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Stratégies des opérateurs : de la plainte au « trafic de publics illicites »

La circulation des demandeurs d’emploi : un déf

6.3. Stratégies des opérateurs : de la plainte au « trafic de publics illicites »

La période de recrutement des candidats constitue une source de stress importante pour les prestataires. Ces derniers se sentent sous pression, comme l’exprime l’un d’entre eux, en ce qui concerne l’atteinte du quota fixé par l’Office. Les opérateurs se retrouvent dans la délicate situation de devoir remplir leur session de formation avec n’importe quel candidat afin d’atteindre le nombre demandé par le SPE.

« Il fallait au minimum 10 personnes dans les groupes. On était plus stressé par la constitution des groupes qu’autre chose. On ne fait que du quantitatif. À la dernière minute, on devait prendre des candidats qui n’étaient pas motivés. Ce qui leur importe, c’est d’avoir l’action notée dans leur dossier, peu importe que les personnes restent deux jours ou cinq semaines ».

(Opérateur E. d’Actiris)

Pour affronter cette épreuve, les opérateurs vont mettre en place d’autres stratégies, comme le fait d’entrer en contact avec le siège central et/ou les antennes d’Actiris pour faire la promotion de leur prestation auprès des conseillers. Mieux se faire connaître est une technique pour augmenter le

flux de candidats. Quelques opérateurs se sentent un peu lésés du fait d’être éloignés géographiquement d’une antenne.

« Tous les partenaires ne sont pas au même niveau. Certains partenaires sont à côté de l’antenne d’Actiris. Ils reçoivent plus d’aide de l’antenne que nous car on est éloigné ».

(Opérateur F. d’Actiris)

Les opérateurs rencontrant des difficultés au niveau du recrutement des candidats peuvent prendre contact avec le service partenariats au siège central. Une procédure est mise en place pour les aider dans leur processus de recrutement. Un opérateur a utilisé cette piste de solution mais elle n’a pas donné les résultats attendus.

« On a une action à réaliser. Il nous faut du monde. On demande un listing chez Actiris quand on n’a plus de solutions mais, c’est une perte de temps d’envoyer la lettre et d’attendre dix jours pour avoir une réponse. On n’aura pas nos candidats ».

(Opérateur A. d’Actiris)

Quand la situation paraît trop critique aux yeux des opérateurs, certains décident de faire entendre leur mécontentement en comité d’accompagnement. L’un d’entre eux expose son problème à l’ensemble des prestataires présents à la séance77. Son intention est de le faire notifier dans

le procès-verbal de la réunion et de rappeler le fait que l’Office de l’Emploi n’a pas pu l’aider. Quand un opérateur remarque un manque de candidats pour une session à venir, l’opérateur peut interpeller le service support réseau pour obtenir une aide. La règle stipule qu’il peut l’informer de sa difficulté une semaine avant le démarrage de la session.

En raison de jours fériés, l’opérateur a pris contact plus d’une semaine avant la date de début de la prestation. Il soutient que le service a refusé l’intervention en se référant à la règle du délai d’une semaine. Les jours de congé ont fait perdre du temps à l’opérateur mais aussi à l’Office de l’Emploi.

En conséquence, un courriel d’information sur la session a été envoyé fin de semaine pour une session de formation démarrant au début de la semaine suivante. L’aide arrivant tardivement, l’opérateur n’a pas pu commencer sa session à cause d’un manque trop important de candidats. Il se sent en situation de danger et vit la collaboration avec l’Office de l’Emploi comme un « défi ».

D’autres opérateurs d’Actiris ont décidé de faire le recrutement eux-mêmes, sans compter sur l’aide de l’Office. Dans le cadre des collaborations avec Actiris, la convention ARAE interdit au prestataire de faire la publicité de sa mesure. Promotionner leur offre auprès des conseillers est considéré par l’opérateur comme un acte risqué car il sait pertinemment bien qu’il ne respecte pas les règles prescrites par l’Office en la matière.

Les opérateurs du Forem développent également une autre stratégie qui semble encore plus risquée. Il s’agit du « trafic de publics illicites » qui consiste en le fait de reprendre des anciens candidats pour atteindre leur quota de demandeurs d’emploi à encadrer. Cet acte est « risqué » car l’opérateur se met délibérément en situation de danger face au cadre légal imposé par l’Office. Il est, surtout, mis en œuvre dans le cas des sessions de formation car l’opérateur doit avoir un nombre minimum de candidats pour pouvoir démarrer sa prestation.

Dans les discours des acteurs, il est possible d’entendre que certains demandeurs d’emploi « tournent » en formation en ce sens où ils passent d’une formation à l’autre sans entrer sur le marché de l’emploi. Certains candidats sont repris par les opérateurs alors qu’ils ont déjà suivi un module de formation au sein de cet organisme. L’agent a des soupçons à partir du moment où il remarque une anomalie dans le parcours de réinsertion socioprofessionnelle du demandeur d’emploi.

« Il y a eu des gros problèmes de recrutement de stagiaires. On a eu un opérateur qui avait trois modules. Il faisait passer les stagiaires de l’un à l’autre. Ça ne me dérange pas qu’un stagiaire fasse son parcours chez le même opérateur mais il y en a parfois qui font de la recherche d’emploi puis à la fin, la personne se retrouve en orientation. Puis, la personne se retrouve à nouveau dans une autre filière. Ça pose question. Le danger, c’est que ce ne soit pas pour le bien du stagiaire. Il y a des stagiaires qui resteraient cinq ans en formation comme cela, ils sont tranquilles ».

(CRP K. du Forem 6)

« On a reçu des plaintes de trois stagiaires. On s’est rendu compte que certaines personnes avaient un besoin de mobilisation mais elles étaient dans un module « salariés ». En interpelant l’opérateur, il nous a dit qu’il n’y avait plus de places dans le module « mobilisation ». Il a mis la personne dans une autre session. Il a fait cela juste pour remplir un groupe ».

(CRP M. du Forem 5)

Cette pratique de « trafic de publics illicites » n’a pas été identifiée chez les opérateurs bruxellois. Ceux-ci y recourent peut-être mais il est difficile de le savoir. Avouer ces pratiques met les opérateurs dans une situation délicate vis-à-vis de l’Office de l’Emploi. Ils savent que celui-ci ne les tolère pas. S’ils ne les utilisent pas, c’est peut-être parce que le système d’appel à projets est encore trop récent. Ils n’ont pas encore développé cette stratégie.

Les opérateurs qui ont recours à l’ensemble de ces stratégies sont plutôt les anciens partenaires de l’Office. Selon la gravité de la situation, ils n’hésitent pas à entreprendre des actes risqués et audacieux. Ils le font sur base de leurs précédentes expériences de collaboration avec l’Office. Ces actes ne sont pas réalisés sur un coup de tête mais ils sont pensés en termes de solution face à un problème récurrent. D’ailleurs, cela peut expliquer le fait que les opérateurs wallons évoquent moins dans leur discours le problème du recrutement car ils ont intériorisé ces pratiques.

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