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Des cotes et des arguments : deux méthodes pour traduire un jugement

4.1.2 sur les dossiers critiques à refuser par Actiris

5. Équilibre des jugements

5.3. Des cotes et des arguments : deux méthodes pour traduire un jugement

Chaque évaluateur a sa propre stratégie pour attribuer un jugement à un dossier de candidature et établir un classement de l’ensemble des dossiers. Au sein du Forem, les évaluateurs cherchent tout au long du processus de sélection à trouver quantité d’arguments en faveur ou en défaveur du dossier. Lors des étapes de l’éligibilité et de la cohérence, les évaluateurs émettent un jugement sur l’adéquation du dossier par rapport au cadre de l’appel à projets. Quel que soit leur positionnement (acceptation ou refus) par rapport au dossier, ils doivent fournir une solide argumentation pour justifier leur décision auprès du comité de sélection (étape finale du processus où, entre autres, la hiérarchie du Forem discute le jugement). Au niveau de l’étape

de la pertinence, ils doivent hiérarchiser les dossiers sur base des priorités locales. L’ensemble des arguments doit justifier l’ordre du classement. Ainsi, les évaluateurs doivent pouvoir fournir les raisons pour lesquelles tel dossier est positionné au-dessus ou en-dessous de tel autre. Le comité de sélection passe en revue tous les dossiers afin de veiller à l’équilibre des jugements.

« Le problème n’est pas de dire pourquoi la direction régionale prend un projet mais c’est quand elle ne sait pas dire pourquoi elle ne le prend pas. Il faut toujours savoir expliquer le pourquoi. Dans le « pourquoi », on a l’objectivité ».

(CRP W. du Forem 9)

En ce qui concerne Actiris, tout l’enjeu des discussions entre les évaluateurs d’Actiris n’est pas de chercher à argumenter la décision mais d’attribuer des cotes aux différents dossiers. Les dossiers qui sont en dessous de 6/10 sont de suite exclus. Aucune justification ne doit être fournie pour ces dossiers, ce qui n’est pas le cas du Forem où tous les dossiers doivent être argumentés les uns par rapport aux autres. Si un dossier est moins bon qu’un autre, les évaluateurs d’Actiris doivent lui trouver des faiblesses afin de justifier la diminution des cotations. Les évaluateurs sont, parfois, dans l’obligation d’ajuster leurs cotes car le budget pour l’appel à projets est limité, ce qui implique le refus de certains dossiers.

Concrètement, les évaluateurs reprennent tous les points positifs et négatifs de chaque dossier pour les comparer et les hiérarchiser. Ils sont dans une posture où ils ne peuvent pas accepter tous les projets. Les arguments où ils « protègent » les opérateurs. Le registre du monde domestique familier n’intervient pas dans ce cadre-ci. Les évaluateurs sont obligés d’adopter une attitude plus stricte vis-à-vis des opérateurs. Le régime du monde domestique autoritaire permet d’éviter la négociation des règles du monde civique. Un agent explique ci-dessous la manière dont la hiérarchisation des dossiers de candidature doit se dérouler.

« Au comité de sélection, il n’y a pas eu de priorisation mais juste un classement des dossiers du meilleur au moins bon. Une chose importante est le budget. […] Soit on n’a pas eu assez de dossiers et le budget est bon. Soit on a eu trop de dossiers et le budget est atteint. Mais chaque dossier est passé en revue puis on reprend globalement tous les dossiers. Chaque évaluateur peut dire ce qu’il pense : un dossier qui était en numéro 3 peut passer en numéro 5 et le 5 peut devenir le 2. Et puis, on présente au comité de gestion toute la procédure : dans les dossiers reçus, X étaient recevables, X irrecevables. Et, sur les X recevables, on fait les grilles pour déterminer ceux qui sont retenus ».

(Agent H. d’Actiris)

Dans le cadre de certains appels à projets, le nombre de dossiers est trop important en regard du budget dont dispose Actiris. Le système de hiérarchisation est essentiel car il permet d’identifier les opérateurs qui ne seront pas conventionnés. Dans d’autres appels à projets où le budget est proportionnellement plus important que le nombre de dossiers de candidature, les évaluateurs ne doivent pas chercher à en éliminer. Mais, ce n’est pas pour autant qu’ils gardent de mauvais dossiers. Tout le budget ne doit pas nécessairement être utilisé.

