen ČR.

En effet, il nous a été impossible de sélectionner les mêmes organisations bouddhistes dans les deux pays en raison de l’histoire différente du bouddhisme de convertis et de leur constitution inégale. La Sōka-gakkai est très peu présente en République tchèque et la Diamond Way n’a qu’une vingtaine de cotisants en France, notamment à Paris. La

Bodhicharya Internationale tout comme l’Association Zen Internationale sont absentes en

République tchèque. Par contre, la Zazen Internationale est d’origine française, mais elle n’est pas présente à Strasbourg.

C’est dans ces organisations et leurs lieux de pratique, notamment en milieu urbain, que nous avons mené l’enquête de terrain par des méthodes qualitatives.