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Tension entre les mondes domestique, civique et connexionniste

de la réflexion au dépôt de plaintes

6.5. Tension entre les mondes domestique, civique et connexionniste

Différentes techniques d’intervention auprès des opérateurs sont mobilisées par les agents des SPE et ce, en fonction du type d’épreuve. Face à certaines modifications comme un changement au niveau des modalités de stage, une requalification du projet et l’imposition d’une charge importante de travail, les agents adoptent l’attitude « autoritaire ». Aucune négociation n’est possible : l’opérateur accepte ou refuse la convention de partenariat telle que proposée par l’Office. Les agents se réfèrent au cadre légal de l’appel à projets pour justifier la décision prise par les évaluateurs.

Certaines épreuves comme par exemple, la réduction budgétaire, met en évidence la tension qui existe entre le siège central et les directions régionales, au sein du Forem. Le CRP, situé en région, propose à l’opérateur d’introduire une plainte auprès du siège central. Il estime la réduction budgétaire trop drastique, d’autant plus que l’opérateur doit engager un consultant externe. Un désaccord émerge entre la direction régionale et le siège central. Cette situation met en exergue la difficulté d’une gestion trilatérale du partenariat. Les directions régionales agissent tel un « intermédiaire » entre le siège central et l’opérateur.

Le degré de proximité avec l’opérateur varie en fonction du lieu (siège central ou région) de gestion du partenariat. Il est plus élevé entre la direction régionale et l’opérateur qu’entre celui-ci et le siège central. L’agent, au sein de la direction régionale, adopte dans ce cas-ci une attitude de « protection » par rapport à l’opérateur mis en situation de « danger ». Il le fait car il trouve la décision prise par le siège central inappropriée. On peut voir que la dimension familière du monde domestique prime dans cette situation. L’agent protège l’opérateur en lui conseillant d’introduire un recours auprès du siège central pour tenter d’assouplir le jugement. Il fait cette proposition car il connaît la qualité du travail du prestataire.

Malgré l’introduction d’un recours, le siège central reste sur sa décision initiale. Le budget de l’opérateur est réduit. L’Office fait valoir les règles en restant accroché au cadre légal, ce qui fait référence au monde domestique autoritaire. Alors que les agents en direction régionale se situent plutôt, dans ce cas-ci, dans le registre domestique familier. Le registre domestique autoritaire est connecté au monde civique par l’application des règles. Par

contre, le registre domestique familier est au service du monde connexionniste. La direction régionale met en avant sa mission de « connexionniste ». Le degré de familiarité est renforcé par les connexions établies avec l’opérateur. L’agent va défendre « son » partenaire, pour autant que cela soit justifié, face au siège central.

En général, les agents adoptent une attitude « autoritaire » car ils s’attellent à faire appliquer les règles. Ils ne protègent pas les opérateurs à tout prix, comme c’est le cas lors d’épreuves particulières. Le recours au registre domestique n’est pas sans effet sur la nature de la collaboration entre l’opérateur et le SPE. Au-delà du maintien des liens, la relation partenariale est dénaturée. Elle perd son cachet « partenarial » pour devenir une relation asymétrique de type « mère – enfant ». L’opérateur n’a plus la position du

grand dans le monde connexionniste mais du petit du registre domestique. Il

n’est plus perçu par l’agent comme un individu souple, adaptable, créatif et

communicatif mais bien comme un « enfant » qui demande une protection.

Dans cette situation-là, l’opérateur est infantilisé ce qui signifie pour lui la perte symbolique de son statut de partenaire. Il devient un « sous-traitant » à cause de l’asymétrie de la relation.

Une gestion du partenariat trilatérale et individualisée est à l’origine de ce glissement relationnel. Les agents en direction régionale sont des « intermédiaires » entre l’opérateur et le siège central. Ils ont une forte proximité avec les opérateurs, plus importante qu’avec le siège central, ce qui les amène à développer une certaine familiarité. Celle-ci peut se traduire, par moment, sous la forme d’une relation asymétrique. Les agents en direction régionale doivent maintenir les liens. Ils le font parfois à n’importe quel prix, quitte à dénaturer un peu la nature de la relation. S’ils n’adoptent pas cette attitude de « protection », la conséquence pourrait être la perte de la connexion.