« C’est par les points qu’on a un classement des dossiers de candidature. Le dossier était bon ou pas bon. Dans l’appel AEPP (Accompagnement à l’Élaboration d’un Projet Professionnel), il y avait beaucoup de demandes et peu de budget. Dans les autres appels, c’est l’inverse. Il y a des comités avec trente dossiers et d’autres avec cinq dossiers. On ne le sait pas à l’avance. C’est toujours un peu le stress parce que l’analyse prend énormément de temps ».

(Agent K. d’Actiris)

Les arguments tout comme les cotations permettent un classement des dossiers de candidature. Ce classement doit être avalisé par le comité de sélection (Forem) et par le comité de gestion (Actiris). Ces deux comités ont pour mission de veiller au bon déroulement de la procédure de sélection. Leur approbation signifie que la procédure a respecté l’équité entre les opérateurs. Une lettre de réponse peut être envoyée aux opérateurs en mentionnant les raisons de l’acceptation ou du refus du dossier.

Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons relaté la manière dont les services de relations partenariales procèdent à la sélection de leurs futurs partenaires. Tiraillés par la présence d’une tension fondamentale, entre le monde connexionniste et le monde civique, les évaluateurs sont amenés à débattre autour des dossiers de candidature problématiques. Les échanges d’arguments les opposent par moment car les propos tenus découlent de mondes de justification différents. Les évaluateurs sont, pourtant, dans l’obligation de devoir se positionner vis- à-vis du dossier critique. Une manière de le faire est d’évaluer la présence d’éventuels risques pour l’Office de l’Emploi en termes de dépôt de plaintes et/ou d’impact sur l’image de celui-ci.

Les débats amènent les évaluateurs à réaliser des passages entres différents registres de justification. Des compromis et des arrangements servent, parfois, d’issue pour sortir d’une épreuve. Généralement, les évaluateurs dépassent une épreuve par la juxtaposition d’arguments appartenant à différents mondes communs. Ils font des « hybridations » de mondes voire des « associations multi-mondes », selon le type de situation critique dans laquelle se trouve le dossier de candidature. Les argumentaires tenus pendant le processus de sélection relèvent des différents registres de justification identifiés par Boltanski et Thévenot (1991). D’une manière générale, les différentes épreuves laissent penser l’hétérogénéité des décisions, des

jugements émis par les évaluateurs lors de la phase de sélection des dossiers

de candidature.

Dans la phase d’éligibilité, étape posant plus de problèmes au Forem que chez Actiris, les arguments dépendent principalement d’une alliance entre monde domestique et monde de l’opinion. Par contre, dans la phase de sélection, ils découlent surtout de la combinaison entre monde domestique et industriel. Les registres de justification de type marchand, industriel et de l’inspiration sont en lien avec le monde de l’opinion. La question du prix et les résultats obtenus par le passé ont un effet direct sur la réputation de l’opérateur. Cette « étiquette » est construite par les évaluateurs du SPE sur base d’informations collectées de diverses sources.

Le monde de l’opinion concerne également la réputation de l’Office de l’Emploi. La renommée d’un opérateur peut avoir une influence positive ou négative sur celle du SPE. Les évaluateurs ont pour rôle d’estimer les risques

pour l’Office d’un conventionnement avec tel ou tel opérateur. Ils doivent veiller à maintenir une belle image du SPE en évitant la contraction d’une convention de partenariat avec un opérateur suspect et le dépôt de plaintes. Ces deux éléments peuvent nuire à la réputation du SPE. C’est important pour les évaluateurs de maintenir une bonne réputation de l’Office car il doit intéresser les opérateurs.

À travers les épreuves, nous avons vu que certains dossiers de candidature sont rejetés car ils n’inspirent pas confiance aux évaluateurs. Cette méfiance se traduit par des facteurs comme la présence d’un curriculum vitae désastreux dans les annexes du dossier de candidature, la présence d’erreurs dans la rédaction du dossier mais aussi l’absence d’une bonne évaluation lors de la précédente convention de collaboration. Tous ces éléments ne jouent pas en faveur de l’établissement d’une convention de partenariat avec l’opérateur en question. Dans certaines épreuves, le dossier a été sélectionné malgré la présence de ces facteurs-là. Cela peut s’expliquer du fait que d’autres éléments, inspirant la confiance, ont permis aux évaluateurs de faire l’impasse sur les aspects négatifs. Derrière l’argumentaire des évaluateurs se pose la question de la confiance qu’ils peuvent accorder ou non à l’opérateur. Il semble que la relation de confiance ne va pas de soi mais qu’elle est à construire. C’est à travers une analyse des activités partenariales que nous pourrons voir comment et dans quelles conditions la confiance se construit entre l’opérateur et l’Office mais aussi avec les agents de celui-ci.

Chapitre 4

Le conventionnement

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