Un autre élément contribue aussi au développement de ce phénomène. Il s’agit du dispositif d’appel à projets. Il incite les agents à adopter l’attitude de « protection » vis-à-vis des opérateurs. Le cadre de l’appel réduit fortement l’espace de négociation laissé à ceux-ci. Les opérateurs n’ont alors pas la possibilité de se faire entendre et d’entreprendre une négociation avec le siège central. Leur voix est portée par les agents des directions régionales. La familiarité et la bonne entente entre l’opérateur et l’agent sont, dès lors, nécessaires à la réussite du processus de restitution du message de

l’opérateur. L’agent peut, parfois, tenter une négociation avec le siège central. Les opérateurs peuvent aussi communiquer leur insatisfaction et leurs desideratas à travers la rédaction d’une plainte déposée auprès du siège central.

Conclusion

L’établissement d’une collaboration avec l’Office de l’Emploi est source d’incertitude pour les opérateurs. Ceux-ci ne savent pas si leur dossier de candidature sera ou non sélectionné par les évaluateurs. L’entrée dans une relation partenariale avec l’Office est vécue par les opérateurs comme un « pari ». Ceux-ci attendent avec impatience la lettre de réponse du SPE ainsi que la convention de partenariat. Cependant, un ensemble d’imprévus peut surgir dans la procédure de conventionnement, comme des retards au niveau du courrier de réponse et de la convention. Ces retards plongent les opérateurs dans une situation de « danger ». La collaboration est vécue comme un « défi » : un sentiment de méfiance s’installe dans le chef des opérateurs.

Dans l’étape de sélection, les évaluateurs des SPE ont montré des réticences par rapport aux dossiers de candidature présentant un manque de rigueur de la part de l’opérateur mais on peut remarquer que les SPE faillissent aussi par moment. Par exemple, un retard dans les délais de remise des jugements aux opérateurs peut « paralyser » ceux-ci dans la gestion de leur personnel. Les prestataires peuvent sentir ce manque de « professionnalisme ». Ces épreuves confortent les SPE dans une image négative d’administration « lourde et lente ». Cette image alimente négativement la réputation du SPE vis-à-vis des prestataires.

L’ensemble des épreuves donne un cachet particulier à la relation partenariale qui n’est plus (suffisamment) sous-tendue par le gage. La collaboration démarre alors d’un pas « boiteux », laissant planer un parfum de « défi » pour les opérateurs. On peut remarquer que l’incertitude croissante donne naissance au risque, c’est-à-dire à une situation de mise en danger (cf. figure 10). Les épreuves du conventionnement concernent plus particulièrement les opérateurs.

Figure 10 : Articulation des formes logiques de la confiance du côté des opérateurs Relation comme GAGE Relation comme PARI Relation comme DÉFI Relation comme SACRIFICE risque incertitude

Les épreuves liées au conventionnement touchent essentiellement les opérateurs. Ceux-ci mettent en place des stratégies face à ces « paris » et « défis » (cf. tableau 6), lancés par l’Office. La forme du sacrifice apparaît rarement, uniquement lorsque la convention est modifiée par le SPE. Dans ce cas, les opérateurs ont l’impression de se sacrifier s’ils acceptent la convention de partenariat en l’état. Le sacrifice est connecté au défi. En ce qui concerne la réception de la lettre de réponse, les opérateurs bruxellois donnent à leurs travailleurs un certificat de chômage préventif. Ne sachant pas s’ils seront retenus ou non par les évaluateurs, ils anticipent la réponse négative en licenciant préventivement leurs formateurs. Cette technique est plus spécifiquement mise en place par les anciens opérateurs. Du côté du Forem, le courrier se fait souvent attendre. L’arrivée tardive de la réponse pousse certains opérateurs à déplacer la date de démarrage de la prestation. Les opérateurs concernés sont essentiellement ceux qui doivent commencer rapidement leur action de formation.

Quand la convention de partenariat arrive en retard, les opérateurs se contentent d’aller chercher de l’information auprès des agents. Si la convention est accompagnée d’anomalies, ils leur demandent une régularisation de la situation. Parfois, la convention est « audacieuse ». Dans ce cas-là, les opérateurs somment les agents d’avoir un délai pour réfléchir à la proposition. Certains d’entre eux vont jusqu’à introduire une plainte s’ils ne sont pas contents de la décision. En général, les opérateurs acceptent la convention en l’état car aucune négociation n’est possible. Ils se résignent dans le but d’obtenir leur conventionnement avec l’Office. Par contre, certains d’entre eux refusent la convention de partenariat. Le refus est souvent accompagné d’un cumul de facteurs (difficultés financières, impossibilité de modifier la planification des actions de formation pour en accepter plus, etc.) rendant utopique la signature de la convention.

Les agents des SPE interviennent auprès des opérateurs de leur propre initiative ou à la demande de ceux-ci. Ils leur donnent essentiellement des informations quand les documents (lettre de réponse et convention) sont en retard ou sur le point d’être envoyés. Ils fournissent aussi des conseils comme le fait de ne plus planifier les prestations en tout début d’année civile (Forem). Face à un retard de la convention, ils recourent à des dérogations pour permettre aux opérateurs de démarrer leur prestation. Au Forem, certains agents font des comités d’accompagnement groupés. Ils se servent d’une réunion d’évaluation de l’ancien projet pour lancer le nouveau, même si la convention n’est pas encore parvenue à l’opérateur. Quand la convention présente des anomalies, les agents des deux SPE régularisent rapidement la situation. Dans le cas où la convention est « audacieuse », ils donnent des informations aux opérateurs sur les raisons de ces propositions. Dans certaines circonstances exceptionnelles, ils conseillent à l’opérateur concerné d’introduire une plainte auprès du siège central.

L’intervention des agents met en exergue certains registres de justification. Face à la réception de la lettre de réponse et de la convention de partenariat, les agents agissent de façon à maintenir les connexions avec les opérateurs. Le monde connexionniste est prédominant dans la situation. Par contre, la régularisation d’une anomalie montre la mobilisation du monde civique car les agents résolvent l’épreuve en se référant au cadre légal. Quand la convention de partenariat est « audacieuse », les agents adoptent une attitude « autoritaire » pour faire appliquer la décision prise par l’Office. Ils se raccrochent aux cadres légaux pour expliquer la proposition. Ainsi, le

monde domestique autoritaire est lié au monde civique. Par contre, dans les épreuves particulières, les agents en direction régionale (Forem) manifestent leur désaccord par rapport à la décision prise par le siège central en adoptant une attitude de protection de l’opérateur. Ils veillent au maintien des connexions avec l’opérateur. Le monde domestique de type familier est alors au service du monde connexionniste.

Une fois la convention signée, les opérateurs peuvent enfin se lancer dans la mise en œuvre de leur projet. Le cahier des charges de l’appel à projets prévoit un accompagnement des projets par les agents de l’Office de l’Emploi.

Tableau 6 : L’analyse des épreuves liées au conventionnement

Étapes Épreuves (du côté du Forem = F ;

du côté d’Actiris = A) Formes logiques Facteurs explicatifs Stratégies développées par les opérateurs

Types d’opérateur Intervention du SPE Mondes de

justification (SPE) C on v entionnement L ettr e de réponse 1. La réception de la lettre de réponse À temps (A) Pari pour opérateur Gestion en flux prévisionnel de l’appel à projets Donner un certificat de chômage préventif aux formateurs Anciens opérateurs Donner d’initiative l’information par téléphone à l’opérateur Connexionniste En retard (F) Défi pour opérateur Gestion en flux tendu de l’appel à projets Changer les dates de prestation Opérateurs devant vite démarrer l’action Donner information si opérateur téléphone Donner conseils lors rédaction dossier candidature C on v ention de part enaria t

2. La réception tardive de la convention de partenariat Défi pour opérateur Gestion en flux tendu de l’appel à projets Contacter le SPE Opérateur devant vite démarrer l’action Opérateurs non-marchands

Faire une dérogation Faire des comités groupés (F)

Connexionniste

Organisation du travail dans le service 3. Anomalies dans la convention de

partenariat : erreur dans les heures de prestation (F) Défi pour opérateur Distraction Surcharge de travail Demander la régularisation

/ Résoudre l’anomalie Civique

4. Modifications importantes dans le projet • Modification du stage (F) • Requalification du projet (F) • Charge importante de travail (A) Défi pour opérateur (= acte audacieux) Application des règles de l’appel à projets ou d’un cadre légal hors SPE

Réfléchir à la proposition Accepter la proposition la moins risquée (A) / Donner de l’information, des conseils Accompagner le projet Civique Domestique Autoritaire • Réduction du subside (F) Introduire une plainte Conseiller d’introduire une plainte Connexionniste Domestique Familier

Chapitre 5

Le suivi des projets

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